Archive d’étiquettes pour : liberté d’expression

Lettre ouverte à l’ENAR

Madame Ojeaku Nwabuzo
European Network Against Racism (ENAR)
Rue Ducale 67
1000 Bruxelles

 

Paris, le 27 mars 2023

 

Madame la Directrice, Madame Ojeaku Nwabuzo,

 

Le 16 mars 2023, vous avez adressé, avec 53 associations liées au réseau ENAR, que vous dirigez, une lettre ouverte à la Présidente du Parlement européen et à la Présidente de la Commission européenne. L’objet de ce courrier était de vous plaindre des « attaques diffamatoires » contre les « organisations de la société civile » dont je me serais rendu coupable à travers une déclaration diffusée le 23 février dernier, depuis le Parlement européen.

J’avais en effet rappelé, en découvrant que l’ENAR était associé à la « Semaine de l’Antiracisme » au sein du Parlement, que votre plateforme avait un agenda politique bien étranger à la cause de la lutte contre le racisme, et je maintiens bien sûr les faits que j’avançais pour le démontrer : le soutien que vous avez apporté, trois jours après la décapitation de Samuel Paty, à l’organisation islamiste CCIF, qui venait d’être dissoute par le gouvernement français suite à son lien avec le meurtre de ce professeur. Votre lien avec les associations FEMYSO, LALLAB ou Alliance Citoyenne, qui se sont donné pour but de banaliser le voile en Europe, quand les Iraniennes meurent pour s’en libérer – sans que ces associations qui se disent « féministes » aient un seul mot pour s’en émouvoir. Ou encore le fait que votre propre prédécesseur à la direction de l’ENAR a admis avoir été membre des Frères musulmans…

Pas le début de commencement d’une seule réponse

Mon intervention rappelait ces faits, et d’autres encore ; mais à mon grand étonnement, le courrier que vous écrivez pour vous en plaindre ne contient pas le début de commencement d’une seule réponse, sur aucun de ces points. Comment pourrait-il y avoir « diffamation », Madame la Directrice, là où il n’y a qu’un rappel de faits parfaitement avérés, et confirmés par tous les médias qui s’y sont intéressés ? Pour lancer une telle accusation, mieux vaut être capable d’expliquer en quoi ces affirmations sont fausses… Mais à mes observations simples et précises, vous répondez seulement par le registre habituel des variations indignées, déjà usées jusqu’à l’absurde : « tentatives de fragiliser le travail de la société civile », « nécessité d’une protection des espaces européens dans leur diversité », « réduction de l’espace de la société civile », « manque d’attention au racisme structurel et institutionnel », « besoin de promotion d’une meilleure culture de l’inclusivité »… Tout cela ne fait pas une seule explication pour justifier les faits que je partageais à la connaissance du public. Il faudra plus que le lexique dérisoire de vos protestations coutumières pour vous exonérer de votre responsabilité. Et vous ne vous en sortirez pas en tentant d’imposer au Parlement européen la censure dont vous semblez rêver – il faut dire que bien des pays qui financent vos associations-membres constituent des exemples plutôt performants en matière de « réduction de l’espace de la société civile ». Je suis désolé de vous l’annoncer, nous ne sommes pas prêts à suivre leur modèle…

Chercher à faire taire : une facilité, ou le symptôme d’une désolante fragilité

Car en fait de « réduction de l’espace », c’est celui de vos contradicteurs que vous cherchez à détruire : n’est-ce pas une bien étrange démarche, que celle qui consiste à écrire aux Présidentes de ces deux institutions pour dénoncer mon intervention, quand il aurait été si simple de m’écrire pour me partager les raisons de votre désaccord ? Vous vous plaignez de ce que j’ai exprimé ces inquiétudes au sein du Parlement européen ; mais, le saviez-vous, il se trouve que j’y ai été élu pour cela : deux millions de citoyens ont confié leur voix, avec la liste que je menais, pour que je fasse précisément, en leur nom, le travail d’agir sans relâche, et d’alerter sans concessions. Ce sera à eux, et à eux seuls, de juger ce mandat que je remettrai dans leurs mains. À eux seuls – ni à vous, ni à une « société civile » autoproclamée, ni même aux Présidentes de nos institutions auxquelles vous jugez utile d’adresser votre délation. Quant au réseau ENAR que vous dites terriblement « menacé » par mon intervention, il a le privilège d’intervenir au sein du Parlement, de la Commission, d’avoir manifestement porte ouverte partout à Bruxelles, et d’avoir reçu depuis près de vingt ans des millions d’euros de subventions publiques… Jouer le rôle de victimes est peut-être un registre habituel pour vous, mais je connais des militants des droits fondamentaux autrement persécutés.

Nous parler, en public ?

Vous savez, Madame la Directrice, nous avons tous deux la chance de vivre en démocratie. S’engager dans le débat public suppose généralement d’accepter la possibilité d’une contradiction ; si j’avais écrit un courrier de dénonciation aux autorités pour chaque critique que j’ai reçue, j’aurais perdu bien du temps pour des travaux plus utiles. Quand quelqu’un vous pose des questions, chercher une administration qui puisse le faire taire est au mieux une facilité – et au pire, le symptôme d’une désolante fragilité. Pour affronter un désaccord politique, pardonnez ce réflexe peut-être un peu désuet, le mieux est encore de parler. Vous m’avez dénoncé, et gravement accusé ; c’est la raison pour laquelle je vous propose de nous parler, et de le faire en public : je serais très heureux d’une discussion avec vous, que nous pourrions partager, sans filtre ni montage, soit sur le média de votre choix, soit sur les réseaux sociaux. Je ne doute pas que dans nos pays, la société civile à laquelle vous êtes si attachée serait curieuse d’entendre vos réponses aux questions que je posais, et très intéressée de mieux comprendre les enjeux d’une conversation, qui, au-delà de nos personnes, engage réellement notre avenir commun.

En restant à votre disposition pour trouver une date pour cet échange, je vous prie de croire en mon engagement déterminé, franc, et libre.

François-Xavier Bellamy

Député au Parlement européen
Président de la délégation française du PPE


Nomination au poste de vice-président exécutif des Républicains

François-Xavier Bellamy

Cette semaine, Eric Ciotti a annoncé sa volonté de me nommer vice-président exécutif des Républicains, ainsi qu’Aurélien Pradié. Je le remercie de sa confiance, et de la responsabilité importante qu’il me donne ; il sait pouvoir compter sur mon engagement total pour l’épauler dans sa mission à la tête de notre parti. Ma volonté est toujours la même, celle de tout donner pour que la droite offre à la France l’espérance dont elle a tant besoin ; et je serai heureux d’y travailler à ses côtés.

Je voudrais bien sûr redire ma reconnaissance fidèle à Bruno Retailleau : après sa très belle campagne, il n’a rien voulu obtenir pour lui-même, cherchant seulement à assurer que son équipe, et les adhérents qui l’ont soutenu, soient pleinement représentés dans la direction du parti. Demain, avec tant d’amis qui l’ont suivi, nous travaillerons pour faire vivre au sein de notre famille politique la volonté de renouvellement profond qu’il a incarnée dans cette campagne, au service de la refondation dont la droite française a tant besoin.

Il ne s’agit pas de faire vivre des divisions, dont notre camp a déjà tellement souffert, mais au contraire d’agir tous ensemble pour reconstruire une alternative sérieuse et crédible, dans un moment critique pour la vie démocratique de notre pays. La France a besoin d’une droite claire, solide, intelligente, enracinée et inventive, qui puisse lui redonner confiance en l’avenir. Le défi est immense – non pas pour notre parti, mais pour notre pays. C’est avec chacun d’entre vous, chers amis, que nous le relèverons.

Débat sur « la place de la laïcité dans les institutions européennes » dans les studios de Marianne TV

Échange avec Emmanuel Maurel (député du groupe « La Gauche » au Parlement européen) sur « la place de la laïcité » et l’entrisme islamiste dans les institutions européennes.

 

Ocean Viking : au bout des bons sentiments, la mort.

Texte initialement paru dans Le Figaro.

La décision d’accueillir l’Ocean Viking et ses 234 passagers à Toulon a été déterminée et défendue au nom de principes humanitaires. Elle constitue pourtant un choix infiniment dangereux, du point de vue de ces mêmes principes. On pourrait parler du risque qui découlerait pour la société française d’une logique d’accueil non contrôlée, dans un pays qui hérite déjà d’une longue irresponsabilité en matière de politique migratoire, et d’une faillite massive de l’intégration. Mais faisons même abstraction de ces questions ; le plus grave, c’est que cette décision est absolument contraire à l’impératif absolu qui la justifie pourtant, celui de sauver des vies.

