«L’Europe ne défendra pas ses principes à coups de formulaires administratifs»
Alors que de nombreuses normes étouffent déjà le continent européen, la directive du devoir de vigilance risque d’alourdir encore le poids de la surréglementation. Pour l’eurodéputé, il est urgent de rendre aux entreprises la liberté de produire, sans quoi l’économie européenne perdra définitivement pied.
Notre classe politique a-t-elle vraiment pris la mesure du décrochage économique majeur qui frappe la France et l’Europe ? Nous arrivons à un moment de vérité. Le ralentissement progressif du continent était déjà manifeste : à la veille de la crise de 2008, le PIB européen était supérieur au PIB américain ; quinze ans plus tard, il est 60 % inférieur. La richesse produite par habitant atteint aux États-Unis le double de la moyenne européenne. Les conséquences sont évidentes : appauvrissement des ménages, faible rémunération du travail, augmentation du chômage. Mais elles sont aussi tangibles sur le plan géopolitique : en décourageant l’investissement et l’initiative, nous nous condamnons à regarder l’innovation s’écrire ailleurs, et notre État, endetté et privé de marges de manœuvre, a perdu en capacité d’action sur la scène internationale.
Le déclin était perceptible, il s’accélère brutalement depuis quelques mois : les prévisions de croissance sont partout en recul en Europe, les plans sociaux se multiplient. Pour la France, la spirale de l’endettement et la fuite en avant fiscale deviennent un risque existentiel. Si nous voulons retrouver la maîtrise de notre destin, il faut agir d’urgence ; car nous avons les moyens d’agir. L’économie européenne est soumise à des tensions extérieures critiques, et rien ne pourra mettre un terme immédiat au nouveau cycle de turbulences géopolitiques initié par Washington et Pékin. Mais l’essentiel du risque ne vient pas d’abord de là : nos problèmes sont dans nos mains. Le premier danger pour nos entreprises, c’est le poids désormais intenable de la surréglementation qu’elles doivent affronter, dans ce contexte concurrentiel déjà fortement dégradé.
Les charges administratives coûtent chaque année 150 milliards d’euros aux entreprises en Europe, d’après Eurostat. Au-delà même de ce montant, elles sont autant de risques légaux imposés aux entrepreneurs, d’investissements empêchés, d’opportunités détruites, et surtout d’atouts offerts à nos concurrents sur nos propres marchés. Pendant le dernier mandat européen, nous n’avons cessé d’alerter sur la pente suicidaire que représentait l’agenda normatif intenable de beaucoup de textes du « Green Deal », sur l’agriculture, l’automobile, le logement, l’énergie… En cinq ans, l’UE a adopté 13.000 réglementations, dont un grand nombre n’ont même pas encore produit leur impact.
Il est temps de réagir avant qu’il ne soit trop tard, et le changement de majorité politique en Europe le permet enfin. La première décision porte sur deux textes particulièrement nocifs, les directives CSRD et devoir de vigilance (CS3D). Si la première impose aux entreprises de donner des informations extra-financières qu’il s’agit surtout de réduire et de simplifier drastiquement, la seconde est dans son principe inapplicable, en particulier pour le tissu industriel qui fait le cœur de la production dans nos pays. L’intention était simple : garantir que les entreprises travaillent avec des fournisseurs qui respectent les règles européennes. Mais aucune industrie n’a les moyens de faire la police de sa chaîne de valeur. Pour bien des entrepreneurs, qui respectent pourtant déjà les normes sociales et environnementales les plus exigeantes au monde, la seule alternative serait d’arrêter leur activité ou de prendre un risque pénal. Et tout cela pour n’obtenir aucun progrès : l’Europe ne défendra pas ses principes à coups de formulaires administratifs. Au contraire…
Pour nous, l’impératif est clair : simplifier CSRD ; supprimer CS3D. Les forces politiques en Europe, et nos gouvernements, doivent désormais se prononcer
Fraçois-Xavier Bellamy
Pour éviter le chaos, notre groupe parlementaire a proposé et obtenu la suspension immédiate de ces deux directives. Je m’y étais engagé dans la campagne européenne : promesse tenue. Ce délai d’un an doit permettre de faire un choix définitif. Pour nous, l’impératif est clair : simplifier CSRD ; supprimer CS3D. Les forces politiques en Europe, et nos gouvernements, doivent désormais se prononcer : ce premier choix révélera qui a vraiment compris, ou non, le moment critique auquel est arrivée l’économie européenne.
Le nouveau chancelier allemand, Friedrich Merz, a pris position il y a quelques jours pour l’abrogation totale de CS3D, confirmant notre analyse. Lui emboîtant le pas, le président Emmanuel Macron vient d’appeler à supprimer ce texte, que sa majorité a porté et voté il y a tout juste un an… Sous les applaudissements des patrons réunis au sommet Choose France, il a énergiquement demandé le retrait définitif de la directive : « Dehors ! » Après nous être opposés à l’adoption de ce texte, nous ne pouvons qu’être heureux de cette lucidité retrouvée : mieux vaut tard que jamais. Mais il reste encore une ambiguïté à lever : cette déclaration sera-t-elle désormais la position de la France, et du groupe macroniste, en Europe ? Bien des signaux indiquent aujourd’hui que le discours ne sera pas le même devant les patrons à Paris, et devant la Commission à Bruxelles…
Une telle ambivalence serait révoltante. Nous sommes au début d’un travail indispensable pour rendre enfin aux entreprises du continent la liberté de produire, d’innover, de conquérir. De cet effort dépend le fait que nous pourrons « rester libres », ou serons condamnés à subir. À tous les travailleurs qui ont tenu bon malgré les boulets que des politiques absurdes n’ont cessé de leur mettre aux pieds, nous devons enfin un choix clair, celui d’une simplification radicale, rapide, crédible. Le ministre de l’Économie en France, le groupe Renaissance à Strasbourg doivent sortir rapidement du silence en exigeant avec nous que la directive devoir de vigilance ne soit pas amendée, mais supprimée. Dans la crise que nous traversons, toute autre position serait un signe d’inconscience économique et d’inconséquence pour l’avenir.