Peut-on changer l’UE de l’intérieur ?

Extrait d’un entretien paru dans  le magazine La Nef en septembre 2023.

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Être député européen a-t-il changé votre vision de l’Europe ?

J’ai évidemment beaucoup appris, mais je ne crois pas avoir changé radicalement de perspective. Je continue de penser que l’Union européenne est aujourd’hui le synonyme d’une forme de dépossession pour les citoyens des pays européens, dépossession de leur capacité à maîtriser leur destin. Et je crois qu’elle devrait au contraire trouver tout son sens dans le fait de les rendre plus libres et plus maîtres de leur avenir. Pour y parvenir, il faut qu’elle connaisse une remise en cause extrêmement profonde.

Justement, fort de cette expérience de député, pensez-vous qu’un homme politique puisse changer les choses de l’intérieur dans le cadre de l’Union européenne ?

Oui : je n’ai pas le sentiment d’avoir passé mon mandat, comme beaucoup de mes collègues d’autres groupes politiques, à consentir ou à commenter ; ce qui rend le mandat au Parlement européen intéressant, c’est qu’avec du travail et la patience qu’il faut pour construire des alliances, il est possible d’agir. Nous avons mené, et parfois gagné, des batailles majeures. Sur l’énergie nucléaire par exemple : nous avons empêché l’asphyxie de la filière nucléaire française par les règlements sur la taxonomie, et je crois pouvoir dire que j’y ai contribué de façon très directe, quand bien même tout le monde me promettait une défaite. On a parfois le sentiment d’assister, impuissants, à la déconstruction de la civilisation sur laquelle l’Europe est pourtant fondée : là aussi, nous avons réussi à mettre des crans d’arrêt importants. Je pense à l’amendement que j’ai déposé – il aura fallu s’y reprendre à plusieurs reprises, c’est toujours dans la durée qu’on gagne les combats – pour interdire à la Commission européenne de financer des campagnes faisant la promotion du hijab. Au-delà du combat contre cette dérive très concrète, cette victoire a permis de renverser une tendance : beaucoup m’ont partagé que, dans les cabinets des commissaires européens, une vigilance est désormais de mise sur le choix de leurs interlocuteurs, de leurs partenariats et leurs engagements. Tant mieux si nous avons pu faire que l’inquiétude change de camp !

Je n’ai pas le sentiment d’avoir passé mon mandat, comme beaucoup de mes collègues d’autres groupes politiques, à consentir ou à commenter ; ce qui rend le mandat au Parlement européen intéressant, c’est qu’avec du travail et la patience qu’il faut pour construire des alliances, il est possible d’agir.

Ces sujets sont essentiels, mais il faudra évidemment des ruptures beaucoup plus profondes pour changer significativement l’Union européenne. Et c’est une grande difficulté de l’engagement politique dans notre monde : on a parfois l’impression que nos victoires consistent surtout à éviter le pire, à ralentir la crise. On mène des combats de retardement, on essaie de combler des brèches et d’empêcher que le bateau ne coule trop vite. Ce n’est pas sans importance, bien sûr ; mais pour changer profondément de direction, il faudra plus que le travail parlementaire quotidien.

Que faudra-t-il alors, concrètement ? Qu’est-ce qui pourrait être réalisé pour changer cette Union européenne ?

Je crois que nous aurons d’abord besoin d’une véritable alternative politique en France. Car l’Union européenne est surtout conduite par les États-membres. Le Parlement européen n’est pas à l’initiative. C’est d’ailleurs le caractère un peu éprouvant de cette expérience : on reçoit des textes qui nous viennent déjà écrits par la Commission et dont les États membres ont eu l’initiative. Quand les Français se plaignent de l’Europe, ils doivent se souvenir qu’ils se plaignent d’abord de l’Europe que construit le gouvernement français. Et donc si nous rebâtissons une véritable alternative politique pour notre pays, nous pourrons faire en sorte que les choses changent structurellement au niveau européen.

Vous parliez tout à l’heure de l’importance pour un député de pouvoir agir et pas simplement consentir ou commenter. À cet égard, est-il important qu’il y ait une délégation française au PPE – et donc très concrètement des parlementaires LR au Parlement européen ?

Je crois que c’est fondamental, même si les Français ne sont pas forcément conscients de ces enjeux. Les Républicains appartiennent au PPE, qui est la première formation politique européenne. Il y a donc une équation électorale qui rend le vote LR spécialement utile, même si cela ne saurait suffire à fonder un vote.

Le débat européen a complètement ignoré la fin des clivages rêvée par Emmanuel Macron ; il est toujours structuré autour d’un clivage gauche-droite qui va se renforçant. Tendance par exemple accrue par l’actuel rapprochement du PPE avec les forces conservatrices, par exemple avec le parti Fratelli d’Italia de Giorgia Meloni, avec lequel il discute aujourd’hui pour construire un vrai pôle politique qui puisse demain être majoritaire au niveau européen. Il est absolument clé que la France puisse être représentée dans ce qui est, dans ce qui va être le lieu de l’action politique la plus efficace et la plus influente. Et, par contraste, force est de constater que nos collègues du Rassemblement national par exemple, dans la mécanique des votes internes au Parlement, qui est aussi le résultat de leurs propres choix politiques, n’ont pas fait adopter un seul amendement en cinq ans, ni un seul texte. Ils n’ont pas gagné une seule bataille dans l’enceinte du Parlement européen.

Les Républicains appartiennent au PPE, qui est la première formation politique européenne. Il y a donc une équation électorale qui rend le vote LR spécialement utile, même si cela ne saurait suffire à fonder un vote.

Mais encore une fois, on ne peut pas demander aux électeurs de raisonner avec des calculs d’efficacité. Car je ne crois pas qu’une majorité d’entre eux se déterminera en se disant, comme Machiavel : où est le plus grand effet de levier possible ? De plus, c’est à nous de leur présenter une ligne politique claire à laquelle adhérer, à nous de faire en sorte qu’ils soient convaincus, pour pouvoir être représentés là où cela compte vraiment de l’être.

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