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La France doit dire ce qu’elle est

Entretien initialement paru dans L’Incorrect du mois de mars 2021.

Le projet de loi actuellement en discussion devait porter sur l’islamisme. Il prétend maintenant veiller au « respect des principes de la République » par toutes les religions, de peur de « stigmatiser » l’islam. Qu’en pensez-vous ?

Ce projet de loi est totalement décalé par rapport à l’enjeu. J’ai du mal à comprendre l’erreur de diagnostic et de solutions. Il y a une erreur de fond dans le fait de croire que le problème serait lié aux religions : le sujet, c’est la rencontre à haut risque de de l’islam avec la culture française et la civilisation européenne. De ce point de vue, la réponse ne peut d’ailleurs pas se trouver contenue dans une simple loi.

Le problème fondamental est intellectuel, spirituel, civilisationnel. Il consiste à savoir si nous voulons encore défendre, préserver et transmettre notre héritage. Cet héritage inclut une certaine manière de vivre, de voir le monde, une certaine conception de la relation entre l’homme et la femme, une certaine idée de la raison, une certaine organisation politique, et en elle l’idée de la laïcité, qui est en réalité une idée européenne, parce qu’elle est une idée chrétienne — le mot même de laïcité vient de la théologie chrétienne.

Vouloir s’en prendre de manière équivalente à toutes les religions, ou vouloir revenir aux débats internes à l’esprit européen quand il s’agissait de limiter l’emprise de la religion sur le pouvoir temporel, c’est commettre une erreur majeure. Aujourd’hui, le sujet n’est plus la distinction entre le temporel et le spirituel dans un monde chrétien ; c’est la préservation du modèle hérité de la tradition judéo-chrétienne face à la montée de la culture musulmane, elle-même liée à l’immigration massive. Il peut y avoir une évolution de la loi pour améliorer notre réponse sécuritaire ou judiciaire à court terme ; mais le point central, c’est de savoir comment nous serons capables de transmettre de nouveau la France à tous ceux qui grandissent dans notre pays, et dont beaucoup ne se reconnaissent pas de cet héritage.

Ne pourrait-on pas imaginer quelque chose sur le modèle de la convocation du Grand Sanhédrin par Napoléon en 1806 ?

L’État ne réformera pas l’islam. L’État n’organisera pas l’islam. Projeter cela, ce serait se méprendre sur la nature de cette religion, qui ne connaît pas une structuration semblable à celle de l’Eglise par exemple. Par ailleurs, il y aurait un abus de pouvoir dans l’idée que l’on va intervenir de l’extérieur dans le culte musulman : nous n’avons pas à dire ce qu’un musulman a le droit de croire ou de ne pas croire, ce qu’il doit penser ou ne pas penser. Sans compter que cet abus de pouvoir ne fonctionnera pas. Je l’ai vécu comme prof et comme élu local : la montée de la radicalité chez beaucoup de jeunes musulmans fait que les responsables qui s’accordent avec les institutions se trouvent de facto discrédités. Une immense majorité des croyants refuseront logiquement d’adhérer à des dogmes négociés avec l’Etat… Nous n’avons rien à gagner à entrer dans cette logique.

Ce serait aussi décalé que, par exemple, de vouloir proscrire la kippa dans l’espace public, comme le propose depuis longtemps Marine Le Pen. Il y a depuis quinze ans une montée de la pression islamiste dont les Français de confession juive sont directement les victimes, et à la fin, quand il faut y répondre, on dit : qu’ils enlèvent leur kippa ! C’est absurde !

Alors que doit-on faire ?

La seule chose que doit faire la France, c’est de dire ce qu’elle est et ce qu’elle ne négociera jamais. À partir de là, à chacun de juger s’il veut vivre dans notre pays. Oui, la France est le pays de la liberté de conscience, donc en France on a le droit d’être musulman – c’est une grande chance parce que dans les pays musulmans, on n’a pas toujours le droit d’être chrétien… Cela implique que la France est un pays où la parole est libre, avec les excès que cela peut entraîner. En France, il peut vous arriver de croiser une caricature qui heurte votre foi – je le dis comme un catholique à qui il est arrivé de se sentir parfois blessé par une caricature –, mais c‘est comme ça, c’est la France. À ceux qui trouvent ça trop pénible, à ceux qui sont trop fragiles pour le supporter, je dis qu’il y a des tas de pays dans lesquels ils seront sûrs de ne jamais voir une caricature du prophète, et qu’ils peuvent parfaitement choisir d’y vivre. Je ne peux le leur reprocher : choisissez un autre pays, une autre manière de vivre, et restons bons amis ! Mais si vous voulez vivre en France, vous devez épouser ce modèle.

Vous pensez qu’une majorité de jeunes musulmans est prête à l’accepter ?

Dans notre histoire, beaucoup de musulmans sont morts pour la France ; il n’y a aucune raison pour qu’un citoyen musulman se sente étranger à la France. Je crois profondément que beaucoup de jeunes issus de l’immigration sont prêts à estimer un pays qui s’estimerait lui-même. C’est pour cela que le vrai sujet est politique, au sens le plus fort du terme – non pas seulement sécuritaire, ou institutionnel… Au fond, il renvoie notre pays à sa propre incapacité à s’assumer et à se transmettre. Quand on élit un président de la République qui nous a dit qu’il n’y avait pas de culture française, il est évident que ça ne peut pas marcher. Vous ne pouvez pas intégrer et vous ne pouvez pas assimiler si vous partez du principe que votre pays n’a rien à proposer, qu’il n’a pas une culture à recevoir et à rejoindre.

L’islamisme des cités est d’ailleurs un adversaire idéologique d’une fragilité insigne. Il faut bien avoir conscience que la médiocrité et la superficialité de son discours ne se propagent qu’à proportion du vide que nous laissons derrière nous, quand nous refusons d’assumer ce que nous sommes et de le transmettre.

Vous dites : « On ne peut pas intégrer, on ne peut pas assimiler. » Ce n’est pas la même chose. Vous souhaitez intégrer ou assimiler ?

J’assume parfaitement l’idée de l’assimilation, un projet d’une immense générosité et qui est particulièrement français, parce que la France a toujours eu une relation particulière avec l’universel. La singularité paradoxale de la France est d’avoir toujours cru qu’elle pouvait s’adresser à tous. Le projet de l’assimilation est très français en ce sens qu’il signifie que d’où que vous veniez, quelle que soit votre histoire personnelle, si vous habitez en France, et a fortiori si vous souhaitez partager la nationalité française, vous pouvez être pleinement participant de cette histoire qui se prolonge à travers nous tous. On a fait de l’assimilation une sorte de tabou : Emmanuel Macron a récemment expliqué, dans l’Express, qu’il fallait supprimer du code civil la nécessité de “justifier de son assimilation à la communauté française” pour pouvoir être naturalisé. En réalité, comme l’a récemment montré Raphaël Doan, l’assimilation est l’exigence la plus antiraciste qui soit. Elle consiste à dire : vous n’avez pas besoin d’avoir les gênes d’une ethnie particulière pour être assimilé à la communauté de destin qui s’appelle la France. Évidemment, aujourd’hui, réussir le défi de l’assimilation suppose un préalable : mettre fin, de manière urgente, aux flux migratoires massifs qui rendent impossible la reconstitution de l’unité de la nation. Mais je crois malgré tout que le projet de l’assimilation, que la France a réussi dans son passé, comme le montrent ces Français qui le sont devenus “non par le sang reçu mais par le sang versé”, est plus nécessaire que jamais. On n’échappera pas à l’« archipellisation » de la France sans renouer avec ce projet.

Pour paraphraser de Gaulle, on peut assimiler des individus : pensez-vous que l’on puisse assimiler des peuples, et n’est-il pas déjà trop tard ? Et vous parlez de stopper les flux migratoires : est-ce qu’il faut simplement les stopper ou est-ce qu’il faut les inverser ?

Pour la première question, oui, on se demande s’il n’est pas déjà trop tard. Je l’assume sans difficulté. Cela étant dit, j’ai trente-cinq ans, je ne compte pas baisser les bras. Comme le dit Marc Aurèle : « Les batailles que je n’ai pas livrées, je me console trop facilement dans la certitude qu’elles étaient déjà perdues ». Je ne veux pas me résigner à la fracturation de la France dans une juxtaposition de communautés qui ne se connaissent plus de lien. Il me semble que la puissance de notre héritage peut encore susciter l’enthousiasme et l’adhésion.

J’ai enseigné dans des zones urbaines sensibles où il y avait 90% ou 95% de jeunes issus de l’immigration. Je n’ai jamais eu un élève qui m’ait dit : « Je ne veux pas de votre philosophie ethnocentriste, occidentale et néocoloniale ». Ça, c’étaient mes formateurs à l’IUFM qui me le disaient ! Mes élèves, quand je leur parlais de Platon et d’Aristote, étaient capables de s’y reconnaître. Quand vous arrivez devant des jeunes gens en leur disant que vous avez quelque chose à leur offrir qui vaut la peine d’être reçu, vous retrouvez en eux la soif infinie d’apprendre, et de rejoindre quelque chose de plus grand que nous qui mérite d’être partagé. Je ne nie pas qu’il y a une sorte de pari. Je ne suis pas optimiste de nature, mais je ne peux pas me résigner. Et je crois qu’il y a dans l’identité française quelque chose d’assez grand pour pouvoir surmonter la crise existentielle que nous traversons.

