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Nouveau déplacement au Liban

Retour d’un déplacement au Liban, dans un moment critique pour son avenir. Le travail continue pour soutenir le peuple libanais face à l’impunité et à la corruption, au Hezbollah qui le prend en otage et à la crise des réfugiés syriens.


Invité à intervenir devant les responsables des écoles chrétiennes du Liban pour leur colloque annuel. Le soutien aux écoles est la clé du renouveau pour le Liban, et de la transmission de la culture qui nous lie.


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Déplacement au Liban et Noël en Irak

Reprendre le contrôle sur le droit européen ?

Intervention de François-Xavier Bellamy au Colloque de l’Institut Fédératif de recherche sur les Transitions Juridiques

Transcription

Il est très beau aussi que ce colloque soit l’occasion de vivre l’expérience de plus en plus rare – presque miraculeuse aujourd’hui – du désaccord passionné et enthousiaste. Tout a commencé par le fait que Denys de Béchillon, que je ne connaissais pas, a publié une chronique dans l’Express sur le sujet qui nous réunit aujourd’hui, avec laquelle j’étais en profond désaccord. Je lui ai écrit pour le lui témoigner ; en retour il m’a invité à venir ici, et je crois que c’est très important, parce que l’on vit dans un moment où, Enrico Letta le disait, la polarisation devient la grande la grande tragédie contemporaine au point qu’elle empêche la conversation. La vie démocratique devrait commencer par la jubilation du désaccord : le fait que quelqu’un ne pense pas comme moi est nécessairement une occasion d’essayer de comprendre par où je me suis trompé, ou par où je peux l’aider à mieux considérer le réel. Ce qui est au cœur de la pratique philosophique devrait être aussi le principe de la vie civique, et malheureusement nous avons vu hier à quel point cette expérience devient difficile. Je voulais dire à quel point je suis plein de gratitude pour ce moment que vous nous offrez.

Pour tenter de reprendre le sujet européen, je voudrais partir de mon expérience, sans revenir sur les mésententes anciennes qui restent aujourd’hui dans le débat – je pense par exemple à 2005-2007 qui reste au cœur d’une forme d’incompréhension démocratique, qu’il faudra affronter un jour de manière un peu explicite.

Revenons sur l’évolution de la pratique européenne telle que je la perçois depuis quatre ans, depuis 2019. Je ne suis pas, contrairement à ceux qui m’ont précédé à cette tribune, un grand expert du droit, mais je voudrais très humblement partager mon sentiment : je crois qu’aujourd’hui, ce que nous vivons au plan européen est une forme d’étonnant glissement dans la pratique institutionnelle, qui n’a pas tant à voir avec le fait qu’il y aurait d’un côté la politique et de l’autre le droit, ou une opposition entre le peuple et le droit, mais d’une certaine manière quelque chose qui oppose le droit au droit ou les institutions au droit, et de manière un peu provocatrice je dirais que les ruptures à l’état de droit ne sont pas toujours où on les voit. Elles existent où on les voit, mais pas seulement là.

Une extension des compétences exercées par l’UE au-delà de ce que prévoient les traités

Depuis que je suis entré dans cette expérience européenne, je constate dans les faits une extension des compétences exercées par l’Union européenne bien au-delà de ce que prévoient les traités, notamment une extension des compétences de la Commission européenne. Cela pose d’ailleurs un problème démocratique d’autant plus complexe à gérer que la Commission, Enrico Letta le rappelait, est d’une certaine manière l’institution la moins personnifiée pour les citoyens, celle qui est la moins reliée à la légitimité démocratique. Elle a une légitime démocratique puisque les commissaires européens sont nommés conformément au traités par les gouvernements de leurs États respectifs, mais nous voyons bien, et c’est peut-être un peu l’impasse du traité Lisbonne, que nous sommes restés au milieu du gué, que nous n’avons pas réellement construit un gouvernement européen. la Commission est restée une sorte de double du Conseil, et le principe du Spitzenkandidat avait pour but de remédier à cette déliaison entre la démocratie de l’élection européenne et la constitution de la Commission, en faisant qu’au moins le président de la Commission soit le reflet, le résultat, l’expression du suffrage des citoyens européens. Pour moi, c’est un très grand regret que ce principe du Spitzenkandidat, auquel nous n’avons toujours pas trouvé de traduction française, qui n’était pas dans les traités mais qui était de convention, ait été d’une certaine manière désactivé par l’opposition de deux chefs d’État et de gouvernement européens – Emmanuel Macron et Victor Orban – en 2019, qui ont décidé qu’ils ne se laisseraient pas imposer par l’élection européenne le Président – et en l’occurrence la Présidente – de la Commission.

C’était d’une certaine manière une forme de de volonté, parce que de fait il n’y avait pas d’évolution politique majeure : nous avons remplacé un candidat allemand de la CSU par une présidente allemande de la CDU, donc il ne s’agissait pas d’un renversement politique, il s’agissait plutôt d’une contestation institutionnelle par le Conseil qui ne voulait pas se voir retirer le privilège de nommer le Président ou la Présidente de la Commission européenne ; mais cela a contribué, je crois, à rendre le problème démocratique créé par la situation actuelle plus grand.

Trois exemples concrets

Il y a donc une extension des compétences de l’Union européenne et de la Commission européenne : je voudrais prendre trois exemples très rapides pour que ce soit concret. Je ne parle pas des cas que l’on évoque très souvent, nous pourrions revenir sur la CEDH et la CJUE, parce que vous savez que la CEDH en particulier n’est pas liée à l’Union européenne, mais concentrons-nous sur la pratique de l’Union européenne.

La politique énergétique

En matière par exemple de politique énergétique, les États membres sont, d’après les traités, souverains quant à leur mix énergétique. Mais en réalité, nous voyons que depuis le début du mandat la Commission européenne a fini par entrer dans cette compétence avec des moyens détournés. Je pense par exemple à la taxonomie européenne sur les énergies vertes : qu’il faille décarboner, qu’il faille aller vers plus d’écologie est une nécessité absolue et nous en convenons tous ; mais la Commission européenne établit un règlement financier en utilisant son pouvoir de régulation sur les marchés financiers, pour décider de quelles énergies sont vertes et quelles énergies ne le sont pas, et incidemment elle considère que l’énergie nucléaire n’est pas une énergie verte, asséchant par là potentiellement des milliers de milliards d’euros dans les décennies qui viennent vers une filière qui, dans ce sujet industriel, a des besoins d’investissement qui sont majeurs.