D’abord, à l’usage de ceux qui font semblant de ne pas comprendre, rappelons un fait évident : personne de sensé n’a jamais demandé qu’on laisse qui que ce soit mourir en mer. Le devoir de porter assistance à une personne humaine en danger est bien sûr inconditionnel ; et en mer, l’obligation de secourir les passagers d’un navire qui fait naufrage est consacrée par plusieurs conventions internationales. Il ne saurait être question de remettre en question cet impératif moral et juridique absolu. Mais qu’une personne ait été secourue à quelques milles des côtes du continent africain, ne saurait la conduire à débarquer sur le sol européen. Comment ne pas voir les conséquences qu’aurait un tel principe ?

À partir du 20 octobre, l’Ocean Viking effectue plusieurs sauvetages en Méditerranée. Il passe alors à 60 milles de Sfax, le deuxième port de Tunisie – il n’arrivera en Sicile qu’après une navigation de plus de 800 milles, et naviguera encore 700 milles jusqu’à Toulon. Ce qui est en cause ici, ce n’est donc pas le principe du sauvetage en mer, ni même le principe de l’asile : Sfax dispose de bureaux du Haut Commissariat aux Réfugiés (HCR) des Nations-Unies, avec des équipes habilitées à enregistrer des demandes d’asile… Si l’Ocean Viking ne s’y est pas arrêté, comme les conventions internationales auraient dû l’y conduire, et malgré la situation très difficile que vivaient les passagers à son bord, c’est pour une seule raison : SOS Méditerranée ne veut pas seulement sauver des vies, mais aider des migrants à entrer en Europe. Ce faisant, elle concourt au trafic des passeurs, comme d’autres ONG qui échangent même avec ces réseaux criminels pour pouvoir récupérer des embarcations. De nombreuses enquêtes ont documenté ces pratiques, et Frontex a publié des vidéos montrant les passeurs transbordant des migrants en mer à proximité du navire de « sauvetage » prêt à les embarquer.

Jusque là, jamais la France n’avait cédé à ce chantage. Les élus de la majorité, qui s’indignent aujourd’hui de la moindre critique, se souviennent-ils qu’Emmanuel Macron avait refusé d’accueillir l’Aquarius, alors arrivé devant Marseille – et qu’il avait fustigé « le cynisme absolu » des ONG qui « font le jeu des passeurs » ? Le seul réflexe constant de nos dirigeants semble être d’insulter copieusement l’Italie lorsqu’une telle situation survient. Ce pays, où 90 000 migrants sont arrivés par la mer depuis le début de l’année, tient pourtant la seule position responsable. Oui, le secours en mer est un devoir ; mais l’Ocean Viking ne risquait pas le naufrage lorsqu’il est entré dans nos eaux territoriales : il était possible de faire monter des équipes médicales à bord, d’apporter l’avitaillement nécessaire, d’extraire les malades en situation d’urgence, sans autoriser pour autant le débarquement sur le sol français.

Ce précédent gagné par SOS Méditerranée aura un large écho. M. Darmanin a assuré que cette décision était prise « à titre exceptionnel » ; mais pourquoi le serait-elle, si le porte-parole du gouvernement assure que « la France ne serait pas la France » si elle n’accueillait pas ce bateau ? Cette réaction se répètera donc à chaque arrivée similaire. Dans un monde connecté, nul doute que l’information circulera largement ; et elle constituera une publicité supplémentaire pour la promesse des passeurs – qui, rappelons-le, ne s’adressent pas d’abord à ceux qui sont dans la misère et la détresse absolue, mais à ceux qui peuvent recueillir assez de moyens pour payer le prix élevé qu’ils exigent en échange de leur route d’exil et de mort.

Il n’y a qu’un seul moyen d’assurer que demain, plus un seul être humain ne trouve la mort en Méditerranée pour avoir cherché à atteindre l’Europe : c’est de garantir enfin ce principe simple, qu’il doit être impossible de s’établir en Europe si on a cherché à y entrer illégalement. Dans toute autre situation qu’une crise majeure dans un pays limitrophe, la demande d’entrée en Europe doit pouvoir être instruite hors de nos frontières. Un réfugié afghan ou iranien, menacé dans son pays, n’arrive jamais directement en Europe ; il passe par des États sûrs et stables, d’où il doit pouvoir effectuer une demande d’asile. Par notre incapacité manifeste à faire respecter nos frontières, nous conduisons des étrangers, dont l’immense majorité n’est pas éligible à l’asile, à risquer leur vie dans les mains des passeurs – et, paradoxe terrible, nous refusons trop souvent d’accueillir ceux qui auraient légitimement droit à notre solidarité.

Il n’y a qu’un seul moyen d’assurer que demain, plus un seul être humain ne trouve la mort en Méditerranée pour avoir cherché à atteindre l’Europe : c’est de garantir enfin ce principe simple, qu’il doit être impossible de s’établir en Europe si on a cherché à y entrer illégalement.

Il est facile de combattre le mal quand il apparaît pour lui-même : comment ne pas haïr la violence et le crime quand ils s’assument explicitement ? Mais autrement plus difficile est de refuser le mal quand il se présente sous les apparences du bien. Peu d’esprits sont assez fous pour vouloir l’enfer ; mais beaucoup sont assez inconséquents pour proclamer ces bonnes intentions qui en pavent souvent le chemin. On peut semer la détresse et la mort tout en se disant généreux – et même, sans doute, en se croyant généreux. L’histoire demandera des comptes à ceux qui s’enivrent aujourd’hui de leur propre supériorité morale en proclamant les fausses évidences qui causent de vrais drames. À ceux qui font la leçon tout en se dégageant eux-mêmes de l’inquiétude des conséquences. À ceux, en particulier, qui prétendent exercer une responsabilité politique, mais restent confortablement à la surface des questions les plus difficiles, même quand elles engagent la vie ou la mort d’innocents. Si nous nous contentons longtemps encore d’habiller notre impuissance de beaux sentiments, nous aurons à répondre des tragédies qu’elle continuera d’entraîner. La crise migratoire est largement devant nous ; il est temps que la France et l’Europe se donnent enfin les moyens de leur responsabilité.

L’histoire demandera des comptes à ceux qui s’enivrent aujourd’hui de leur propre supériorité morale en proclamant les fausses évidences qui causent de vrais drames. À ceux qui font la leçon tout en se dégageant eux-mêmes de l’inquiétude des conséquences. À ceux, en particulier, qui prétendent exercer une responsabilité politique, mais restent confortablement à la surface des questions les plus difficiles, même quand elles engagent la vie ou la mort d’innocents.

Un symptôme de la crise que traverse notre vie politique

Depuis hier, la totalité de notre débat public se concentre sur une réplique lancée à l’Assemblée nationale. Je ne comptais pas participer au déluge des commentaires, mais cette situation est un symptôme tellement marquant de la crise que traverse notre vie politique, qu’il est difficile de rester silencieux. Trois remarques simplement.

Sur le contenu d’abord : la lecture de la question posée par le député Carlos Martens Bilongo ne laisse aucun doute quant à la signification de l’interpellation de son collègue Grégoire de Fournas. Il est question du bateau Ocean Viking armé par l’ONG SOS Méditerranée, et des migrants qui sont actuellement à son bord. Lorsque Carlos Bilongo exprime ses inquiétudes sur le fait que les pays européens n’accueillent pas ce bateau, alors que la situation de ces personnes est critique et que les prévisions météo se dégradent, Grégoire de Fournas l’interrompt en disant : « Qu’il retourne en Afrique ». Quelle que soit la conjugaison retenue, il est évident qu’il parle bien de ce bateau et des migrants.

Beaucoup ont réagi à chaud en ayant entendu de bonne foi l’injonction « Retourne en Afrique ». Mais en revoyant toute la scène, il n’y a pas de doute possible. Personnellement, je n’ai pas l’habitude d’interrompre des collègues en hémicycle, et je n’aurais pas employé cette expression ; je crois à l’importance de la civilité, et à la nécessité du raisonnement, surtout sur des sujets aussi difficiles. Mais il est absurde de faire semblant de croire que Carlos Bilongo a été visé par une insulte raciste. La France Insoumise peut s’opposer à l’idée que l’Ocean Viking soit renvoyé vers un port africain ; mais elle ne peut pas raisonnablement essayer de faire croire que Grégoire de Fournas voulait envoyer en Afrique un député de la nation.

