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Cinq Mars : quelques réflexions sur la démocratie

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Que faire de celui qui ne pense pas comme moi ?

Les hommes pensent librement, et vivent en société. De ces deux constats, on peut déduire qu’un jour, forcément, je vais croiser quelqu’un dont l’opinion sera différente de la mienne.

La politique consiste à traiter ces désaccords inévitables de telle façon qu’ils ne dissolvent pas la société. Toutes les formes politiques possibles peuvent être ramenées à deux grands types de solutions : soit je cherche à supprimer l’opinion divergente par la force, soit je veux créer les conditions d’un dialogue équitable avec elle. La première solution, c’est la loi du plus fort. Réponse primitive, instinctive, presque animale, elle prend parfois, nous le savons, des formes sophistiquées, et nos sociétés européennes ont été capables au siècle dernier de la décliner avec un raffinement atroce. Mais quelle que soit sa forme, c’est toujours le même réflexe qui demeure : la divergence m’insupporte, je refuse de la considérer, il me faut donc la supprimer.

La seconde voie est plus difficile, plus élaborée, plus civilisée : elle suppose la patience de la rencontre. Elle ne définit plus la politique comme l’exercice d’une violence plus ou moins masquée, mais comme l’organisation d’une discussion rationnelle autour des conceptions divergentes de la justice. La loi juste est alors le résultat, non de la victoire du plus fort, mais de cette recherche formalisée par une vie institutionnelle destinée à permettre et à protéger l’expression de tous. Cette seconde réponse requiert une forme d’humilité de la part de l’individu qui se sait précédé par ce qu’il recherche, et qui dépasse sa seule opinion personnelle.

Malgré l’infinité de nuances possibles, la question qui nous est posée est toujours identique : que faire de celui qui ne pense pas comme moi ? Suis-je prêt à prendre le risque d’un vrai dialogue, ou me suffit-il d’être le plus fort ? Guerre ou paix, force ou respect, violence ou démocratie ?

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Ce dernier mot, la démocratie, est l’incantation préférée de notre époque ; elle semble être pour notre société un horizon indépassable. Et pourtant…

Il y a quelques jours, le sénateur Jean-Pierre Michel, rapporteur du projet de loi sur le mariage des personnes de même sexe, auditionnait le philosophe Thibault Collin. Au détour d’une réponse, le parlementaire lâche cette réflexion, qui, dans un pays attaché à la démocratie, aurait du faire l’effet d’une bombe :

« Pour moi, ce qui est juste, c’est ce que dit la loi. Et la loi, elle se réfère à un rapport de forces à un moment donné, et point final. »


Jean-Pierre Michel : »le fondement du juste, c… par Le_Salon_Beige

M. Michel précise qu’il s’agit là d’une conception marxiste – on pourrait le discuter. Ce qui est certain en revanche, c’est qu’il ne s’agit en rien d’une conception démocratique de la loi. Bien au contraire : la loi devient démocratique précisément quand le rapport de forces est remplacé par l’équilibre des institutions. Cet équilibre n’est jamais parfait ; évidemment, il n’enlève à aucune majorité la tentation d’abuser de son pouvoir. Mais un pays n’est libre qu’autant qu’il conserve pour étalon les règles formelles de la démocratie qui encadrent sa vie politique. (1)

Nos gouvernants semblent perdre de vue ces équilibres fragiles. Ils discréditent chaque jour un peu plus le fonctionnement de la démocratie parlementaire, en favorisant des logiques de conflit qui ne demandent qu’à resurgir derrière nos mœurs policées.

Par le vote de l’amnistie des syndicalistes coupables de violences, le Sénat contourne le fonctionnement normal de l’institution judiciaire, qui applique la loi de façon démocratique en mettant en balance les actes et les circonstances, la divergence des points de vue qui s’expriment dans l’arène judiciaire.

Au même moment, il ferme la porte à ceux qui voulaient jouer sincèrement le jeu de la démocratie parlementaire. Le sénateur Jean-Pierre Michel se vante de refuser d’entendre des centaines de milliers de citoyens, qui se sont pourtant exprimés par tous les moyens institutionnels possibles, et il les empêche d’accéder à l’un des lieux de dialogue prévu pour eux par la République. Quel est son motif ? Il n’est pas d’accord avec eux. Et puisqu’il est le plus fort, cohérent avec sa logique « marxiste », il leur adresse, en une longue page d’arguments vides, de suffisance pénible et de fautes d’orthographe, une fin de non-recevoir qui voudrait ressembler à une gifle publique.

Je ne crois pas que le brave sénateur Michel soit hostile aux institutions démocratiques. Elles le rémunèrent depuis trente ans, comment pourrait-il leur vouloir du mal ? Je crains en revanche qu’il ne mesure pas exactement ce qu’il est en train de faire, ou de dire. Qu’il ne comprend pas lui-même la portée de la réponse qu’il adresse à la question politique ultime : que faire de celui qui ne pense pas comme moi ?

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Une société n’évolue pas toujours dans le bon sens, je l’écrivais ici il y a quelques semaines. Nous serions avisés de nous en souvenir. Pour cela, les coïncidences de date peuvent être utiles ; et la date d’aujourd’hui, 5 mars, me semble particulièrement significative.