Evidemment, c’est un règlement financier, donc la Commission a beau jeu de dire “je suis dans mon rôle” ; mais en réalité elle prive les États membres d’exercer leurs compétences légitimes. Et il leur a fallu batailler avec beaucoup d’énergie pendant deux ans et demi pour obtenir que le nucléaire, dans des conditions extrêmement restrictives, fasse partie de la taxonomie verte, quand le gaz, lui, y était inclus. Cela est indépendant du contenu, d’une certaine manière, car si nous n’avions mis que le nucléaire dedans, cela m’aurait gêné tout autant du point de vue du principe. Aujourd’hui nous avons le même débat qui s’engage. C’était la semaine dernière au Conseil, et maintenant au Parlement européen, sur la réforme du marché de l’électricité. Nous voyons là encore, sous la pression de certains États membres, des voix qui s’élèvent au Conseil pour dire qu’il ne faut pas que les actifs existants (en l’occurrence les centrales existantes, les barrages hydroélectriques) puissent faire l’objet de contrats de long terme ; c’est une manière de priver les Etats dans lesquels ces choix industriels ont été faits de tirer des bénéfices économiques de leurs options industrielles.

La politique familiale

Deuxième exemple : la question de la politique familiale. Là aussi, la politique familiale n’est en rien une compétence de l’Union européenne : elle appartient aux États membres. Mais la Commission européenne travaille sur un projet de règlement qui s’appelle “Certificat européen de parentalité”, en partant du principe qu’elle a une compétence sur le sujet des transports. Parce qu’il y a un sujet de transport, si vous êtes reconnu comme parent dans un État membre, vous devez être reconnu comme parent dans tous les États membres. Cela fait que le premier État membre qui, par exemple, donne une légalité à la gestation pour autrui, implique que tous les autres États membres de l’Union européenne vont devoir la reconnaître.

Là encore, le sujet n’est pas le contenu : on peut tout à fait défendre la gestation pour autrui, il n’y a aucun problème avec cela, c’est un débat parfaitement légitime. Mais le sujet est que ce n’est pas une compétence européenne. Je vois des collègues d’Europe centrale et orientale qui reviennent dans leur pays, pas seulement en Pologne ou Hongrie, mais en Roumanie, en Slovaquie, en Slovénie, dans les Pays baltes, et les citoyens leur demandent “qu’est-ce que c’est que cette Union européenne qui voudrait nous dire comment nous définissons une famille ?”. Ce n’est pas son rôle, ce ne sont pas ses compétences ; et pourtant ces pays ne sont pas eurosceptiques ou anti-européens, et les collègues que je croise ne le sont pas plus, évidemment, mais il se trouve qu’il y a un sujet démocratique.

Le grand emprunt européen, la politique budgétaire

Le dernier exemple qui me paraît une grande actualité en France est celui que vous avez cité, Monsieur le Ministre, celui de NextGenerationEU, le grand emprunt européen. Le Covid arrive, immense crise économique pour tous nos pays, mais en particulier pour des pays qui sont déjà fortement endettés. Et là-dessus se greffe cette décision qui a beaucoup inquiété, même si elle a été très peu discutée en France : la décision de la Cour constitutionnelle allemande, qui remettait en cause le mandat de la Banque centrale européenne, et la manière dont elle l’exerçait avec les politiques monétaires non conventionnelles qu’elle pratique depuis 2008.

C’était un coup de tonnerre très inquiétant, parce que cela donnait le sentiment que l’Allemagne pouvait d’une certaine manière se retirer du jeu, fragiliser ces politiques monétaires qui permettent de stabiliser aujourd’hui la zone euro. Et c’est dans ce contexte là que la chancelière Merkel a accepté la proposition, poussée depuis le début de son quinquennat par le président Macron, d’un grand emprunt européen, d’une dette commune. C’était une très grande victoire diplomatique pour le Président de la République, mais elle était lourde de beaucoup d’implicite, qui la rendait potentiellement chargée de malentendus. Le premier, c’est que nous nous sommes mis d’accord sur le fait de lever un emprunt, mais pas sur les moyens de le rembourser, donc maintenant nous sommes tous comme des lapins devant les phares d’une voiture en train de regarder les taux d’intérêt monter, la charge de la dette augmenter, et personne n’a la moindre idée de la manière dont nous allons nous sortir de la question de la charge de cette emprunt. On parle de nouvelles ressources propres : c’est évidemment de la fiscalité.

On parle de nouvelles ressources propres : c’est évidemment de la fiscalité. Certains éléments de cette fiscalité sont très bons, et pour ma part je les défends, je les ai défendu et j’ai contribué à leur adoption, comme la taxe carbone à l’entrée du marché unique ; mais il y a d’autres éléments de fiscalité qui peuvent être plus problématiques, et surtout, à la fin, nous n’arriverons pas avec ces ressources propres à affronter la charge de cette dette.

L’autre sujet est que cette dette n’était en rien prévue dans les Traités européens, c’est une invention complète. Il y avait, dans les Traités européens, la mention d’une capacité d’endettement très ponctuelle et très mineure, qui a déjà été utilisé d’ailleurs par exemple après le tremblement de terre de l’Aquila pour venir au secours des communes italiennes touchées ; mais le fait que nous allions lancer un grand emprunt massif de plusieurs centaines de milliards d’euros en commun, tout le monde le reconnaît aujourd’hui dans le débat, n’était pas inclus dans les perspectives ouvertes par les Traités. De fait, cela ne s’est pas fait sans contrepartie, c’est d’ailleurs tout à fait normal ; nos amis Allemands, Nordiques, Autrichiens que nous appelons les radins et qui s’appellent eux-même les frugaux, n’avaient aucune espèce d’intention d’aller garantir par leur signature et contribuer au financement d’une dette qui aurait pour finalité de maintenir des systèmes sociaux, par exemple structurellement déficitaires comme celui de la France ; c’est dans ce contexte là que la France c’est engagée de manière écrite, noir sur blanc, à effectuer une réforme des retraites. C’est dans ce contexte-là que le Président de la République a pris cet engagement, alors que la réforme des retraites qu’il vient de mener ne correspondait pas à celle qu’il disait souhaiter pour le pays, et qu’il avait défendu pendant son premier quinquennat.

Qui ne voit qu’il y a là une clé du malaise démocratique que nous connaissons aujourd’hui ? Moi je crois qu’il faut faire une réforme des retraites. J’ai défendu celle qui a été faite par le Président de la République et son gouvernement, parce que je pense qu’elle est nécessaire à la France. Mais je crois aussi qu’il y a un vrai problème, quand les citoyens ont le sentiment que la réforme n’est pas faite par des dirigeants politiques qui s’expriment en rapportant à leur peuple, mais faite au contraire par l’injonction d’une institution européenne qui n’a pas, d’après les Traités, de compétence pour contrôler les budgets de nos États membres, ni la manière dont ils les exercent.