Comment notre vie politique a-t-elle pu devenir à ce point artificielle, pour que nous mettions tant d’énergie dans des polémiques absurdes ? La démocratie implique bien sûr des oppositions, des clivages parfois forts, des moments de confrontation ; mais rien de tout cela n’impose de renoncer à l’honnêteté intellectuelle, à la loyauté élémentaire qui sont la condition pour que la parole publique ait un sens. J’ai un jour eu l’occasion de prendre la défense de Sibeth Ndiaye, alors porte-parole du gouvernement, à qui tout le monde s’en prenait sur le fondement d’un propos tronqué et sorti de son contexte ; et le plus inquiétant pour moi avait été la surprise que cette défense avait suscité. Il devrait être naturel de chercher à comprendre avant de condamner. « Nul ne ment autant qu’un homme indigné », écrivait Nietzsche ; notre débat public lui donne si souvent raison.

Dernier point, le plus important : pendant que le bureau de l’Assemblée, la salle des Quatre colonnes, les tribunes de presse et les réseaux sociaux commentent fiévreusement des points de conjugaison et s’étudient à la subtilité des règles de liaison (doit-on prononcer le “t” muet après un éventuel « qu’ils retournent en Afrique » ?), les Français, eux, se préoccupent des conséquences de l’impuissance de leur gouvernement à lutter contre l’immigration illégale. Au milieu des crises majeures que nous traversons, ce décalage est effarant. Comme l’a si bien dit Julien Aubert hier soir, cet épisode montre surtout combien le théâtre politique semble terriblement coupé du quotidien des Français, et préoccupé de son propre spectacle au lieu de s’inquiéter de la réalité des défis existentiels auxquels nous sommes confrontés. 

La NUPES manifeste, la majorité refuse de siéger ; pendant ce temps, l’Ocean Viking, lui, est toujours en mer. Ce dont il faudrait parler, c’est de l’irresponsabilité des pays européens, qui acceptent depuis longtemps que des ONG recueillent près des côtes africaines des embarcations de fortune, pour emmener ensuite leurs passagers vers l’Europe. Le gouvernement a d’ailleurs indiqué ce matin qu’il était prêt à accueillir ce navire. Mais agir ainsi, c’est rendre possible la promesse de l’immigration illégale dans nos pays, cette promesse qui a conduit tant de personnes à risquer et à perdre la vie dans l’enfer libyen et en Méditerranée. Rappelons que des enquêtes ont documenté les contacts que plusieurs de ces ONG entretiennent, pour récupérer ces migrants en mer, avec des passeurs, et montré ainsi qu’elles concourent au sinistre business de ces réseaux qui constituent aujourd’hui la mafia la plus meurtrière du monde.

Si nous voulons empêcher que cette situation ne dure indéfiniment, si nous voulons éviter aux Français de subir plus longtemps une immigration incontrôlée dont l’actualité des dernières semaines n’a cessé de rappeler les conséquences terribles, si nous voulons que demain plus une seule personne ne se noie en mer Méditerranée, alors il faut établir ce principe simple, que nul ne pourra s’établir en France s’il n’a pas été préalablement autorisé à y entrer. Nous travaillons sans relâche au Parlement européen pour garantir ce principe. Bien sûr, cela suppose de convaincre plutôt que de provoquer, de comprendre plutôt que de s’indigner. Au-delà de la complexité et de l’importance de la question migratoire, c’est d’abord le sens même de la politique qui est en jeu. Espérons que notre débat public reviendra vite à la raison.

Pass sanitaire : une remise en cause profonde et inédite de notre modèle de société

François-Xavier Bellamy - pass sanitaire

Tribune publiée dans Le Figaro du 15 juillet 2021 avec Loïc Hervé, sénateur de la Haute-Savoie et vice-président du parti Les Centristes. Photo : François BOUCHON/Le Figaro

Les libertés fondamentales, l’égalité des droits, l’amitié civique, ne sont pas des privilèges pour temps calmes : c’est un héritage qui nous oblige.

Depuis l’apparition du coronavirus, nous sommes passés par bien des expériences inédites, et nous avons vu vaciller, de confinements en couvre-feu, la rassurante et illusoire évidence de nos libertés publiques. Mais il ne faut pas se méprendre : la vraie rupture historique pour notre modèle de société date de lundi dernier, avec les mesures annoncées par le président de la République. Si nous nous sommes opposés, il y a plusieurs mois déjà, à la création du « pass sanitaire » par le Parlement européen et le Parlement français, c’est parce que nous refusons absolument le monde qui se dessine sous nos yeux.

S’opposer au pass sanitaire n’est pas être « anti-vaccin ».

Une précision d’abord, dans la confusion et les caricatures du moment : s’opposer au pass sanitaire n’est pas être « anti-vaccin ». La vaccination est un progrès scientifique prodigieux, et l’une des plus belles pages de l’histoire de notre pays est sans doute d’y avoir largement contribué à travers l’œuvre de Pasteur. Mais comment comprendre que cette tradition scientifique aboutisse à la déraison que nous constatons aujourd’hui ? Avec dix-huit mois de recul, nous connaissons désormais le coronavirus : nous savons chez quels sujets il provoque des formes graves, et lesquels il laisse indemne. 93% des victimes du coronavirus en France avaient plus de 65 ans ; 65% avaient un facteur de comorbidité. En-dessous de 40 ans, sans facteur de comorbidité, le risque de mourir du coronavirus est quasi inexistant. Pourquoi alors ne pas adopter la même stratégie de vaccination que celle qui a lieu chaque année face à la grippe saisonnière ? Rappelons que, sans susciter aucune opposition, plus de 10 millions de vaccins ont été administrés l’an dernier contre cette épidémie, majoritairement pour les personnes vulnérables, âgées ou présentant une fragilité particulière. Le nombre de morts est ainsi contenu chaque année, sans qu’il soit jamais question de vacciner toute la population tous les ans au motif qu’il faudrait éviter la circulation du virus. On ne traite pas les plus jeunes d’irresponsables égoïstes parce qu’ils ne se font pas vacciner contre la grippe ! Ce débat doit être mené sans simplisme et sans leçons de morale : oui, on peut être favorable aux vaccins, y compris à une campagne très large pour vacciner les personnes vulnérables face à cette épidémie, et affirmer que la stratégie de masse actuellement choisie semble hors de toute mesure : pourquoi faudrait-il vacciner un adolescent, qui ne risque absolument rien du coronavirus, au motif qu’il faut protéger les personnes âgées, si celles-ci sont vaccinées ? C’est faire complètement l’impasse sur le nécessaire arbitrage entre bénéfice et risque, y compris du point de vue collectif.

Mais là n’est même pas le problème essentiel, en un sens. Ce que nous n’accepterons jamais, c’est la transformation de nos vies quotidiennes, de nos relations humaines, de notre modèle de société, qui s’accomplira de manière certaine et probablement irréversible par la mise en œuvre du « pass sanitaire ». Pour la première fois dans notre histoire, il faudra présenter un document de santé pour effectuer les actes les plus simples du quotidien – prendre un train, entrer dans un magasin, aller au théâtre… L’accès à un espace public sera différencié selon vos données de santé. Comment une telle révolution peut-elle s’opérer avec une justification si faible , sans débats approfondis, en caricaturant tous ceux qui osent s’en inquiéter ? Rappelons pourtant combien ces contraintes inédites paraissaient inimaginables il y a encore quelques mois : lorsque certains s’inquiétaient que le vaccin puisse devenir le critère d’une existence à deux vitesses, on les traitait de complotistes. Lorsque le pass sanitaire a été créé, le gouvernement jurait que jamais, jamais il ne conditionnerait l’accès à des actes quotidiens – seulement à des événements exceptionnels réunissant des milliers de personnes. C’est d’ailleurs à cette condition explicite qu’un tel dispositif avait été accepté par les autorités administratives compétentes pour la protection des libertés ou des données privées. Le fait que l’État méprise à ce point la parole donnée, sur des sujets aussi graves et en un temps aussi court, a de quoi inquiéter n’importe quel Français sur l’avenir de la liberté.

Le fait que l’État méprise à ce point la parole donnée, sur des sujets aussi graves et en un temps aussi court, a de quoi inquiéter n’importe quel Français sur l’avenir de la liberté.

