À Cédric

Nous nous sommes peut-être croisés il y a quelques jours encore, au coin d’une rue ou à la terrasse d’un café. Ou bien peut-être sur le « plateau », dans ce quartier de Satory où tu vivais, comme tant d’autres de tes collègues, pour être toujours disponible quand on avait besoin de toi. Lequel de ces visages étais-tu ? Je ne le saurai jamais. Jeudi soir, pendant un exercice d’action navale au large de la presqu’île de Giens, la mer a eu le dessus. Nous ne nous croiserons plus.

Tu étais gendarme au GIGN. De ceux que l’on appelle quand plus personne ne peut rien faire. De ceux qui savent que, derrière eux, il n’y a pas de solution de secours. Depuis que tu avais rejoint le groupe, tu t’es toujours entraîné dans les conditions les plus exigeantes, les plus difficiles, pour être capable, le jour venu, d’intervenir en toutes circonstances. S’exercer au pire : c’est le prix que paie quotidiennement ton unité pour être un dernier recours – la veille qui dure quand personne n’a pu rester, la main qui se tend quand personne n’a pu venir. Tu n’as pas mégoté toi non plus devant l’exigence de l’exercice. Tu es mort pour être prêt.

Comme un signe, la mer t’a pris, elle qui est si souvent dans le monde la tombe silencieuse des morts anonymes. Il aura fallu la solidarité obstinée de tes frères d’armes, qui t’ont cherché une nuit entière, pour qu’elle veuille bien rendre ton corps. Encore une petite victoire dans l’ombre… Tu seras parti dans le silence. Les journalistes, qui savent – et ils ont bien raison – commémorer les leurs quand ils meurent en mission, se sont contentés de recopier une brève dépêche. Les politiques n’ont pas été beaucoup plus attentifs. Mais ce n’est pas grave. Toi qui étais un expert des transmissions, tu sais qu’il n’est pas nécessaire de faire beaucoup de bruit pour transmettre l’essentiel. Tu es parti comme un grand pro, discret, comme tes collègues le sont toujours ; tu es parti comme un grand soldat.

Tu te moquais bien de toute l’indifférence du monde, sinon tu n’aurais jamais fait ce métier. Porter l’uniforme, c’est déjà un défi à l’indifférence. Comment pourrait-elle t’atteindre ? Ce qui compte n’est pas d’être remercié, ce qui compte, c’est de servir. Voilà tout ce qui nous reste, Cédric. Nous avions le même âge tous les deux, vingt-huit ans. Aurais-je été capable de ton courage ? Voilà la question que tu nous laisses. La seule qui compte.

Que ferons-nous de ton sacrifice ? Ce matin, c’est le 11 novembre. Pour la première fois, cette année, aucun poilu ne survit pour commémorer ces millions d’anonymes qui, comme toi, ont donné leur vie comme un rempart au moment du plus grand danger. Ils sont tous morts, ceux de 14. Un siècle après eux, Cédric, tu as pris leur suite. Que ferons-nous de ta vie donnée ?

Cher Cédric, je ne te connaissais pas. Mais ce matin, devant le monument aux morts, c’est aussi à toi que nous penserons. A ta famille, à tous ceux qui t’ont aimé et qui te pleurent, et qu’un pays entier devrait prendre dans ses bras dans cet instant. Nous penserons aussi à Jean-Nicolas, un autre jeune versaillais de vingt-cinq ans, tombé pour la France, il y a trois ans, en Afghanistan. Votre don est une exigence pour nous, qui restons. Nous avons grandi avec vous, et nous héritons aujourd’hui de notre vieux pays fatigué, désorienté et inquiet – de notre vieux pays magnifique aussi, puisqu’il sait encore susciter une générosité comme la vôtre. Je voudrais vous promettre que nous ne la laisserons pas inféconde. Que nous referons ensemble une France qui soit à votre hauteur.

Je voudrais te promettre, Cédric, à toi et à tes collègues, qui demain reprendront l’entraînement, que nous ferons tout pour que la France puisse mériter votre engagement.

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Vous pouvez laisser un mot d’hommage à Cédric sur la page ouverte à cet effet par le GIGN.

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