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Droits des femmes : chercher l’égalité, ou l’uniformité ?

Aujourd’hui se tenait la réunion du Comité Interministériel sur les Droits des Femmes : bonne nouvelle. Il y a des comités par dizaines, mais quand par extraordinaire il s’en réunit un sur un vrai sujet, on ne peut que s’en réjouir. Dans notre société, trop d’injustices réelles pèsent encore sur les femmes, sur les mères en particulier, si souvent abandonnées à une responsabilité qu’elles portent seules pour le bien de tous.

Sur ce point, parmi d’autres, il y a urgence : toutes les associations de lutte contre l’exclusion constatent que la grande pauvreté, qui augmente dans notre pays, touche de plus en plus majoritairement les femmes, contraintes d’assumer seules la charge d’une famille. Seules, à cause de la fragilité des unions et, il faut bien l’admettre, à cause de ce qui ressemble à un égoïsme mieux partagé par les hommes…

J’ai donc lu avec attention le document issu de la réunion de ce comité. J’imaginais y trouver des mesures d’accompagnement pour ces mères en difficulté qui n’arrivent plus à joindre les deux bouts, pour qui l’alimentation et la santé ne sont même plus accessibles ; je pensais lire des pistes concrètes pour permettre aux femmes de faire des choix vraiment libres, sans avoir à les payer si cher. Je m’attendais à un projet de valorisation de la place des femmes dans la société, seule voie qui puisse montrer que la parité est nécessaire à l’expression de nos différences.

Hélas, j’ai rapidement du reconnaître ma méprise : au lieu de ces mesures urgentes, consistantes, je suis tombé sur un texte militant pour la théorie du genre… Ce n’est pas difficile à reconnaître, tous les ingrédients y sont.

Cela commence par un travail de culpabilisation en bonne et due forme. Vous êtes tous sexistes, sans le savoir. Oui, vous. Toi, là, qui me lis, tu es un infâme sexiste. – Et que tu sois une femme n’y change rien, cela ne fait qu’aggraver ton cas. – Oui, vous me lisez bien : nous véhiculons malgré nous des jugements sexistes, c’est-à-dire que nous partageons, consciemment ou non, un même mépris condamnable de la condition féminine. Pécheurs avant d’avoir voulu pécher : voilà une stratégie de culpabilisation que le Nietzsche de la Généalogie de la Morale aurait reconnue à sa juste valeur.

La solution s’impose en effet tout naturellement : laissez-vous rééduquer. Mme Vallaud-Belkacem a commencé par rééduquer ses collègues du gouvernement, maintenant c’est à votre tour. Ou plutôt non, vous, vous êtes sans doute déjà périmé, perdu pour la cause. Ils vont donc s’occuper de vos enfants.

Commence alors le plus formidable projet de détournement de la mission de l’Education nationale qu’on puisse imaginer. De la maternelle à l’Université, inculquer les postulats du gender devient une priorité absolue : sensibilisation à l’égalité au primaire, au collège, au lycée (le terme sensibilisation revient 32 fois dans ce compte rendu), cours sur le genre dans tout l’enseignement supérieur, financement des recherches sur le genre, formation à l’égalité de genre pour les profs (les pires coupables d’ailleurs, mais ça, ils finissent par avoir l’habitude). Bref, à l’école on n’apprend toujours pas à lire correctement, mais au moins on va « réapprendre une autre société. » Une école qui rééduque avant  même d’éduquer : tout un programme…

Pourquoi est-ce grave ? Parce que l’école, et tous les moyens de l’Etat, se trouvent mis au service de cette thèse très particulière qu’est la théorie du genre. Elle consiste à affirmer que l’homme et la femme sont, non pas égaux, mais identiques. Il n’y a pas entre eux de différences ; ou plutôt, toute différence doit être immédiatement dénoncée comme le résultat d’un « stéréotype sexiste », ces fameux préjugés du « sexisme d’habitude » que dénonce Mme Vallaud-Belkacem. Le gouvernement ne lutte pas pour l’égalité, mais pour l’uniformité. Ce faisant, au lieu de servir la liberté réelle des femmes, il les enferme dans un nouveau carcan.