Car c’est bien tout notre modèle de société qui est aujourd’hui menacé. Si le gouvernement a la certitude que la vaccination générale est absolument indispensable, alors il devrait en tirer toutes les conséquences, et la rendre obligatoire. Nous ne pensons pas cela ; mais ce serait au moins, du point de vue démocratique, une décision plus loyale que l’hypocrisie de cette contrainte déguisée. Ce serait surtout éviter de basculer dans ce nouveau monde où l’État contraindra chaque citoyen à contrôler son prochain pour savoir s’il faut l’exclure. Le serveur d’un bistrot sera sommé de vérifier la vaccination et la pièce d’identité d’un client pour pouvoir servir un café ; les mariés devront demander un QR code à leurs invités avant de les laisser entrer ; le patron licenciera un employé s’il n’a pas de pass sanitaire. Et la police viendra sanctionner ceux qui n’auront pas participé efficacement à ce contrôle permanent. Qui peut prétendre qu’un tel dispositif permet de « retrouver la liberté » ? Ne pensez pas que, parce que vous êtes vacciné, vous aurez « une vie normale » : quand on doit présenter dix fois par jour son carnet de santé et sa carte d’identité, pour acheter une baguette ou faire du sport, on n’a pas retrouvé la liberté. Quand chacun doit devenir le surveillant de tous les autres, on n’a pas « une vie normale ».

Quand chacun doit devenir le surveillant de tous les autres, on n’a pas « une vie normale »

On nous dira qu’il faut choisir entre le pass sanitaire et le confinement généralisé : ce chantage est absurde. Dès lors que les plus vulnérables sont vaccinés, il n’y a aucune raison de revenir au confinement, aucune raison en particulier de fermer les amphis et d’enfermer les adolescents. Nous n’avons pas à choisir entre deux manières inutiles d’abandonner la liberté. Ce combat n’est pas individualiste, au contraire : c’est se sentir vraiment responsables d’un bien commun essentiel que de défendre cette liberté aujourd’hui gravement menacée. Il y a là un défi de civilisation : face aux modèles autoritaires qui triomphent ailleurs dans le monde, l’Europe et la France doivent montrer qu’une action publique efficace, même en temps de crise, n’impliquera jamais d’abandonner nos principes. Les libertés fondamentales, l’égalité des droits, l’amitié civique, ne sont pas des privilèges pour temps calmes : c’est un héritage qui nous oblige.


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La France doit dire ce qu’elle est

Entretien initialement paru dans L’Incorrect du mois de mars 2021.

Le projet de loi actuellement en discussion devait porter sur l’islamisme. Il prétend maintenant veiller au « respect des principes de la République » par toutes les religions, de peur de « stigmatiser » l’islam. Qu’en pensez-vous ?

Ce projet de loi est totalement décalé par rapport à l’enjeu. J’ai du mal à comprendre l’erreur de diagnostic et de solutions. Il y a une erreur de fond dans le fait de croire que le problème serait lié aux religions : le sujet, c’est la rencontre à haut risque de de l’islam avec la culture française et la civilisation européenne. De ce point de vue, la réponse ne peut d’ailleurs pas se trouver contenue dans une simple loi.

Le problème fondamental est intellectuel, spirituel, civilisationnel. Il consiste à savoir si nous voulons encore défendre, préserver et transmettre notre héritage. Cet héritage inclut une certaine manière de vivre, de voir le monde, une certaine conception de la relation entre l’homme et la femme, une certaine idée de la raison, une certaine organisation politique, et en elle l’idée de la laïcité, qui est en réalité une idée européenne, parce qu’elle est une idée chrétienne — le mot même de laïcité vient de la théologie chrétienne.

Vouloir s’en prendre de manière équivalente à toutes les religions, ou vouloir revenir aux débats internes à l’esprit européen quand il s’agissait de limiter l’emprise de la religion sur le pouvoir temporel, c’est commettre une erreur majeure. Aujourd’hui, le sujet n’est plus la distinction entre le temporel et le spirituel dans un monde chrétien ; c’est la préservation du modèle hérité de la tradition judéo-chrétienne face à la montée de la culture musulmane, elle-même liée à l’immigration massive. Il peut y avoir une évolution de la loi pour améliorer notre réponse sécuritaire ou judiciaire à court terme ; mais le point central, c’est de savoir comment nous serons capables de transmettre de nouveau la France à tous ceux qui grandissent dans notre pays, et dont beaucoup ne se reconnaissent pas de cet héritage.

Ne pourrait-on pas imaginer quelque chose sur le modèle de la convocation du Grand Sanhédrin par Napoléon en 1806 ?

L’État ne réformera pas l’islam. L’État n’organisera pas l’islam. Projeter cela, ce serait se méprendre sur la nature de cette religion, qui ne connaît pas une structuration semblable à celle de l’Eglise par exemple. Par ailleurs, il y aurait un abus de pouvoir dans l’idée que l’on va intervenir de l’extérieur dans le culte musulman : nous n’avons pas à dire ce qu’un musulman a le droit de croire ou de ne pas croire, ce qu’il doit penser ou ne pas penser. Sans compter que cet abus de pouvoir ne fonctionnera pas. Je l’ai vécu comme prof et comme élu local : la montée de la radicalité chez beaucoup de jeunes musulmans fait que les responsables qui s’accordent avec les institutions se trouvent de facto discrédités. Une immense majorité des croyants refuseront logiquement d’adhérer à des dogmes négociés avec l’Etat… Nous n’avons rien à gagner à entrer dans cette logique.

Ce serait aussi décalé que, par exemple, de vouloir proscrire la kippa dans l’espace public, comme le propose depuis longtemps Marine Le Pen. Il y a depuis quinze ans une montée de la pression islamiste dont les Français de confession juive sont directement les victimes, et à la fin, quand il faut y répondre, on dit : qu’ils enlèvent leur kippa ! C’est absurde !

Alors que doit-on faire ?

La seule chose que doit faire la France, c’est de dire ce qu’elle est et ce qu’elle ne négociera jamais. À partir de là, à chacun de juger s’il veut vivre dans notre pays. Oui, la France est le pays de la liberté de conscience, donc en France on a le droit d’être musulman – c’est une grande chance parce que dans les pays musulmans, on n’a pas toujours le droit d’être chrétien… Cela implique que la France est un pays où la parole est libre, avec les excès que cela peut entraîner. En France, il peut vous arriver de croiser une caricature qui heurte votre foi – je le dis comme un catholique à qui il est arrivé de se sentir parfois blessé par une caricature –, mais c‘est comme ça, c’est la France. À ceux qui trouvent ça trop pénible, à ceux qui sont trop fragiles pour le supporter, je dis qu’il y a des tas de pays dans lesquels ils seront sûrs de ne jamais voir une caricature du prophète, et qu’ils peuvent parfaitement choisir d’y vivre. Je ne peux le leur reprocher : choisissez un autre pays, une autre manière de vivre, et restons bons amis ! Mais si vous voulez vivre en France, vous devez épouser ce modèle.

Vous pensez qu’une majorité de jeunes musulmans est prête à l’accepter ?

Dans notre histoire, beaucoup de musulmans sont morts pour la France ; il n’y a aucune raison pour qu’un citoyen musulman se sente étranger à la France. Je crois profondément que beaucoup de jeunes issus de l’immigration sont prêts à estimer un pays qui s’estimerait lui-même. C’est pour cela que le vrai sujet est politique, au sens le plus fort du terme – non pas seulement sécuritaire, ou institutionnel… Au fond, il renvoie notre pays à sa propre incapacité à s’assumer et à se transmettre. Quand on élit un président de la République qui nous a dit qu’il n’y avait pas de culture française, il est évident que ça ne peut pas marcher. Vous ne pouvez pas intégrer et vous ne pouvez pas assimiler si vous partez du principe que votre pays n’a rien à proposer, qu’il n’a pas une culture à recevoir et à rejoindre.

L’islamisme des cités est d’ailleurs un adversaire idéologique d’une fragilité insigne. Il faut bien avoir conscience que la médiocrité et la superficialité de son discours ne se propagent qu’à proportion du vide que nous laissons derrière nous, quand nous refusons d’assumer ce que nous sommes et de le transmettre.

Vous dites : « On ne peut pas intégrer, on ne peut pas assimiler. » Ce n’est pas la même chose. Vous souhaitez intégrer ou assimiler ?

