Nucléaire ou renouvelables ? Le match François-Xavier Bellamy – Jules Nyssen

Entretien publié dans le journal L’Opinion

Jules Nyssen est le président du Syndicat des énergies renouvelables (SER). François-Xavier Bellamy est eurodéputé, chef de file des Républicains au Parlement européen. Jusqu’à présent, ils s’étaient affrontés par tribunes interposées sur la politique énergétique de la France. L’Opinion les a réunis dans ses locaux.

Pourquoi la droite veut-elle arrêter de subventionner les énergies renouvelables ?

François-Xavier Bellamy : La politique énergétique en Europe, et en France sous François Hollande et Emmanuel Macron, a consisté à augmenter la part des énergies renouvelables (EnR) dans le mix énergétique. En France, cette focalisation sur les EnR a conduit à fragiliser l’atout déterminant qu’est notre filière nucléaire. Il faut retrouver une considération stratégique. Il existe deux grands modèles en Europe qui ont chacun leur cohérence. Soit on considère que le nucléaire est excessivement dangereux et qu’il faut en sortir, et on compte sur des énergies renouvelables couplées à des énergies fossiles (gaz et charbon). C’est le modèle allemand. Soit on assume le choix du nucléaire en assurant la maîtrise du risque. Pour nous, ce risque est moins grand que celui de la catastrophe climatique. On a construit en France un modèle d’une cohérence exceptionnelle : du nucléaire associé à du renouvelable pilotable, l’hydroélectricité. Ajouter de manière volontariste des EnR à ce mix n’a pas d’intérêt stratégique pour le pays. Je ne crois pas au « en même temps » : 50 % de nucléaire et 50 % d’EnR n’a aucun sens d’un point de vue industriel. On ne pourra pas imposer au nucléaire de suivre la modularité des renouvelables. Il ne s’agit pas d’interdire les EnR : une usine peut tout à fait installer des panneaux solaires pour sa propre consommation. Mais à l’échelle nationale, le coût pour faire entrer sur le réseau des énergies intermittentes est très élevé, alors que ce n’est pas cohérent avec notre mix. On impose aujourd’hui à des centrales nucléaires de s’arrêter pour que le réseau puisse absorber l’excès produit par les renouvelables intermittents… C’est absurde. Le rôle du politique est de choisir un modèle. Je pose la question de manière brutale : quelle est la valeur ajoutée des EnR intermittentes pour la nation ?

Jules Nyssen : J’en vois trois. D’abord, ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier. La Cour des comptes pointe le risque non négligeable, relevé par EDF lui-même, lié à la standardisation du parc nucléaire en cas de survenance d’un défaut qui pourrait être un défaut en série. Et accessoirement le manque de compétences pour le régler. Ensuite, tout a un coût. Le programme EPR2 envisage un prix garanti à 100 euros le mégawattheure pour EDF, assorti d’un prêt bonifié de l’Etat. Sur un programme de 40 à 60 ans, on dépense un argent public considérable. Pourquoi ne pas mixer avec des sources d’énergie moins coûteuses, même si elles n’apportent pas le même service ? Enfin, les EnR permettent à la France d’exporter de l’électricité, ce qui contribue à en faire baisser le prix. Cela facilite la bascule vers l’électrification. Ce que je trouve dommage, dans la position défendue par certains, c’est de se priver d’une source d’électricité décarbonée parfaitement compatible avec le nucléaire. Nous n’avons jamais demandé de fermer des réacteurs. Le fait de disposer d’un réseau dans lequel il reste à minima 50 % à 60 % de turbines alimentées par de l’énergie nucléaire ou hydroélectrique est même un avantage pour insérer le solaire et l’éolien.

Le « gâteau » de la demande d’électricité est-il trop petit ?

F-X.B : Les besoins en électricité vont augmenter, mais aujourd’hui la France est excédentaire. Quand le contribuable finance de nouveaux parcs éoliens, il subventionne la consommation de nos voisins, et paie pour vendre de l’électricité de plus en plus souvent à des prix négatifs… Vous dites n’avoir jamais demandé à réduire le nucléaire, mais l’augmentation du poids des EnR oblige de fait à mettre des réacteurs à l’arrêt. Si on met en œuvre la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE3, dont la publication a été repoussée) en accroissant encore la part des renouvelables, on aura une situation aberrante dans laquelle deux actifs de production énergétique ont été financés, dont l’un est structurellement à l’arrêt : dès que les renouvelables produisent à plein, il faut effacer les capacités nucléaires, sous peine de risquer un effondrement du réseau. Il y a d’ailleurs une grande opacité sur la cause réelle du black-out espagnol au printemps, mais la raison probable est qu’il y avait trop d’électricité sur le réseau du fait d’une addition de soleil et de vent. Le problème aujourd’hui n’est pas de gérer la pénurie, mais l’excès.