Nous sommes ici au cœur de la doctrine Monnet, qui a trouvé sa réactualisation : dans son journal qui vient d’être réédité, et c’est une lecture passionnante, on voit comment Jean Monnet avait une conscience très vive que les crises étaient le moment de développement, de déploiement de l’Union européenne ; il a cette formule selon laquelle l’Europe ne sera que la solution multiple des crises qu’elle traversera ; et d’une certaine manière on a vu le Covid devenir une occasion d’intégrer plus encore l’Union européenne. C’est un projet qui n’est pas illégitime par principe évidemment, mais à condition, me semble-t-il, qu’il soit ratifié par les démocraties qui constituent l’Europe ; non pas qu’il soit mené de manière purement technique dans des choix qui se font non seulement contre ou sans la ratification des citoyens, mais contre l’état du droit. Et c’est ça qui me paraît très intéressant ; aujourd’hui on a le sentiment, encore une fois, que le droit est prisonnier de ce projet politique – et encore une fois, les violations de l’état de droit ne sont pas toujours où on le croit.

La question de l’état de droit et de son instrumentalisation

Je voudrais m’arrêter un très court instant sur la question de l’état de droit : le Parlement européen, à ma grande stupéfaction quand j’y suis arrivé, vote continuellement des résolutions, des rapports, des textes qui sont très éloignés des compétences de l’Union européenne et de ses propres responsabilités comme institution législative ou co-légisateur de l’Union. Après la première année de mandat, nous nous sommes retrouvés plongés dans le premier confinement, et nous avons eu un peu de temps libre d’un seul coup parce que nous étions tous piégés dans le distanciel. Avec mon équipe, nous avons fait un inventaire de tous les votes que nous avions effectués depuis le début de notre législature ; nous avions un an d’expérience derrière nous. Nous avons rapporté les votes aux compétences de l’Union européenne : est-ce que ces votes étaient à l’intérieur des compétences propres de l’Union européenne, est-ce qu’elles étaient liées à des compétences d’appui, ou est-ce qu’elles étaient totalement en dehors des compétences de l’Union ? À la fin, 52% des votes étaient totalement extérieurs à des compétences de l’Union européenne. Nous parlons de tout, nous votons sur tout, aussi bien sur des débats politiques nationaux, des comportements politiques nationaux, et tout cela contribue, je crois, à faire monter d’une certaine manière la querelle faite à l’Union européenne de se mêler de ce qui ne la concerne pas. Wanda Mastor parlait du débat sur l’IVG aux États-Unis ; dans l’Union européenne c’est une question qui revient très souvent : nous avons voté sur des résolutions à ce sujet, et d’ailleurs le président de la République lui-même au début de son mandat à la présidence du Conseil de l’Union européenne avait dit qu’il fallait inscrire l’IVG dans la Charte des droits fondamentaux. Se prononcer continuellement sur cette question comme le fait le Parlement européen, et sur les législations nationales en la matière, est quelque chose qui ne relève pas de ses compétences, et qui alimente les discours eurosceptique dans beaucoup d’États membres, où on ne comprend pas que le Parlement européen puisse se prononcer sur les politiques nationales, qui appartiennent théoriquement à la compétence des démocraties qui constituent l’Union.

Et encore, je ne parle pas du contenu : on peut être pour, contre, on peut discuter du contenu autant qu’on veut ; mais nous avons voté par exemple au Parlement européen un rapport qui dit que les hommes peuvent également faire l’expérience de la grossesse : outre que cette expression me semble discutable, ça ne relève pas du tout des compétences de l’Union européenne, et je ne vois pas où est la valeur ajoutée européenne. Ça ne produit aucun effet juridique dans les faits, même si tout cela constitue un peu de soft law qui peut être instrumentalisé ensuite de manière utile.

Idem sur les questions d’état de droit : nous nous prononçons en permanence sur les dérives faites contre l’état de droit dans certains États membres de l’Union européenne, je pense évidemment à la Hongrie ou à la Pologne, pays sur lesquels nous avons voté littéralement des dizaines de résolutions depuis le début du mandat ; je suis effectivement inquiet de ce qui se passe dans des pays de l’Union européenne, je pense en particulier à la situation en Pologne aujourd’hui où une loi a été votée pour fragiliser les chances du candidat principal de l’opposition qui se trouvait être de notre groupe politique, la loi dite “anti-Tusk” ; nous avons là vraiment un problème majeur d’état de droit.

En réalité il y a des problèmes d’état de droit dans beaucoup de pays européens, et on ne s’inquiète jamais par exemple de ce qui se passe aujourd’hui du point de vue de l’état de droit en Espagne, où le système judiciaire est en état de très grande tension, et c’est un point qui n’a jamais été traité. La question des nominations au CGPJ reste un sujet brûlant. Et puis à Malte par exemple, une journaliste a été assassinée, je ne crois pas que Malte et les gouvernements Muscat, Abela soient indemnes de toutes questions d’état de droit ; ou bien en République tchèque avec Monsieur Babis, bref il y aurait des questions d’état de droit à poser un peu partout, et c’est toujours au même endroit qu’on appuie le curseur, parce que pour le coup il y a là un différend idéologique absolument évident.

Un mauvais procès contre l’Union européenne ?

Pour terminer je dirais que le sujet n’est pourtant pas d’aller chercher querelle à l’Union européenne, et de manière paradoxale je crois que ce serait faire un très mauvais procès à l’Union européenne que de considérer qu’aujourd’hui nous perdons le contrôle à cause d’elle. Que les États membres sont en train de se faire déposséder de leur pouvoir par l’Union européenne me paraît une analyse complètement fausse, parce que tout ce que je viens de décrire se produit à la demande des États membres. Je crois qu’il y a un vrai problème démocratique dans le fait que la Commission européenne, que l’Union européenne exercent des compétences qui ne sont pas prévues d’après les Traités, mais tout ceci se fait parce que les États membres le souhaitent, le demandent, le bénissent, et c’est là que se trouve la question fondamentale, me semble-t-il.

