Le reniement permanent

Aquilino Morelle

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Article publié le 18 avril 2014 par le Figaro.

Mediapart dévoilait hier une enquête approfondie sur Aquilino Morelle, proche conseiller de François Hollande. Le personnage tient depuis longtemps un rôle central – et l’on peut se demander d’ailleurs pourquoi il aura fallu tant d’années pour que la presse s’intéresse à son passé et à ses pratiques.

Il serait inutile de s’en prendre à la personne ; ce qui compte, c’est ce qu’elle représente. Le trafic d’influence auquel s’est livré M. Morelle jette une lumière nouvelle sur l’acharnement aberrant de la majorité pour libéraliser l’utilisation des embryons humains par les laboratoires. Mais sa portée est plus large encore.

Le plus significatif, et le plus grave, c’est en effet la contradiction absolue avec ce qu’écrivait au même moment la future plume de François Hollande. En 2010, Morelle publiait dans Libération une tribune qu’il faudrait reprendre mot pour mot aujourd’hui. Il y fustigeait « le rapport incestueux entre le pouvoir et l’argent », dont il accusait la droite, tombée selon lui dans « le déni – d’un tel cynisme qu’il tourne à la naïveté – de ce qu’est un conflit d’intérêt. » Avec le recul, ces propos prennent une singulière tournure…

Ils révèlent surtout l’incroyable hypocrisie de leur auteur. Celui qui reprochait à la mondialisation « l’explosion indécente des rémunérations » se faisait alors payer 12 500 euros hors taxe pour un déjeuner d’influence. Et s’offrait ensuite le luxe de dénoncer la « perversion » de ces dirigeants « qui accumulent en quelques années une fortune en monnayant leur carnet d’adresses. » On croit rêver. Que M. Morelle ait choisi de servir les intérêts privés de multinationales du médicament pour en tirer des bénéfices personnels, ce n’était peut-être ni très légal, ni très moral, mais cela ne regarde que les juges – et sa conscience. En revanche, qu’il ait, comme responsable politique, à quelque mois d’une campagne présidentielle, dénoncé publiquement ce qu’il pratiquait en privé, cela regarde le citoyen.

Car, pour reprendre encore ses mots, « cette affaire permet à tous de saisir le sens de ce qui s’est passé depuis l’élection présidentielle : un mensonge de campagne suivi d’une volte-face. » En l’occurrence, il s’agit d’une volte-face généralisée. François Hollande et ses proches sont arrivés à leurs fins par un discours diamétralement opposé à leurs actes, passés et futurs. Non que l’exercice du pouvoir les ait contraints de renier leurs convictions : le reniement dont il est question n’est même plus à cette échelle.

De là vient ce climat de mensonge permanent dans lequel est plongée notre vie publique depuis 2012. Mensonge partout, sur tout, toujours : « Je n’ai jamais eu de compte à l’étranger. » « La courbe du chômage s’est inversée. » « La reprise économique est là. » « Ceci n’est pas un plan de rigueur. » « J’ai découvert ces écoutes dans la presse. » « La théorie du genre est une rumeur… » On pourrait poursuivre encore longtemps la litanie de ces mensonges lucides, conscients, publics, répétés « les yeux dans les yeux. »

On pourrait leur pardonner de s’être trompés. Mais il ne s’agit pas de cela : ils nous ont trompés. D’où le sentiment de vertige qui saisit le téléspectateur un soir d’élections, l’impression absurde d’assister à un jeu de rôles inversé. Le Parti socialiste dénonçait hier les politiques de réforme : il organise maintenant des plans d’austérité. Ceux qui s’en prenaient au discours de Grenoble assument aujourd’hui les premiers arrêtés explicitement dirigés contre les Roms. François Fillon était attaqué quand il se rendait à la béatification de Jean-Paul II, mais Manuel Valls ira à sa canonisation. Supprimer les départements était une faute, c’est aujourd’hui un grand projet. Plus grave encore : la droite faisait l’objet d’un procès permanent de la part des grandes consciences démocratiques, au point que Nicolas Sarkozy était accusé de vouloir créer une « monarchie républicaine » ; mais dans la République irréprochable de François Hollande, le chef du parti majoritaire est nommé par l’Elysée, les procureurs sont révoqués pour non-conformité politique, la figure principale de l’opposition est sur écoutes depuis des mois, des centaines d’opposants pacifiques sont jetés en garde à vue sans motif, et une jeune immigrée doit dénoncer ses amis parce qu’ils ont manifesté contre un projet de loi… Où sont passées les indignations d’hier ?

La plus grande faute de ces gouvernants, c’est qu’ils auront fini de dévaluer la parole politique. L’acte le plus nécessaire à la vie démocratique, celui de faire confiance, est devenu impossible. Au fond, notre pays n’a que des atouts, et son potentiel extraordinaire, son intelligence, sa générosité, n’attendent que de pouvoir s’exprimer ; il serait capable de relever tous les défis, sans le cynisme qui l’érode de l’intérieur. Car avec la dette, la crise et le chômage – qui en sont les résultats visibles, nos dirigeants lègueront à leurs successeurs un danger plus inquiétant encore, le poison mortel d’une défiance qui, en rendant tout engagement suspect, pourrait finir par dissoudre la société. Aquilino Morelle a démissionné, mais l’urgence est maintenant de tirer concrètement la leçon essentielle de ce nouvel épisode : il n’est pas de confiance sans conscience. Aucune « pédagogie » n’y changera rien. Quelles que soient nos convictions, soyons certains que nous n’avons pas d’avenir commun si nous n’apprenons pas à nous réconcilier avec le réel, pour retrouver dans l’exigence de la vérité la source d’une parole qui ne déçoit pas.

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