Bienvenue à Gattaca

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Ce ne sont pas les sujets qui manquent, en ce moment. Et même si le travail, lui non plus, ne manque pas par ailleurs, je ne peux pas ne pas vous parler du rendez-vous décisif qui se joue demain, dans un silence médiatique presque absolu…

L’Assemblée Nationale devrait adopter, jeudi 28 mars, une proposition de loi visant à libéraliser l’utilisation de l’embryon humain comme matériau pour la recherche scientifique.

La dernière révision des lois de bioéthique, processus auquel j’ai eu l’occasion de participer de près, avait fait l’objet d’une concertation préalable longue et approfondie. Entre 2009 et 2011, le gouvernement organisait des centaines de rencontres, de conférences et de débats dans tous les départements français. Les experts étaient sollicités pour venir présenter aux Français les enjeux complexes de la recherche, et leur permettre ainsi de formuler ensuite un avis personnel informé. Un site dédié, toujours en ligne aujourd’hui, permettait de prolonger ces interactions. Les parlementaires de toutes tendances, ayant eu l’occasion d’écouter l’avis de tous, allaient poursuivre ensuite leur réflexion dans une commission spécialement créée sur ce sujet.

Ce temps prolongé de concertation permit d’aboutir à la rédaction d’un rapport précis et développé sur des questions claires et bien identifiées. Pour une fois, le législateur disposait, au moment de la décision, d’un panorama reflétant en vérité les opinions des citoyens, en même temps que d’une information précise et très en pointe sur les tous derniers progrès de la recherche scientifique.

Vous vous en souvenez sans doute : pendant cinq ans, la majorité précédente a fait l’objet d’un procès en abus de pouvoirs, instruit jour après jour par l’opposition et largement relayé par la presse. Force est de reconnaître aujourd’hui que les socialistes, qui se complaisaient hier dans ces indignations de circonstance, ont été parfaitement incapables de reproduire, et même de respecter, ce grand moment de démocratie.

La majorité parlementaire jette en effet à la poubelle, en toute hâte, sans aucun autre débat qu’une brève discussion parlementaire, le régime d’interdiction de la recherche sur l’embryon auquel cette longue maturation démocratique avait abouti. La nouvelle proposition de loi a été votée au Sénat, et sera probablement adoptée demain à l’Assemblée, sans même que le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) ait été consulté ! On croit rêver.

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Pourquoi une telle précipitation ? Sur ce projet, les socialistes ont peur de la transparence ; je les comprends. Il recouvre en effet un triple scandale.

– Il constitue d’abord une absurdité scientifique : contrairement à la précédente révision, cette réforme bioéthique est déjà obsolète. La découverte des potentialités offertes par les cellules adultes reprogrammées, dites cellules iPS, a valu le prix Nobel 2012 aux biologistes John Gurdon et Shinya Yamanaka. Apparemment, le gouvernement français n’est pas encore au courant… Ces cellules iPS, dont l’utilisation ne pose aucun problème éthique (pas plus que dans le cas du don de sang ou du don d’organes), permettent le développement d’applications thérapeutiques qui dépassent déjà de très loin les résultats obtenus par les recherches effectuées, sous régime dérogatoire, sur les cellules souches embryonnaires (manipulations qui aboutissent, rappelons-le, à la destruction de l’embryon). Mais alors, pourquoi s’entêter dans cette voie sans issue ?

– Là est le scandale politique. Cette libéralisation n’apporte aucun espoir thérapeutique ; le professeur Claude Huriet le rappelait récemment dans le Monde : « en quinze ans, aucun patient n’a été traité par des cellules souches embryonnaires. » En fait – cela me fait froid dans le dos rien que de l’écrire, la seule perspective est industrielle. Oui, vous avez bien lu : industrielle. La recherche sur l’embryon coûte moins cher, pour le développement de nouveaux médicaments, que l’expérimentation sur les hommes, ou sur les animaux de laboratoire. Obtenue sous la pression des lobbys de l’industrie pharmaceutique, dont on connaît depuis l’affaire du Médiator l’influence dans les cercles de décision, cette loi abandonne l’embryon, en toute discrétion, aux intérêts commerciaux.

– Elle opère ainsi une rupture philosophique profonde : à travers ce nouveau régime de libéralisation, pour la première fois dans le droit de notre république, le corps humain devient un matériau exploitable comme un autre. C’est le principe fondamental de l’indisponibilité du corps qui est profondément remis en cause. La technique peut désormais manipuler, utiliser, exploiter, transformer ce matériau humain, dans un régime d’encadrement (l’Agence de biomédecine) dont tout le monde sait qu’il est rendu inefficace par d’évidents conflits d’intérêts.

Une nouvelle dérégulation, opérée au bénéfice des lobbys industriels, qui cède à la marchandisation du corps humain : quand je pense que ceux qui procèdent à cette libéralisation inédite se disent de gauche, je comprends mieux qu’ils préfèrent que personne n’en parle…

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Il reste une voie pour s’opposer : elle consiste à faire nous-mêmes le travail qu’on veut nous empêcher de faire. Informez-vous, lisez, faites-vous une opinion libre et vraie sur ce sujet essentiel. Les enjeux sont complexes, mais les sources d’information ne manquent pas (par exemple ici).

Il est urgent de prendre conscience de ce qui se passe ; l’enjeu – si proche au fond de celui du mariage pour tous, c’est la société dans laquelle nous voulons vivre. Si nous cherchons à faire de notre nature le jouet de notre pouvoir d’agir, si nous cédons à la tentation de libérer l’emprise conjuguée sur nos vies de la technique et du marché, si nous abandonnons le sens du caractère essentiellement singulier de cette chair dont nos corps sont pétris, nous finirons d’emporter, dans une bataille insensible et insensée, la victoire de l’homme contre sa propre humanité.

Demain, l’Assemblée Nationale vous souhaite la bienvenue à Gattaca !

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Bienvenue à Gattaca, un film de science-fiction réalisé par Andrew Niccol en 1997. Avec Ethan Hawke, Uma Thurman, Jude Law. Malheureusement rattrapé par le réel, c’est un film à voir et à diffuser largement ! Un extrait que je trouve très beau, et particulièrement marquant en ce moment…

 

 

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