Reprenons d’ailleurs l’exemple très intéressant que le général Lecointre évoquait hier, l’exemple de la DETT (la directive européenne sur le temps de travail). C’est un exemple très révélateur : cette directive fixe des limites horaires de temps de travail, qui perturbent de façon extrêmement grave notre modèle d’armée par exemple, qui est fondé sur la nécessaire permanence opérationnelle, mais aussi notre modèle de sécurité civile, c’est d’ailleurs le cas le plus brûlant parce que la première décision rendue par des juges européens sur le sujet a été pour condamner la Belgique, dans le cadre de la décision Matzak. Un sapeur-pompier belge a fait condamner son État parce qu’il avait fait compter ses périodes d’astreinte comme des périodes de travail, donc il arrivait qu’il travaillait beaucoup trop au sens de la DETT. Et tout le monde hurle, y compris en France ; je me souviens d’une tribune du Premier ministre Édouard Philippe qui avait quitté ses fonctions à l’époque, qui avait publié un texte extrêmement virulent contre l’Union européenne, en demandant “d’où l’Union européenne vient-elle remettre en cause notre modèle de défense ?” Et ceci nourrit un discours dans toutes les forces politiques, y compris la mienne parfois, je le regrette, qui attaque avec virulence la Commission européenne, l’Union européenne, les juges européens, la CJUE… qui viendraient nous déposséder de notre souveraineté et de notre sécurité nationale.

Mais la vérité c’est que tout cela est accueilli avec beaucoup d’ironie à Bruxelles, puisque la DETT a été une demande de très longue date du gouvernement français, qui a exigé pendant des années qu’une directive sur le temps de travail permette de lutter contre le dumping social, et permettre de faire en sorte que nous qui sommes au 35 heures ayons à faire face à une concurrence moins rude, notamment de la part des pays d’Europe centrale.

La France aurait très bien pu, dans le cadre de la négociation, exiger, demander, négocier que des exceptions soient prévues pour nos forces de sécurité civile ou pour nos forces armées. Donc nous nous retrouvons aujourd’hui dans la même situation que pour la taxonomie : je vois des Français, des journalistes et des médias français dire : “c’est l’Union européenne qui détruit notre nucléaire”.

Mais je crois qu’on n’aurait pas aujourd’hui cette configuration sur la taxonomie si, pardonnez-moi de le dire avec le sourire, le président de la République n’avait pas eu dans son premier quinquennat trois ministres de l’énergie anti-nucléaire. Donc c’est toujours par les États membres, et par la manière dont les États membres discutent et négocient, Enrico Letta le disait très bien, que se produit à la fin le grand emprunt. C’est exactement la même chose, c’est évidemment les États membres qui l’ont souhaité même s’il n’était pas à mon sens nécessaire. Je crois que le sujet est d’abord là : il n’est pas dans les blocages créés par les États membres, qu’il faudrait surmonter par l’action de la Commission – pour ma part d’ailleurs nous pourrions reparler de la question du veto, mais je ne crois pas que le veto soit aujourd’hui le sujet du des blocages européens ; je crois que le sujet vient d’abord de ce qu’au fond nous nous plaignons après nous être nous-mêmes dépossédés des pouvoirs exercés par d’autres, que nous avons pourtant souhaité transférer, et que d’une certaine manière nous avons souhaité ne plus exercer nous-mêmes.

La politique n’est jamais faible que de son propre vide.

Et je crois que c’est quelque chose qui porte au-delà de l’Europe une leçon plus générale : la politique n’est jamais faible que de son propre vide. C’est d’ailleurs ce qui provoque cette polarisation actuelle : la faiblesse de la politique et non sa force – je partage complètement le sentiment d’Enrico Letta sur ce sujet. Lorsque le politique prétend expliquer qu’il n’a pas pu faire ce qu’il voulait parce qu’il a été empêché, que ce soit par l’Union européenne, ce qui est notre sujet du moment ou bien par son administration, comme le disait Emmanuelle Mignon, ou bien par les juges, en réalité quand le politique prétend s’excuser, je crois qu’il s’accuse, parce qu’il dit substantiellement qu’il n’a pas su lui même rendre effective la vision qu’il prétendait partager avec les citoyens qui lui avaient fait confiance.


 

Sur la nomination de Fiona Scott Morton au poste d’économiste en chef de la DG COMP

La nomination de Fiona Scott Morton est un symptôme terrible. Alors que les GAFA défient les règles européennes, confier leur contrôle à une citoyenne américaine qui les a longtemps conseillés est un abandon révoltant. Un enjeu majeur, pour nos démocraties autant que nos marchés.

Au-delà de son retrait, des questions précises s’impose à la Commission : pourquoi la condition d’une nationalité européenne a-t-elle disparu de la fiche de poste ? Et pourquoi Mme Morton annonçait-elle son recrutement dès avril, bien avant le choix formel ?


 

Débat avec Olaf Scholz au Parlement européen

Monsieur le Chancelier, Parlons nous franchement. Les divergences entre nos pays deviennent souvent inquiétantes. Le mien, la France, a sa responsabilité. Mais derrière les mots, votre coalition finit par mettre l’Europe en danger. Vous parlez d’Europe unie. Mais après avoir imposé l’austérité partout, vous lancez le Doppelwumms, sans prévenir personne, un plan de soutien massif pour l’économie allemande – et tant pis pour les autres pays européens qui en sortiront durablement déstabilisés.

Vous dites que nous devons parler d’une seule voix, mais vous allez seul en Chine pour y maintenir vos positions, au prix de nos dépendances. Vous parlez de solidarité, mais quand vous fermez en pleine crise de l’énergie, vos dernières centrales nucléaires, c’est dans tous nos pays que les factures s’alourdissent. Vos élus font ici tout pour asphyxier cette filière au nom de l’écologie, paraît-il. Mais vos ministres agrandissent les mines de charbon en Allemagne, et c’est toute l’Europe qu’ils polluent. Vous dites que l’Europe doit maîtriser les flux migratoires, mais vous faites tout pour les augmenter en Allemagne.

Vous avez dit, Monsieur le Chancelier, qu’aucun d’entre nous ne veut revenir à l’époque où la loi du plus fort régnait en Europe. Ce ne peut pas être que des mots. 

Vous avez dit, Monsieur le Chancelier, qu’aucun d’entre nous ne veut revenir à l’époque où la loi du plus fort régnait en Europe. Ce ne peut pas être que des mots. Hannah Arendt schrieb : Eine Krise wird erst dann zu einem Unheil, wenn mit schon Geurteiltem, also mit Vorurteilen darauf geantwortet wird. Es ist höchste Zeit, uns selbst in Frage zu stellen*.

 

*Hannah Arendt a écrit : Une crise ne devient une catastrophe que si nous y répondons par des idées toutes faites. Il est grand temps de nous remettre en question.

 

 

 

Trois ans après la rupture démocratique du grand emprunt européen

Trois ans après le grand emprunt européen, toutes nos alertes se confirment. Le remboursement reste incertain. Il entraîne de nouveaux impôts. Et la Commission ne dit toujours pas le coût réel de cette dette, prévu à 15 milliards par an, mais aggravé par la hausse des taux…

En 2020, François-Xavier Bellamy est intervenu à de multiples reprises pour dénoncer le principe de cet endettement commun et l’absence de plan de remboursement clair : « comment a-t-on pu valider cet emprunt européen sans arbitrer sur les modalités de son remboursement, en se fondant simplement sur l’hypothétique création de ressources propres – sujet que chacun sait si controversé que le Conseil s’est bien gardé d’en débattre, même s’il était directement lié à l’emprunt qu’il confirmait ? Pourtant, il faudra bien rembourser ».