Le 5 mars 2013, sur Twitter, M. Michel est assimilé à Staline pour sa lettre fort peu démocratique. Contre toute attente, il en profite… pour réhabiliter Staline.

Tweet JP Michel

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Premier constat, la culture historique de notre sénateur socialiste semble à peu près aussi approximative que son orthographe. Ce serait assez risible, si ce n’était aussi grave. A un certain niveau de responsabilité, l’ignorance poussée aussi loin est difficilement excusable…

Mais le plus important, c’est que M. Michel, au fond, ne fait rien d’autre que poursuivre sa logique. Face à la divergence, promouvoir le sectarisme : quand le premier pas est fait, le second est indolore. Eradiquer la contradiction après l’avoir copieusement insultée, en la traitant de réactionnaire, de sectaire, de fasciste, etc…, c’était précisément la tactique soviétique. Est-ce la politique que nous avons choisie ?

Décision du massacre de Katyn

Décision du massacre de Katyn, signée par Staline le 5 mars 1940

Le 5 mars 1940, justement, Joseph Staline signait l’acte d’exécution des massacres de Katyn – au nom de cette même logique historique qui guide aujourd’hui la bonne conscience de M. Michel. Après avoir livré 40 000 prisonniers de guerre aux nazis (signalons ici à notre brillant sénateur à quel point le pacte germano-soviétique aida à la victoire contre Hitler…), le Petit Père des Peuples envoyait à la fosse commune, d’un trait de plume sans repentir, 25 700 polonais coupables de n’avoir pas de place dans la société du progrès.

Le 5 mars 1953, lorsqu’il meurt, Joseph Staline laisse un bilan estimé aujourd’hui par la plupart des historiens à plus de 20 millions de morts. (Parmi eux, faut-il le rappeler, des dizaines de milliers d’homosexuels condamnés et déportés au nom de leur orientation sexuelle…)

Comment expliquer alors que personne ne se révolte lorsque M. Michel, sénateur maire, vice président de la commission des lois du Sénat, revendique une conception marxiste de la loi ? Lorsque, parlant de Staline, il vante ses mérites et plaisante sur sa moustache ? Comment comprendre que personne ou presque n’ait réagi ? Faut-il en déduire que ce dont nous sommes les plus fiers – notre conscience démocratique, notre exigence de mémoire – sont en fait déjà anesthésiées, disparues ?

Coïncidence : le 5 mars 2013, France 2 diffusait un documentaire signé par Caroline Fourest à la gloire des Femen. Le film commence par une séquence étonnante, qui mérite quelques explications. On y voit l’une des Femen tronçonner, seins nus devant les caméras, une grande croix de bois qui domine la ville de Kiev. Son oeuvre accomplie, la jeune fille pose brièvement devant son trophée, explique avoir voulu libérer les femmes de l’oppression religieuse. Puis, les images étant dans la boîte, elle met fin à ce grand moment d’héroïsme en prenant ses jambes à son cou. On la retrouvera en France, pays des droits de l’homme, qui, non content de la protéger, assure la communication de ces hauts faits dans un documentaire financé par le service public et diffusé en prime time.

Il y a cependant un détail que le passage ne mentionne pas : cette grande croix abattue était en fait le mémorial des dizaines de milliers de victimes ukrainiennes… de Joseph Staline. Derrière l’acte de pseudo-résistance, c’est une vraie profanation, méthodique, glaçante, qui se déroule.

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En fait, rien de tout cela n’est incohérent. Derrière les intentions les plus fleuries se cache la réalité d’une conception de la politique. La question est toujours la même : que faire de celui qui ne pense pas comme moi ? L’écouter – ou le faire taire ? Dans la revendication du mariage homosexuel, par exemple, la générosité n’est pas toujours première ; le paradoxe est que certains, si prompts à dénoncer l’homophobie surtout où elle n’est pas, assument pourtant sans complexes d’agir par haine, ou par mépris.

Il y a là une pente glissante, d’autant plus glissante que faiblit la vigilance de notre mémoire collective. Il est temps de nous réveiller, de refaire ensemble un choix politique lucide et conscient – sans quoi nous risquons de n’ouvrir les yeux que trop tard, comme ce jeune condamné à mort dans un dernier mot de surprise douloureuse : « Mon Dieu ! Mais qu’est-ce que ce monde ? » Il s’appelait Henri d’Effiat, mais vous connaissez sans doute mieux son surnom : Cinq-Mars

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1 – Prise au mot, la définition proposée par le sénateur Michel impliquerait que n’importe quelle loi, comme produit d’un rapport de forces, soit juste. On voit bien l’abîme dans lequel nous plongerait une telle conception. J’y reviendrai un peu plus tard dans un prochain billet.

