«Si le prochain gouvernement devait fragiliser encore la France, alors la censure s’imposera» – Entretien dans Le Figaro
Article initialement paru dans Le Figaro.
LE FIGARO.- Quelle était l’utilité de la réunion des formations politiques à l’Élysée, mardi ?
Ce qui m’a le plus frappé dans cette réunion , c’est la disparition du réel. Le monde politique se regarde lui-même, mais tout se passe comme si la vie des Français, leurs inquiétudes et les urgences immenses qui attendent le pays ne faisaient pas partie de la discussion. Beaucoup à gauche y ont évoqué la montée de la défiance envers les institutions, mais sans jamais s’interroger sur sa cause. Les Français n’attendent pas des réunions, ils attendent des résultats.
Quand le chef de l’État défend la nécessité d’une «méthode» et d’une «entente» de la droite à une partie de la gauche, pour ne pas «dépendre du bon vouloir du RN», n’a-t-il pas raison ?
J’ai affirmé avant de m’y rendre que le format de cette rencontre posait problème: si le président de la République comptait inviter des partis pour constituer une majorité avec la gauche, cela ne pouvait qu’échouer. Laurent Wauquiez avait clairement indiqué que nous ne venions pas à l’Élysée pour négocier un contrat de gouvernement. Et s’il voulait écouter les forces politiques du pays, alors il fallait les inviter toutes.
En démocratie, il n’est pas légitime d’exclure d’une telle consultation des formations que les électeurs ont envoyées au Parlement. Je considère toujours que le RN a fait une faute en apportant ses voix à la motion de censure portée par la gauche pour faire tomber Michel Barnier; mais l’exigence du respect démocratique dépasse nos désaccords. L’essentiel maintenant est d’assurer l’étape suivante: elle ne peut pas reposer sur une entente entre gauche et droite. Je n’ai jamais cru au «en même temps» qui a constitué le principe du macronisme.
La vie politique consiste à faire des choix, à assumer une ligne. La confusion générale des dernières années à conduit le pays au bord de la faillite; ce n’est pas pour l’élargir aujourd’hui en y fondant les LR, le PS et les Verts. Cela n’a pas de sens. Tenter de concilier l’inconciliable, ce serait organiser l’impuissance publique et aggraver encore la crise démocratique que traverse le pays. Sur le plan de l’immigration, de la sécurité, de la relance économique, la majorité du pays attend un gouvernement ancré à droite. Nous devons tenter de le préparer par tous les moyens possibles pour 2027, mais aussi dans les deux années qui viennent.
Comment analysez-vous le dernier sondage Ifop indiquant que le RN ne pâtirait pas de sa position sur la censure ?
Le vrai problème du RN, comme l’ont encore montré les dernières élections législatives, c’est de ne pas parvenir à réunir une majorité de Français au deuxième tour. Or, aucune alternance n’est possible dans notre Constitution sans cette exigence. Quel que soit le résultat d’une force politique au premier tour, si elle échoue toujours au second, elle reste la meilleure chance de ses adversaires. De ce point de vue, la censure n’aidera sans doute pas le RN à gagner les électeurs qui, cet été, ont douté de sa crédibilité; je maintiens que c’était un choix désolant que de plonger ainsi le pays dans l’inconnu en offrant cette victoire à la gauche. Je ne dis cela que pour souligner l’ampleur de notre devoir: c’est la responsabilité de la droite de se reconstruire enfin pour devenir une force d’alternance.
Que pensez-vous de l’objectif de «non-censure» comme principe de stabilité ?
La censure n’est pas un bien ou un mal en soi. Elle est absurde quand il n’y a pas de meilleure option; mais quand le pire se dessine, il faut protéger le pays. Nos institutions ont besoin de stabilité, bien sûr; mais si le prochain gouvernement devait fragiliser encore la France sur le plan sécuritaire, migratoire, ou aggraver la dérive de nos comptes publics, alors la censure s’imposera. Nous ne pouvons pas nous retirer cette responsabilité. Les députés LR auront ce moyen entre leurs mains.
La droite devra donc censurer un gouvernement de gauche quel qu’il soit et pas seulement en cas de politique NFP ou de ministres LFI, comme le dit Laurent Wauquiez ?
La droite doit demander un gouvernement de droite, seul à même de répondre aux aspirations très majoritaires des Français. Un gouvernement de gauche appliquera le programme du NFP. Ce serait un immense danger pour le pays. Le PS exige toujours, par exemple, de revenir sur la réforme des retraites: dans le contexte actuel, une telle politique plongerait immédiatement la France dans une tempête budgétaire et financière dévastatrice. Nos priorités sont à l’exact opposé. En démocratie, ne pas être d’accord n’est pas une anomalie. Nous ne devons pas abandonner une ligne dont la France a besoin au motif d’une illusion de stabilité: elle ne serait que l’accélération du déclin.
Pourquoi ne croyez-vous pas à la possibilité d’un gouvernement d’union nationale et à la mise sous silence des sujets qui fâchent dans le contexte actuel ?
La situation de la France est la conséquence de ce que Soljenitsyne appelait «le déclin du courage». Des années de déni, dans un climat d’irresponsabilité générale, expliquent l’incapacité à changer de cap sur les sujets essentiels – l’éducation, la sécurité, le travail, la trajectoire budgétaire… Remettre à plus tard ces questions serait prolonger le déni, et accélérer l’effondrement du pays. Comment l’accepter? Je ne suis pas entré en politique par passion pour l’eau tiède. Notre démocratie n’a jamais eu autant besoin de clarté.
Comment la droite doit-elle s’y prendre pour contrer une politique de gauche ?
Avec humilité, mais en restant claire sur ce qu’elle veut pour le pays. Nous n’avons pas gagné les législatives, mais grâce au courage de nos élus qui ont tenu face aux vents contraires, nous avons un groupe décisif à l’Assemblée, une majorité au Sénat et nous sommes la première force en Europe. Nous devons travailler pour garantir le cap dont la France a besoin, en refusant l’autocensure.
Si Bruno Retailleau devait rester ministre de l’Intérieur, croyez-vous qu’il pourra conserver la feuille de route définie avec Michel Barnier ?
J’espère qu’il restera ministre de l’Intérieur, et je sais qu’il poursuivra la politique courageuse qu’il a engagée. Nous combattons ensemble depuis longtemps les renoncements qui ont tant coûté aux Français, et je ne doute pas qu’il a l’énergie nécessaire pour montrer que l’impuissance publique et la montée de la violence ne sont pas une fatalité.
Quel commentaire vous inspire le dernier Conseil des ministres de Michel Barnier qui a eu lieu mercredi ?
Je voudrais dire toute mon estime à Michel Barnier: préparer un budget dans un tel contexte était une mission presque impossible, mais on ne peut que reconnaître qu’il a eu le courage de dire la vérité aux Français.