Historique et décryptage des rouages ayant mené à cette « rupture démocratique » du grand emprunt européen :

La Commission européenne a levé son premier emprunt, voulu par Emmanuel Macron, sans pouvoir le rembourser. Conséquence : elle prépare maintenant des « ressources propres », une nouvelle fiscalité pour affronter cette dette. Une rupture démocratique dénoncée depuis trois ans…


Une bataille d’un autre âge

Intervention de François-Xavier Bellamy au Parlement européen le 15 mars 2023.

Merci Madame la Présidente, Monsieur le Commissaire, Monsieur le Président du Conseil,

C’est avec beaucoup de soulagement que nous avons découvert hier le projet de réforme du marché européen de l’électricité. Enfin, le long terme retrouve sa place dans les stratégies énergétiques dont nous avons besoin pour pouvoir investir dans notre avenir.

La crise que nous traversons sur l’énergie n’est pas seulement une question commerciale, c’est d’abord une question industrielle.

Et maintenant, ce n’est pas seulement une question de marché. La crise que nous traversons sur l’énergie n’est pas seulement une question commerciale, c’est d’abord une question industrielle. Si nous voulons la surmonter, il faut produire. Produire plus, produire mieux, produire une électricité décarbonée. Et pour cela, utiliser toutes les sources d’énergie décarbonées, et en particulier, bien sûr, le nucléaire. Et quel malheur de voir qu’au sein de la Commission européenne, une bataille d’un autre âge continue pour disqualifier le nucléaire. Nous espérons que dans le Net Zero Industry Act, qui sera publié bientôt, le nucléaire aura sa place, pas seulement sous la forme, Monsieur le Commissaire, des SMR, mais aussi à travers une production de grande échelle. Car c’est de cela que nous avons besoin.

Ceux qui, aujourd’hui, luttent contre cette énergie, que ce soit au sein de la Commission, ou au sein du Parlement – comme les collègues qui, hier, ont voté contre l’inclusion du nucléaire dans la transition énergétique des bâtiments – luttent aussi contre l’environnement, contre notre souveraineté, contre notre indépendance, contre nos démocraties

Ceux qui, aujourd’hui, luttent contre cette énergie, que ce soit au sein de la Commission, ou au sein du Parlement – comme les collègues qui, hier, ont voté contre l’inclusion du nucléaire dans la transition énergétique des bâtiments – luttent aussi contre l’environnement, contre notre souveraineté, contre notre indépendance, contre nos démocraties. Et je crois qu’aujourd’hui, nous avons besoin d’être sérieux et cohérents dans ces combats essentiels.

Merci beaucoup.

Un arrêt de mort

La Commission européenne a présenté ce 1er mars 2023 en commission de la pêche du Parlement européen son plan d’action « pour la conservation des ressources halieutiques et la protection des écosystèmes marins ». Ce plan prévoit notamment l’interdiction progressive du chalutage de fond dans toutes les Aires marines protégées entre 2024 et 2030, une mesure qui condamnerait l’activité de 7000 navires européens, et près d’un tiers de la pêche française. En France, des milliers d’emplois, en mer et à terre, seraient détruits.


Un arrêt de mort pour une filière déjà fragilisée

Cette mesure serait un arrêt de mort pour une filière déjà durement fragilisée par une crise profonde, liée aux conséquences du Brexit et à l’explosion des prix de l’énergie. L’urgence pour les pêcheurs est de sauver leur activité : ils ont besoin pour cela de stabilité réglementaire, d’une vision stratégique de long terme, de confiance et de cohérence – pas d’idéologie hors-sol.

Détruire la filière pêche et desservir la cause environnementale en même temps

Les conséquences de ce plan auront pour double résultat de détruire la filière pêche européenne et de desservir la cause environnementale que la Commission prétend défendre. À l’inverse de l’effet escompté, cette interdiction ne fera en effet qu’accélérer la dépendance de nos pays aux importations de pays tiers dont les pratiques sont souvent désastreuses du point de vue environnemental. En fermant à cette pêche les aires marines protégées, la Commission punirait précisément ceux qui ont fait le plus d’efforts pour la préservation de leurs eaux ; et elle sacrifierait une fois encore la sécurité alimentaire européenne est pour une réforme contre-productive, en condamnant la flotte qui applique les normes environnementales les plus ambitieuses au monde au seul profit de concurrents moins regardants.

Confiscation du débat parlementaire

Enfin, alors qu’aucun débat au Parlement n’a précédé l’annonce de ce plan et qu’aucune étude d’impact n’a été préparée, la Commission annonce une mise en œuvre de son plan par des actes délégués, qu’elle peut décréter sans vote. Cette confiscation du débat parlementaire est anti-démocratique.

Déplacement prochain auprès des pêcheurs

Je reste en lien permanent avec les pêcheurs, les scientifiques, les élus locaux, qui travaillent chaque jour sur ces sujets, et je ferai tout pour que ce projet soit abandonné. Après une nouvelle rencontre avec la filière au Salon de l’agriculture, je me rendrai prochainement auprès de pêcheurs français pour poursuivre notre travail avec eux, et pour les assurer de mon soutien et de la constance de notre groupe politique à leurs côtés.

François-Xavier Bellamy
Président de la délégation française du PPE au Parlement européen
Membre de la commission de la pêche

Intervention de François-Xavier Bellamy le 1er mars 2023 en commission de la pêche :

 

En Arménie, à l’entrée du Corridor de Latchine bloqué par l’Azerbaïdjan

Parce que nous n’avons pas le droit de laisser le peuple arménien seul face à une nouvelle menace d’épuration ethnique ; et parce que, en réalité, c’est aussi la sécurité de nos pays qui se joue ici.

Nomination au poste de vice-président exécutif des Républicains

François-Xavier Bellamy

Cette semaine, Eric Ciotti a annoncé sa volonté de me nommer vice-président exécutif des Républicains, ainsi qu’Aurélien Pradié. Je le remercie de sa confiance, et de la responsabilité importante qu’il me donne ; il sait pouvoir compter sur mon engagement total pour l’épauler dans sa mission à la tête de notre parti. Ma volonté est toujours la même, celle de tout donner pour que la droite offre à la France l’espérance dont elle a tant besoin ; et je serai heureux d’y travailler à ses côtés.