J’assume parfaitement l’idée de l’assimilation, un projet d’une immense générosité et qui est particulièrement français, parce que la France a toujours eu une relation particulière avec l’universel. La singularité paradoxale de la France est d’avoir toujours cru qu’elle pouvait s’adresser à tous. Le projet de l’assimilation est très français en ce sens qu’il signifie que d’où que vous veniez, quelle que soit votre histoire personnelle, si vous habitez en France, et a fortiori si vous souhaitez partager la nationalité française, vous pouvez être pleinement participant de cette histoire qui se prolonge à travers nous tous. On a fait de l’assimilation une sorte de tabou : Emmanuel Macron a récemment expliqué, dans l’Express, qu’il fallait supprimer du code civil la nécessité de “justifier de son assimilation à la communauté française” pour pouvoir être naturalisé. En réalité, comme l’a récemment montré Raphaël Doan, l’assimilation est l’exigence la plus antiraciste qui soit. Elle consiste à dire : vous n’avez pas besoin d’avoir les gênes d’une ethnie particulière pour être assimilé à la communauté de destin qui s’appelle la France. Évidemment, aujourd’hui, réussir le défi de l’assimilation suppose un préalable : mettre fin, de manière urgente, aux flux migratoires massifs qui rendent impossible la reconstitution de l’unité de la nation. Mais je crois malgré tout que le projet de l’assimilation, que la France a réussi dans son passé, comme le montrent ces Français qui le sont devenus “non par le sang reçu mais par le sang versé”, est plus nécessaire que jamais. On n’échappera pas à l’« archipellisation » de la France sans renouer avec ce projet.

Pour paraphraser de Gaulle, on peut assimiler des individus : pensez-vous que l’on puisse assimiler des peuples, et n’est-il pas déjà trop tard ? Et vous parlez de stopper les flux migratoires : est-ce qu’il faut simplement les stopper ou est-ce qu’il faut les inverser ?

Pour la première question, oui, on se demande s’il n’est pas déjà trop tard. Je l’assume sans difficulté. Cela étant dit, j’ai trente-cinq ans, je ne compte pas baisser les bras. Comme le dit Marc Aurèle : « Les batailles que je n’ai pas livrées, je me console trop facilement dans la certitude qu’elles étaient déjà perdues ». Je ne veux pas me résigner à la fracturation de la France dans une juxtaposition de communautés qui ne se connaissent plus de lien. Il me semble que la puissance de notre héritage peut encore susciter l’enthousiasme et l’adhésion.

J’ai enseigné dans des zones urbaines sensibles où il y avait 90% ou 95% de jeunes issus de l’immigration. Je n’ai jamais eu un élève qui m’ait dit : « Je ne veux pas de votre philosophie ethnocentriste, occidentale et néocoloniale ». Ça, c’étaient mes formateurs à l’IUFM qui me le disaient ! Mes élèves, quand je leur parlais de Platon et d’Aristote, étaient capables de s’y reconnaître. Quand vous arrivez devant des jeunes gens en leur disant que vous avez quelque chose à leur offrir qui vaut la peine d’être reçu, vous retrouvez en eux la soif infinie d’apprendre, et de rejoindre quelque chose de plus grand que nous qui mérite d’être partagé. Je ne nie pas qu’il y a une sorte de pari. Je ne suis pas optimiste de nature, mais je ne peux pas me résigner. Et je crois qu’il y a dans l’identité française quelque chose d’assez grand pour pouvoir surmonter la crise existentielle que nous traversons.

Pour réussir ce défi, et c’est votre deuxième question, commençons par mettre un terme aux flux migratoires qui continuent. Rappelons quand même que depuis quarante ans, on n’a jamais délivré autant de titres de séjour que depuis 2017. Je ne cesse de l’expliquer à bien des gens qui affirment qu’Emmanuel Macron mène une politique de droite. En 2019, c’est l’équivalent de la ville de Nantes qui s’est installé légalement en France, essentiellement d’ailleurs en provenance des pays du Maghreb et de la Turquie. Et je ne parle même pas de l’immigration illégale… C’est évidemment intenable.

Lorsque la région Île-de-France, durant le premier confinement, a mis en place un outil pour apprendre une langue étrangère en ligne, elle a eu la surprise de voir que la première langue demandée était le français, et de loin ! On ne peut pas continuer à accueillir quand on vit un tel échec de l’assimilation.

Votre famille politique, notamment sous le mandat de Nicolas Sarkozy, a accueilli elle aussi beaucoup de gens. Il y a même eu une explosion du nombre d’entrées. Il y a une prise de conscience au sein de LR ?

Je ne me suis pas engagé en politique parce que tout allait bien, et je ne me suis pas engagé à droite parce que la droite avait tout réussi. Je me suis engagé justement parce que je crois qu’il est nécessaire que cette prise de conscience puisse avoir lieu à l’intérieur de la droite. La grande fragilité de la droite aujourd’hui, sa fragilité politique et électorale, vient de la profonde déception de beaucoup d’électeurs qui lui reprochent de ne pas avoir tenu ses promesses. Pendant toute la campagne des élections européennes, j’ai entendu des gens me dire : « Ce que vous dites est très bien, mais on ne se fera pas avoir une nouvelle fois ». Il y a une corrélation très claire entre le fait que la droite, lorsqu’elle était au pouvoir, n’a pas été à la hauteur des engagements qu’elle avait pris, et le discrédit qu’elle subit aujourd’hui. Cela étant dit, on ne peut pas être complètement relativiste : en matière d’immigration par exemple, la politique menée n’a pas été la même sous la droite que sous la gauche ; et Emmanuel Macron va plus loin que la gauche, en termes d’entrées légales sur le territoire national.

Y a-t-il un consensus sur ce sujet au sein de LR ? On sait à peu près ce que pense chacune de ses personnalités, mais concernant la ligne du parti, c’est nettement plus flou…

Sur les questions migratoires, la ligne de notre famille politique est parfaitement claire. Nous l’avons exposée lors des élections européennes : nous pensons qu’il faut une stratégie globale, à la fois européenne et nationale. C’est ce que nous avons appelé la« double frontière ». Je suis allé sur l’île de Lesbos, pour voir le gigantesque camp de migrants qui s’y trouve. Vu de ces îles, situées à quelques kilomètres seulement des côtes turques, il est évident que la Grèce ne pourra pas défendre toute seule ses frontières face à la pression migratoire. De plus, les gens qui entrent en Grèce ne veulent pas y rester. Ils veulent se rendre en France, en Allemagne, en Grande-Bretagne : il est donc nécessaire et légitime que nous soyons aux côtés des pays de première entrée, en renforçant Frontex notamment, pour maîtriser ensemble les frontières extérieures de l’Europe. Jusque-là, ça n’a pas été fait, c’est sur cette priorité que nous travaillons. Au Parlement européen, nous sommes engagés dans une bataille politique rude pour défendre une doctrine d’emploi assumée pour Frontex : une agence de garde-frontières n’est pas là pour accueillir les gens qui entrent illégalement, mais pour les refouler. Ce travail commun est indispensable : il est vain de prétendre que l’on maîtrisera nos frontières face à la pression migratoire si les pays européens n’y travaillent pas ensemble. La position du RN sur ce sujet, qui a sans cesse voté contre tout renforcement de Frontex, est purement idéologique et me semble irresponsable. Si demain la Grèce est envahie, ça ne peut pas ne pas avoir de conséquences sur nous. Il faut donc agir ensemble, pour permettre que chaque pays garde la maîtrise de sa politique migratoire. C’est parce que nous tenons à garder à chaque Etat sa souveraineté en la matière que nous parlons de « double frontière ».

Le parti européen au sein duquel vous siégez, le Parti populaire européen (PPE), est-il en phase avec ça ? Il ne nous a pas donné l’impression de vouloir « refouler » les migrants.

Durant le précédent mandat, et particulièrement lorsque l’Allemagne a ouvert grand les frontières à l’été 2015, le PPE s’est littéralement fracturé sur la question migratoire. Deux lignes complètement opposées s’y sont affrontées : d’un côté il y avait celle d’Angela Merkel, de l’autre celle de Viktor Orbán. Or cinq ans et demi plus tard, que constate-t-on ? Que sur le fond, tout le groupe s’est rallié à la position de Viktor Orbán ! Aujourd’hui, plus personne dans le PPE ne défend l’idée d’un accueil inconditionnel des migrants. Angela Merkel elle-même ne referait plus ce qu’elle a fait en 2015… Même au-delà du PPE, les États européens se sont ralliés à la ligne de protection des frontières défendue par le Premier ministre hongrois. Ce qui est tout à fait paradoxal car Viktor Orban continue à être victime d’une forme de procès permanent, alors même que sur les questions migratoires, tout le monde parle désormais comme lui.