NB – A l’heure où je publie ce billet, j’apprends la mort de Hugo Chavez. Décidément, le 5 mars n’aura pas été un jour banal…

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Le choix à faire

En philosophie, rien ne mérite plus de reconnaissance que la générosité intellectuelle qui consiste à aller jusqu’au bout de sa propre pensée. C’est la cohérence d’une idée avancée jusque dans ses conséquences ultimes qui permet en effet d’en discerner le bien-fondé – ou l’inverse. Mais peu d’esprits en sont capables ; on reconnaît une idée à moitié convaincante au fait qu’elle trouve toujours de bonnes raisons de s’arrêter sur le seuil de son propre développement.

En ce sens, il faut dire un immense merci à Pierre Bergé. Voilà un homme honnête et franc, qui va jusqu’au bout de la vision du monde qu’il défend. Participant hier à la manifestation pour l’égalité, il n’a pas hésité à expliciter les conséquences nécessaires de cette revendication. Conséquences logiques, à la vérité…

Exiger l’égalité, c’est affirmer que « tous ceux qui s’aiment » (selon la formule de la pétition du PS, d’une généralité déconcertante) doivent se voir reconnaître le droit d’avoir des enfants. Fort bien. Le droit à l’enfant est donc acté, et prétendre le contraire serait une supercherie malhonnête.

Pour que ce droit soit effectif, l’adoption, on le sait très bien, ne suffira pas ; ne serait-ce d’ailleurs que parce que, comme d’autres exemples l’ont montré, la plupart des pays avec lesquels nous entretenons des conventions d’adoption n’acceptent pas d’envoyer des enfants dans des couples de même sexe, et rompront donc ces conventions.

Il faudra donc produire des enfants pour satisfaire ce droit. Admettons-le ; là encore, promouvoir le fait et s’émouvoir des termes n’aurait pas de sens.

Mais comment faire ? Pour les femmes, c’est techniquement assez simple : la procréation médicalement assistée, qui jusque là servait uniquement de palliatif à l’infécondité accidentelle de couples hétérosexuels, sera généralisée pour suppléer à l’infécondité de fait de l’union homosexuelle.

Et pour les hommes ? L’égalité ne sera pas complète tant qu’une solution ne leur aura pas été ouverte… Et cette solution ne peut passer que par la gestation pour autrui. Autrement dit, la possibilité ouverte aux hommes de salarier une femme pour porter l’enfant désiré.

Tout cela est d’une imparable logique ; admettre le premier principe du raisonnement, l’exigence d’une égalité absolue dans les faits de tous les couples, revient à en accepter ces conséquences. Ce qu’a fait Pierre Bergé avec une remarquable clarté :

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« Nous ne pouvons pas faire de distinction dans les droits, que ce soit la PMA, la GPA ou l’adoption. Moi, je suis pour toutes les libertés. Louer son ventre pour faire un enfant ou louer ses bras pour travailler à l’usine, quelle différence ? »

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Un immense merci à Pierre Bergé, donc, qui d’un seul coup met en évidence ce que tant d’autres, militants et politiques, cherchaient à dissimuler par de pénibles subterfuges : oui, ce projet de loi entraîne des implications majeures. Et oui, ce projet de société est bien, dans son principe, un projet ultralibéral.*

Affirmer, au nom de « toutes les libertés », que rien ne doit être placé au-dessus du désir individuel, c’est entrer dans un monde où la loi s’interdit de réguler l’économie consumériste qui, tôt ou tard, doit investir tous les champs de l’existence humaine. Tout peut devenir objet d’une relation commerciale : plus seulement nos relations professionnelles, mais nos relations amoureuses ; plus seulement nos entreprises, mais nos familles ; plus seulement notre travail, mais nos corps. Tout se vend, tout s’achète, tout se loue : l’amour, le sexe, la vie.

La totalisation de l’économie s’exprime par le fait qu’il n’y a plus de barrières, plus de différence. Aujourd’hui, notre droit reconnaît, par exemple, que le corps humain n’est pas une matière comme une autre : on ne peut en disposer comme d’un bien de consommation. C’est au titre de cette indisponibilité du corps humain qu’il est interdit, par exemple, de vendre un organe.

A cette limite, Pierre Bergé répond par une simple question : en fait, « quelle différence ? » Quelle différence entre la marchandisation d’un corps ou de tout autre bien matériel ? Le propre de cette vision du monde, c’est l’indifférenciation. Produire un objet par le travail de ses mains ou louer son corps, c’est la même chose : c’est simplement de l’économie. « C’est faire une différence qui serait choquant », ajoute même Pierre Bergé : les différences sont scandaleuses, elles doivent être effacées, toujours au nom d’une égalité factice. C’est la même vision, au fond, qui nous rend insupportables bien d’autres distinctions, à commencer par la différence entre l’homme et la femme, entre le couple homosexuel et hétérosexuel. Et c’est la même tentative d’uniformisation rageuse qui inspire une laïcité détournée de son sens, triste revendication qui ne s’estimera satisfaite que quand l’homme ne reconnaîtra plus rien, et surtout pas lui-même, comme sacré…

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Rencontrer une pensée assumée jusqu’au bout permet de faire un vrai choix entre les visions du monde qui s’offrent à nous. Dans quelle société voulons-nous vivre demain ? Voulons-nous d’un monde où tout sera mesuré par l’économie du désir individuel, un monde où tout a un prix de marché parce que plus rien n’a, en soi, de valeur ? Ou bien accepterons-nous que la loi ait pour fonction de fixer des bornes au pouvoir que les hommes ont les uns sur les autres, à la pression de la force sur le faible, et de l’argent sur le pauvre ?