Pour réussir ce défi, et c’est votre deuxième question, commençons par mettre un terme aux flux migratoires qui continuent. Rappelons quand même que depuis quarante ans, on n’a jamais délivré autant de titres de séjour que depuis 2017. Je ne cesse de l’expliquer à bien des gens qui affirment qu’Emmanuel Macron mène une politique de droite. En 2019, c’est l’équivalent de la ville de Nantes qui s’est installé légalement en France, essentiellement d’ailleurs en provenance des pays du Maghreb et de la Turquie. Et je ne parle même pas de l’immigration illégale… C’est évidemment intenable.

Lorsque la région Île-de-France, durant le premier confinement, a mis en place un outil pour apprendre une langue étrangère en ligne, elle a eu la surprise de voir que la première langue demandée était le français, et de loin ! On ne peut pas continuer à accueillir quand on vit un tel échec de l’assimilation.

Votre famille politique, notamment sous le mandat de Nicolas Sarkozy, a accueilli elle aussi beaucoup de gens. Il y a même eu une explosion du nombre d’entrées. Il y a une prise de conscience au sein de LR ?

Je ne me suis pas engagé en politique parce que tout allait bien, et je ne me suis pas engagé à droite parce que la droite avait tout réussi. Je me suis engagé justement parce que je crois qu’il est nécessaire que cette prise de conscience puisse avoir lieu à l’intérieur de la droite. La grande fragilité de la droite aujourd’hui, sa fragilité politique et électorale, vient de la profonde déception de beaucoup d’électeurs qui lui reprochent de ne pas avoir tenu ses promesses. Pendant toute la campagne des élections européennes, j’ai entendu des gens me dire : « Ce que vous dites est très bien, mais on ne se fera pas avoir une nouvelle fois ». Il y a une corrélation très claire entre le fait que la droite, lorsqu’elle était au pouvoir, n’a pas été à la hauteur des engagements qu’elle avait pris, et le discrédit qu’elle subit aujourd’hui. Cela étant dit, on ne peut pas être complètement relativiste : en matière d’immigration par exemple, la politique menée n’a pas été la même sous la droite que sous la gauche ; et Emmanuel Macron va plus loin que la gauche, en termes d’entrées légales sur le territoire national.

Y a-t-il un consensus sur ce sujet au sein de LR ? On sait à peu près ce que pense chacune de ses personnalités, mais concernant la ligne du parti, c’est nettement plus flou…

Sur les questions migratoires, la ligne de notre famille politique est parfaitement claire. Nous l’avons exposée lors des élections européennes : nous pensons qu’il faut une stratégie globale, à la fois européenne et nationale. C’est ce que nous avons appelé la« double frontière ». Je suis allé sur l’île de Lesbos, pour voir le gigantesque camp de migrants qui s’y trouve. Vu de ces îles, situées à quelques kilomètres seulement des côtes turques, il est évident que la Grèce ne pourra pas défendre toute seule ses frontières face à la pression migratoire. De plus, les gens qui entrent en Grèce ne veulent pas y rester. Ils veulent se rendre en France, en Allemagne, en Grande-Bretagne : il est donc nécessaire et légitime que nous soyons aux côtés des pays de première entrée, en renforçant Frontex notamment, pour maîtriser ensemble les frontières extérieures de l’Europe. Jusque-là, ça n’a pas été fait, c’est sur cette priorité que nous travaillons. Au Parlement européen, nous sommes engagés dans une bataille politique rude pour défendre une doctrine d’emploi assumée pour Frontex : une agence de garde-frontières n’est pas là pour accueillir les gens qui entrent illégalement, mais pour les refouler. Ce travail commun est indispensable : il est vain de prétendre que l’on maîtrisera nos frontières face à la pression migratoire si les pays européens n’y travaillent pas ensemble. La position du RN sur ce sujet, qui a sans cesse voté contre tout renforcement de Frontex, est purement idéologique et me semble irresponsable. Si demain la Grèce est envahie, ça ne peut pas ne pas avoir de conséquences sur nous. Il faut donc agir ensemble, pour permettre que chaque pays garde la maîtrise de sa politique migratoire. C’est parce que nous tenons à garder à chaque Etat sa souveraineté en la matière que nous parlons de « double frontière ».

Le parti européen au sein duquel vous siégez, le Parti populaire européen (PPE), est-il en phase avec ça ? Il ne nous a pas donné l’impression de vouloir « refouler » les migrants.

Durant le précédent mandat, et particulièrement lorsque l’Allemagne a ouvert grand les frontières à l’été 2015, le PPE s’est littéralement fracturé sur la question migratoire. Deux lignes complètement opposées s’y sont affrontées : d’un côté il y avait celle d’Angela Merkel, de l’autre celle de Viktor Orbán. Or cinq ans et demi plus tard, que constate-t-on ? Que sur le fond, tout le groupe s’est rallié à la position de Viktor Orbán ! Aujourd’hui, plus personne dans le PPE ne défend l’idée d’un accueil inconditionnel des migrants. Angela Merkel elle-même ne referait plus ce qu’elle a fait en 2015… Même au-delà du PPE, les États européens se sont ralliés à la ligne de protection des frontières défendue par le Premier ministre hongrois. Ce qui est tout à fait paradoxal car Viktor Orban continue à être victime d’une forme de procès permanent, alors même que sur les questions migratoires, tout le monde parle désormais comme lui.

Concrètement, la doctrine qui prévalait jusque-là, et qui était d’ailleurs soutenue par Emmanuel Macron, était celle dite de la « relocalisation » des migrants : des gens entrent dans l’UE de façon illégale, au nom de la “solidarité” entre pays européens, on se les répartit et on oblige chaque Etat-membre à accepter son quota de migrants. C’était cela que Viktor Orbán refusait. Or la Commission européenne vient de présenter son nouveau “pacte migratoire”, et le point majeur est qu’elle renonce à la relocalisation des migrants. La solidarité européenne face à la question migratoire voudra dire que les Etats devront, selon leur choix, à à contribuer à la maîtrise des frontières ou aux reconduites hors de l’Europe des migrants illégaux C’est un changement complet de paradigme. La gauche est ulcérée, et il faut la comprendre : dans ce débat, Viktor Orbán a gagné !

Il y a encore beaucoup de travail, bien sûr, mais le débat progresse enfin. J’ai été chargé par le groupe du PPE d’écrire un texte sur l’identité de la droite en Europe : le passage sur l’immigration, qui fixe pour priorité la maîtrise de nos frontières, a été adopté par le groupe dans son ensemble après un travail d’amendements. Aujourd’hui, je pense que les choses peuvent être réorientées dans le bon sens. Avec certes toutes les pesanteurs de ces institutions – ça prend du temps, c’est lent, c’est compliqué… – mais globalement, dans la matrice européenne, quasiment plus personne ne dit, à l’exception de la Commissaire européenne aux Affaires intérieures, la social-démocrate suédoise Ylva Johansson, que les migrants sont une chance pour nos usines et pour compenser la baisse de la natalité de l’Europe…

En 2018 sur France Culture, lors d’une émission d’Alain Finkielkraut et alors que vous n’aviez pas encore été désigné tête de liste aux élections européennes mais que le JDD venait de faire état de cette probabilité, Sylvain Tesson vous avait imploré de « ne pas rentrer dans ce débat qui risque lui-même d’être un mouvement qui vous perdra ». Vous ne regrettez pas de ne pas l’avoir écouté ?

C’est une bonne question. Je ne suis pas entré en politique parce que ça m’amusait. C’est une expérience passionnante et je ne me plains pas de ce que je vis, mais si j’avais eu le sentiment que la France allait bien, je serais resté prof de philo. J’ai adoré mon métier, c’était ma vocation professionnelle, il reste mon élément naturel et j’espère le retrouver. Je suis entré en politique parce que tout ce à quoi je tiens est menacé. Je n’étais pas adhérent des Républicains, mais je me suis toujours senti de droite ; cette famille politique est venue me chercher : si j’avais décliné, je me serais senti illégitime de continuer à écrire des livres pour expliquer ce qui ne va pas.

La politique est un combat. Si vous croyez au sérieux de ce qui s’y joue, vous ne pouvez pas demeurer spectateur, ni même commentateur. Il faut entrer sur le champ de bataille.

Et vous pensez que de LR peut sortir un candidat qui ne fasse pas simplement de la figuration ?

Je crois que la droite a la responsabilité d’incarner une alternative, parce que le Rassemblement national fait objectivement partie de l’équation qui sauve Emmanuel Macron – je dis cela sans aucun jugement moral, ne détestant rien tant que tous ceux qui transforment les désaccords politiques en condamnations condescendantes. Je sais que la politique suppose des discernements difficiles dans le clair-obscur du réel, comme l’expliquait Aristote..Mais c’est un fait que la seule chose que redoute Emmanuel Macron, ce serait une droite enfin sortie de sa torpeur. Lors de l’élection européenne, j’ai espéré commencer une alternative, et nous n’y sommes pas arrivés. Notamment parce que dix jours avant le scrutin, Emmanuel Macron a brandi le risque de voir la liste du RN triompher, que Marine Le Pen lui a répondu, ce qui est normal, et que les médias se sont focalisés sur ce duel en forme de tandem. Pendant dix jours, les Français ont suivi à la télévision le troisième tour de l’élection présidentielle, et ils se sont prononcés par rapport à cette mise en scène. La politique, c’est aussi ça. On a eu beau faire une belle campagne, en tout cas une campagne que je ne renie pas sur la forme ni sur le fond, la construction de l’opinion passe encore par les journaux télévisés, qui nous ont largement ignorés.

