«Si j’étais député à l’Assemblée nationale, je voterais pour la censure du gouvernement»

Tribune publiée dans Le Figaro

L’effondrement de la politique française n’est que le résultat d’une longue succession de reniements, dont cette date restera sans doute un condensé dramatique.

La suspension de la réforme des retraites n’est que l’un des symptômes d’un mal profond, le déclin du courage qui a conduit depuis trop longtemps les dirigeants de ce pays à nier le réel par calcul tactique ou conformisme paresseux, sur ce sujet comme sur tant d’autres – l’immigration incontrôlée, la montée de la violence, la crise de l’école, le désordre dans l’État… Nous atteignons aujourd’hui un sommet de ce mal français.

Alors que le pays est au bord de l’effondrement financier, et que toute l’Europe nous regarde avec angoisse ; alors que la France continue d’anéantir une part délirante de sa production nationale pour alimenter un système de retraite qui reste, même après cette réforme, structurellement déficitaire ; alors que cette année pour la première fois nous compterons plus de décès que de naissances, et que c’est cette seule urgence qui devrait guider nos choix : le premier ministre annonce qu’il annule le seul effort courageux consenti ces dernières années pour éviter la faillite.

« Après nous le déluge. » Ce sont les dirigeants macronistes qui expliquaient aux Français que cette réforme était indispensable pour sauver nos retraites, qui acceptent aujourd’hui de l’annuler. Au sommet de l’État depuis huit ans, ils sont bien placés pour savoir le risque systémique que représente cet abandon. Mais ils consentent seulement au chantage d’une gauche minoritaire pour un répit de quelques mois, quelques semaines peut-être, dans les allées du pouvoir. Aucune inquiétude pour eux : quand notre système de retraites tombera, ce n’est pas eux qui auront à en payer les conséquences.

Ceux qui subiront demain la faillite budgétaire, c’est ceux qui n’ont pas de quoi mettre de l’argent de côté maintenant : les retraités modestes, les salariés au SMIC, et la jeunesse de ce pays à qui des dirigeants égotiques imposent aujourd’hui une surenchère de dette pour le seul plaisir de s’offrir encore un dernier tour de manège.

Il ne s’agit pas seulement d’un désaccord sur un sujet politique parmi d’autres ; il s’agit d’un désaccord sur le sens même de l’engagement politique.

François-Xavier Bellamy

Jeudi matin, ils appelleront victoire le fait d’éviter la censure ; mais c’est une capitulation. Les socialistes ont fait 1,7% des voix à la dernière élection présidentielle : ils gouvernent désormais le pays.

Ils appelleront responsabilité le fait d’avoir tout lâché ; mais il est plus irresponsable de signer un budget dangereux pour l’avenir, que d’assumer la reconduction du budget précédent qui n’aurait jamais coûté aussi cher.

Ils appelleront stabilité le fait de rester bien assis sur leurs fauteuils ; mais le prix de l’acharnement du macronisme à s’accrocher au pouvoir, c’est l’accélération du chaos pour un pays où tout espoir de réforme sérieuse semble désormais condamné.

Il ne s’agit pas seulement d’un désaccord sur un sujet politique parmi d’autres ; il s’agit d’un désaccord sur le sens même de l’engagement politique.

Avant d’entendre ce discours de politique générale, j’ai dit ce matin que notre famille politique ne comptait pas pratiquer la censure automatique. Je ne suis pas député à l’Assemblée nationale, mais si je l’étais aujourd’hui, je voterais pour la censure. Je mesure ce que ce choix implique, pour avoir avec mes collègues au parlement européen voté il y a quelques jours pour censurer Ursula von der Leyen. Même l’effort du compromis exige de savoir dire non quand l’essentiel est en jeu. Devant le spectacle révoltant auquel nous avons assisté aujourd’hui, chacun comprendra en tous les cas pourquoi Bruno Retailleau a eu raison d’avoir le courage de quitter ce gouvernement. Quand certains cherchent à sauver leur place au gouvernement, il est rassurant que dans son écrasante majorité, notre famille politique, derrière lui, ait choisi de ne pas se soumettre pour des postes éphémères. Et puisque tous les partis aujourd’hui, de LFI au RN, communient dans l’assaut de démagogie sur cette réforme des retraites, cela nous indique désormais la direction de notre devoir : prendre les Français au sérieux et travailler sans relâche avec eux pour préparer l’alternance qui, sortant le pays du déni de réalité, de l’appauvrissement collectif et de l’irresponsabilité générale, lui rendra enfin une espérance.