Préférons-nous un monde où l’enfant se marchande, plutôt qu’un monde où il se reçoit ? Prenons garde que, dans une société où les ventres se louent, ne se donne plus une vie vraiment humaine…

Militer pour que la GPA me permette enfin d’obtenir « un enfant si je veux, un enfant quand je veux », c’est faire apparaître l’individualisme auquel finira par aboutir la rhétorique de l’égalité. Ce n’est pas un projet altruiste, non, c’est une vision marchande fondée sur l’ivresse du pouvoir de la technique et de l’argent, que rien ne doit plus limiter. Il faut que tout s’achète, pour que je sois enfin tout-puissant. A cet égard, il n’est malheureusement pas insignifiant que l’un des premiers à appeler au commerce des utérus soit un milliardaire de sexe masculin.

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Je conclus cette brève réflexion par deux remarques.

Le propos de Pierre Bergé est l’occasion d’une intéressante mise en perspective. On cherche souvent à discréditer l’opposition au mariage homosexuel en soulignant que ce sont les mêmes qui, hier, s’opposaient au PACS. La critique, me semble-t-il, vaudrait plutôt en sens inverse. J’ai reproduit ici le discours de Mme Guigou, qui expliquait il y a une dizaine d’années qu’elle ne soutiendrait jamais le mariage homosexuel. Où est-elle aujourd’hui ? Où sont les dizaines de parlementaires de gauche qui applaudissaient lorsqu’elle rappelait le droit de tout enfant à avoir un père et une mère ? Evanouis dans la nature. Tétanisés, sans doute, par la peur de n’avoir pas l’air assez branchés. Disparus. De fait, ce sont les mêmes qui jurent aujourd’hui leurs grands dieux que la GPA ne se fera jamais ! Au sujet de la PMA, François Hollande a eu cette expression éloquente : « J’y suis opposé à ce stade. » A ce stade, c’est-à-dire jusqu’à quand ? Jusqu’à une prochaine « évolution de la société ? » Quelle crédibilité ont encore ces élus qui n’ont cessé de se rallier à ce qu’ils avaient dénoncé ? Je préfère au moins la loyale cohérence du propos de Pierre Bergé : elle a le mérite d’annoncer déjà la couleur. (La première surprise passée, il a d’ailleurs rapidement été rejoint par quelques éditorialistes en vue, qui déballent déjà l’attirail usé des mauvais arguments et des vraies insultes pour commencer d’imposer le « droit » à la GPA. L’étape suivante est donc bien en route…)

Ma deuxième remarque est pour tous mes amis qui soutiennent le projet du mariage pour tous, en toute bonne foi et animés par une belle et vraie générosité. Je pense en particulier à mes amis de gauche, du PS ou du Front de gauche, camarades de prépa ou d’école. Les amis, votre engagement d’aujourd’hui suscite en moi autant d’incompréhension que de tristesse. Comment ne discernez-vous pas l’inspiration ultralibérale de ce projet ? Comment ne pas voir qu’il porte en germe la disparition de la loi commune derrière le droit du plus fort, de la figure du citoyen derrière celle du consommateur, de la société politique derrière l’universel marché ? Comment ne pas comprendre que ce projet va contre l’idée même de République, que vous défendez si courageusement par ailleurs ? Engageons-nous ensemble pour le respect de tous ; mais ne laissons pas voler ce combat par ce détournement qui laisserait le marché libre et l’idéologie technique confisquer l’essentiel de nos vies…

Je l’avais déjà écrit, il y a plusieurs mois, et je comprends que vous ne m’ayez pas cru ; mais j’espère au moins que vous entendrez Pierre Bergé. Deux visions se rencontrent, deux projets antagonistes : il faut choisir. Ne vous laissez pas abuser, le réveil serait douloureux…

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(*On a critiqué précédemment l’usage du terme ultralibéralisme comme trop vague. Pour le préciser d’une façon encore trop approximative, j’entends ici par ultralibéralisme un projet politique qui entre en conflit avec la loi au nom du désir de l’individu, sans reconnaissance de sa responsabilité – corollaire nécessaire de tout libéralisme authentique.)

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Mille jeunes s’engagent pour la famille

Ce matin, avec mille jeunes, je signe dans Libération un appel aux parlementaires sur la question du mariage. Un projet important, à retrouver en ligne sur le site generationjusticepourtous.fr (lien vers le compte twitter dédié). Rendez-vous dans vos kiosques aujourd’hui !

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Nous avons moins de trente ans. C’est nous qui hériterons de l’avenir que vous préparez aujourd’hui. Or vous serez bientôt conduits à vous prononcer sur l’évolution du mariage, et votre décision comptera pour dessiner cet avenir ; aussi avons-nous notre mot à dire.