Durant toute cette campagne, Emmanuel Macron n’a eu qu’une obsession : éviter que la droite ne se reconstruise à l’occasion de ce scrutin. Il y est parvenu. Nathalie Loiseau a refusé tous les débats que les médias lui proposaient avec moi. Et elle n’a accepté de discuter qu’avec Jordan Bardella. Il suffit de bien vouloir ouvrir les yeux pour voir que le macronisme a besoin du RN, qui pour bien des raisons reste très éloigné d’une victoire à l’élection présidentielle – bien des gens autour de Marine Le Pen le savent parfaitement, d’ailleurs… Le parti au pouvoir n’aurait aucune chance de s’y maintenir si nous étions dans une configuration politique normale. C’est la raison pour laquelle la vraie inquiétude pour Emmanuel Macron, c’était qu’un nouvel élan reprenne à droite et que les électeurs se remettent à y croire.

Parmi les faiblesses de la droite, ne pensez-vous qu’il lui manque d’avoir une ligne claire sur l’écologie ? Elle est globalement considérée comme libérale, donc comme anti-écologiste.

La droite s’est occupée d’écologie quand elle était au pouvoir et qu’on en parlait infiniment moins que maintenant, mais il est vrai qu’elle n’a pas de discours construit sur les sujets écologiques. Le travail à faire est d’autant plus important qu’il est urgent de proposer une écologie qui ne porte pas atteinte à nos libertés fondamentales.

Je suis inquiet quand j’entends Barbara Pompili nous dire que ce qui compte maintenant, ce n’est pas de changer notre manière de consommer, mais de changer notre manière de vivre et même, de changer notre civilisation ! Là, il y a une véritable idéologie, qui se préoccupe d’ailleurs assez peu de l’environnement – je le vois au Parlement par exemple sur le sujet de l’éolien, à terre ou en mer, qui est défendu par ces militants malgré son impact écologique désastreux. . Cette écologie a simplement trouvé une occasion de recycler un vieux fonds totalitaire hérité du marxisme et de l’antilibéralisme de gauche. Si la politique est faite pour sauver ce qui doit l’être, et je crois que c’est ce qui définit la droite, cela suppose évidemment de se préoccuper de transmettre, à la fois notre culture, et une nature qui permette que le monde reste vivable. C’est à cette cohérence qu’il faut travailler.

Vous voulez sauver et transmettre ce qui doit l’être, et, « en même temps », vous avez parlé d’« épuisement du modèle dont nous héritons ». Qu’est-ce qui reste à sauver ? Est-ce qu’on n’en est pas au stade de la décadence de l’Empire romain ?

Vous posez la question la plus difficile qui soit, savoir si la politique peut quelque chose à une forme de crise intérieure. Au fond, est-ce que la politique peut sauver un pays si ce pays ne veut plus se sauver lui-même – si ce pays a perdu le goût de continuer à exister ? Je dirais qu’on n’a pas le droit de se résigner. Aujourd’hui, comme dans certaines périodes de l’histoire, le levier de l’engagement politique pourrait être : « Et si jamais… » Et si jamais il y a une chance, même infime, que la France retrouve le goût d’exister, alors cette chance vaut la peine qu’on engage sa vie là-dessus.

J’imagine que quand Hans et Sophie Scholl ont créé La Rose blanche, en 1942, ils ne devaient pas avoir beaucoup d’espoir que la situation s’améliore. Et pourtant ! J’ai été profondément bouleversé par le dernier film de Terrence Malick, Une vie cachée, sur ce paysan autrichien, Franz Jägerstätter, qui avait refusé de prêter le serment de loyauté à Hitler. D’une certaine manière, ça ne servait à rien, la partie était perdue. Jägerstätter a donné sa vie sans voir la victoire à laquelle il espérait pourtant contribuer de manière presque infime. Et pourtant, ça valait la peine. Même si nous ne sommes pas dans une situation aussi dramatique, la question se pose de savoir si l’on peut quelque chose à un processus qui donne le sentiment d’être intérieur et donc irréversible, en tout cas par des moyens politiques. Mais si jamais il y a encore une chance, elle vaut la peine d’être vécue.

Cette chance, on la tente comment ?

La réponse politique la plus importante, qui devrait être la seule et unique priorité de la droite si elle parvenait à retrouver la confiance des Français, c’est l’éducation. Tout se joue dans l’éducation, tout, et il y a urgence. Un pays qui n’a pas transmis sa culture est un pays qui se perd de manière définitive. Beaucoup d’erreurs politiques sont rattrapables : vous pouvez avoir été laxiste en matière de sécurité avant de vous rendre compte que c’est devenu le désordre et de remettre des policiers dans les rues ; vous pouvez avoir été trop dépensier et avoir accumulé de la dette, et un jour décider qu’il faut remettre les finances d’équerre. Mais si vous manquez la transmission de la culture, alors où trouverez-vous ceux qui, demain, deviendront les professeurs qui l’enseigneront à nouveau ?

C’est pour cela qu’il y a une urgence éducative absolue. C’est quasiment le seul sujet politique dont on devrait s’occuper, parce que si on ne se transmet plus, nous perdrons jusqu’à la conscience des trésors qui se seront dissipés. Ceux qui n’auront pas reçu notre culture ne pourront même pas mesurer la valeur de ce qu’ils auront perdu.

Face à la situation sanitaire, les Français demandent semble-t-il toujours plus de sécurité et de restriction de leurs libertés.

Ce qui m’inquiète profondément, c’est le risque de ne plus sortir de la situation que nous vivons aujourd’hui. Emmanuel Macron disait récemment que le principe de la réponse sanitaire est que rien n’est plus important que de sauver une vie humaine. En un sens, je partage son point de vue : la vie humaine a une valeur absolue et ce principe mériterait d’être rappelé sur le terrain des questions de bioéthique… Le problème de cette affirmation, c’est que si elle est valable éthiquement dans l’appréciation que l’on fait de l’action de chaque personne, elle ne peut pas servir de fondement à une conception politique. Sinon, il faut tout de suite interdire la circulation en voiture, parce qu’il y a des accidents de la route et que certains sont mortels. Et même, il est impératif de confiner les gens de façon définitive parce que c‘est le plus sûr moyen qu’il ne leur arrive rien en marchant dans la rue ou en rencontrant d’autres personnes…

Encore que les accidents domestiques sont une cause importante de mortalité…

[rires] On voit bien que la société du risque zéro est une société invivable. Si notre seul et unique objectif est d’éviter la mort, alors nous n’arriverons qu’à empêcher la vie. C’est la vie que nous perdons en la construisant seulement pour éviter de mourir. C’est exactement le monde auquel il faut tenter d’échapper. De ce point de vue, il y a un problème majeur dans notre rapport à la liberté. C’est pourquoi je crois que notre famille politique doit embrasser de nouveau la cause de la liberté. Je suis très inquiet de voir que parce que nous nous élevons,, à raison, contre la folie de la mondialisation néolibérale, certains en viennent à jeter la liberté avec l’eau du bain néolibéral. Rien n’est plus nécessaire que de défendre la cause de la liberté.

Lors d’un débat au Parlement européen sur les applications de traçage, je me suis opposé à celles-ci, au nom de la liberté. J’étais quasiment le seul dans ce cas. Dans le débat qui nous a opposés, un de mes collègues parlementaires a dit littéralement : « Je préfère vivre encadré plutôt que mourir libre ». La formule est incroyable ! Je lui ai répondu: « Je te conseille d’aller faire un tour sur le plateau des Glières. » « Vivre libre ou mourir », c’est ce qui a structuré notre civilisation.

Dans Zarathoustra, Nietzsche écrit : « Formule de mon bonheur : un oui, un non, une ligne droite, un but. » Bellamy, quel but ?

Cette formule est magnifique. Je l’ai souvent citée à mes étudiants…

Si un seul mot pouvait définir l’engagement, ce serait sans aucun doute servir. Je pense que ce qui compte le plus dans une existence, c’est qu’elle puisse être engagée au service de quelque chose de plus grand qu’elle. Je me sentirais heureux si, la veille de ma mort, je pouvais me dire que j’ai pu servir à quelque chose de plus grand que moi. Et, en particulier, que j’aie pu servir à la transmission de cet héritage qui a fait de moi ce que je suis, auquel je dois tout, et qui, j’en suis sûr, peut encore être une promesse de vie et de liberté pour d’autres que moi à l’avenir.