Concrètement, la doctrine qui prévalait jusque-là, et qui était d’ailleurs soutenue par Emmanuel Macron, était celle dite de la « relocalisation » des migrants : des gens entrent dans l’UE de façon illégale, au nom de la “solidarité” entre pays européens, on se les répartit et on oblige chaque Etat-membre à accepter son quota de migrants. C’était cela que Viktor Orbán refusait. Or la Commission européenne vient de présenter son nouveau “pacte migratoire”, et le point majeur est qu’elle renonce à la relocalisation des migrants. La solidarité européenne face à la question migratoire voudra dire que les Etats devront, selon leur choix, à à contribuer à la maîtrise des frontières ou aux reconduites hors de l’Europe des migrants illégaux C’est un changement complet de paradigme. La gauche est ulcérée, et il faut la comprendre : dans ce débat, Viktor Orbán a gagné !

Il y a encore beaucoup de travail, bien sûr, mais le débat progresse enfin. J’ai été chargé par le groupe du PPE d’écrire un texte sur l’identité de la droite en Europe : le passage sur l’immigration, qui fixe pour priorité la maîtrise de nos frontières, a été adopté par le groupe dans son ensemble après un travail d’amendements. Aujourd’hui, je pense que les choses peuvent être réorientées dans le bon sens. Avec certes toutes les pesanteurs de ces institutions – ça prend du temps, c’est lent, c’est compliqué… – mais globalement, dans la matrice européenne, quasiment plus personne ne dit, à l’exception de la Commissaire européenne aux Affaires intérieures, la social-démocrate suédoise Ylva Johansson, que les migrants sont une chance pour nos usines et pour compenser la baisse de la natalité de l’Europe…

En 2018 sur France Culture, lors d’une émission d’Alain Finkielkraut et alors que vous n’aviez pas encore été désigné tête de liste aux élections européennes mais que le JDD venait de faire état de cette probabilité, Sylvain Tesson vous avait imploré de « ne pas rentrer dans ce débat qui risque lui-même d’être un mouvement qui vous perdra ». Vous ne regrettez pas de ne pas l’avoir écouté ?

C’est une bonne question. Je ne suis pas entré en politique parce que ça m’amusait. C’est une expérience passionnante et je ne me plains pas de ce que je vis, mais si j’avais eu le sentiment que la France allait bien, je serais resté prof de philo. J’ai adoré mon métier, c’était ma vocation professionnelle, il reste mon élément naturel et j’espère le retrouver. Je suis entré en politique parce que tout ce à quoi je tiens est menacé. Je n’étais pas adhérent des Républicains, mais je me suis toujours senti de droite ; cette famille politique est venue me chercher : si j’avais décliné, je me serais senti illégitime de continuer à écrire des livres pour expliquer ce qui ne va pas.

La politique est un combat. Si vous croyez au sérieux de ce qui s’y joue, vous ne pouvez pas demeurer spectateur, ni même commentateur. Il faut entrer sur le champ de bataille.

Et vous pensez que de LR peut sortir un candidat qui ne fasse pas simplement de la figuration ?

Je crois que la droite a la responsabilité d’incarner une alternative, parce que le Rassemblement national fait objectivement partie de l’équation qui sauve Emmanuel Macron – je dis cela sans aucun jugement moral, ne détestant rien tant que tous ceux qui transforment les désaccords politiques en condamnations condescendantes. Je sais que la politique suppose des discernements difficiles dans le clair-obscur du réel, comme l’expliquait Aristote..Mais c’est un fait que la seule chose que redoute Emmanuel Macron, ce serait une droite enfin sortie de sa torpeur. Lors de l’élection européenne, j’ai espéré commencer une alternative, et nous n’y sommes pas arrivés. Notamment parce que dix jours avant le scrutin, Emmanuel Macron a brandi le risque de voir la liste du RN triompher, que Marine Le Pen lui a répondu, ce qui est normal, et que les médias se sont focalisés sur ce duel en forme de tandem. Pendant dix jours, les Français ont suivi à la télévision le troisième tour de l’élection présidentielle, et ils se sont prononcés par rapport à cette mise en scène. La politique, c’est aussi ça. On a eu beau faire une belle campagne, en tout cas une campagne que je ne renie pas sur la forme ni sur le fond, la construction de l’opinion passe encore par les journaux télévisés, qui nous ont largement ignorés.

Durant toute cette campagne, Emmanuel Macron n’a eu qu’une obsession : éviter que la droite ne se reconstruise à l’occasion de ce scrutin. Il y est parvenu. Nathalie Loiseau a refusé tous les débats que les médias lui proposaient avec moi. Et elle n’a accepté de discuter qu’avec Jordan Bardella. Il suffit de bien vouloir ouvrir les yeux pour voir que le macronisme a besoin du RN, qui pour bien des raisons reste très éloigné d’une victoire à l’élection présidentielle – bien des gens autour de Marine Le Pen le savent parfaitement, d’ailleurs… Le parti au pouvoir n’aurait aucune chance de s’y maintenir si nous étions dans une configuration politique normale. C’est la raison pour laquelle la vraie inquiétude pour Emmanuel Macron, c’était qu’un nouvel élan reprenne à droite et que les électeurs se remettent à y croire.

Parmi les faiblesses de la droite, ne pensez-vous qu’il lui manque d’avoir une ligne claire sur l’écologie ? Elle est globalement considérée comme libérale, donc comme anti-écologiste.

La droite s’est occupée d’écologie quand elle était au pouvoir et qu’on en parlait infiniment moins que maintenant, mais il est vrai qu’elle n’a pas de discours construit sur les sujets écologiques. Le travail à faire est d’autant plus important qu’il est urgent de proposer une écologie qui ne porte pas atteinte à nos libertés fondamentales.

Je suis inquiet quand j’entends Barbara Pompili nous dire que ce qui compte maintenant, ce n’est pas de changer notre manière de consommer, mais de changer notre manière de vivre et même, de changer notre civilisation ! Là, il y a une véritable idéologie, qui se préoccupe d’ailleurs assez peu de l’environnement – je le vois au Parlement par exemple sur le sujet de l’éolien, à terre ou en mer, qui est défendu par ces militants malgré son impact écologique désastreux. . Cette écologie a simplement trouvé une occasion de recycler un vieux fonds totalitaire hérité du marxisme et de l’antilibéralisme de gauche. Si la politique est faite pour sauver ce qui doit l’être, et je crois que c’est ce qui définit la droite, cela suppose évidemment de se préoccuper de transmettre, à la fois notre culture, et une nature qui permette que le monde reste vivable. C’est à cette cohérence qu’il faut travailler.

Vous voulez sauver et transmettre ce qui doit l’être, et, « en même temps », vous avez parlé d’« épuisement du modèle dont nous héritons ». Qu’est-ce qui reste à sauver ? Est-ce qu’on n’en est pas au stade de la décadence de l’Empire romain ?

Vous posez la question la plus difficile qui soit, savoir si la politique peut quelque chose à une forme de crise intérieure. Au fond, est-ce que la politique peut sauver un pays si ce pays ne veut plus se sauver lui-même – si ce pays a perdu le goût de continuer à exister ? Je dirais qu’on n’a pas le droit de se résigner. Aujourd’hui, comme dans certaines périodes de l’histoire, le levier de l’engagement politique pourrait être : « Et si jamais… » Et si jamais il y a une chance, même infime, que la France retrouve le goût d’exister, alors cette chance vaut la peine qu’on engage sa vie là-dessus.

J’imagine que quand Hans et Sophie Scholl ont créé La Rose blanche, en 1942, ils ne devaient pas avoir beaucoup d’espoir que la situation s’améliore. Et pourtant ! J’ai été profondément bouleversé par le dernier film de Terrence Malick, Une vie cachée, sur ce paysan autrichien, Franz Jägerstätter, qui avait refusé de prêter le serment de loyauté à Hitler. D’une certaine manière, ça ne servait à rien, la partie était perdue. Jägerstätter a donné sa vie sans voir la victoire à laquelle il espérait pourtant contribuer de manière presque infime. Et pourtant, ça valait la peine. Même si nous ne sommes pas dans une situation aussi dramatique, la question se pose de savoir si l’on peut quelque chose à un processus qui donne le sentiment d’être intérieur et donc irréversible, en tout cas par des moyens politiques. Mais si jamais il y a encore une chance, elle vaut la peine d’être vécue.