Vous pensez peut-être que l’ouverture du mariage aux personnes de même sexe n’est pas d’une grande importance, et que d’autres sujets sérieux pourraient nous préoccuper. Nous sommes nés dans un monde en crise, et cette crise devrait être l’unique sujet d’inquiétude de notre génération. Mais nous pensons justement que la question du mariage en est l’un des aspects majeurs. C’est cette inquiétude qui nous pousse à parler aujourd’hui, et elle seule : nous refusons une réforme qui ne pourra qu’aggraver la précarité des équilibres sociaux, et dont les plus jeunes seront les premières victimes.

Toutes les formes de la crise que nous traversons sont le résultat d’une même rupture. Au nom du progrès et de la consommation conquérante, l’individualisme de nos sociétés occidentales a partout produit l’affaiblissement des repères fondamentaux. Il y a trente ans, dans le monde de l’économie, appeler à la mesure dans la consommation ou au respect de la nature vous valait d’être considéré comme un rétrograde ou un marginal. Aujourd’hui, c’est une nouvelle forme de dérégulation qui s’annonce, cette fois-ci en matière de droit de la famille : une petite minorité, munie des armes classiques du lobbying politique et médiatique, martèle que la structure ancestrale de la famille, fondée sur l’alliance complémentaire d’un homme et d’une femme, doit être dépassée. Elle exige, sous prétexte de « progressisme », qu’on adapte la définition de la famille à la mesure de son désir, qu’elle prétend, à tort, partagé par toutes les personnes homosexuelles. Et qu’on lui cède, sans discussion, des enfants adoptés, ou fabriqués pour l’occasion s’il venait à en manquer.

Les voix qui alertent ne manquent pas. Des juristes, qui appellent à la prudence avant de bouleverser le socle même du droit de la famille et de la filiation. Des associations d’enfants adoptés, qui, avec les psychologues et les pédopsychiatres, s’inquiètent des conséquences sur les enfants. Des psychanalystes, qui rappellent combien la différence des sexes est nécessaire à la construction des personnalités et des sociétés. Tout cela est balayé d’un revers de main : ceux qui doutent de cette réforme sont taxés en bloc de passéisme. Et pourtant, les rétrogrades ne sont pas où l’on croit : au nom des vieilles revendications d’une idéologie dépassée, certains voudraient refuser un débat nécessaire, et écarter ces voix qui pointent le risque pour les générations futures – pour notre avenir ! Mais comment accepter que le principe de précaution s’applique pour la défense de l’environnement, et non lorsqu’il s’agit de nos enfants ?

Nous ne parlons au nom d’aucun conservatisme, d’aucune haine. Nous serons les premiers à le rappeler, toute personne doit être absolument respectée dans sa dignité ; et nous espérons que notre jeunesse saura toujours se révolter contre le mépris, l’intolérance et la discrimination. L’injustice est scandaleuse quand elle touche les personnes homosexuelles ; mais elle ne l’est pas moins quand elle atteint les enfants. Affirmer que la société doit offrir à chaque jeune, autant qu’il est possible, de grandir avec un père et une mère ; que  c’est le bien des plus petits qui doit être notre première préoccupation ; que le droit ne peut réinventer les liens de filiation pour satisfaire le désir des adultes – rien de tout cela n’est homophobe !

Nous voulons parler pour les plus vulnérables d’entre nous. Les jeunes, dans notre pays, sont touchés de plein fouet par la précarité ; comme partout, quand la crise frappe, c’est vers leur famille qu’ils se tournent. Dans les années d’épreuve qui s’annoncent pour notre génération, dans l’instabilité du monde qui vient, nous aurons plus que jamais besoin de la stabilité des repères familiaux. Le bouleversement que susciteraient ces filiations artificielles, séparées de la complémentarité des sexes, fragiliserait définitivement la structure la plus nécessaire. Le mariage pour tous, c’est, en fin de compte, la famille pour personne. C’est le législateur qui fuit son rôle, parce qu’il abandonne, au nom d’un faux progrès, la norme et le bien communs. C’est la République qui perd du terrain, au profit de l’individualisme consumériste et du communautarisme identitaire. Et quand le terrain perdu est celui de la famille, alors, le perdant, c’est l’enfant. Nous ne pouvons prendre ce risque ; nous comptons sur vous !

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Droits des femmes : chercher l’égalité, ou l’uniformité ?

Aujourd’hui se tenait la réunion du Comité Interministériel sur les Droits des Femmes : bonne nouvelle. Il y a des comités par dizaines, mais quand par extraordinaire il s’en réunit un sur un vrai sujet, on ne peut que s’en réjouir. Dans notre société, trop d’injustices réelles pèsent encore sur les femmes, sur les mères en particulier, si souvent abandonnées à une responsabilité qu’elles portent seules pour le bien de tous.

Sur ce point, parmi d’autres, il y a urgence : toutes les associations de lutte contre l’exclusion constatent que la grande pauvreté, qui augmente dans notre pays, touche de plus en plus majoritairement les femmes, contraintes d’assumer seules la charge d’une famille. Seules, à cause de la fragilité des unions et, il faut bien l’admettre, à cause de ce qui ressemble à un égoïsme mieux partagé par les hommes…

J’ai donc lu avec attention le document issu de la réunion de ce comité. J’imaginais y trouver des mesures d’accompagnement pour ces mères en difficulté qui n’arrivent plus à joindre les deux bouts, pour qui l’alimentation et la santé ne sont même plus accessibles ; je pensais lire des pistes concrètes pour permettre aux femmes de faire des choix vraiment libres, sans avoir à les payer si cher. Je m’attendais à un projet de valorisation de la place des femmes dans la société, seule voie qui puisse montrer que la parité est nécessaire à l’expression de nos différences.

