Autonomie stratégique et Covid-19 : entretien au JDD

François-Xavier Bellamy au Parlement européen
Entretien avec François-Xavier Bellamy sur les questions d’autonomie stratégique dans la gestion de la crise du coronavirus, initialement paru sur le site du Journal du Dimanche, disponible à ce lien. Propos reccueillis par Christine Ollivier.

Il faut que la puissance publique puisse investir sur des chaînes de valeur industrielles stratégiques, pour regagner notre autonomie dans des secteur essentiels comme la défense, l’alimentation ou la santé.

Comment jugez-vous la gestion de la crise du coronavirus par l’exécutif ?

Cette gestion assez erratique est d’abord marquée par la contrainte que représente la pénurie des moyens les plus essentiels. Le gouvernement tente bien sûr de répondre sur tous les fronts, sanitaire comme économique, mais aucun artifice de communication ne peut cacher cette pénurie. Où sont les masques ? Les tests de dépistage ? Les équipements qui permettraient de protéger ceux qui travaillent, de diagnostiquer les malades ?

Comment expliquer ces pénuries ?

Nous avons renoncé ces dernières années à nous prémunir face au risque de crise. La France s’est laissée endormir, comme d’autres pays occidentaux, par le sentiment d’une sécurité illusoire. Le fait d’avoir cessé ces dernières années d’organiser un stock stratégique de masques en est un exemple. La situation actuelle est aussi le résultat d’un renoncement du politique à imposer une stratégie, et de sa dissolution dans l’économie mondialisée.

Aujourd’hui, nous n’avons pas de respirateurs parce que nous n’en produisons presque pas. Nous avons confié à la Chine le soin de produire nos masques. On imagine ce que donnerait notre dépendance actuelle en cas de guerre… En 30 ans, nous sommes passés de 20% à 80% de principes actifs de nos médicaments importés en-dehors de l’Europe : le résultat d’une politique de santé qui s’est résumée à faire pression à la baisse sur le prix des médicaments. Nous avons préféré des économies de courte vue à notre autonomie industrielle. Nous en payons le prix fort.

Est-ce un phénomène français ou européen ?

C’est à la fois français et européen. Il y a longtemps qu’il n’y a plus de politique industrielle en France. Si l’Allemagne est capable de réaliser des tests de dépistage à grande échelle, c’est parce qu’elle a conservé, elle, une capacité industrielle.

Mais nous vivons aussi l’échec d’une Europe qui s’est surtout préoccupée de sa politique de la concurrence, et de l’ouverture des marchés. En exposant nos entreprises à des compétiteurs étrangers moins-disant sur le plan social, environnemental et réglementaire, en privilégiant exclusivement le consommateur, nous avons fragilisé notre économie. Cette erreur dramatique nous laisse démunis aujourd’hui. Nous ne produisons plus ce dont nous avons besoin.

Que faudrait-il changer ?

Cette crise doit être l’occasion d’une prise de conscience, à laquelle nous appelons depuis la campagne européenne. Nos gouvernants doivent réaliser que nous sommes dans une impasse. La politique européenne ne peut plus se contenter de fixer des normes, elle doit permettre de définir des stratégies. Notre priorité doit être de redonner des règles à la mondialisation, de réapprendre à produire ce que nous consommons.

Et au plan national, il est temps de réagir : après avoir constaté l’incapacité de l’Etat à garantir la sécurité, à assurer l’éducation, nous voyons désormais son échec sur le front de la santé. Il est stupéfiant de réaliser que la 7ème puissance économique mondiale, dont les dépenses publiques représentent 56% du PIB, n’est même pas capable de donner des masques à ses infirmières. Nos hôpitaux doivent désormais être secourus par des entreprises privées ou des acteurs étrangers…

Faut-il donc plus d’Etat ?

Le dérapage des finances publiques n’a pas été synonyme d’une meilleure protection pour les Français, on le vérifie aujourd’hui. Il a permis aux gouvernements de s’acheter un répit électoral à court terme, au lieu de préparer les stratégies nécessaires à l’échelle d’une génération. L’Etat doit simplement retrouver ses missions fondamentales.

Emmanuel Macron a annoncé un plan d’investissement massif pour l’hôpital. A-t-il raison ?

On peut regretter qu’il ait fallu cette crise pour que soient enfin entendus les personnels hospitaliers, qui depuis un an continuent de travailler tout en faisant grève pour dénoncer l’état du système de santé. Il faut éviter toute arrogance quand on est à la tête d’un Etat qui envoie au front ses soignants avec si peu de protection et tant d’impréparation. Réinvestir dans l’hôpital est simplement nécessaire. Et ce n’est pas antinomique avec la nécessité de rompre avec les excès de la dépense publique : notre pays est à la fois suradministré et incapable de faire face à ses missions sur le terrain. S’il faut réformer la dépense publique, c’est bien pour pouvoir investir de nouveau dans ces missions fondamentales.

Faut-il remettre en cause la mondialisation ?