L’avenir de la droite en Europe : pour une politique de la transmission

Ce texte est le fruit d’un travail de réflexion et d’auditions auquel ont contribué les députés du Groupe du Parti populaire européen (PPE) Isabel Benjumea (délégation espagnole), Christian Doleschal (délégation allemande), György Hölvényi (délégation hongroise), Miriam Lexmann (délégation slovaque), Lukas Mandl (délégation autrichienne), Roberta Metsola (délégation maltaise), et Karlo Ressler (délégation croate), sous la direction de François-Xavier Bellamy (délégation française). Le texte a été adopté par le Groupe PPE à la fin de l’année 2020, suite à sa présentation à l’automne.

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Reniements sur le nucléaire : qui peut croire un seul instant que c’est la cause du climat qui progresse ?

Tribune co-signée par Bernard Accoyer, ancien président de l’Assemblée nationale, initialement parue dans le Journal du Dimanche.

En France comme en Europe se multiplient les décisions qui condamnent à moyen terme la source de plus de 70% de notre alimentation électrique.

Français si vous saviez… En ce début d’année 2021, des choix décisifs se jouent, à Bruxelles comme à Paris, qui engagent tout l’avenir de notre approvisionnement énergétique – sans susciter le moindre débat, au milieu du fracas des polémiques liées à la crise sanitaire actuelle. Si celle-ci doit nous enseigner une leçon essentielle, c’est bien l’impératif de garantir sur le long terme notre autonomie dans des secteurs stratégiques, condition de notre résilience face aux crises de demain. Mais nos dirigeants l’ont-ils compris ? Il y a quelques jours, France Stratégie, agence liée à Matignon, indiquait que les choix énergétiques actuels conduiraient à des « pénuries d’électricité permanentes » dès 2030. En France comme en Europe, se multiplient en effet les décisions qui, à contresens de l’histoire, condamnent à moyen terme la source de plus de 70% de notre alimentation électrique, l’industrie nucléaire. En sacrifiant notre indépendance énergétique, nos dirigeants sont d’autant plus coupables que, à travers ce choix irréfléchi, ils oublient ce que notre impuissance actuelle sur le front sanitaire aurait dû au moins leur apprendre…

Avec l’énergie nucléaire, nous héritons pourtant d’un atout majeur : le parc de centrales existant produit une électricité pilotable, dont le coût faible constitue un rare élément de compétitivité pour notre industrie, et alimente les ménages sans peser sur leur pouvoir d’achat – autant de critères qui devraient être déterminants à la veille d’une crise économique majeure. C’est aussi un atout crucial pour relever le défi climatique, comparativement à des énergies renouvelables qui restent actuellement intermittentes, et ne peuvent être déployées sans le complément de centrales à gaz, ou à charbon. Le GIEC lui-même, référence en la matière, affirme qu’il n’y a aucun scénario pour limiter le réchauffement sans recours à l’énergie nucléaire ; et, des démocrates américains jusqu’à une partie des écologistes allemands, cette prise de conscience n’a cessé de progresser.

Que se passera-t-il quand nos voisins, eux aussi engagés dans des transitions absurdes, ne pourront plus nous fournir ?

Tout cela, le Président de la République l’a reconnu dans son discours du 8 décembre dernier, lors de sa visite à l’usine Framatome du Creusot. Mais, comme souvent dans le « en même temps » macronien, il n’y a que bien peu de rapport entre les mots et les actes… Avec la fermeture de Fessenheim, Emmanuel Macron restera le premier président à avoir condamné une centrale que l’Autorité de Sûreté Nucléaire considérait comme apte à fonctionner, et « l’une des plus sûres de France ». Après s’être félicitée de cet arrêt, la ministre de l’écologie (car nous n’avons plus de ministre chargé de l’énergie, symptôme de ce vide stratégique) prévenait sur un plateau de télévision que des coupures d’électricité pourraient désormais survenir ; et de fait, RTE a formellement demandé aux Français, en cette période de froid hivernal, de réduire leur consommation pour éviter une surcharge… Entre-temps, nous avions pourtant remis en fonctionnement quatre de nos vieilles centrales à charbon – charbon qui, rappelons-le, doit être importé, tout comme l’électricité que nous achetons désormais à l’Allemagne, quand nous l’exportions jusque-là. Que se passera-t-il quand nos voisins, eux aussi engagés dans des transitions absurdes, ne pourront plus nous fournir ? L’Allemagne perdra encore 15% de sa production énergétique dans les deux prochaines années ; nous entrerons alors en terre inconnue… Dépendance énergétique, perte de résilience, inflation des coûts, retour au charbon : le naufrage est total. Un tel suicide n’a qu’une seule raison : Emmanuel Macron a choisi de persévérer dans la voie tracée par François Hollande, qui avait sacrifié Fessenheim par pur calcul politicien, marchandant le soutien des verts au prix de cette aberration. Le président a beau railler les Amish, il poursuit une politique qui, pour sauver la gauche plurielle, condamnait toute la France au déclassement inévitable que ne peut manquer d’entraîner cette idéologie aveugle.

C’est cette même idéologie qui conduit au scandale scientifique majeur de la taxonomie européenne sur la finance verte : chargé de répertorier les énergies durables, ce règlement, supposément orienté par une évaluation neutre fondée sur le critère essentiel des émissions de carbone, réussit la performance improbable d’exclure le nucléaire, et d’inclure… le gaz. Loin d’être une évaluation sans incidence, ce texte conditionnera les investissements publics et privés pour de nombreuses années : la France laisse donc, sans réagir, condamner son principal outil énergétique. Il faut dire qu’Emmanuel Macron a signé sans sourciller les conclusions du dernier Conseil européen, qui déjà citaient le gaz pour seul exemple d’énergie verte. Avec une remarquable cohérence, les députés LREM du Parlement européen, comme ceux du RN, ont voté pour que le Fonds européen de transition écologique puisse financer de nouveaux projets gaziers… tout en excluant, une fois de plus, le nucléaire. Le discours de Framatome n’était décidément qu’une fiction.

Avec de tels reniements, qui peut croire un instant que c’est la cause du climat qui progresse ? La disqualification de l’énergie nucléaire est le résultat du lobbying intense d’intérêts très déterminés, et de concurrents de la France qui rêvent de lui retirer sa dernière carte maîtresse. Derrière les belles publicités pour les énergies renouvelables, il y a les fournisseurs de gaz qui se rendent indispensables pour pallier leur intermittence – et tant pis pour le carbone qu’ils émettront, s’ils y trouvent leur profit… Il y a nos dépendances accrues à l’égard de ses producteurs, la Russie au premier rang, et des exportateurs de terres rares, nouveau terrain d’assujettissement à la Chine. Il y a l’impact dévastateur de l’éolien et du solaire, désormais bien mesuré, sur la santé, l’environnement, la biodiversité. Il y a des paysages vandalisés et des filières sacrifiées, comme la pêche, victime de l’effondrement des espèces marines constatée partout où l’éolien en mer a été développé – on frémit en imaginant que notre gouvernement compte multiplier par dix nos installations actuelles en la matière. Et tout cela pour quoi, en fait ?

La disqualification de l’énergie nucléaire est le résultat du lobbying intense d’intérêts très déterminés, et de concurrents de la France qui rêvent de lui retirer sa dernière carte maîtresse.

Il faudra encore bien des Fessenheim pour qu’Emmanuel Macron tienne sa promesse absurde de faire baisser à 50% la part du nucléaire dans le mix énergétique français. Rarement dans l’histoire, on aura vu des dirigeants organiser avec autant de constance l’affaiblissement de leur propre pays. Il n’est pourtant pas trop tard : si le président ne prend pas au sérieux les mots de son propre discours, il est urgent que toutes les forces vives de la France se mobilisent à sa place, pour gagner en particulier la bataille cruciale de la taxonomie verte en Europe. Nous le devons à notre avenir, et à l’équilibre à retrouver pour le monde de demain.

Crédit photo : A.Morin/A.Soubigou/EDF

En métropole ou au milieu du Pacifique

Dimanche aura lieu un événement dont l’importance est trop souvent passée sous silence : la Nouvelle-Calédonie votera pour décider de son avenir. Notre passé, lui, nous relie de manière indissoluble : nous avons vécu ensemble bien des jours heureux et bien des épreuves, et je ne doute pas que nous ayons encore plus de pages à écrire de cette grande histoire commune. Nos aînés ont travaillé côte à côte, ont mené les mêmes combats, ont pour beaucoup donné leur vie au nom d’une seule et même patrie. La Nouvelle-Calédonie n’est pas un territoire lointain que les hasards de l’histoire auraient associé à la France, elle n’est pas dominée par la France, ni même protégée par elle : elle est la France. Et c’est ensemble que nous pourrons faire face à tous les défis qui nous attendent, résister avec le même esprit de liberté aux menaces qui, en métropole ou au milieu du Pacifique, entourent notre pays ; c’est ensemble que nous pourrons retrouver, avec le sens de ce qui nous unit, la confiance et l’espérance dont la France peut partout dans le monde rayonner de nouveau demain.

Cette unité n’exige pas que soient méprisées l’histoire et la singularité des territoires qui font la France, bien au contraire : la Nouvelle-Calédonie doit être assurée du respect de la nation pour cette terre unique au monde et pour tous ceux qui l’habitent, pour ceux qui nous ont précédés, pour les coutumes qu’ils ont léguées et qui sont l’âme de l’archipel. Dans une région où la Chine montre chaque jour plus clairement qu’elle rêve d’écraser toute singularité qui oserait lui résister, la France doit retrouver son unité, non par l’oppression et l’uniformisation, mais par l’adhésion et la liberté.