Cette chance, on la tente comment ?

La réponse politique la plus importante, qui devrait être la seule et unique priorité de la droite si elle parvenait à retrouver la confiance des Français, c’est l’éducation. Tout se joue dans l’éducation, tout, et il y a urgence. Un pays qui n’a pas transmis sa culture est un pays qui se perd de manière définitive. Beaucoup d’erreurs politiques sont rattrapables : vous pouvez avoir été laxiste en matière de sécurité avant de vous rendre compte que c’est devenu le désordre et de remettre des policiers dans les rues ; vous pouvez avoir été trop dépensier et avoir accumulé de la dette, et un jour décider qu’il faut remettre les finances d’équerre. Mais si vous manquez la transmission de la culture, alors où trouverez-vous ceux qui, demain, deviendront les professeurs qui l’enseigneront à nouveau ?

C’est pour cela qu’il y a une urgence éducative absolue. C’est quasiment le seul sujet politique dont on devrait s’occuper, parce que si on ne se transmet plus, nous perdrons jusqu’à la conscience des trésors qui se seront dissipés. Ceux qui n’auront pas reçu notre culture ne pourront même pas mesurer la valeur de ce qu’ils auront perdu.

Face à la situation sanitaire, les Français demandent semble-t-il toujours plus de sécurité et de restriction de leurs libertés.

Ce qui m’inquiète profondément, c’est le risque de ne plus sortir de la situation que nous vivons aujourd’hui. Emmanuel Macron disait récemment que le principe de la réponse sanitaire est que rien n’est plus important que de sauver une vie humaine. En un sens, je partage son point de vue : la vie humaine a une valeur absolue et ce principe mériterait d’être rappelé sur le terrain des questions de bioéthique… Le problème de cette affirmation, c’est que si elle est valable éthiquement dans l’appréciation que l’on fait de l’action de chaque personne, elle ne peut pas servir de fondement à une conception politique. Sinon, il faut tout de suite interdire la circulation en voiture, parce qu’il y a des accidents de la route et que certains sont mortels. Et même, il est impératif de confiner les gens de façon définitive parce que c‘est le plus sûr moyen qu’il ne leur arrive rien en marchant dans la rue ou en rencontrant d’autres personnes…

Encore que les accidents domestiques sont une cause importante de mortalité…

[rires] On voit bien que la société du risque zéro est une société invivable. Si notre seul et unique objectif est d’éviter la mort, alors nous n’arriverons qu’à empêcher la vie. C’est la vie que nous perdons en la construisant seulement pour éviter de mourir. C’est exactement le monde auquel il faut tenter d’échapper. De ce point de vue, il y a un problème majeur dans notre rapport à la liberté. C’est pourquoi je crois que notre famille politique doit embrasser de nouveau la cause de la liberté. Je suis très inquiet de voir que parce que nous nous élevons,, à raison, contre la folie de la mondialisation néolibérale, certains en viennent à jeter la liberté avec l’eau du bain néolibéral. Rien n’est plus nécessaire que de défendre la cause de la liberté.

Lors d’un débat au Parlement européen sur les applications de traçage, je me suis opposé à celles-ci, au nom de la liberté. J’étais quasiment le seul dans ce cas. Dans le débat qui nous a opposés, un de mes collègues parlementaires a dit littéralement : « Je préfère vivre encadré plutôt que mourir libre ». La formule est incroyable ! Je lui ai répondu: « Je te conseille d’aller faire un tour sur le plateau des Glières. » « Vivre libre ou mourir », c’est ce qui a structuré notre civilisation.

Dans Zarathoustra, Nietzsche écrit : « Formule de mon bonheur : un oui, un non, une ligne droite, un but. » Bellamy, quel but ?

Cette formule est magnifique. Je l’ai souvent citée à mes étudiants…

Si un seul mot pouvait définir l’engagement, ce serait sans aucun doute servir. Je pense que ce qui compte le plus dans une existence, c’est qu’elle puisse être engagée au service de quelque chose de plus grand qu’elle. Je me sentirais heureux si, la veille de ma mort, je pouvais me dire que j’ai pu servir à quelque chose de plus grand que moi. Et, en particulier, que j’aie pu servir à la transmission de cet héritage qui a fait de moi ce que je suis, auquel je dois tout, et qui, j’en suis sûr, peut encore être une promesse de vie et de liberté pour d’autres que moi à l’avenir.

L’article 24, symbole du recul inutile de nos libertés

Tribune publiée le 28 novembre 2020 dans Le Figaro. Illustration : Fabien Clairefond pour Le Figaro.

Qui aurait pu penser que la France verrait de nouveau menacées les libertés fondamentales que l’on aurait pu croire acquises pour toujours ? Le débat sur l’article 24 de la loi relative à la Sécurité globale est un symptôme de plus de la dérive que nous suivons. Une fois de plus, on voudrait opposer la liberté à la sécurité – comme si, pour assurer l’indispensable protection de nos policiers et gendarmes, il était urgent de revenir sur le droit de la presse… Une fois de plus, nos gouvernants cèdent à la tentation d’un texte superflu et dangereux offert en cadeau peu coûteux à des forces de l’ordre épuisées, et qui sur le terrain manquent souvent de l’essentiel. Une loi de plus, destinée à rejoindre les milliers de pages d’un droit devenu bavard, redondant, incompréhensible, qui n’arrive plus à empêcher que ceux qui ne nuisent à personne.

Commençons par l’évidence : cet article ne vaudra pas à un seul policier ou gendarme d’être mieux protégé demain. La violence désormais quotidienne qui s’abat sur les forces de l’ordre est le signe que le droit déjà existant n’est simplement pas appliqué. Plus de dix mille policiers et gendarmes ont été blessés en opération en 2018, un chiffre en nette augmentation depuis quelques années. Chaque semaine apporte désormais son lot d’images de commissariats de police attaqués au mortier d’artifice, de gendarmes obligés d’éviter les tirs qui pleuvent jusque sur les logements de leurs familles. Un tel niveau d’agressions en dit long sur le sentiment d’impunité totale qui anime leurs auteurs. Notre droit est supposé réprimer fortement les outrages et la violence envers tout dépositaire de l’autorité publique ; quand la justice n’arrive pas à faire respecter cette règle essentielle, quand la loi reste sans force au point qu’un uniforme suscite trop souvent l’insulte plutôt que la crainte, qui peut croire sérieusement que créer un nouveau délit améliorera quoi que ce soit ? L’urgence absolue est d’appliquer, partout sur le territoire français, les lois déjà existantes. Mais pour cela, encore faudrait-il avoir le courage politique d’agir réellement face à la délinquance… Toute nouvelle gesticulation législative ne peut être qu’une fuite facile, et une insulte aux forces de l’ordre abandonnées à leur sort – à la mémoire de la gendarme Mélanie Lemée, des policiers Eric Monroy et Franck Labois, tués en mission en cette seule année 2020. Qui peut penser sérieusement qu’un texte de plus les aurait sauvés de la violence décomplexée qui leur a retiré la vie ?

Commençons par l’évidence : cet article ne vaudra pas à un seul policier ou gendarme d’être mieux protégé demain. La violence désormais quotidienne qui s’abat sur les forces de l’ordre est le signe que le droit déjà existant n’est simplement pas appliqué.

Cette inventivité réglementaire est d’autant plus absurde qu’elle prétend instaurer une sanction qui, en fait, existe déjà. Le gouvernement explique qu’il s’agit de réprimer le fait de diffuser l’image d’un policier ou d’un gendarme, mais seulement si c’est « dans le but qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique ». Or une telle intention de nuire est bien sûr déjà condamnée par la loi de 1881, qui sanctionne, plus lourdement encore que ce nouvel article, toute « provocation à commettre des atteintes volontaires à la vie et à l’intégrité d’une personne ». Cette disposition existe depuis près de cent quarante ans… Notre droit n’avait pas attendu les effets de manche de M. Darmanin pour condamner ceux qui désignent une cible dans l’intention de lui nuire.

Cette inventivité réglementaire est d’autant plus absurde qu’elle prétend instaurer une sanction qui, en fait, existe déjà.