Je voudrais bien sûr redire ma reconnaissance fidèle à Bruno Retailleau : après sa très belle campagne, il n’a rien voulu obtenir pour lui-même, cherchant seulement à assurer que son équipe, et les adhérents qui l’ont soutenu, soient pleinement représentés dans la direction du parti. Demain, avec tant d’amis qui l’ont suivi, nous travaillerons pour faire vivre au sein de notre famille politique la volonté de renouvellement profond qu’il a incarnée dans cette campagne, au service de la refondation dont la droite française a tant besoin.

Il ne s’agit pas de faire vivre des divisions, dont notre camp a déjà tellement souffert, mais au contraire d’agir tous ensemble pour reconstruire une alternative sérieuse et crédible, dans un moment critique pour la vie démocratique de notre pays. La France a besoin d’une droite claire, solide, intelligente, enracinée et inventive, qui puisse lui redonner confiance en l’avenir. Le défi est immense – non pas pour notre parti, mais pour notre pays. C’est avec chacun d’entre vous, chers amis, que nous le relèverons.

Rendre aux Libanais la maîtrise de leur destin : entretien à Nida’ al Watan

Entretien initialement paru en arabe dans le quotidien libanais Nida’ al Watan, propos recueillis par Aline Boustani. Photo : devant le port de Beyrouth, le 22 décembre 2022.

 

Aline Boustani : Monsieur Bellamy, il s’agit de votre première visite au Liban, mais vous vous y êtes déjà beaucoup intéressé ; comment avez-vous trouvé le pays ?

François-Xavier Bellamy : Il s’agit en effet de ma première visite, mais ce n’est bien sûr pas la première fois que je m’intéresse à ce que vit le Liban. Comme beaucoup de Français, je suis avec une attention toute particulière l’actualité du pays. Nous avons tous le Liban au cœur ; et pour ma part, je repars surtout avec le cœur serré de voir ce peuple si profondément inquiet pour son avenir.

Quel message souhaitez-vous porter aux responsables et au peuple Libanais, à l’issue de votre déplacement ?

Je ne voudrais pas faire comme si je connaissais tout du Liban – ce pays a connu trop de responsables politiques venus d’ailleurs, et notamment de France, qui prétendaient lui dire ce qu’il devait faire, et tout savoir sur son avenir… Je suis d’abord venu pour écouter et pour comprendre.

Qu’avez-vous entendu ?

Le peuple libanais demande la justice et la responsabilité. Il est aujourd’hui pris en otage par des dirigeants irresponsables, qui refusent de faire fonctionner normalement les institutions du pays, qui refusent que le Parlement joue son rôle… Comment qualifier des parlementaires qui quittent l’hémicycle pour ne pas avoir à voter, au moment où ils doivent élire le président de la République ? Comment admettre que, dans un tel moment de crise, le Liban ne puisse pas compter sur un président pour discuter avec le monde, et sur un gouvernement exécutif capable d’agir ? Ceux qui bloquent l’élection présidentielle se rendent coupables de l’enlisement terrible que les Libanais subissent tous ; ces élus agissent pour servir des intérêts qui ne sont pas ceux du Liban.

L’autre institution qui doit aujourd’hui fonctionner absolument – et l’Europe doit l’exiger, et en faire immédiatement une condition de son soutien au Liban, c’est la justice. L’Union européenne parle beaucoup d’état de droit : le premier élément de l’état de droit, c’est une justice qui permette d’identifier et de condamner les responsables quand une faute ou un crime a été commis.

L’explosion du port de Beyrouth, c’est un crime sans précédent envers le peuple libanais, envers ces 230 victimes, ces milliers de blessés, ces dizaines de milliers de familles touchées. Comment est-il possible que ce crime ait tant de victimes, mais qu’il n’ait aucun coupable ? L’effondrement du système financier est lui aussi un crime : il a fait et continue de faire des morts. Et il laisse aujourd’hui dans l’impasse des millions de Libanais qui ont travaillé dur pendant longtemps, et qui se sont fait voler le travail de toute leur vie. Comment un tel crime peut-il ne pas avoir de coupable ? La première des mesures à prendre pour que le Liban retrouve confiance en son avenir, c’est la fin de cette irresponsabilité générale.

L’enquête est bloquée, et une enquête internationale est demandée. Est-ce que vous soutenez cette demande ?

Il est normal qu’on ait souhaité faire confiance à la justice libanaise dans un premier temps. Je ne suis favorable à aucune espèce d’ingérence : le Liban a une Constitution démocratique – c’est un miracle dans cette région – et il aurait été évidemment préférable que ses institutions fonctionnent normalement.

Mais puisqu’aujourd’hui, manifestement, rien n’avance, qu’aucun responsable n’a été identifié, et que dans un pays dont la justice est défaillante ou bloquée les phénomènes de corruption les plus complets peuvent se développer, c’est toute la communauté internationale qui doit prendre sa responsabilité. Nos pays sont aussi concernés par cette explosion, dans un port international toujours en activité. Je crois qu’il est aujourd’hui nécessaire que soit au moins conduite une mission internationale pour établir les faits. De ce point de vue-là, encore une fois, l’Europe a le devoir de réagir. Nous parlons souvent de défendre l’état de droit : quand des dirigeants – et nous les connaissons – ne se rendent pas aux convocations d’un juge, ils font entrave à la justice. Il est temps que l’Union européenne prenne des sanctions explicites contre ces gens qui détruisent de l’intérieur la Constitution démocratique du Liban et le fonctionnement de ses institutions. Il se n’agit pas de faire ingérence dans le système libanais ; les Libanais souffrent justement de l’ingérence d’une milice armée, financée et pilotée par une puissance étrangère, qui prétend remplacer leur État. Nous n’avons pas à ajouter une ingérence de plus, mais au contraire à agir concrètement pour aider le Liban à s’en libérer.

Quelles sont les pistes pour aider le Liban à résoudre ses problèmes ?

Il faut d’abord prendre des sanctions ciblées à l’encontre de ceux qui bloquent ces enquêtes, qui menacent les juges, ou qui tentent de les contourner. Des sanctions efficaces permettraient de libérer le Liban d’un système parallèle qui l’asphyxie.

Début décembre, l’Association des déposants au Liban et le groupe Accountability Now ont soumis une pétition au Conseil de l’Union européenne, exigeant l’imposition de sanctions aux politiciens libanais. Quel regard portez-vous sur ce message ?

