Déchéance de nationalité : « la liquéfaction de la politique »


Entretien publié sur FigaroVox, en amont de la prochaine Rencontre du Figaro, qui sera consacrée à cette question : « Faut-il désespérer de la politique ? » Il reste des places disponibles, au tarif web de 10 euros, à réserver sur cette page.

Propos recueillis par Alexandre Devecchio.

François Hollande a renoncé à la déchéance de nationalité mercredi. Au-delà de l’échec personnel du président de la République, cela traduit-il une crise profonde de la politique ?

Pour comprendre la situation actuelle, il faut revenir au péché originel de cette réforme. La vraie faute politique de François Hollande a été d’organiser un Congrès quarante-huit heures après les attentats, alors que les opérations policières étaient encore en cours… C’est cette accélération du temps politique, dictée par l’obsession de la communication et par des considérations purement tactiques, qui conduit à lancer des annonces irréfléchies et mal préparées. Et le résultat, nous le payons collectivement… Si le Congrès avait été organisé un mois après les attentats, jamais cette débâcle n’aurait eu lieu. La volonté de récupération politique d’un événement tragique aboutit à la liquéfaction de la politique elle-même.

Quelles sont les conséquences de cette « liquéfaction » pour la France ?

Charlotte Chaffanjon et Bastien Bonnefous, dans leur livre Le Pari, rapportent que quelques semaines avant les attentats du 13 novembre, François Hollande expliquait que la déchéance de nationalité était une « ligne rouge infranchissable » pour sa majorité et pour lui. Quelques semaines plus tard, il propose pourtant de la faire entrer dans la constitution, et son premier ministre négocie même avec la majorité la possibilité de créer des apatrides… Un tel degré de cynisme ne peut que produire un sentiment profondément anxiogène pour les Français. Cela donne l’impression que le pouvoir est prêt à tout, qu’il n’a plus aucune ligne directrice, aucun cap défini, aucun principe qui ne soit pas négociable. Quelle que soit la position qu’on peut avoir sur la loi El Khomri, elle est aussi un symptôme de cette instabilité profonde. Il n’y a plus rien de solide dans le paysage politique. Personne ne sait maintenant ce que ce gouvernement est capable de proposer…

La droite n’a-t-elle pas aussi une part de responsabilité dans cette situation ?

La droite, et notamment la droite sénatoriale – je pense en particulier à Bruno Retailleau et Gérard Larcher, a été irréprochable sur ce sujet. Elle a évité cette catastrophe démocratique et juridique absolue à laquelle aboutissait la transaction indécente consentie par Manuel Valls à ses troupes, qui ouvrait la voie la création d’apatrides, en présentant cela comme un progrès ! Du point de vue de notre droit, cela aurait constitué une entorse majeure pour une efficacité nulle. Dans cette instabilité profonde, l’opposition a joué son rôle de stabilisation, et le Sénat a contribué à redonner un peu de consistance au débat politique.

Le clivage droite/gauche semble néanmoins de plus en plus flou…

C’est le cas. Pour comprendre cette explosion du clivage droite/ gauche, il faut se replacer dans le temps long. C’est le fait de la fragilisation idéologique liée à la fin de la guerre froide. Depuis la chute du mur de Berlin, les partis politiques ont du mal à élaborer une vision du monde qui soit claire et déterminée. Les grandes formations politiques sont devenues des partis gestionnaires d’où le débat d’idée est absent. De ce point de vue, le Parti Socialiste est en train de payer son inertie pendant ses dix ans d’opposition durant lesquels, dirigé par un certain François Hollande, il n’a jamais fait l’effort de reconstruire un projet et une vision politique nouvelle.

Quels peuvent être les clivages du XXIe siècle ?

Devant le défi que constitue la menace terroriste, il faut réinventer les moyens politiques d’élaborer une réponse collective. L’unité nationale est nécessaire, mais elle suppose un authentique débat politique : ce serait une erreur d’aspirer sur ce sujet à l’uniformité politique, car nous avons plus que jamais besoin d’un vrai dialogue, qui permette de confronter les points de vue sur la nouveauté de ces enjeux si complexes. Le gouvernement devrait assumer ce travail politique, et non tenter d’obtenir par la pression un alignement général. François Hollande a tenté de susciter une unanimité de façade : il n’a fait que créer de nouvelles fractures. Paradoxalement, la recherche effrénée d’un consensus de pure communication n’aura finalement conduit qu’à des divisions stériles.

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