Rencontres sur l’éducation en Italie et en Espagne

Il y a un petit moment que je ne vous ai pas donné de nouvelles sur ces pages. Les dernières semaines ont été l’occasion de travailler sur plusieurs projets, dont je vous parlerai prochainement…

Je voudrais revenir sur un moment marquant, les quelques jours très intenses que j’ai eu l’occasion de passer récemment en Italie et en Espagne, pour une série de conférences et de rencontres autour de l’éducation. Une traduction des Déshérités est parue en italien il y a plus d’un an déjà, et en espagnol au mois de mars dernier. C’est bien sûr une très belle expérience pour moi de pouvoir rencontrer des lecteurs d’autres pays.

Ces quelques jours au nord de l’Italie ont été rythmés par plusieurs conférences à Milan, Varese, Turin, Côme… J’en ai profité à chaque fois pour répondre, dans la journée, à l’invitation d’établissements scolaires très variés, et j’ai pu chaque jour visiter des écoles, intervenir auprès des élèves ou rencontrer les enseignants. J’ai été très impressionné de découvrir que plusieurs équipes pédagogiques ont choisi de travailler à partir des Déshérités. Ce voyage a également été l’occasion d’entretiens avec plusieurs médias italiens. Je suis ensuite parti pour Madrid, où j’étais invité à conclure un colloque national sur l’éducation, organisé par des professeurs passionnés, que j’ai eu la grande chance de rencontrer à cette occasion.

De ces quelques jours, je reviens avec plusieurs sentiments. Le premier, c’est une surprise mêlée de reconnaissance pour le chemin étonnant qu’aura fait ce petit livre. Conduit à cette question de la transmission par ma propre expérience de jeune professeur plongé dans la crise de notre école, je suis toujours profondément touché de voir que tant de personnes, enseignants, parents, éducateurs, avec souvent bien plus d’expérience que moi, partagent les aspirations et les difficultés que je tentais de décrire. Ce livre était une réponse bien modeste à un immense problème de notre temps ; et je n’aurais jamais pu prévoir qu’il recevrait un tel écho… Je m’attendais encore moins à ce que cette réflexion, que je pensais si liée au contexte français, puisse trouver un écho dans d’autres pays ! Pourtant, pendant ces quelques jours, malgré la barrière de la langue et la complexité qu’impose la traduction simultanée, j’ai retrouvé la même expérience que dans les nombreuses rencontres que j’ai pu vivre en France : le même intérêt pour ces questions pédagogiques, des inquiétudes similaires sur la crise éducative, mais aussi la même ferveur dans les échanges, et autant d’émerveillement à réfléchir ensemble sur la nécessité essentielle et oubliée de la transmission.

Cela conforte en moi cette certitude, déjà bien souvent répétée : la crise de l’école n’est pas le problème de l’école. Bien sûr, notre éducation nationale peut progresser ; mais le défi éducatif que nous connaissons est d’abord le signe d’une difficulté qui traverse en profondeur notre société française, et plus généralement notre modernité. Comme l’écrivait Péguy, « les crises de l’enseignement ne sont pas des crises de l’enseignement ; elles sont des crises de vie. » Eh bien, il semble que toutes les sociétés occidentales sont aujourd’hui traversées par cette même « crise de vie générale » ; et l’expérience que j’ai vécue ces dernières années m’a permis d’observer que, à Londres, à Bruxelles, à Milan ou à Madrid, nous sommes conduits aux mêmes renoncements, qui nous condamnent aux mêmes échecs. Si la question de la transmission se pose partout, c’est qu’elle n’est pas d’abord un sujet de méthodes ou de moyens, mais une question bien plus essentielle. « Quand une société ne peut pas enseigner, écrit Péguy, ce n’est point qu’elle manque accidentellement d’un appareil ou d’une industrie ; quand une société ne peut pas enseigner, c’est qu’une société ne peut pas s’enseigner ; c’est qu’elle a honte, c’est qu’elle a peur de s’enseigner elle-même ; pour toute humanité, enseigner, au fond, c’est s’enseigner. »

Et cependant il y a tant d’éducateurs qui ont au cœur la passion de transmettre ! De ce point de vue, je reviens aussi de ces quelques jours avec beaucoup d’admiration et d’espérance. Admiration pour les nombreux parents, enseignants, chefs d’établissement que j’ai eu la chance de rencontrer, et dont beaucoup m’ont marqué par leur courage, leur générosité, leur inventivité – mais aussi par la simplicité avec laquelle ils partagent ensemble leurs doutes et leurs difficultés, ce que peut-être nous avons plus de mal à vivre en France. Admiration aussi, bien sûr, pour la maturité des élèves avec qui j’ai eu la joie d’échanger, pour les talents qu’ils mûrissent – ces apprentis qui à Côme m’ont fait découvrir leur atelier d’ébénisterie, ou ces élèves milanais avec qui nous avons lu Baudelaire… Je garderai longtemps le souvenir de très beaux moments, qui m’ont profondément touché : parmi eux, je voudrais citer la découverte d’une école extraordinaire, Cometa, créée par un couple italien pour accueillir des jeunes en difficulté, et qui leur offre le meilleur – le cadre le plus beau, stimulant et bienveillant, pour qu’ils puissent s’y construire. Un autre moment rare a été un dîner partagé à Madrid, avec de nombreux collègues notamment, au cours duquel nous avons pu échanger avec beaucoup de simplicité ce que nous avons au cœur, nos joies d’enseignants et nos raisons d’espérer. Bien sûr, ces quelques rencontres pèsent bien peu de choses à côté de l’actualité internationale bien préoccupante de cette période. Mais puisque nos défis et notre avenir seront communs, même si le signe est bien discret, je puis le dire : ces amis d’Europe croisés trop rapidement, et que j’espère revoir bientôt, font désormais partie pour moi de ces raisons d’espérer… Grazie mille e a presto – muchas gracias y hasta pronto !