Nous avons un avenir à sauver

Maintenant, ça suffit. Nous avons un avenir à construire. Ce n’est pas sur des petites phrases électoralistes que nous le fonderons.

Claude Guéant en a une fois de plus fait la démonstration en déclarant hier que « toutes les civilisations ne se valent pas. » Les exemples qu’il choisit pour le montrer désignent très clairement les sociétés musulmanes. Quel résultat pouvons-nous attendre d’une telle affirmation ? Aucun — si ce n’est un regain de tensions dans un pays qui doit, tant bien que mal, tenter de maintenir une unité nationale en réussissant l’exploit de rassembler des communautés issues précisément de civilisations différentes.

La ficelle est si énorme, que c’en est écoeurant. Notre civilisation est, de toute évidence, fondée sur une histoire chrétienne et sur un héritage gréco-latin : si M. Guéant la considère comme supérieure, on aurait aimé qu’elle inspire alors les décisions du gouvernement auquel il appartient :

  • Le choix de ne pas travailler le dimanche, par exemple, qui témoigne que l’existence humaine n’est pas faite que de consommation et de rentabilité.
  • Le désir de partager avec tout homme un dialogue fondé en raison, qui impose à la société le devoir de transmettre à chaque enfant les moyens d’une pensée libre et d’une intelligence éclairée.
  • Le souci permanent des plus faibles, des plus fragiles, des plus petits – jusqu’à celui qui n’a pas de lobby pour le défendre.
  • La recherche constante de la paix, qui suppose une prise de parole mesurée et respectueuse, dans l’exigence de la vérité qui interdit la communication mensongère autant que les manoeuvres occultes.
  • Le sens de l’éthique dans les décisions, et de la politique vécue comme un service : en serions-nous là aujourd’hui si la majorité au pouvoir depuis dix ans avait été fidèle à ces principes ?

Voilà ce qui fait l’infinie valeur de notre civilisation, voilà ce qu’elle a mûri de meilleur, dans l’humble travail de ses artistes, de ses philosophes, de ses théologiens, de ses responsables politiques, au cours des siècles et des millénaires de l’histoire européenne. Voilà ce à quoi il fallait rester fidèle, au lieu de donner à ce trésor menacé le baiser de Judas qui contribuera à le disperser.

Notre civilisation est, de toute évidence, fondée sur une histoire chrétienne et sur un héritage gréco-latin : si M. Guéant la considère comme supérieure, on aurait aimé qu’elle inspire alors les décisions du gouvernement auquel il appartient

Cette manoeuvre est écoeurante. La majorité actuelle a refusé à plusieurs reprises d’inscrire dans la Constitution européenne les racines chrétiennes de l’Europe ; c’était là pourtant une réalité historique factuelle, indubitable, qui aurait pu constituer le terrain commun nécessaire à une conciliation respectueuse et paisible des différentes traditions religieuses et spirituelles qui composent aujourd’hui nos sociétés. C’eût été un moyen clair, serein et sans provocation, de fonder notre refus de la burqa, par exemple – autant que le principe de dignité inaliénable de la personne humaine qui nous oblige envers les plus fragiles, en matière d’action sociale, de santé, d’éducation…

La même majorité qui a eu la lâcheté de renoncer à cela s’amuse aujourd’hui à jeter de l’huile sur un feu qui ne demande qu’à s’embraser, en jouant par un électoralisme de bas étage avec cette idée de la « supériorité » d’une civilisation sur l’autre. Idée bien plus contestable, car en nous enfonçant dans le consumérisme, la financiarisation, l’individualisme, nous avons contribué à avilir notre société de façon affligeante – et les politiques y ont leur part de responsabilité. Idée surtout inutilement blessante et provocatrice : un musulman ne pouvait pas être humilié que l’on rappelle ce simple fait historique de l’histoire chrétienne de l’Europe – et encore moins qu’on lui propose une politique fondée sur les quelques principes évangéliques et gréco-latins que j’ai rappelés plus haut. Mais comment ne pas se sentir insulté lorsqu’on vous crache à la figure que votre civilisation est inférieure ? Comment ne pas comprendre le citoyen français qui, musulman fidèle, ou asiatique conscient de son héritage pluri-millénaire, se sentira méprisé, giflé, par une déclaration aussi gratuite et péremptoire ? Personnellement, je n’ai pas peur de le dire : je comprends, et j’estime, la colère qui les saisira sans doute – et que je ressens de la même façon lorsque, en pays musulman ou dans la Chine communiste, on traite comme inférieure la civilisation dans laquelle j’ai grandi et que je regarde comme un trésor.

M. Guéant choisit la seconde option pour n’avoir pas eu le courage de s’engager dans la première. Une fois de plus, c’est la surface, et non la profondeur ; c’est la parole, et non les actes ; c’est la provocation inféconde, et non la vision à long terme. Une fois de plus, ce sont les acteurs de terrain, les associations, les profs, les élus locaux, qui vont devoir rattraper les dégâts en s’échinant à recoller les morceaux, à empêcher, malgré les coups de barre intéressés et irresponsables à la tête de l’Etat, la dissolution définitive qui menace notre unité nationale. Nous n’avons pas d’élections à gagner, M. Guéant ; nous avons un avenir à sauver, nous. Et quelle tristesse de vous voir tout faire pour nous en empêcher.

.

14 réponses

Les commentaires sont désactivés.