Ce dimanche 4 octobre, amis Calédoniens, allez voter pour témoigner de notre immense espoir commun !


Voir aussi (edit décembre 2021) :
Réunion publique en simultané depuis Nouméa et le Parlement européen


Explication de vote (état de droit en Pologne)

Depuis quelques heures circule sur les réseaux sociaux une analyse absurde du vote de notre délégation française sur un rapport concernant l’état de droit en Pologne. Des captures d’écran faussées ont même été diffusées, pour faire croire que j’aurais voté en faveur de certains amendements pourtant totalement opposés aux idées que j’ai toujours défendues… Pour dissiper tout malentendu, je publie ci-dessous mon explication de vote sur ce rapport.

Au-delà de ce document formel accompagnant le scrutin, je voudrais seulement ajouter deux réflexions plus personnelles.

  1. Qu’on soit ou non d’accord avec moi, chacun peut reconnaître que je n’ai jamais varié dans les convictions que je défends, et qu’il a fallu parfois bien du courage pour tenir sur le terrain politique ou médiatique une ligne souvent durement combattue. Il me semble bien léger de me reprocher de manquer de courage à la première occasion venue (surtout quand on publie sous pseudonyme…). Poser des questions est bien normal, et nous avons le devoir de rendre compte ; mais une incompréhension, ou même un désaccord, ne devrait autoriser personne à passer tout de suite à l’accusation et à l’insulte.
  2. La session plénière qui vient de s’achever a donné lieu à plus de trois cents votes. Il est possible aussi à ceux qui twittent de ne pas s’exprimer que sur le seul vote qu’ils ne comprennent pas, et de dire de temps en temps s’ils ont un peu de temps pour cela leur accord avec les lignes de vote solides et courageuses que notre délégation prépare avec soin et tient avec rigueur. Nous continuerons de travailler avec autant d’exigence et d’énergie, même si je sais par avance, et je souris en l’écrivant, qu’il ne faut décidément s’attendre qu’à peu de confiance et de reconnaissance pour certains commentateurs qui se contenteront toujours de critiquer… Il faudra bien faire sans eux, et réussir j’espère à faire avancer malgré eux les idées qu’ils disent défendre.

Voici donc mon explication de vote sur le rapport concerné.

 

« Ce rapport concerne la proposition de décision du Conseil relative à la constatation d’un risque de violation de l’état de droit par la Pologne. Il s’agit d’un rapport intermédiaire qui n’a aucune incidence législative et n’implique aucune sanction.

Ce long texte soulève certains points de préoccupation très légitimes : le dernier scrutin présidentiel a été en particulier l’objet de tensions très vives, le gouvernement polonais ayant initialement décidé de le maintenir alors que la crise du coronavirus avait empêché la campagne de se dérouler normalement. Il a fallu l’intervention de tous les anciens présidents polonais, parmi lesquels Lech Walesa, figure de la lutte anti-communiste, pour qu’un report soit obtenu. L’OSCE, dont la Pologne est membre, a relevé de nombreux biais dans le déroulement du processus électoral.

A titre personnel, j’ai vivement dénoncé le gouvernement maltais (socialiste) ou le Président tchèque (libéral) pour des manquements graves aux principes démocratiques : ces principes sont au coeur de l’héritage de la civilisation européenne, et doivent être garantis de manière inconditionnelle. L’honnêteté intellectuelle impose de montrer la même exigence en toute situation quand ils sont en jeu.

J’ai en revanche voté contre de très nombreux passages de ce rapport, qui portent des accusations politiques totalement infondées ou illégitimes concernant des choix qui relèvent pleinement de la souveraineté de la Pologne. Comme je l’ai déjà exprimé au cours des derniers mois, à propos de la Pologne comme de la Hongrie, le Parlement européen viole lui-même l’état de droit lorsqu’il prétend imposer à certains pays une politique migratoire, sociale, ou familiale, qui ne relèvent que des compétences des Etats. J’ai voté contre toutes les résolutions passées qui allaient en ce sens, et contre tous les passages de ce rapport qui commettaient la même faute. Cela ne disqualifie pas pour autant les questions légitimes qui constituaient l’objet de ce texte. »

 

Débat chez « Zemmour et Naulleau » avec la secrétaire d’État aux affaires européennes

François-Xavier Bellamy était l’invité d’Anaïs Bouton sur Paris Première dans l’émission Z&N le 3 juin 2020, avec Eric Zemmour et Eric Naulleau. Il débattait notamment avec Amélie de Montchalin, secrétaire d’État aux Affaires européennes. Extraits.

François-Xavier Bellamy chez Zemmour et Naulleau – Extrait n°1

« Il faut dire la vérité aux Français : pendant qu’Emmanuel Macron parle de souveraineté, il veut créer une dette commune européenne, qui n’est qu’une manière de transférer notre responsabilité budgétaire. »

#ZENPP • Débat entre François-Xavier Bellamy et Amélie de Montchalin chez Zemmour et Naulleau (1)

Il faut dire la vérité aux Français : pendant qu'Emmanuel Macron parle de souveraineté, il veut créer une dette commune européenne, qui n'est qu'une manière de transférer notre responsabilité budgétaire.

Publiée par François-Xavier Bellamy sur Jeudi 4 juin 2020

François-Xavier Bellamy chez Zemmour et Naulleau – Extrait n°2

« Si l’Union européenne ne change pas son rapport à la mondialisation, si nous continuons d’imposer à nos entreprises une concurrence déloyale permanente, alors cette nouvelle dette que vous faites peser sur les générations futures ne servira qu’à aider la relance chinoise. »

#ZENPP • Débat entre François-Xavier Bellamy et Amélie de Montchalin chez Zemmour et Naulleau (2)

Si l'Union européenne ne change pas son rapport à la mondialisation, si nous continuons d'imposer à nos entreprises une concurrence déloyale permanente, alors cette nouvelle dette que vous faites peser sur les générations futures ne servira qu'à aider la relance chinoise. #ZENPP

Publiée par François-Xavier Bellamy sur Jeudi 4 juin 2020

François-Xavier Bellamy chez Zemmour et Naulleau – Extrait n°3

« Il y a de quoi être révolté par ce double discours permanent : derrière les belles postures d’aujourd’hui, vous créez les grands problèmes de demain, y compris pour l’Europe que vous dites défendre. »

#ZENPP • Débat entre François-Xavier Bellamy et Amélie de Montchalin chez Zemmour et Naulleau (3)

Il y a de quoi être révolté par ce double discours permanent : derrière les belles postures d'aujourd'hui, vous créez les grands problèmes de demain, y compris pour l'Europe que vous dites défendre. #ZENPP

Publiée par François-Xavier Bellamy sur Jeudi 4 juin 2020

L’esprit du peuple

La dernière émission de L’Esprit Public, sur France Culture, a été l’occasion d’un débat vif et passionnant sur la définition du peuple, avec Hubert Védrine et Dominique Reynié notamment (à réécouter ici). Ce débat me semble décisif, car il engage notre regard sur la démocratie, cette forme politique singulière qui reconnaît le peuple comme instance de délibération et de légitimité politique. La démocratie ne va pas de soi, et la question de la direction que doit prendre l’Europe engage aussi son avenir.

À la suite des échanges que ce débat a suscités, il m’a semblé utile de prolonger la réflexion en publiant le texte complet du dialogue que j’ai eu la joie de partager avec Jacques Julliard sur cette question, à l’initiative du Figaro, dont les passages principaux étaient paru dans le Figaro Magazine du 22 octobre 2017. L’entretien, à l’occasion de la parution du dernier ouvrage de Jacques Julliard intitulé L’Esprit du peuple, tourne précisément autour de ces questions essentielles.


Conversation avec Jacques Julliard

LE FIGARO MAGAZINE. – Jacques Julliard, le volume des éditions Robert Laffont qui regroupe les grands textes de votre œuvre s’intitule L’esprit du peuple. Ce peuple, est-ce le demos, c’est-à-dire la communauté civique, ou l’ethnos, la communauté de culture ?

Jacques JULLIARD. – Le mot peuple, comme tous les mots usuels de la science politique, est un mot élastique. La distinction que vous me suggérez est tout à fait justifiée à condition de préciser qu’ethnos dans le cas de la France ne désigne pas une ethnie, mais ce qu’on pourrait appeler une communauté culturelle. À ethnos et demos, il faut en outre ajouter le mot plebs. En latin, populus et plebs qu’on traduit souvent par le mot peuple désignent deux réalités différentes. Dans le premier cas, c’est l’ensemble du corps social, du corps électoral même. Dans le second, il s’agit de la partie la plus déshéritée de la population. Nous assistons actuellement au divorce entre le peuple, en tant que plebs, et les élites ; entre le peuple, populus, et sa représentation ; et entre ethnos et les communautés. C’est donc une rupture qui porte sur les trois acceptions du terme. Le fait majeur est que les élites ont changé de logiciel de représentation du monde et sont devenus « nomades » suivant le mot qu’affectionne Jacques Attali, alors que le peuple est resté sédentaire pour des raisons affectives, mais aussi sociales et économiques. Quand on a une obligation de travail quotidienne en un lieu donné, on ne se promène pas pour un oui pour un non à travers le monde. La mondialisation a ainsi accentué un divorce qui existait déjà historiquement depuis le XIXe siècle entre la gauche, les élites en général et le peuple proprement dit.