La théorie du genre peut être, comme toute théorie, stimulante, intéressante, et discutable. En faire un dogme incontesté, c’est d’abord une supercherie intellectuelle ; mais la convertir en programme politique, c’est surtout prendre le risque d’une gigantesque régression pour les droits des femmes elles-mêmes. Demain, le service public d’orientation que le gouvernement prépare jettera le soupçon sur une jeune fille qui souhaiterait s’engager dans le secteur médical ou social, en expliquant publiquement que son désir repose sur des réflexes sexistes. Pour Mme Vallaud-Belkacem, le but n’est pas de faire en sorte que chacun puisse faire un choix vraiment personnel ; le but, c’est que l’Etat organise une société où il y ait 50% d’hommes chez les sages-femmes, et 50% de femmes chez les maçons. Invitée sur un plateau télé il y a quinze jours, notre ministre du droit des femmes a offert à la journaliste qui la recevait, jeune maman d’une petite fille, un jeu de bricolage en guise de cadeau pour son enfant : qu’elle ne s’avise pas de jouer à la poupée ! Il faut être ferme, n’est-ce pas : c’est comme ça qu’on prépare les maçon(ne)s de demain.

Il est triste de voir ce gouvernement asservi à la théorie du genre, pourtant restée marginale dans la communauté scientifique elle-même. Triste de voir autant de moyens déployés au service d’un projet aussi oppressant. La « société de l’égalité » qu’on nous promet, c’est en effet la société uniforme de l’universel quota. C’est aussi l’obligation faite aux femmes d’entrer dans la stupide course aux pouvoirs superficiels de l’argent et de la politique – puisque y renoncer serait une défaite devant les « stéréotypes. » C’est, au fond, l’alignement de la féminité (encore un mot condamné) sur ce qu’il y a de pire dans l’instinct machiste : faire carrière à tout prix, et même, par exemple, au prix d’une voie singulière vers le bonheur.

Bien sûr, il faut qu’une femme puisse faire carrière si elle le veut, exercer des responsabilités, trouver sa place dans le domaine qui l’attire. Et l’école doit se battre pour cela. Je refuse catégoriquement d’être considéré comme un sexiste qui s’ignore, moi qui travaille chaque jour, avec mes 852 906 collègues, pour aider des jeunes, garçons ou filles, à préparer leur avenir. Mais l’école ne peut offrir la même chance à tous qu’en assumant plus efficacement sa seule véritable mission : transmettre la connaissance. Tout ce que l’on ajoutera à cette unique vocation sera, au mieux, de la communication sans effet ; au pire, un détournement du service public à des fins partisanes, fussent-elles camouflées derrière les meilleures intentions du monde.

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Pour continuer la discussion

 

.Voilà, je me doutais bien que mon dernier billet susciterait des réactions contrastées. Je réponds ici brièvement aux dizaines de messages, reçus par mail, en commentaire, ou via les réseaux sociaux. Merci à tous ceux qui ont écrit, pour acquiescer ou contester ! Comme le dit Mélenchon lui-même, « voilà un débat qui nous élève. »

Pour prolonger notre échange, je voudrais préciser quelques points. Mon raisonnement s’appuie sur deux caractéristiques du Front de gauche, dont je m’étonne simplement qu’elles n’indignent personne.

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1) Son rapport à l’histoire : ce mouvement, qui intègre le PCF, n’a jamais eu le courage de rompre avec une histoire pourtant douloureuse – le mot est faible. Le symptôme que je rappelais en est clair : qui a entendu Jean-Luc Mélenchon tonner contre ceux qui arboraient le drapeau de l’URSS dans ses meetings ? Et pourtant, des millions d’innocents sont morts sous ce drapeau, ont été torturés, assassinés, déportés en son nom ! C’était il y a vingt ans encore : les aurions-nous oubliés au point de s’accommoder d’une telle nostalgie chez nous, aujourd’hui ? Que tout ceux qui m’ont parlé d’un détail, par pitié, relisent Havel, Koestler, Soljenitsyne et tant d’autres ! Il en va de notre devoir de mémoire. Et, en ce jour du Souvenir de la déportation, je m’effraie de nous trouver si anesthésiés, si peu capables de révolte, sur un détail aussi terrible.