Une fois de plus, notre vie démocratique est donc occupée par un débat absurde, pour créer une loi inutile, une de plus. Une de trop. Car sans avoir aucune utilité, cet article 24 ne sera pas pour autant dépourvu d’effet – ce qui explique la rare unanimité qu’il a suscitée contre lui de la part des professionnels de la presse. L’ambiguïté de sa rédaction compliquera le nécessaire travail des journalistes, y compris pour assurer que la force publique est employée à bon escient. Il n’y a aucune chance qu’il intimide ceux qui se mettent déjà hors la loi par leurs menaces et leurs attaques ; mais il est certain qu’il encouragera les dérives qui menacent nécessairement, comme nous le constatons encore récemment, tout corps qui assume la responsabilité redoutable d’exercer la force publique. L’immense majorité des policiers et des gendarmes font honneur à leur profession ; pourquoi laisser penser qu’il faudrait les mettre à l’ombre ?

Cet article 24 constitue une étape de plus dans la défiguration de la loi de 1881 sur la liberté de la presse.

Cet article 24 constitue une étape de plus dans la défiguration de la loi de 1881 sur la liberté de la presse, qui constituait un miracle d’équilibre légal et jurisprudentiel pour garantir la liberté tout en réprimant ses excès. Depuis 1972 et la loi Pleven, un empilement de textes n’a cessé de créer de nouveaux délits, inspirés par un mélange de bonnes intentions et de calculs politiques – les deux pavant tout aussi sûrement le chemin vers le même enfer. La parole et la pensée, la vie médiatique et le débat public, toutes les conditions de la liberté ont été peu à peu asphyxiées par une multitude d’entraves ; avons-nous pour autant gagné en sécurité, en respect, en civilité, en ouverture d’esprit, en douceur et en clarté ? Cela n’a pas empêché l’anathème, la menace et la violence de prendre le pas sur la conversation civique. Cet article 24, à la fois superflu et dangereux, constitue un pas de plus dans nos reculs démocratiques. Il est significatif à cet égard que Matignon ait proposé, pour échapper à ce débat, qu’un énième comité soit constitué pour le réécrire : dans une démocratie en bonne santé, c’est généralement le travail du Parlement…

La parole et la pensée, la vie médiatique et le débat public, toutes les conditions de la liberté ont été peu à peu asphyxiées par une multitude d’entraves ; avons-nous pour autant gagné en sécurité, en respect, en civilité, en ouverture d’esprit, en douceur et en clarté ?

Ces reculs sont partout visibles. Qui aurait pu penser que dans la France de 2020 le gouvernement suspendrait, sans jamais reconnaître clairement la gravité de telles décisions, la liberté d’aller et de venir, le droit de se réunir, l’exercice normal des cultes ? La crise sanitaire, comme la crise sécuritaire, sont des échecs de l’Etat qu’il fait payer aux citoyens, faute d’avoir su rétablir la situation, en revenant sans aucun sens de la mesure sur leur droits fondamentaux. François Sureau l’écrivait il y a quelques mois : aujourd’hui, « les libertés ne sont plus un droit mais une concession du pouvoir ». Il est urgent que la conscience civique se relève face à cette dérive, pour que renaisse une France où il soit de nouveau possible de se parler, de se contredire et de se respecter pourtant, de prier et de dire sa foi, comme de dire ses doutes ou de critiquer un dogme, une France où il soit permis de faire simplement son travail – que l’on soit policier, gendarme ou journaliste, avec la même passion de la liberté, et au service du même bien commun. Ce combat ne se divise pas.

Les islamistes s’attaquent à ce qu’ils savent être la France.

« Dans cette église, l’islamisme a frappé la France, et ses racines chrétiennes que nos gouvernants voulaient depuis si longtemps oublier. C’est notre civilisation qui est en jeu, notre manière de vivre, notre liberté de conscience, tout ce qui nous a fondés. Pour mener la résistance, les mots ne peuvent suffire, maintenant seuls les actes comptent. Voici déjà quelques priorités concrètes, rappelées depuis longtemps et qui sont désormais une urgence absolue. »

Pour accéder à l’entretien complet, rendez-vous à ce lien.

La liberté d’expression est-elle en recul en France ?

« Présent à la Sorbonne pour l’hommage national à Samuel Paty : l’unité de notre pays est nécessaire pour faire face à l’islamisme. Mais elle ne peut signifier le silence devant les reniements qui nous ont rendus vulnérables. »

Extrait d’un entretien initialement paru sur lepoint.fr, propos recueillis par Jérôme Cordelier.

[…]

En tant que professeur, avez-vous eu à subir du terrorisme communautaire face à vos enseignements ?

J’ai eu l’occasion d’enseigner dans des quartiers où la population musulmane était majoritaire. e n’ai jamais eu l’occasion de me sentir en insécurité ; mais il est vrai que j’enseigne en terminale, et que les difficultés se situent essentiellement à l’échelle du collège, du fait de l’obligation scolaire. Comme beaucoup de collègues, j’ai cependant constaté comment une forme de conditionnement religieux pouvait organiser chez des élèves une défiance de principe à l’égard de l’école de la République. Cette attitude est manifeste quand on aborde l’histoire, la biologie et la philosophie.

Le professeur de philosophie est réputé susceptible de chercher à propager l’athéisme. En abordant des points d’enseignements qui peuvent paraître anodins, vous voyez surgir chez vos élèves des réflexes conditionnés. Dans un sondage récent de l’Ifop, 40 % des professeurs déclarent qu’ils s’autocensurent. Ils savent que, s’ils sont accusés d’islamophobie, l’institution ne les soutiendra pas. La consigne du « pas de vague » fait des ravages. L’idée « d’islamophobie » a fait son œuvre. Beaucoup de professeurs préfèrent baisser les yeux face aux intimidations religieuses.

La liberté d’expression est-elle en recul en France ?

Indéniablement, elle l’est, et elle le sera de plus en plus par la peur qu’installent ces attentats répétés. On ne pensait pas qu’un jour quelqu’un puisse mourir en enseignant. Mais le plus inquiétant est que cette liberté d’expression recule aussi à cause de nos propres règles et lois. Anastasia Colosimo l’a très bien démontré dans son livre Les Bûchers de la liberté en soulignant comment nous avions déstabilisé la belle architecture de la loi de 1881 sur la liberté de la presse.

Depuis 1972, étape par étape, une succession de textes, comme la loi Taubira sur la mémoire de l’esclavage, a démantelé cette liberté. Au motif de la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et le négationnisme, on a multiplié les corsets et les restrictions. Aujourd’hui, ces belles intentions se retournent contre nous. L’accusation d’islamophobie est une manière de rétablir le délit de blasphème. L’université al-Azhar, autorité suprême de l’islam sunnite, juste après la mort de Samuel Paty, tout en feignant de regretter cet attentat, rappelle son souhait de voir s’instaurer une régulation mondiale afin « d’incriminer la diffamation des religions ». L’islamisme reprend le vocabulaire de l’antiracisme pour s’en prendre à notre liberté ! Je suis sidéré, le mot est faible, que l’on veuille ressusciter en France la loi Avia dite contre la haine, qui voulait pénaliser explicitement les propos islamophobes. Le cours de Samuel Paty aurait pu tomber sous le coup de cette loi ! Elle aurait été utilisée pour instruire les accusations contre lui.

Comment proposer comme remède une loi qui restreint la liberté d’expression et n’est rien d’autre qu’un acte de complaisance à la censure que l’islamisme essaie de nous imposer ? Cette loi Avia a été censurée par le Conseil constitutionnel au motif qu’elle enfreignait la liberté d’expression, et certains beaux esprits maintenant proposent de modifier la Constitution pour mettre en place ce nouveau carcan ! Cela reviendrait à pénaliser la jeune Mila, Zineb El Rhazoui, Samuel Paty… Critiquer une religion n’a rien à voir avec le racisme. Mettre le doigt dans cet engrenage, c’est renoncer à notre liberté de penser.

Vous qui ne faites pas mystère de votre foi catholique, craignez-vous une stigmatisation des croyants ?

C’est un risque et une inquiétude, en effet. On ferait une erreur en parlant des religions de façon générale, comme si elles posaient un problème global. Le concept de laïcité est né du christianisme, et on ne pourra lui donner sa pleine validité qu’en reconnaissant nos racines chrétiennes. En réalité, notre problème, c’est la rencontre de l’islam avec un monde pétri de christianisme. Notre défi majeur est de lutter contre l’islamisme en associant à ce combat une grande partie des musulmans paisibles qui cherchent à vivre leur foi en étant respectueux de nos lois. C’est pour cela qu’il faut respecter notre liberté d’expression.