Hélas, j’ai rapidement du reconnaître ma méprise : au lieu de ces mesures urgentes, consistantes, je suis tombé sur un texte militant pour la théorie du genre… Ce n’est pas difficile à reconnaître, tous les ingrédients y sont.

Cela commence par un travail de culpabilisation en bonne et due forme. Vous êtes tous sexistes, sans le savoir. Oui, vous. Toi, là, qui me lis, tu es un infâme sexiste. – Et que tu sois une femme n’y change rien, cela ne fait qu’aggraver ton cas. – Oui, vous me lisez bien : nous véhiculons malgré nous des jugements sexistes, c’est-à-dire que nous partageons, consciemment ou non, un même mépris condamnable de la condition féminine. Pécheurs avant d’avoir voulu pécher : voilà une stratégie de culpabilisation que le Nietzsche de la Généalogie de la Morale aurait reconnue à sa juste valeur.

La solution s’impose en effet tout naturellement : laissez-vous rééduquer. Mme Vallaud-Belkacem a commencé par rééduquer ses collègues du gouvernement, maintenant c’est à votre tour. Ou plutôt non, vous, vous êtes sans doute déjà périmé, perdu pour la cause. Ils vont donc s’occuper de vos enfants.

Commence alors le plus formidable projet de détournement de la mission de l’Education nationale qu’on puisse imaginer. De la maternelle à l’Université, inculquer les postulats du gender devient une priorité absolue : sensibilisation à l’égalité au primaire, au collège, au lycée (le terme sensibilisation revient 32 fois dans ce compte rendu), cours sur le genre dans tout l’enseignement supérieur, financement des recherches sur le genre, formation à l’égalité de genre pour les profs (les pires coupables d’ailleurs, mais ça, ils finissent par avoir l’habitude). Bref, à l’école on n’apprend toujours pas à lire correctement, mais au moins on va « réapprendre une autre société. » Une école qui rééduque avant  même d’éduquer : tout un programme…

Pourquoi est-ce grave ? Parce que l’école, et tous les moyens de l’Etat, se trouvent mis au service de cette thèse très particulière qu’est la théorie du genre. Elle consiste à affirmer que l’homme et la femme sont, non pas égaux, mais identiques. Il n’y a pas entre eux de différences ; ou plutôt, toute différence doit être immédiatement dénoncée comme le résultat d’un « stéréotype sexiste », ces fameux préjugés du « sexisme d’habitude » que dénonce Mme Vallaud-Belkacem. Le gouvernement ne lutte pas pour l’égalité, mais pour l’uniformité. Ce faisant, au lieu de servir la liberté réelle des femmes, il les enferme dans un nouveau carcan.

La théorie du genre peut être, comme toute théorie, stimulante, intéressante, et discutable. En faire un dogme incontesté, c’est d’abord une supercherie intellectuelle ; mais la convertir en programme politique, c’est surtout prendre le risque d’une gigantesque régression pour les droits des femmes elles-mêmes. Demain, le service public d’orientation que le gouvernement prépare jettera le soupçon sur une jeune fille qui souhaiterait s’engager dans le secteur médical ou social, en expliquant publiquement que son désir repose sur des réflexes sexistes. Pour Mme Vallaud-Belkacem, le but n’est pas de faire en sorte que chacun puisse faire un choix vraiment personnel ; le but, c’est que l’Etat organise une société où il y ait 50% d’hommes chez les sages-femmes, et 50% de femmes chez les maçons. Invitée sur un plateau télé il y a quinze jours, notre ministre du droit des femmes a offert à la journaliste qui la recevait, jeune maman d’une petite fille, un jeu de bricolage en guise de cadeau pour son enfant : qu’elle ne s’avise pas de jouer à la poupée ! Il faut être ferme, n’est-ce pas : c’est comme ça qu’on prépare les maçon(ne)s de demain.

Il est triste de voir ce gouvernement asservi à la théorie du genre, pourtant restée marginale dans la communauté scientifique elle-même. Triste de voir autant de moyens déployés au service d’un projet aussi oppressant. La « société de l’égalité » qu’on nous promet, c’est en effet la société uniforme de l’universel quota. C’est aussi l’obligation faite aux femmes d’entrer dans la stupide course aux pouvoirs superficiels de l’argent et de la politique – puisque y renoncer serait une défaite devant les « stéréotypes. » C’est, au fond, l’alignement de la féminité (encore un mot condamné) sur ce qu’il y a de pire dans l’instinct machiste : faire carrière à tout prix, et même, par exemple, au prix d’une voie singulière vers le bonheur.