On pourrait discuter des heures pour savoir si le projet communiste doit être condamné au nom de ses réalisations historiques ou contemporaines. Mais ce n’est même pas le débat ici : lorsqu’un drapeau de l’Union Soviétique s’exhibe dans un meeting, la réprobation devrait être spontanée, unanime, absolue ! Ce serait une faute morale que de s’enfermer dans les indignations sélectives d’un conformisme paresseux.

Le simple silence de Jean-Luc Mélenchon et de son mouvement à ce sujet, sa complaisance affligeante à l’égard de Cuba, suffisent donc à me le rendre inquiétant, et à jeter le soupçon sur le rapprochement que François Hollande assume dans sa direction. Dans l’ « hommage au communisme » de ce dernier, il y a d’ailleurs sans doute, hélas, plus de facilité coupable que de conviction erronée…

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2) Son projet pour l’avenir : plusieurs messages me reprochent de jouer sur les peurs, et de caricaturer le discours du Front de Gauche. Soyons sérieux : je sais bien que les chars soviétiques ne sont pas aux frontières du pays, et je ne crois pas avoir excité des inquiétudes que je n’éprouve pas ! « La révolution n’est pas pour demain, le Front de Gauche n’est pas dangereux », me disent beaucoup : à ce compte-là, Marine Le Pen ne le serait pas non plus, qui ne risque pas de prendre l’Elysée avant un bon moment.

Et pourtant ces deux mouvements, quoique sans comparaison possible pour tout le reste, sont effectivement une menace pour notre avenir, me semble-t-il, et pour une même raison : ils ont en commun d’opposer les Français les uns aux autres. Les uns contre les autres. Le FN joue sur la défiance entre Français « de souche » et Français issus de l’immigration. Mais nous sommes tous Français, et nous avons tout à perdre des divisions qui viendraient se créer entre nous ! Jean-Luc Mélenchon a d’ailleurs su le dire, avec force, tout au long de cette campagne. Pourquoi alors être tombé dans le même travers – oui, le même ! – qui consiste à opposer les Français en fonction d’autres critères ? Salariés contre patrons, démocrates contre journalistes, peuple contre gouvernants : voici, non pas la critique (qui est normale et saine), mais la guerre, la lutte à laquelle Jean-Luc Mélenchon n’a cessé d’appeler avec virulence, créant dans une même communauté de destin des conflits d’intérêts d’ailleurs largement fantasmés. Voilà ce qui est grave.

Qu’on n’aille pas me dire qu’il n’y avait pas de la violence là-dedans. Et là encore, que personne ne se réfugie dans l’excuse trop facile. La lutte des classes, que Mélenchon a ressuscitée, c’est la tradition communiste, je le sais bien. Mais cette tradition est mortifère. Elle a détruit, elle détruit, elle détruira encore si nous cédons à son schématisme enivrant. Il est peut-être difficile de le reconnaître, car cette vision du monde est fascinante dans sa belle cohérence ; mais elle porte indéniablement à la haine et à la rancoeur. Cela n’a rien d’anodin.

On m’écrit d’ailleurs que je suis mal informé. J’ai pourtant suivi tous les discours de Jean-Luc Mélenchon, et lu régulièrement son blog – encore une fois, avec l’admiration certaine que j’ai évoquée. Il y était effectivement question, et de belle manière, de fraternité, de tendresse et d’amour. Mais tout cela, entre les ennemis d’une même classe… Car il y a bien, pour le Front de Gauche, un adversaire de classe, un ennemi de l’intérieur. N’ayant pas le temps de faire une compilation, je viens de reprendre l’un de ces discours, au hasard – vous ferez l’expérience à votre tour. J’y trouve le passage suivant :

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 C’est pourquoi il faut réquisitionner, chaque fois qu’ils essayent de s’échapper. Il faut maintenant que nous les menacions (en gras dans le texte). Je vous préviens ! Lorsque le Front de Gauche dirigera ce pays, l’article 410-1 du Code pénal prévoit que ceux qui conspirent contre les intérêts fondamentaux de la Nation en matière économique, environnementale ou financière seront pourchassés, et passibles de peines de prison et d’amendes. Je vous préviens : si vous conspirez avec des fonds de pension, vous relevez du Code pénal ! Si vous conspirez avec des gens qui décident de fermer l’unique usine d’acide acétique du pays, vous serez pourchassés ! Si vous laissez fermer la seule usine qui produit de l’insuline dans notre pays, vous serez pourchassés !