François-Xavier BELLAMY. – Dans le mot de « peuple », il y a une sorte de miracle politique fragile. Dans les règles politiques s’expriment d’autres lois que celle de la logique ordinaire. En se rejoignant, les individus forment quelque chose de plus que l’addition de leurs individualités. Mais la formation d’un peuple, la constitution d’un demos, l’émergence d’une unité autonome, cela suppose des conditions de narration, de conscience collective, qui touchent à cette maturation de l’ethnos. Il n’y a de demos que parce qu’il y a un ethnos. Sans une culture commune, sans une langue qui rassemble, sans représentations partagées, pas d’unité singulière – pas de demos. Ce que nous vivons aujourd’hui, c’est une crise de cette constitution du demos, une érosion de ce miracle politique qu’est l’unité du peuple. Je partage votre diagnostic. J’ajouterais simplement que la crise du demos est liée à une crise de la culture, et notamment de l’éducation : si les élites divorcent d’avec le peuple et si le peuple ne se reconnaît plus dans ses élites, c’est aussi parce que la faillite de l’école a paralysé la mobilité sociale. Il n’y a plus de circulations à l’intérieur du « démos ». Les positions s’étant figées, on se retrouve avec d’un côté, précisément, ceux qui ne circulent plus du tout ; et de l’autre côté, ceux qui se sentent plus proches des élites des autres pays que de leur propre peuple. Cette érosion est préoccupante, car elle contribue à la crise de la représentation politique. Les derniers mois ont constitué, me semble-t-il, l’un des symptômes les plus aigüs de cette crise, plutôt que sa résolution…

La société défendue par Emmanuel Macron est d’abord celle de l’individu affranchi de tous les déterminismes. Les catégories populaires risquent-elles d’être déboussolées ?

Jacques JULLIARD. – Le sentiment et même le ressentiment le plus profond des classes populaires, c’est celui d’être exclues. Les écarts de salaires et de revenus ont toujours existé. Ils ne sont pas nouveaux. Ce n’est pas cela qui crée la crise de la culture et de la représentation. Ce qui la crée, c’est le fait que les gens se sentent exclus « chez eux ». D’ailleurs, ils crient, et pas seulement au Front national, «on est chez nous». Ils expriment ainsi la souffrance d’être méprisés à la fois par les élites, qui sont devenues cosmopolites et ont une culture qui n’a plus rien à voir avec la culture nationale, et par rapport aux nouveaux arrivants. Pour ces derniers l’exclusion est reconnue. Elle n’est dès lors plus acceptable pour les Français de plus longue date dont les élites ne veulent pas reconnaître l’exil intérieur. Il y a un an on pensait que le Front national serait le réceptacle unique de ce ressentiment. Provisoirement au moins, il a perdu la partie. Mélenchon et les Insoumis reconquièrent une partie du terrain perdu. Mais le ressort est le même. Derrière l’idée d’« insoumission » ou de « dégagisme », il y a la volonté de capter ce ressentiment et de lui faire écho. Mélenchon qui a le sens de la psychologie collective, a bien analysé et compris les raisons de l’amertume des classes populaires. Cette amertume, qui provoque la crise politique que nous vivons, Macron ne fait rien pour la résoudre. Parce qu’il est, ou du moins c’est ainsi qu’on se le représente, le produit le plus pur de cette culture cosmopolite et bobo dans laquelle le peuple ne se retrouve pas. Au-delà des problèmes économiques inhérents à la fonction, le grand défi de Macron pour ces prochaines années sera donc culturel. Les classes populaires balancent entre extrême droite et extrême gauche tandis que le centrisme de Macron et des marcheurs continue d’ignorer la fracture qui s’élargit.

D’une manière générale, le refus du mouvement, l’attachement aux permanences, est l’objet de cette colère des élites. Ce pays attaché à des racines, qui porte avec lui une histoire et se revendique d’une culture, apparaît comme un obstacle insupportable au dynamisme progressiste de ceux qui vivent des flux de la mondialisation.

François-Xavier BELLAMY. – Il y a un ressentiment des classes populaires contre les élites, mais aussi une véritable colère des élites contre le peuple… L’élection d’Emmanuel Macron est une revanche de la France qui réussit contre « ceux qui ne sont rien », et qui le font sentir en ne votant pas comme il faut. Cette colère de l’élite, on l’entend dans les mots du Président pour les « fainéants », les « cyniques », les « extrémistes », les « envieux », tous ceux qui ne s’adaptent pas au mouvement de la mondialisation. Les ouvriers de GM&S, « au lieu de foutre le bordel » devraient accepter de circuler pour trouver du travail à 200 km de chez eux, dit le président: il leur reproche d’être immobiles. D’une manière générale, le refus du mouvement, l’attachement aux permanences, est l’objet de cette colère des élites. Ce pays attaché à des racines, qui porte avec lui une histoire et se revendique d’une culture, apparaît comme un obstacle insupportable au dynamisme progressiste de ceux qui vivent des flux de la mondialisation. Parmi les propositions de Macron pour l’Europe, il y a l’objectif de faire circuler la moitié des jeunes européens : une façon parmi d’autres de convertir les classes populaires à cette passion de la circulation. Le nom du mouvement d’Emmanuel Macron dit tout : il faut être absolument « en marche ».

N’est-ce pas une nécessité économique plus qu’une vue philosophique de la part de Macron ?

Jacques JULLIARD. – « Nous sommes en marche » était déjà un des slogans de Mai 68 ! Autrement dit, il y a bien au-delà des différences politiques, une sorte de boboïsme commun à l’extrême gauche et à l’extrême centre qui exclut une partie de la gauche traditionnelle et tous ceux qui se reconnaissent dans le Front national. Il faut sans doute s’adapter aux évolutions liées à la mondialisation. Mais les peuples veulent en quelque sorte s’en assurer d’eux-mêmes et s’adapter sans se renier. La Chine est ainsi passée du Maoïsme à l’ultra-capitalisme tout en restant la Chine éternelle. Dans une certaine mesure, l’ Allemagne réussit une performance du même ordre: s’adapter tout en restant elle-même. On ne peut pas séparer l’économie de la société. Or ce qu’il y a de détestable dans le capitalisme, c’est la volonté d’autonomiser l’économie au point de passer par-dessus l’existence de la société elle-même. L’histoire économique est la plus rapide. C’est celle qui change en quelques mois à l’occasion d’une bulle économique, d’une bulle financière. Il y a ensuite un temps moyen qui est celui de la politique. Et enfin un temps long qui est celui des convictions, des religions, des coutumes. Ce qu’on peut le plus reprocher au capitalisme, et plus spécialement au capitalisme français, c’est de ne pas comprendre que le rôle du politique est de mettre du liant entre ces divers instances au lieu de les séparer comme on le fait. Cet ultra-économisme qui est commun au marxisme originaire et au libéralisme originaire est devenu insupportable pour les gens. Marx nous a fait perdre un siècle par rapport à ceux qui avaient compris cela, comme Saint- Simon ou Proudhon.

François-Xavier BELLAMY. – C’est le propre de l’économie que d’être, à l’intérieur d’un marché, un univers d’échange, de circulations. Dans le monde économique, la circulation est ainsi à elle seule un impératif. Dans la fascination pour le mouvement dont En Marche est le signe, nous voyons combien en fait c’est l’économie qui finit par prendre toute la place au sein de la société. La politique n’est plus pensée dans son rythme propre, mais se dissout dans l’économie. Elle devient un exercice gestionnaire dont le but est d’apporter des solutions qui marchent. Cette politique ramenée à de la technique refuse de considérer l’irréductible complexité de la vie de la cité, qui rend nécessaire le débat démocratique. Elle signe le règne de la technique, de l’universelle circulation, d’une politique qui veut simplement faire fonctionner le marché – une politique pensée sur le modèle du fonctionnement, dirigée d’ailleurs par des hauts fonctionnaires. Le seul problème, c’est que le marché est bien sûr nécessaire, mais qu’il n’a de sens qu’au regard de quelque chose qui lui échappe, qui demeure extérieur au marché, qui a en soi une valeur absolue, non négociable. Marx avait prophétisé ce moment où tout « passerait dans le commerce » : mais le triomphe du commerce est aussi son échec. L’extension indéfinie du domaine du marché ne peut que provoquer une crise de sens, qui devient une crise du marché lui-même, et ultimement une crise de la politique dans son ensemble. Faire abstraction de la persistance irréductible des questions qui touchent la cité, au-delà du marché, c’est fragiliser tôt ou tard la politique, et l’exercice démocratique.

