Pour prolonger la réflexion

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Pour compléter l’entretien reproduit hier sur ce blog, et contribuer à ma façon à la désormais célèbre « journée de la jupe », je reproduis ici un texte publié en 2011 dans les colonnes du Monde. Je répondais alors à une tribune de Caroline de Haas, qui demandait que nous « devenions indifférents à la différence des sexes ».

Trois ans plus tard, ce commencement de débat est devenu un sujet national. Les mois passés lui auront finalement donné sa pleine actualité… Je reprends donc aujourd’hui ce texte, moins marqué par l’anecdote et la polémique, en espérant humblement qu’il pourra contribuer à éclairer, plus efficacement qu’une réaction de court terme, l’enjeu fondamental des questions qui se présentent à nous aujourd’hui.

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« Caroline de Haas nous offre, dans une tribune parue récemment dans le Monde, une longue et laborieuse argumentation destinée à écraser définitivement les derniers « sursauts réactionnaires » – entendez par là l’opinion des malheureux catholiques qui n’ont pas la chance de penser comme elle. Le sous-titre de cet écrit – « Existe-t-il des pseudo-essences féminine ou masculine ? » – annonce parfaitement l’ouverture intellectuelle de la discussion qu’il propose. Quand une question contient autant sa propre réponse, on croirait lire un petit catéchisme totalitaire. (…)

Cette tribune est réellement intéressante pour ce qu’elle révèle d’une confusion fondamentale qui pèse largement sur ces débats de genre. Caroline de Haas veut lutter pour l’égalité de l’homme et de la femme ; combat légitime s’il en est, nécessaire, urgent même, et auquel tout être humain qui n’est pas totalement aveugle ou barbare ne peut que s’associer. Considérer que l’un des deux sexes soit supérieur à l’autre (quel qu’il soit – et combien de fois je me suis senti, en tant qu’homme, ravalé au rang d’être inférieur, primaire, violent, obsédé et dominateur, par des féministes emportées par leur sainte colère !), c’est incontestablement à la fois une erreur objective et une faute morale grave.

Mais pourquoi faudrait-il, pour être sûr de l’établir définitivement, confondre cette égalité indéniable avec une identité plus que douteuse ? Pourquoi faudrait-il, pour assurer que la femme n’est pas inférieure à l’homme, s’évertuer à démontrer qu’elle n’est pas différente de lui ? Pourquoi fragiliser un combat aussi légitime, une démonstration aussi solide, en voulant le fonder sur un raisonnement aussi absurde ? Oui, l’homme n’est pas une femme, la femme n’est pas un homme. Alors que notre société prend conscience, enfin, de la nécessité de respecter vraiment la nature telle qu’elle est, de renoncer à la modeler selon les excès de son désir de toute-puissance, pourquoi ne pas respecter notre propre nature, telle qu’elle est, sans chercher à la nier ? On condamnerait à raison une entreprise qui, pour exploiter une nappe de pétrole, chercherait à cacher l’existence des différentes espèces qu’elle mettrait en danger ; de la même façon, poursuivre le projet politique de l’homoparentalité, par exemple, n’autorise personne à nier la réalité naturelle de la différence sexuelle. Oui, l’homme et la femme sont différents ; ne soyons pas indifférents à cette dualité essentielle de notre nature, sachons au contraire l’apprivoiser, l’aimer, comme nous apprenons à respecter et à admirer la nature telle qu’elle est.

Egalité ne veut pas dire nécessairement identité ; pour tomber dans cette confusion élémentaire, Caroline de Haas fragilise son beau combat, et tombe souvent à côté de la plaque. Elle veut prouver que nous avons les mêmes cerveaux, également réceptifs à la culture ambiante ; personne n’en doute… Mais nous ne sommes pas que des cerveaux ! L’être humain est un corps, doté de sa part d’animalité, d’instinct, de sensibilité ; et ce corps est sexué. Cette réalité physique ne dépend pas de notre culture. Partageant une égale rationalité, comment ne pourrions-nous pas reconnaître que l’homme et la femme sont génétiquement, organiquement, charnellement différents ? Et de même que la biodiversité est reconnue comme un patrimoine à protéger, pourquoi ne pas regarder cette différence comme un trésor à protéger et à découvrir ?

Reconnaître l’évidence biologique, et l’expérience psychologique, de la différence des sexes, n’empêche pas d’affirmer leur égalité, bien au contraire. Méfions-nous : le combat du gender pour affirmer une identité illusoire pourrait bien constituer, par une ruse de l’histoire, la victoire paradoxale de la phallocratie, et apporter une réussite encore jamais atteinte aux forces d’aliénation de la femme. Lorsque le féminisme en vient à nier l’existence de la femme, on est en droit de se demander qui y gagne dans son long et légitime combat. Lorsque Caroline de Haas exige que la femme soit considérée comme identique à l’homme, elle renonce à construire un modèle d’individualité propre, autonome, et se laisse finalement aliéner par le modèle masculin, succombant à l’ancestrale prédominance qu’elle dénonce. La liberté de la femme ne consiste pas à ne pas pouvoir être elle-même !

Le féminisme du gender partage le projet du machisme le plus inégalitaire : fermer toute possibilité de dialogue. Je n’ai rien à échanger avec celui qui m’est identique, comme avec mon inférieur. Dans l’un et l’autre cas, rien à apprendre, rien à recevoir – rien à donner non plus. Mais de l’être qui est mon égal sans être identique à moi-même, de celui-là seulement, je désire la relation, car elle est la promesse d’une découverte et d’un enrichissement mutuel. Femmes, vous nous fascinez pour ce que vous êtes ; notre différence est le difficile trésor qu’il nous appartient d’apprivoiser ensemble. Pour y parvenir, reconnaître et vivre notre égalité est une nécessité concrète ; mais proclamer notre identité serait notre commun échec. Femmes, ne vous laissez pas aliéner, ne devenez pas des hommes comme les autres ! »

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