Discours au meeting de Besançon, 24 janvier

 

Si cela n’est pas un jeu dangereux avec la haine, je ne sais pas ce que c’est. La mise en scène de ce ils, par qui que ce soit, quelle que soit la classe politique ou sociale qu’il recouvre, sert à créer cette fracture dont nous pourrions bien ne jamais nous remettre. Il y a des patrons délinquants – comme il y a des immigrés délinquants, et tous les délinquants doivent être punis. Mais on ne saurait jeter l’anathème sur ce ils anonyme, entretenir la haine des patrons ou la haine des immigrés, sans compromettre gravement l’unité de notre pays. Voilà ce qui doit être dénoncé, aussi fermement à droite qu’à gauche, même et surtout si cela demande du courage !

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Je conclus par là : encore une fois, je ne conteste pas la générosité profonde qui a animé bien des militants du Front de gauche pendant cette campagne. Mais je voudrais que nous dépassions ensemble toutes les facilités, toutes les superficialités, pour regarder les faits en face, et les choix collectifs qui s’ouvrent à nous.

Comme je l’ai déjà écrit ici, en déplorant avec la même franchise une dérive de l’autre bord, nous avons un avenir à sauver. Notre génération va devoir faire face à des défis qui compteront parmi les plus grands qu’un pays, qu’un continent, ait jamais surmontés. Divisés, nous n’y parviendrons jamais. Ceux qui prêchent la guerre entre nous, quels qu’ils soient, fragilisent donc notre avenir commun.

Car le seul avenir possible nous est commun ! Faire croire que nous aurions quoi que ce soit à gagner dans le fait de lutter les uns contre les autres, c’est là un jeu irresponsable et dangereux. Voilà le seul et unique sens de mon précédent billet : comme j’aimerais que nous sachions résister avec autant de force à la tentation mortifère qui nous guette des deux côtés…

Et comme j’aimerais, demain, pouvoir travailler avec ces jeunes attirés par le Front de gauche, quand ils renonceront à une lutte inféconde, pour tenir ensemble nos fronts communs – pour rechercher avec eux toutes les formes de justice et combattre, avec eux, toutes les formes de pauvreté !

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Indignez-vous !

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Chers lecteurs,

Jusque là, vous l’aurez sans doute remarqué, je m’étais abstenu de publier toute analyse sur les élections présidentielles en cours. Le sujet suscite une littérature assez abondante pour que j’évite d’y ajouter un commentaire supplémentaire. Mais aujourd’hui, en conscience, je ne peux plus tenir cette résolution. Il se passe quelque chose de trop grave dans notre pays.

Un parti a obtenu, dimanche dernier, un score jamais atteint dans les dernières décennies de notre histoire électorale. Un parti pas comme les autres. Un parti qui appelle à la haine entre les Français, qui tient un discours de violence à peine réfrénée, qui excite les peurs et les rejets. Un parti qui jette en permanence le soupçon sur les institutions et les médias qui font vivre notre démocratie.

Plus grave encore : il s’agit d’un parti qui n’a jamais explicitement rompu avec l’idéologie totalitaire la plus meurtrière du XXème siècle. Dont les responsables se sont affichés aux côtés de responsables politiques internationaux notoirement hostiles à la démocratie. Dont les meetings ont vu arborer souvent les drapeaux d’un régime qui a compté parmi les plus inhumains de l’histoire. Des images existent. Des vidéos ont été diffusées, au grand jour, sur les principales chaînes de télévisions. Sans que jamais ce parti ne réagisse, ne condamne ou ne prenne ses distances.

Ce parti a fait un score à deux chiffres. A deux chiffres. En France, en 2012.

Mais il y a pire encore : dans cette période d’entre-deux tours propices à tous les calculs, il semble que l’un des deux finalistes soit prêt à tout pour s’accommoder les faveurs de ce parti, avec lequel aucune tractation ne devrait pouvoir être possible.