Jacques JULLIARD. – On pourrait aussi citer Max Weber et son éthique du capitalisme. Il a démontré la rationalité des moyens par rapport au but que le capitalisme se propose (Zweckrational) et l’irrationalité de ces mêmes moyens par rapport aux valeurs que les gens portent en eux (Wertrational). Cette dichotomie est au cœur du capitalisme. La crise du capitalisme n’est pas économique, elle est idéologique. Le capitalisme est triomphant comme peu de régimes l’ont été dans l’histoire du monde. Il n’a plus de vrais adversaires. Mais du point de vue des valeurs qu’il défend, c’est le vide le plus absolu. Et cela le peuple le ressent profondément parce que toutes les sociétés précédentes étaient fondées sur des valeurs collectives. Nous sommes la première société fondée exclusivement sur des valeurs individuelles. Toutes les sociétés précédentes étaient fondées sur des valeurs collectives antérieures. La société féodale était fondée sur des relations d’homme à homme et des relations collectives. La société chrétienne était fondée sur l’idée de communion, même si elle était souvent loin d’être réalisée. La société socialiste était fondée sur l’idée de solidarité entre les prolétaires. La société républicaine de la fin du XIXe siècle sur l’idée de solidarité nationale. Aujourd’hui, il y a comme un épuisement des valeurs accumulées durant des millénaires. C’est un peu comme pour le pétrole. Le capitalisme est en train d’assécher en deux siècles ce que la géologie avait réalisé à travers des millions d’années.

Comment faire un peuple quand dans un certain nombre de quartiers les codes culturels et sociaux sont étrangers aux nôtres ?

Jacques JULLIARD. –  La réponse facile, classique et automatique, c’est l’école ! Mais cela ne suffit pas. Si l’école a fait société ; si elle a créé un lien entre les pauvres et les riches, entre les Bretons et les Occitans c’est parce qu’on lui avait assigné un contenu moral et intellectuel. Il ne suffit pas de mettre des élèves d’un côté et un professeur de l’autre pour que l’école devienne un lieu de réunification sociale. Il faut que cette école soit portée par des valeurs. N’oubliez pas que les fondateurs de la IIIe République étaient des philosophes eux-mêmes. En défendant l’école de la IIIe République, je vais être accusé de faire du « c’était mieux avant ». Mais oui, parfois c’était mieux avant ! Quand il y avait des hommes, disons de la qualité de Gambetta, de Jules Ferry, de Clemenceau, de Jaurès ou encore de Barrès. Ils produisaient une vraie pensée, une espèce de philosophie modeste et praticable pour les Français. C’est même cela qui a fondé la laïcité. Et celle-ci a triomphé jusqu’à une date récente. Aujourd’hui, il y a une faiblesse intellectuelle des hommes politiques. Depuis combien de temps un homme politique français ne nous a pas donné un livre qui mérite d’être lu ? Le peuple a une grande conscience de cet avachissement intellectuel des politiques. Le peuple n’est pas populiste. Il n’aime pas le débraillé. Pourquoi le général de Gaulle était-il populaire dans des milieux sociaux très éloignés du sien ? Parce qu’il avait une certaine idée de la France. Parce qu’il avait une vraie hauteur de vue. Ce qui nous arrive à l’heure actuelle, c’est une défaite intellectuelle. Le peuple a le sentiment d’avoir des élites qui sont médiocres. Des élites formatées par la mondialisation et incapables de lui donner une traduction française.

François-Xavier BELLAMY. – Péguy a sur l’école cette formule définitive : « Quand une société ne peut pas enseigner, c’est qu’une société ne peut pas s’enseigner. Les crises de l’enseignement ne sont pas des crises de l’enseignement : elles sont des crises de vie. » Vous avez raison, il ne suffit pas de mettre ensemble des enseignants et des élèves, il faut encore savoir ce qui se joue dans leur relation. Nous avons vécu une rupture très profonde dans notre école, une crise de la transmission, un soupçon porté sur la transmission. C’est aussi ce soupçon qui rend si difficile le fait de faire peuple, de cultiver une conscience collective. Aucun peuple pourtant ne pourra renaître sans une conscience du commun. De ce point de vue-là, l’école peut réussir le miracle de l’intégration, qu’elle a déjà opéré. On m’a parfois reproché, moi aussi, d’être nostalgique, comme si la nostalgie était un péché capital. Mais effectivement, notre école dans le passé, sous la IIIe république par exemple, a réussi le prodige assez incroyable de réunir les Français, malgré de grandes divisions et après des périodes de très grandes violences. A partir aussi de réalités très éclatées, de différents patois, de différentes cultures locales… Il n’y a aucune raison pour que nous ne puissions pas y parvenir de nouveau. Ce que j’observe en tant qu’enseignant, c’est que ce ne sont pas les élèves issus de l’immigration qui nous ont demandé de leur apprendre leurs propres histoires locales. Ce ne sont pas eux qui nous ont demandé de défaire l’histoire de France au profit de l’histoire du monde. Ce ne sont pas eux qui nous ont demandé qu’on leur enseigne l’histoire du Monomotapa. Des adultes bien intégrés, français depuis toujours, ont pensé, avec une forme de générosité, que pour intégrer ces jeunes il fallait leur parler du Monomotapa. Le drame est que l’enfer est pavé de bonnes intentions, et que ces jeunes ont été privés par là des conditions pour connaître la culture française, la rejoindre et s’en reconnaître. L’intégration ne peut passer que par ce chemin : la différence entre l’ethnos et l’ethnie, c’est que la culture est ouverte et que l’ethnie est fermée. On ne rejoint pas une ethnie, mais on peut se reconnaitre dans une culture. Nous avons commis une grave erreur ; et de ce point de vue il n’y a hélas aucune rupture dans le discours d’Emmanuel Macron, lorsqu’il affirme qu’ « il n’y pas de culture française », là encore au nom de «l’ouverture» aux autres. Cela ne nous viendrait pas à l’esprit une seule seconde de dire qu’il n’y a pas de culture chinoise ou algérienne… Qu’un candidat à la présidence de la République française puisse dire qu’il n’y a pas de culture française, c’est le symptôme de cette déconstruction poursuivie par les élites, qui n’a pas du tout été sollicitée par les plus jeunes. Nos élèves nous demandent au contraire de leur donner l’occasion de se reconnaître dans cet héritage, dont ils sont les participants légitimes.

Jacques Julliard, vous défendez depuis toujours la construction européenne fondée sur le couple franco-allemand. Comment vingt-sept peuples de Madrid à Varsovie peuvent ils s’unir ?

Jacques JULLIARD. – J’ai une réponse radicale. L’Europe ne se fera pas à 27, ni même à 6, mais à deux. Je suis pour l’Europe à deux. Le reste nous sera donné par surcroît. Je vous renvoie à la lecture du Rhin de Victor Hugo qui écrit que l’Europe ne peut être fondée que sur l’alliance de l’Allemagne et de la France. En 1950, lorsque Robert Schuman a proposé l’idée européenne de mettre en commun les ressources du charbon et de l’acier, il l’a proposé aux Allemands exclusivement. Les Italiens et le Benelux ont suivi. Il faut aujourd’hui quelque chose du même ordre, c’est-à-dire l’idée solennelle lancée par la France et l’Allemagne d’une union européenne dont les formes institutionnelles n’ont que peu d’importance. Il faut mettre davantage en commun les ressources économiques, mais aussi politiques, diplomatiques, militaires. Nous avons un siège au conseil de sécurité, l’arme atomique, un réseau diplomatique qui reste l’un des plus grands du monde. Tout cela doit être mis en commun et je suis persuadé que les autres suivront. Mais négocier à 27 pour ensuite organiser des référendums, je n’y crois pas. Je crois à l’alliance franco-allemande parce qu’elle est inscrite dans l’histoire et la géographie. Réunissez la France et l’Allemagne : vous aurez une grande puissance à l’échelle mondiale, porteuse de valeurs communes. Il y a eu une série d’occasion manquées. Dans les années 90 jusqu’à 2000, les Allemands étaient demandeurs, la France a refusé. Aujourd’hui c’est l’Allemagne qui renâcle. L’Europe se fera quand il y aura, comme on dit au bridge, le fit entre la France et l’Allemagne. Autrement dit quand elles seront unitaires en même temps. Ceux qui voudront s’associer viendront. Je ne vois pas d’autres manière désormais de faire l’Europe.

François-Xavier BELLAMY. – Pour ma part, je m’interroge moins sur les moyens que sur la fin. Quel est l’horizon de cette Europe à laquelle nous aspirons ? Que la paix soit l’un des legs les plus précieux de l’héritage que ma génération reçoit, c’est une certitude, et on ne peut qu’y être profondément attaché. Il me semble cependant que cette paix et cette unité de l’Europe ne supposent pas nécessairement une intégration plus grande de ce que nous prêtons de souveraineté à l’échelle européenne. Je dirais cela pour une raison qui est de nature philosophique et politique, qui touche à la conception de la démocratie dont nous parlions tout à l’heure. Pour qu’il y ait démocratie, il faut un demos, un peuple. Or, comme le disait Jean-Pierre Chevènement dans Le Figaro, il n’y a pas de demos européen : il n’y a pas de langue commune, de littérature commune, de culture européenne commune. Comment pourrait-on imaginer un débat politique partagé, condition absolue du choix démocratique ? Par conséquent, je crains que, derrière ce que Macron appelle une souveraineté européenne, il y ait en fait une simple souveraineté des élites, ces élites que vous évoquiez, qui peinent à se reconnaître dans les préoccupations populaires, et qui voient dans l’Europe une manière de s’en extraire. C’est d’ailleurs comme une confiscation de la démocratie par ces élites qu’a été vécue la construction européenne, au moins depuis le référendum de 2005. Vous parliez de façon très concrète de ce que nous pourrions mettre en commun avec l’Allemagne – notre armée, notre outil diplomatique, notre force de dissuasion nucléaire, notre présence au Conseil de sécurité, nos ressources économiques… Mais derrière tout cela, il y a les éléments fondamentaux de la souveraineté, et donc de la démocratie ! Le risque serait de rompre avec notre modèle démocratique, qui est précisément ce que l’histoire de l’Europe a mûri de plus singulier pour le monde.