J’ai eu l’occasion de prendre connaissance de cette pétition et j’échangerai bientôt avec les représentants d’Accountability Now. Je partage totalement leur sentiment : il faut des sanctions claires, explicites et fortes contre les politiciens libanais qui minent de l’intérieur leur démocratie. Bien sûr, l’état de droit, c’est aussi le fait que les parlementaires ne sont pas juges : je ne vais pas faire une liste de noms moi-même ; mais nous pouvons au moins nous donner un cadre : tous ceux qui ne se présentent pas à une convocation de justice – et tous les Libanais connaissent leurs noms – doivent être ciblés par des sanctions, de même que ceux qui empêchent aujourd’hui l’élection d’un président de la République en quittant la Chambre quand il faudrait voter, ou en empêchant le Parlement de fonctionner, alors même qu’on en est le président – je pense que c’est assez clair…

En parlant de l’élection présidentielle, est-ce qu’il y a un candidat en particulier que la France soutient ?

Le rôle de la France n’est pas de dicter au peuple libanais le nom de son prochain président, mais de l’aider à faire en sorte que la démocratie libanaise puisse réellement fonctionner. Cela suppose de ne pas se cantonner à une prétendue neutralité, qui revient en fait à confondre le problème et la solution. Comme vous le savez, je ne suis pas dans la majorité du président de la République [française] ; je ne suis pas venu ici faire de la politique intérieure française, mais il est vrai que j’ai parfois du mal à comprendre que notre président n’ait pas une vision claire à partager avec les Libanais pour leur avenir, non pas au sens où il faudrait que la France impose des candidats – encore une fois, ce n’est pas son rôle –, mais au sens où la France devrait avoir une véritable stratégie politique dans son lien avec le Liban. Nous ne pouvons pas venir uniquement pour faire de la communication, et dire que nous « parlons avec tout le monde » – ce qui signifie parler avec les coupables autant qu’avec les victimes, et mettre sur le même plan ceux qui bloquent, et ceux qui voudraient avancer… La réalité, c’est que toutes les puissances régionales, et certaines puissances mondiales, ne se privent pas d’avoir une vision politique très affirmée quant à l’avenir du Liban, quand la France et l’Europe sont peut-être les acteurs qui s’interdisent le plus d’avoir une stratégie forte pour que la démocratie reste vivante dans ce pays.

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La semaine dernière, le sud du Liban a été témoin d’un douloureux incident, qui a entraîné la mort d’un soldat irlandais. Êtes-vous préoccupé par la sécurité des personnels de la FINUL au Liban ?

Il est impossible aujourd’hui de faire une déclaration certaine sur l’origine de ce crime. J’espère que la FINUL avancera rapidement dans son investigation, pour établir les responsabilités. Ce qui est sûr, c’est que nous entendons de plus en plus un discours hostile à la FINUL, notamment de la part du Hezbollah. Ce discours-là ne peut que conduire à des tensions de plus en plus fortes. Cette situation montre le danger majeur que représente pour le Liban le fait d’avoir non pas un État, mais des États dans l’État – et en l’occurrence de ne pas avoir une armée, mais une armée et une milice parallèle, qui prétend faire la loi et contrôler le pays.

Allez-vous exiger de modifier les prérogatives de la FINUL, ou de raccourcir son mandat après cet incident ?

Non, il ne faudrait surtout pas céder à ceux qui voudraient écourter cette mission, et qui sont prêts à l’imposer par la violence. Ce serait donner raison aux criminels que de tirer un telle conclusion de cette attaque.

La France, l’Europe et beaucoup de pays ont toujours exprimé leur volonté d’aider le Liban à sortir de sa crise actuelle, à condition qu’il commence des réformes. Mais à la lumière de sa crise économique, est-il encore en mesure de mettre en œuvre des réformes ?

Non seulement la crise économique n’empêche pas de faire des réformes, mais elle l’impose. C’est plutôt la crise politique qui rend les réformes difficiles. Et cette crise politique, elle n’a pas d’autre responsable que les responsables politiques eux-mêmes. C’est à eux de sortir de cette impasse. Les réformes sont indispensables. L’Union européenne n’a pas à dicter au peuple libanais ce qu’il doit faire ; mais puisque la communauté internationale apporte une aide importante, la moindre des choses est d’avoir autour de la table des responsables politiques dignes de ce nom, et de pouvoir échanger avec des interlocuteurs capables de rendre au Liban sa crédibilité, et la confiance de ses partenaires internationaux. L’aide internationale ne peut pas servir continuellement de palliatif à une classe politique qui ne veut pas faire de réformes, et qui se repose à bon compte sur le fait que la crise sera toujours atténuée par l’argent qui vient de l’étranger – de la diaspora, ou de l’UE et des ONG… Ce serait évidemment une folie, et ce serait trahir le peuple libanais, que d’offrir à l’État un répit qui lui évite d’avoir à affronter sa responsabilité.

Vous avez parlé, au début de votre visite, de la crise des réfugiés syriens au Liban. Certains demandent qu’ils retournent dans des zones sûres dans leur pays. Soutenez-vous cette demande ?

C’est un grand tort de la communauté internationale, notamment à travers les Nations unies, d’avoir financé la crise au lieu de la résoudre ; la place des réfugiés syriens au Liban est évidemment un immense enjeu pour le peuple libanais aujourd’hui, à cause de la manière dont cette population très nombreuse pèse sur les ressources pourtant limitées du pays en électricité, en alimentation… Tout cela ne peut que nourrir des tensions très graves. Mais c’est surtout un immense problème pour demain. Parce que l’architecture si fragile, si singulière, si riche de la société libanaise, cet équilibre de confessions et de communautés qui fait la diversité du Liban, sera déstabilisée de manière irrémédiable par le maintien sur son sol d’un tel nombre de réfugiés syriens. Je crois qu’il faut que nos Etats le mesurent enfin avec lucidité : aucun pays au monde n’accueille une proportion aussi importante de réfugiés sur son propre sol. La communauté internationale, en maintenant des financements qui incitent ces réfugiés à rester au Liban, bloque aujourd’hui une situation qui déstabilisera tout le pays demain.

Lors de votre rencontre avec le patriarche maronite, vous avez parlé de l’importance de la présence chrétienne. Craignez-vous pour le sort des chrétiens dans ce pays et au Moyen-Orient ?

Je crains pour la diversité libanaise. Je crains pour cet équilibre magnifique qui est consubstantiel à l’identité du Liban. Si les chrétiens, demain, sont empêchés de rester au Liban et se retrouvent contraints de se tourner vers l’émigration pour pouvoir survivre et donner une chance à leurs enfants, l’Europe sera fortement responsable de cet échec. Le Liban perdrait ce qui fait la clé de son modèle millénaire : il perdrait une part de son âme, de sa culture, de son essence – mais aussi, très concrètement, toute une population dont le rôle est majeur pour la vie du pays et de toutes ses communautés. J’ai eu la chance de visiter un hôpital tenu par une congrégation à Beyrouth, qui a été directement touché par l’explosion ; j’ai visité plusieurs écoles chrétiennes… Ces hôpitaux, ces écoles, accueillent tous les Libanais, chrétiens, druzes, musulmans chiites ou sunnites. J’ai visité la Cuisine de Marie, fondée par un prêtre, qui distribue plus de mille repas gratuits par jour, à tous ceux qui en ont besoin, sans leur demander leur identité, leur confession, leur origine. Je crois que tous les Libanais, quelle que soit leur communauté, sont conscients que si les chrétiens quittent le Liban, ce dernier y perdra ce qui fait son équilibre, la richesse de son tissu social, et une part importante de ce qui le fait vivre aujourd’hui.