J.N : Vous l’avez dit, la vraie question est la taille du gâteau électrique anticipé, pour autant qu’on l’appelle ainsi. Pour nous, la croissance de la production d’électricité ne peut pas être le fait du seul nucléaire, compte tenu des délais de construction des réacteurs de nouvelle génération, et de la falaise de remplacement des plus anciens qui nous attend. Soit on veut réussir la décarbonation et les EnR sont incontournables, soit on y renonce et alors il y faudra voir comment maintenir, sur un gâteau trop petit, la rationalité économique des deux systèmes.

F-X.B : On ne va pas décarboner notre base industrielle avec du renouvelable intermittent… Vous insistez sur ce caractère « intermittent »…

J.N : La production électrique des EnR est variable, mais pas aléatoire ; c’est prévisible, annoncé la veille pour le lendemain au gestionnaire des réseaux RTE. Bruxelles travaille à un grand plan d’électrification qui repose sur les usages de l’industrie contribuant à la flexibilité de la demande. Les bureaux et de nombreuses usines n’ont pas besoin d’une alimentation électrique en continu, il peut y avoir des offres à des moments où le prix est le moins cher. Il faut se dépêcher de faire la réforme des heures pleines et heures creuses. L’électricité est compliquée à stocker, la variabilité de la demande a toujours existé. Par ailleurs, il existe aujourd’hui des mécanismes pour ne pas déstabiliser les réseaux, avec un arrêt des installations quand il y a un excès de production ou des prix négatifs. Tout cela vient naturellement équilibrer le système. Il faudra encore quelques moyens thermiques pour assurer la pointe lors des pics de consommation, mais en volume, ce n’est pas considérable, et cela peut se faire à partir de gaz renouvelable, stocké. Tout ceci n’est ni facile ni gratuit à faire, mais c’est le prix à payer pour avoir un système énergétique qui se passe de fossile le plus vite possible.

F-X.B : Vous l’avez dit, la vraie énergie de complément des EnR intermittentes, c’est du thermique : le gaz et le charbon. A chaque fois que vous voyez un parc éolien, dites-vous qu’il y a une centrale à gaz pas loin.

J.N : Je n’ai pas dit cela, j’ai parlé de gaz renouvelable.

F-X.B : Oui, mais la méthanisation ne sera jamais suffisante pour assurer une énergie de complément au développement des EnR à grande échelle. Au Parlement européen, j’observe que les plus grands défenseurs des EnR intermittentes sont les gaziers. Pendant des années, ceux qui ont voulu organiser le démantèlement de la production nucléaire en Europe étaient les puissances étrangères qui voulaient nous rendre dépendants du gaz importé. Via Nordstream 2, la Russie de Poutine a donné des centaines de millions d’euros à des organisations écologistes, notamment en Allemagne, qui militaient pour la sortie du nucléaire. C’est fondamental que les citoyens comprennent cet enjeu. On nous dira que militer contre les EnR, c’est être anti-écologique, mais je crois le contraire : l’éolien et le solaire impliquent la consommation massive d’énergies fossiles importées, mais aussi des impacts destructeurs sur l’environnement en mer et à terre, et l’extraction de matériaux.

Les EnR seraient anti-écologiques ?

J.N : C’est climatosceptique de refuser de développer les énergies solaires et éoliennes, en niant les besoins d’électrification sans l’assumer, car cela revient à laisser de la place aux énergies fossiles qui représentent encore 60 % de notre mix énergétique et dont l’extraction provoque des dégâts considérables sur l’environnement. Toutes les infrastructures ont un impact, et le nucléaire en a de sérieux, y compris avec ses déchets. La filière EnR est extrêmement transparente, avec notamment un observatoire de la biodiversité en mer – car elle se fait constamment attaquer. Il y a peu d’activités aussi surveillées. L’une des raisons qui explique le délai de développement des parcs éoliens en mer n’est pas la construction, qui prend deux ans, mais les études d’impact et les recours. Dans une société utilisant majoritairement des énergies fossiles, on ne voit pas les infrastructures de production d’énergie. Relocalisées, ces dernières vont se voir : méthaniseurs, bois de forêt… le sujet peut créer des tensions. Mais c’est de l’activité, de l’emploi et des retombées pour les collectivités locales. Il faut poser ce débat de manière plus calme devant les Français. L’élection présidentielle sera le juge de paix, on arrivera à une ligne directrice, et on fera avec.