Voilà pourquoi je prends la plume ce soir. La démocratie est en danger dans notre pays ; parce qu’un parti extrémiste, aux frontières du respect de notre république, a réussi à attirer des millions de Français en jouant sur les exaspérations légitimes nées de la crise. Et parce que, plutôt que de dénoncer l’archaïsme insensé, l’idéologie haineuse et les complaisances coupables de ce parti, l’un des candidats du second tour, susceptible donc – quand on y pense ! – d’obtenir un prochain mandat présidentiel, semble résolu à pousser l’indignité jusqu’à faire les yeux doux à ce parti pour se rallier ses électeurs.

Oui, vous avez bien lu. François Hollande pactise avec le Front de Gauche. Il a déclaré hier soir qu’il était prêt à gouverner avec des ministres issus de ce mouvement. Il a déclaré ce soir vouloir « rendre hommage à la culture communiste. » Un peu de recul historique, un peu de lucidité politique, un peu de bon sens, enfin, devraient nous faire mesurer toute la facilité scandaleuse, toute la compromission honteuse d’un tel propos !

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Bon, quelques lignes et je suis déjà épuisé de jouer l’incantation de la grande conscience morale… Venons-en au fait : ce petit laïus n’avait d’autre but que de montrer l’incroyable dissymétrie dans le traitement réservé aux deux candidats, notamment dans leur rapport aux extrêmes. J’ai suivi avec beaucoup d’intérêt la campagne de Jean-Luc Mélenchon – et, je dois le dire, avec beaucoup d’admiration. Il y avait chez lui une vision cohérente, un propos fondé et approfondi, une indéniable énergie, la capacité à créer une fraternité dans l’engagement et, qualité hélas de plus en plus rare, un art de la parole qui a fait honneur comme rarement à notre langue.

Mais enfin, bien que je n’aie pu retenir une certaine estime pour le candidat, les faits sont là : le discours de Mélenchon ne joue que sur les haines et les rancoeurs. Il est à l’évidence dangereusement irréaliste dans ses promesses, et donne de fausses réponses à de vrais problèmes. Il crée la division, opposant plusieurs fois le drapeau rouge au drapeau tricolore, qui porte « ces couleurs que nous n’aimons pas. » Il appelle à l’insurrection, contestant explicitement les institutions républicaines. Il témoigne d’une complaisance répétée à l’égard de régimes connus comme des dictatures meurtrières. Il est candidat du parti communiste, enfin, le seul qui n’ait pas changé de nom, ni de sigle, ni d’hymne, ni de journal, ni d’idéologie, depuis son affiliation à l’Internationale de Lénine en 1920, assumant ainsi l’histoire la plus sanglante qui ait traversé le siècle dernier. Et voilà le mouvement que M. Hollande voudrait intégrer à son gouvernement ? Voilà la « culture communiste » à laquelle, ce soir du 27 avril 2012, il cherche encore à rendre hommage ?

 Je sais, vous pensez sans doute que Marine Le Pen est vraiment méchante, elle, et que le camarade Jean-Luc a quand même un côté sympa. Vous allez me reprocher cette critique, parce que parler des ravages que le communisme a laissés derrière lui au XXème siècle, c’est déjà un peu douteux, hein. Cela étant, je ne doute pas, moi, de la sincérité, de la générosité de l’engagement de nombreux militants du Front de gauche ; mais aucune générosité n’est suffisante sans le courage de l’honnêteté intellectuelle. Parlons franchement : attaché à la démocratie comme à l’une des conquêtes les plus précieuses de notre histoire encore récente, comme à l’une des plus coûteuses aussi aux générations qui nous ont précédées, je ne peux pas ne pas trouver le propos de Jean-Luc Mélenchon dangereux, et la manoeuvre électoraliste de François Hollande irresponsable et immorale, de la part d’un candidat à la présidence de la République.