En septembre 2020, un mois après l’attentat du port de Beyrouth, vous avez appelé à la nécessité de « libérer le Liban des milices, sanctionner la corruption qui brade sa souveraineté, et soutenir la neutralité qui lui rendra la paix ». Pensez-vous toujours que ces trois points soient la priorité pour la stabilité du pays ?

Je n’ai pas changé d’avis, et je crois qu’il est vraiment fondamental de rendre aux Libanais leur souveraineté, de leur rendre la maîtrise de leur destin, de faire en sorte qu’ils ne soient plus les jouets de puissances étrangères qui voudraient leur imposer un avenir écrit pour eux. Il est temps que les Libanais soient enfin respectés par leurs propres institutions, par leurs voisins, par les autres pays du monde. Les Libanais veulent retrouver les moyens de survivre, ils veulent retrouver la possibilité d’accéder à leurs propres économies, ils veulent retrouver la liberté de travailler et la possibilité de vivre dignement du produit de leur travail, ils veulent retrouver une monnaie stable, ils veulent retrouver des institutions fonctionnelles. Mais au cœur de cette crise économique et sociale majeure, il y a aussi, je crois, une crise démocratique, une crise politique, qui est aussi une crise morale et spirituelle. Il faut rendre aux Libanais leur fierté, le respect qui leur est dû.

Certains Libanais ont perdu l’espoir de résoudre tous ces problèmes. Gardez-vous espoir ?

L’optimisme vient quand on a des bonnes raisons de penser que tout ira bien. C’est quand on n’a pas de raison d’être optimiste qu’il faut montrer de l’espérance. Ce n’est pas quand on est en bonne santé et quand on est riche qu’on a besoin d’espérance, c’est quand on est au contraire confronté à d’immenses épreuves ; et de ce point de vue-là, le Liban est aujourd’hui le pays de l’espérance… Il y a peu de raisons d’être optimiste aujourd’hui, en effet, mais je serais prêt à faire malgré tout le pari de l’espérance avec le peuple libanais, qui, lui, d’ailleurs, montre ce courage incroyable.

Si j’ai une raison d’espérer, je la trouve en particulier dans l’éducation. Je suis professeur de philosophie de métier ; c’était important pour moi de passer du temps dans les écoles, au contact du monde éducatif. Au Liban, je suis allé visiter des écoles dans des endroits très différents : à Beyrouth, une école très connue et très ancienne de la ville, mais aussi une autre à Tripoli, à Bab el-Tebbaneh, dans un quartier très pauvre qui a été marqué jusqu’à une période très récente par un affrontement armé entre communautés sunnite et alaouite. J’ai été vraiment impressionné par la joie, la vitalité, l’intelligence de la jeunesse libanaise, par l’élan magnifique qui se prépare dans ces écoles. J’ai été très marqué par ce que j’ai pu percevoir de la qualité de l’enseignement, et notamment celui de la langue française qui nous est commune. Nous sommes à la veille de Noël, cette fête qui nous rappelle que c’est au milieu de la nuit la plus noire que peut survenir la bonne nouvelle… C’est sans doute le bon moment pour se dire que oui, le Liban a des raisons d’espérer.

Qu’allez-vous dire au Parlement européen à propos de cette visite ?

Fort des échanges que j’ai pu avoir ici, je rappellerai l’urgence de changer complètement d’approche dans la crise des réfugiés syriens, pour que l’on cesse d’inciter les gens à vivre indéfiniment du statut de réfugié, car ce serait enkyster dangereusement le problème. L’urgence d’aider les Libanais à retrouver l’accès à leurs propres économies – et il y a des moyens juridiques pour le faire. C’est quand même le seul pays au monde où les gens sont tentés d’aller voler leur propre argent à la banque ! La justice de nos pays doit pouvoir y contribuer. La décision récente de la justice américaine est à ce titre importante.

Je crois qu’il y a aussi beaucoup à faire pour aider le secteur privé à se relever, en l’aidant à accéder à des financements. Aujourd’hui le secteur bancaire libanais est détruit, et il est difficile pour des entrepreneurs de financer leurs projets, alors que le Liban a des atouts économiques considérables. Et avant même que les institutions ne soient réformées, et que le pays n’avance sur le plan politique, il est déjà possible d’aider le secteur privé à se reconstruire – ce qui permettra aussi de recréer de l’activité et de l’emploi pour les jeunes, de leur permettre de rester, de faire venir des devises, et par là de donner de l’oxygène à la société libanaise. Pour cela, il faut faciliter l’accès au crédit ; on peut certainement travailler là-dessus sur le plan juridique et technique. Le Liban est confronté à tant de problèmes : la meilleure manière de les aborder est peut-être de traiter chacun de ces problèmes les uns après les autres, d’apporter des solutions concrètes, plutôt que d’attendre une solution globale éternellement, laquelle est évidemment nécessaire mais n’est pas dans nos cordes aujourd’hui.

La dernière chose que je dirai, en revenant en Europe, c’est que nous avons le devoir de nous tenir aux côtés du peuple libanais, pour l’aider de toutes nos forces, mais aussi pour nous laisser aider par lui. Je suis vraiment venu écouter – je ne veux pas ajouter mon nom à la liste déjà longue des hommes politiques venus d’Europe pour donner des leçons aux Libanais. Il nous faut d’abord écouter les leçons de courage, d’énergie, de lucidité que les Libanais nous donnent, parce que tous les problèmes qu’ils affrontent aujourd’hui sont aussi en germe dans nos pays européens. Nous ne sommes en rien supérieurs au Liban : au regard de la succession de mensonges que les Libanais ont subi sur les questions migratoires, économiques, budgétaires, monétaires, nous ne pouvons que constater que nous ne sommes pas davantage immunisés contre ces illusions dangereuses. Nous devons d’abord écouter les Libanais nous parler de la nécessité de faire face à ces défis, avant qu’il ne soit trop tard.

Allez-vous revenir au Liban ?

Bien sûr ! Aucun résultat ne s’obtient en un seul jour. C’est dans la durée que nous devons travailler ensemble.