Bien sûr, il faut qu’une femme puisse faire carrière si elle le veut, exercer des responsabilités, trouver sa place dans le domaine qui l’attire. Et l’école doit se battre pour cela. Je refuse catégoriquement d’être considéré comme un sexiste qui s’ignore, moi qui travaille chaque jour, avec mes 852 906 collègues, pour aider des jeunes, garçons ou filles, à préparer leur avenir. Mais l’école ne peut offrir la même chance à tous qu’en assumant plus efficacement sa seule véritable mission : transmettre la connaissance. Tout ce que l’on ajoutera à cette unique vocation sera, au mieux, de la communication sans effet ; au pire, un détournement du service public à des fins partisanes, fussent-elles camouflées derrière les meilleures intentions du monde.

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La boussole ou la girouette

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Le site de l’hebdomadaire La Vie a diffusé samedi une esquisse du projet de loi visant à ouvrir le mariage et l’adoption aux couples homosexuels. Ce texte, et l’exposé des motifs qui l’accompagne, méritent une attention approfondie, et j’y reviendrai dès que possible.

En attendant, puisque le temps me manque, je voudrais reproduire ici un discours qui me semble réunir quelques principes essentiels sur cette question : il s’agit du discours d’Elisabeth Guigou, alors Garde des Sceaux, défendant le projet du PACS à l’Assemblée nationale, il y a quelques années seulement.

Si je laisse la place à une parole peut-être inattendue ici, ce n’est pas par goût du paradoxe ou de la provocation.

Ce n’est pas seulement parce que ce texte me semble juste, dans le contenu comme dans le ton, et que pour cette seule raison il mérite d’être lu, et largement diffusé.

C’est aussi pour pointer du doigt ce qui pourrait bien être une nouvelle preuve de l’instabilité effrayante des positions de nos responsables politiques, gouvernants ou législateurs, sur des sujets pourtant déterminants. On invoquera encore l’« évolution de notre société », pour se faire pardonner d’obéir à l’esprit du temps. Mais cette versatilité est en réalité profondément angoissante, qui pourrait finir par excuser n’importe quoi. Nous le savons, une société, hélas, n’évolue pas toujours dans le bon sens ; et de ce fait, il me semble que le rôle d’un parlementaire est d’abord de proposer un discours construit, stable, qui puisse servir de repère. Si demain, par exemple, le racisme gagnait massivement du terrain dans notre pays, j’espère que des responsables politiques courageux oseraient encore s’élever, fût-ce contre l’opinion majoritaire, face à ce qui restera toujours un scandale objectif.

Sur la question du mariage, de la famille, de l’adoption, nous avons particulièrement besoin de cette vision forte et cohérente. Mme Guigou parlait du rôle structurant de la famille, de la reconnaissance de l’altérité sexuelle, du droit de l’enfant à grandir auprès d’un père et d’une mère. Voilà des repères anthropologiques qui, s’ils sont fondés – et j’y reviendrai – ne sauraient varier avec « l’évolution de la société ».

Je n’ose imaginer qu’une responsable politique comme Mme Guigou ait évoqué ces convictions majeures, à l’ouverture d’un débat parlementaire important, sans les avoir longuement mûries et réfléchies ; et c’est donc tout naturellement que j’espère qu’elle les défendra de nouveau, avec tous les parlementaires de gauche qui l’applaudissaient alors, dans le débat qui s’ouvre maintenant.

Ce n’est pas seulement la question du mariage qui est en jeu, mais aussi la cohérence et la crédibilité de nos responsables politiques. Dans une période plus heurtée et plus instable que jamais, ils ont un choix à faire : être des boussoles, ou des girouettes. Espérons qu’ils sauront garder le cap magnétique de leur conscience, plutôt que de céder à toutes les bourrasques qui s’annoncent…

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COMPTE RENDU ANALYTIQUE OFFICIEL

SÉANCE DU MARDI 3 NOVEMBRE 1998

Mme Elisabeth Guigou, Garde des sceaux, ministre de la justice Aujourd’hui, de même que le 9 octobre dernier, le Gouvernement soutient la proposition de loi sur le pacte civil de solidarité qui permet à deux personnes d’organiser leur vie commune dans la clarté et la dignité. (…)

Pourquoi avoir dissocié le pacte de la famille ?

Une famille ce n’est pas simplement deux individus qui contractent pour organiser leur vie commune. C’est l’articulation et l’institutionnalisation de la différence des sexes. C’est la construction des rapports entre les générations qui nous précèdent et celles qui vont nous suivre. C’est aussi la promesse et la venue de l’enfant, lequel nous inscrit dans une histoire qui n’a pas commencé avec nous et ne se terminera pas avec nous. (…)

Nous reconnaissons, sans discrimination aucune, une même valeur à l’engagement de ces deux personnes, hétérosexuelles ou homosexuelles. Il fallait trouver une formule qui traduise cet engagement et le gratifie de nouveaux droits.