On se bornera à constater qu’on fait à Nicolas Sarkozy un procès bien plus acharné pour un rapprochement bien moins évident avec Marine Le Pen. M. Sarkozy a beau répéter qu’il ne gouvernera pas avec le FN, qu’aucun accord ne se fera pour les législatives, qu’il n’a aucune estime pour le combat que mène sa candidate, on s’obstine à le dénoncer comme un crypto-fasciste, et des élus socialistes – oui, des élus ! – ont poussé le triste ridicule jusqu’à l’assimiler à Hitler. Malgré tout ce que j’ai écrit ici, je n’assimilerai pas M. Mélenchon à Staline. Les raccourcis historiques sont malhonnêtes, lorsqu’ils sont à ce point infondés qu’ils finissent par insulter les véritables victimes du totalitarisme en banalisant, dans un sens comme dans l’autre, l’idéologie qui les a broyées ; ils sont doublement malhonnêtes, qui plus est, lorsqu’ils fonctionnent si évidemment à géométrie variable…

 

Je reviendrai dans les prochains jours sur cette campagne d’entre-deux tours, qui, me semble-t-il, rend si difficile le choix qu’il nous reste à faire…

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La démocratie verrouillée, suite

Le texte que j’ai publié hier sur le problème des parrainages a été coupé et repris à plusieurs reprises par des sites qui en ont donné une interprétation partisane, dénaturant en cela mon propos. Je fais l’expérience des surprises inattendues que réserve l’exercice du blog… Ces quelques lignes, donc, pour clarifier mon intention : il me semblait simplement important d’expliquer que, le débat politique et médiatique étant ce qu’il est, il est absolument illusoire d’imaginer que le parrainage donné par un maire ne soit pas interprété par ses concitoyens comme un soutien. Et que, de ce fait, le principe de publication de ces parrainages, ajouté tardivement au système initialement prévu, ne saurait conduire qu’à un verrouillage évident de la démocratie dans son rendez-vous le plus important.

Un reportage très intéressant diffusé le 27/11 dans l’émission « Dimanche Plus » montre parfaitement l’ampleur de l’obstacle rencontré par de nombreux candidats objectivement sérieux, de Christine Boutin à Philippe Poutou. De tous ceux-là, Marine Le Pen est d’ailleurs la moins en difficulté, car elle sait qu’il serait inimaginable qu’elle ne puisse participer au vote. Ce reportage, qui n’a rien de partisan, révèle également la difficulté dans laquelle se trouvent les maires. Il permet de comprendre ce que je voulais expliquer : si les élus refusent leur parrainage, ce n’est pas par manque de courage, mais par sens de leur responsabilité. Encore une fois, étant données les conséquences de la publication des signatures, on ne saurait imaginer qu’il en soit autrement. Cette publication, démontre le reportage, est devenue le moyen pour les grands partis de limiter les candidatures pour mieux monopoliser les voix, en exerçant d’ailleurs sur les maires, comme nous avons eu l’occasion de le constater récemment, des pressions très explicites… Est-ce fidèle à l’esprit de nos institutions ? Après tout, dans le code électoral, la liberté du vote est garantie par l’isoloir, passage obligé pour tout électeur ; et demander aux citoyens de faire preuve de « responsabilité » et de « transparence » en publiant leurs suffrages marquerait la fin de la démocratie !

En rappelant une règle dont il n’est pas responsable, François Fillon était assurément dans son rôle. Mais en la défendant, au nom d’une « transparence » contre-productive, il justifie ce verrouillage inquiétant. Nos institutions facilitent l’installation d’un jeu politique fermé sur lui-même ; et c’est là un problème qui devrait tous nous préoccuper, bien au-delà des enjeux partisans.

La démocratie verrouillée

François Fillon a rejeté lundi la demande que lui avait adressée Marine Le Pen, qui demandait que soit garanti l’anonymat des élus qui parrainent un candidat à l’élection présidentielle. En substance, lui répond-il, les maires peuvent faire leur choix en toute indépendance ; quoique la requérante ne m’inspire aucune sympathie, je dois dire que cette réponse me paraît être d’une hypocrisie extraordinaire.

Publier les parrainages, une réforme inefficace et dangereuse

Rappelons les faits : la Constitution prévoit que, pour se porter candidat à l’élection présidentielle, il faut avoir été « présenté » par 500 élus, dont le vivier est essentiellement composé des 36 682 maires. Dans une élection aussi importante pour la V° République, rien n’est plus naturel que d’instaurer un filtre permettant d’éviter les propositions trop fantasques qui, sinon, ne manqueraient pas de se multiplier.