Jacques JULLIARD. – Les théoriciens de la souveraineté depuis Bodin ont expliqué que c’était là un concept, comme l’atome, qui ne se partage pas. Et pourtant comme il y a la fission nucléaire, je suis favorable à la fission de la souveraineté ! Car il faut choisir entre la mise en commun d’une souveraineté et l’impuissance. Dans le monde actuel, la France ne pèse plus assez fort. De Gaulle nous a donné l’illusion, avec son génie politique, en jouant de la rivalité entre les Etats-Unis et l’ URSS dans la guerre froide, qu’un Etat moyen comme la France avait encore un poids à l’échelle mondiale. Certes la France est encore capable d’intervenir au Mali. Mais même au Mali, il faudra demain que les Allemands ou les Britanniques interviennent. Autrement dit , je suis pour l’intangibilité de la souveraineté culturelle et pour le partage de la souveraineté politique, qui est le seul moyen de redevenir un acteur à l’échelle mondiale.

François-Xavier BELLAMY. – Nous sommes au cœur d’une question décisive pour les années à venir. Comme le pensaient les théoriciens qui ont forgé ce mot, je pense en effet que la souveraineté ne se partage pas. Ce que vous appelez souveraineté culturelle, c’est selon moi la promesse de pouvoir entretenir une sorte de folklore local. Demain, comme aujourd’hui on défend la possibilité d’avoir une télévision qui parle Breton, des écoles où on apprend le Breton et des panneaux indicateurs avec les noms des villes en Breton, on pourrait entretenir une culture française qui ne serait plus une culture nationale, celle d’un peuple trouvant dans sa langue le moyen de délibérer sur son destin, mais qui serait la culture française entretenue comme un tant bien que mal. Tant bien que mal, car il faut revenir à la question du demos : si nous ne décidons pas nous même de notre politique migratoire, par exemple, qui peut garantir que cette culture ne sera pas demain réservée à une minorité ? Où est la souveraineté culturelle des indiens d’Amérique ? A mon sens, la perte d’une souveraineté réelle nous condamne à perdre y compris ce que vous appelez la souveraineté culturelle.

La perte d’une souveraineté réelle nous condamne à perdre y compris ce que vous appelez la souveraineté culturelle.

Jacques JULLIARD. – Je crois que cette culture française, qui n’est pas seulement un folklore, mais l’identité telle que la perçoit le peuple, serait mieux défendue à l’échelle européenne qu’à l’échelle exclusivement nationale. Je constate que les différences politiques entre la France, l’Allemagne et les pays de l’Est, pour prendre ces trois pôles, n’a pas facilité la solution de la crise des migrants. L’Europe sera au XXIe siècle, on ne l’empêchera pas, une terre d’immigration. Mais cette immigration doit être contrôlée. C’est une question de taille. Si l’on fait la liste des dirigeants actuels qui va de Poutine à Trump en passant par Erdogan et Kim Jong-un, jamais le monde n’avait été aussi menaçant. Dans ce contexte, je pense que la souveraineté nationale n’est pas suffisante. Le général de Gaulle lui-même l’avait compris. Il pensait que la souveraineté française, à laquelle il était très attaché, ne pouvait s’exprimer qu’à travers la souveraineté européenne. C’est pourquoi ce nationaliste n’a pas empêché l’Europe de se faire, mais l’a consolidé par l’alliance franco-allemande.

François-Xavier BELLAMY. – Il n’est pas question de contester la nécessité des alliances, d’un lien fort et concret entre les peuples. Mais quelque chose m’étonne, dans l’espèce d’évidence qu’on voudrait prêter à la nécessité d’une souveraineté concédée à l’échelle européenne, c’est le sentiment que dans ce monde effectivement dangereux et instable, il faudrait être plus gros pour pouvoir peser. Ce serait « une question de taille » comme vous l’avez dit – l’expression était aussi le titre d’un passionnant livre d’Olivier Rey. Nous sommes conduits par le capitalisme mondialisé à considérer que « big is beautiful ». Cependant sur un terrain de rugby, s’il y a de gros piliers, c’est aussi un avantage d’être petit et de courir vite. Je ne crois pas par exemple que l’Angleterre soit promise à cause du Brexit au déclin national, à une perte de son indépendance et de son autonomie. Au contraire, dans le monde de demain, marqué par de très grandes puissances, nous gagnerons tout à être véloces dans nos décisions politiques, à avoir une idée précise de ce vers quoi nous voulons aller, de ce qui nous anime, de ce que nous partageons. Plus au contraire nous construirons un assemblage hétéroclite, plus nous nous paralyserons de ce fait même. On peut considérer que le moteur franco-allemand permettra de gagner cette vélocité, mais dès lors qu’il agrègera d’autres que lui, on se retrouvera avec les mêmes difficultés. J’ai du mal à considérer que cette équation qui nous dit que plus on est gros, plus on est libre, soit forcément réalisée dans le monde qui vient. Ce qui compte, c’est la qualité et l’efficacité de la décision. La métaphore de la navigation est celle que Platon emploie pour penser la construction de la cité : sur un bateau, il faut bien quelqu’un qui décide. La souveraineté suppose qu’il y ait un lieu de décision centralisé. Sur un bateau, vous ne pouvez pas décider à 27, et c’est tout le problème que nous vivons aujourd’hui. Une paralysie qui fait que l’Europe est devenue un handicap pour nos économies du fait de la très grande difficulté de la décision politique. Mais il faut encore aller au-delà: nous sommes devant une responsabilité essentielle, qui n’est pas seulement de l’ordre de l’efficacité ou de l’efficience. Si nous acceptons de confier notre souveraineté sur les questions régaliennes à l’échelon européen, y aura-t-il demain un débat politique européen, une opinion publique européenne, un exercice démocratique européen ? Je ne suis pas de ceux qui pensent que l’on peut disposer du réel de façon plastique. Je ne crois donc pas que l’on puisse créer un peuple par la seule volonté politique. Par conséquent, indépendamment de toute notion d’efficacité, nous renoncerions à quelque chose de décisif en acceptant de transférer la souveraineté politique à l’échelle européenne sur les questions régaliennes. Nous ne connaissons pas les conséquences de ce choix. On peut jouer le jeu de la fission de la souveraineté, mais souvenons-nous que la fission nucléaire nous a conduit à prendre des risques totalement inédits… Le rêve macronien d’une grande Europe, qui se ferait contre les peuples, sans passer par la maturation démocratique, par le temps long des convictions et des civilisations, me semble porteur de graves déchirures à venir.

Jacques JULLIARD. – Je suis un admirateur de la monarchie en tant que créatrice de l’unité française.Les rois ont créé la France par la culture autant que par les armes. C’est le rôle de la langue française, de tous les éléments de civilisation que le pouvoir central pouvait apporter alors que les pouvoirs locaux ne le pouvaient pas. Cela s’est fait, non pas par fédéralisation, mais par agglutination. Je partage vos réserves sur le rêve de fédéralisation macronien. L’Europe mettra du temps à se faire, mais il faut un noyau qui ne peut-être que franco-allemand.

Le ciment de l’Europe n’est-ce pas, avant tout, la culture gréco-romaine et judéo-chrétienne? Etait-ce une erreur de ne pas inscrire les racines chrétiennes dans le projet de constitution de 2005 ?

Jacques JULLIARD. – On ne construit pas sur le reniement de ce qu’on a été. On se réfère toujours de ce point de vue-là à Renan. On oublie toujours que Renan dans sa vision de la nation combine le donné et le construit. On retient toujours l’idée de « plébiscite de tous les jours », on oublie de dire que dans la phrase d’à côté, il évoque l’apport du passé. Je le cite : « Avoir des gloires communes dans le passé, une volonté commune dans le présent ; avoir fait de grandes choses ensemble, vouloir en faire encore, voilà les conditions pour être un peuple. »

François-Xavier BELLAMY. – Cela révèle que le projet européen qui nous est proposé aujourd’hui est en fait l’un des symptômes d’un progressisme qui croit disposer de l’avenir en se défaisant du passé. Il s’agit moins de penser la construction européenne comme l’aboutissement d’une longue histoire qui nous précède, et qui supposerait de respecter le temps long et de laisser vivre la maturation des peuples, que de tenter de constituer des formes politiques nouvelles, d’opérer le geste révolutionnaire qui commence par le refus de ce qui est.


Extrait de l’Esprit Public du 17 décembre 2017, une émission de France Culture animée par Emilie Aubry, avec Hubert Védrine, Dominique Reynié et Gérard Courtois.