Mais il fallait aussi bien marquer qu’au regard de l’enfant, couples homosexuels et hétérosexuels sont dans des situations différentes. La non-discrimination n’est pas l’indifférenciation. Le domaine dans lequel la différence entre hommes et femmes est fondatrice, et d’ailleurs constitutive de l’humanité, c’est bien celui de la filiation. Voilà pourquoi le PACS ne légifère pas sur l’enfant et la famille. Voilà pourquoi le pacte concerne le couple et lui seul (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Les opposants au PACS prétendent que celui-ci serait dangereux pour le mariage. Mais ce n’est pas le PACS qui est dangereux pour le mariage ! Celui-ci est en effet confronté depuis longtemps déjà aux évolutions de la société : crainte de s’engager pour la vie, peur d’évoluer différemment de l’autre, indépendance financière de plus en plus tardive, acceptation sociale de la cohabitation, volonté de ne pas faire sienne la famille de l’autre… mais malgré ces difficultés le mariage reste un idéal et a de beaux jours devant lui. (…)

Le pacte civil de solidarité serait en deuxième lieu dangereux pour la famille et pour la société !

Mais le choix a été fait de dissocier pacte et famille car lorsqu’on légifère sur la famille, on légifère aussi forcément sur l’enfant. (…)

En troisième lieu, certains s’inquiètent de ce que l’enfant serait oublié.

Notre société ne protège pas assez l’enfant et en même temps qu’elle proclame l’enfant roi, elle le soumet trop souvent au seul désir de l’adulte.

Un enfant a droit à un père et une mère, quel que soit le statut juridique du couple de ses parents. D’ailleurs aujourd’hui, la situation de l’enfant légitime qui vit avec ses deux parents est plus proche de la situation de l’enfant naturel qui vit lui aussi avec ses deux parents que de celle de l’enfant légitime de deux parents divorcés ou séparés (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe RCV). (…)

Enfin, certains ajoutent encore une menace : le pacte ne serait qu’une première étape vers le droit à la filiation pour les couples homosexuels !

Ceux qui le prétendent n’engagent qu’eux-mêmes. Le Gouvernement a, quant à lui, voulu que le pacte ne concerne pas la famille. Il n’aura donc pas d’effet sur la filiation.

Je veux être parfaitement claire : je reconnais totalement le droit de toute personne à avoir la vie sexuelle de son choix. Mais je dis avec la plus grande fermeté que ce droit ne doit pas être confondu avec un hypothétique droit à l’enfant (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste).

Un couple, hétérosexuel ou homosexuel, n’a pas de droit à avoir un enfant en-dehors de la procréation naturelle. Les lois récentes sur la procréation médicalement assistée ont tracé les limites du droit à l’enfant comme source de bonheur individuel en indiquant que les procréations médicalement assistées ont pour but de remédier à l’infertilité pathologique d’un couple composé d’un homme et d’une femme. Elles n’ont pas pour but de permettre des procréations de convenance sur la base d’un hypothétique droit à l’enfant (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste).

Je reconnais que des homosexuels doivent continuer à s’occuper des enfants qu’ils ont eus même s’ils vivent ensuite avec un ou une compagne du même sexe, car la paternité ou la maternité confère des obligations qui ne peuvent cesser (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe RCV).

Or c’est une chose de maintenir un lien de parenté déjà constitué entre parents et enfants, c’en est une toute autre de permettre, en vertu de la loi, l’établissement d’un lien ex nihilo entre un enfant et deux adultes homosexuels. Dans le premier cas, il s’agit d’une solution conforme à l’intérêt de l’enfant qui a le droit de conserver son père et sa mère lorsque ses parents se séparent. Dans le second, il s’agirait de créer de toutes pièces, par le droit, une mauvaise solution.

Pourquoi l’adoption par un couple homosexuel serait-elle une mauvaise solution ? Parce que le droit, lorsqu’il crée des filiations artificielles, ne peut ni ignorer, ni abolir, la différence entre les sexes.

Cette différence est constitutive de l’identité de l’enfant. Je soutiens comme de nombreux psychanalystes et psychiatres qu’un enfant a besoin d’avoir face à lui, pendant sa croissance, un modèle de l’altérité sexuelle. Un enfant adopté, déjà privé de sa famille d’origine, a d’autant plus besoin de stabilité sans que l’on crée pour lui, en vertu de la loi, une difficulté supplémentaire liée à son milieu d’adoption.

Mon refus de l’adoption pour des couples homosexuels est fondé sur l’intérêt de l’enfant et sur ses droits à avoir un milieu familial où il puisse épanouir sa personnalité (Applaudissements sur certains bancs du groupe socialiste). C’est ce point de vue que je prends en considération, et non le point de vue des couples, qu’ils soient hétérosexuels ou homosexuels.

Je n’ignore pas les procès d’intention sur un éventuel « après » de cette proposition de loi qui préparerait des évolutions plus fondamentales de notre droit. Ce texte serait « une valise à double fond ». Je m’élève avec la plus grande énergie contre de telles insinuations.

Ce vocabulaire de contrebande, qui fait croire que ce texte cacherait autre chose et que vos rapporteurs et le Gouvernement exerceraient une fraude à la loi, est inacceptable (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe RCV).

Bien au contraire, le débat que nous allons avoir doit être conduit en toute clarté et je souhaite y contribuer.

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Le texte intégral est disponible sur le site de l’Assemblée Nationale.

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