Mais ce filtre naturel a de toute évidence été dévié de son sens initial lorsqu’il a été décidé de publier ces signatures. Le principe originel prévoyait un seuil de cent parrainages seulement, dont la liste n’était pas divulguée. C’est uniquement pour éviter un trop grand nombre de candidatures que ces règles ont été durcies : depuis la réforme constitutionnelle de 1976, les noms des signataires sont rendus publics. Le scrutin précédent avait rassemblé 12 candidats, et il semblait nécessaire de limiter ce nombre. Cette disposition s’est avérée inefficace, puisqu’elle n’a pas empêché la présidentielle de 2002 d’atteindre le chiffre record de 16 candidats. En attendant, elle a surtout fait la preuve de son caractère profondément antidémocratique.

Car quoi qu’en dise M. Fillon, il est faux que les maires puissent signer librement. N’importe quel élu sait que ce parrainage, aussi républicain soit-il, sera nécessairement interprété comme un soutien – ou comme un calcul. On ne peut demander à tous les citoyens d’être assez constitutionnalistes pour comprendre la distinction… Les maires, qui sont dans leur grande majorité sans étiquette partisane, ont légitimement à coeur d’éviter que les enjeux nationaux ne perturbent l’action locale. Il faut souvent protéger l’unité d’une équipe municipale aux sensibilités diverses, ou la relation avec une collectivité de rattachement. De ce fait, il est parfaitement raisonnable, dans l’intérêt même de la commune, de ne pas s’engager dans un choix qui ne comporte que des risques. La transparence qu’on impose aux maires implique qu’ils aient à porter, devant l’opinion et jusque dans leur propre conseil, un choix qui ne pourra que diviser. Le plus absurde serait d’ailleurs d’en venir à les blâmer de cette inquiétude très naturelle. Au nom de quoi vouloir les acculer à prendre une décision dont les effets indésirables sont si lourds ? Comment espérer d’eux qu’ils prennent ce risque pour leur équipe et pour leur ville ?

La place du peuple

Les élus ne sont pas responsables du blocage actuel, et M. Fillon le sait. Le principe de la publication des parrainages ne pouvait pas avoir d’autre résultat que celui de transformer un filtre légitime en véritable verrou politique : les grands partis ont confisqué la démocratie, purement et simplement. Ceux-là même dont les pratiques ont largement discrédité nos institutions, ceux qui sont les moins crédibles pour refonder la relation de confiance dont nous avons tant besoin, détournent sans pudeur les rendez-vous politiques qui s’annoncent. Le blocage que rencontrent plusieurs candidats sérieux, animés par le désir de porter un vrai projet à l’occasion des prochaines échéances, est un scandale démocratique – et il n’est pas nécessaire d’être en accord avec l’un d’entre eux pour le comprendre. Si ce blocage devait empêcher des millions de Français de faire leur choix librement, il dévaluerait profondément la signification démocratique du scrutin.

Au fond, ce problème n’est qu’un symptôme. C’est un aveu de faiblesse d’abord, car que pourrait craindre un responsable politique sérieux du débat avec ses contradicteurs ? Si ses idées sont justes, elles en sortiront renforcées. Vouloir éviter le dialogue est un signe de crainte. Au-delà, cette décision est surtout révélatrice d’une situation qui l’explique et la dépasse largement : la politique nationale est totalement, profondément, pathologiquement déconnectée du peuple. Elle se joue entre experts, conseillers et têtes d’affiches, « en interne », dans le jeu bien réglé des institutions, des partis et des médias. L’opinion publique, dans ce jeu, est une sorte de facteur partiellement imprévisible, qu’il s’agit de maîtriser au mieux et qui intervient, de façon plus ou moins maîtrisée, comme une perturbation presque aléatoire qui vient rebattre les cartes à intervalles réguliers.

La démocratie ne sera pas totalement vidée de son sens tant que les structures politiques n’auront pas installé définitivement les partenaires de cette partie presque fermée. La règle des 500 signatures pourrait devenir le moyen d’y parvenir. En choisissant, non pas seulement de la conserver, mais de la défendre, M. Fillon sait parfaitement ce qu’il fait. Il prend le risque de donner raison à Mme Le Pen ; et surtout, il contribue à enfermer le monde politique sur lui-même et à le priver d’un débat plus nécessaire que jamais.