Il faut redéfinir un équilibre. Nous devons cesser d’organiser nous-mêmes la concurrence déloyale à laquelle nous exposons nos entreprises. Ceux qui veulent importer sur le marché européen doivent respecter les mêmes règles que ceux qui y produisent. Et par ailleurs, il faut que la puissance publique puisse investir sur des chaînes de valeur industrielles stratégiques, pour regagner notre autonomie dans des secteur essentiels comme la défense, l’alimentation ou la santé.

L’Europe a-t-elle été à la hauteur de la crise et suffisamment solidaire ?

Non, clairement. Il est difficile d’être solidaires quand nous subissons tous une pénurie de biens vitaux pour faire face à la crise sanitaire. On voit resurgir les égoïsmes, parfois de manière brutale. J’ai dénoncé la confiscation en République tchèque de masques et de respirateurs destinés à l’Italie. Que des pays européens se disputent les biens de première nécessité envoyés par la Chine, c’est un spectacle qui devrait tous nous réveiller!

Des plaintes ont été déposées contre l’exécutif pour sa gestion de la crise. Y aura-t-il des responsabilités à chercher après la crise ?

Ce n’est vraiment pas l’urgence du moment. Nous devons pouvoir continuer à poser toutes les questions nécessaires pour la sécurité des Français, y compris quand elles suscitent de vrais débats, sans manquer à l’unité qu’exige ce moment. L’unité ne veut pas dire le silence imposé, mais elle suppose de ne pas se projeter dans une chasse aux coupables qui n’apporterait rien. Demain, il sera nécessaire de comprendre et de tirer les enseignements de cette crise, mais nous ne gagnerions rien à sombrer dans une division inutile.

 

Veillée d’armes

Texte initialement paru sur FigaroVox le 14 mars 2020.

C’est une étrange veillée d’armes : tout a changé, mais rien ne se voit. Malgré les premières mesures prises par les autorités et l’omniprésence de l’épidémie dans les médias et les conversations, la vie continue comme avant pour l’immense majorité des Français. Sans doute les derniers moments d’insouciance, suspendus, irréels – le silence avant l’épreuve.

Selon toute probabilité, c’est en effet une grande épreuve qui attend notre pays, comme le monde autour de nous. Non que la maladie en elle-même soit beaucoup plus dangereuse que d’autres: ceux qu’elle touchera s’en sortiront pour la plupart en quelques jours, sans conséquences, et même pour certains sans symptômes. Mais une petite partie aura besoin de soins intensifs, de réanimation ; et elle peut très vite représenter un grand nombre de personnes dans l’absolu, si la population touchée est très nombreuse. La rapidité de la contagion laisse présager que le nombre des malades ayant besoin de soins intensifs dépassera prochainement les capacités de traitement de notre système de santé.

Alors commencera la grande crise à laquelle il faut être prêts, celle que connaît l’Italie depuis quelques jours déjà. Elle n’a eu droit qu’à notre indifférence, et parfois même à un regard bien condescendant de la France ; pourtant le système hospitalier, en particulier dans les régions du nord, les plus touchées, y est très comparable au nôtre. Aujourd’hui, nos collègues italiens du parlement nous décrivent la guerre qu’ils vivent, et qu’ils mènent courageusement. L’Espagne y entre à son tour. Pour nous, c’est sans doute une question de jours.

Cette bataille pèsera d’abord sur ceux qui seront au front dans les semaines à venir, les professionnels de santé, formés et entraînés pour protéger la vie humaine. Médecins, infirmières, sapeurs pompiers, ils témoignent depuis des mois des difficultés qu’ils rencontrent dans leur travail quotidien, à cause des insuffisances budgétaires et des calculs de court terme, mais aussi par le fait des comportements inciviques et consuméristes qui n’ont cessé d’augmenter. Le moment que nous vivons doit rappeler plus que jamais que l’individualisme n’est simplement pas une option. Chacun d’entre nous doit s’obliger au respect inconditionnel des soignants, qui assument la tâche difficile de gérer l’urgence vitale et de prendre des décisions ; il nous faut tout faire pour les soutenir, avec la reconnaissance que nous devons à leur compétence et à leur engagement. L’issue de la bataille qu’ils vont mener dépendra en grande partie du sens civique que nous saurons retrouver pour leur permettre d’être efficaces, et de l’exigence collective avec laquelle nous agirons. En Chine, la dictature a répondu à l’urgence avec ses moyens de coercition ; montrons que la démocratie n’implique pas le désordre, et qu’il suffit à un peuple libre de connaître le sens du devoir pour faire face avec discipline à une épreuve comme celle-ci.

Cette crise touchera aussi notre économie bien sûr, et en particulier les artisans, commerçants, petites et moyennes entreprises qui font vivre notre société mais dont l’équilibre est souvent déjà précaire. L’urgence est de garantir que toutes ces activités pourront reprendre lorsque nous sortirons des quelques semaines de glaciation que notre pays va probablement traverser. En plus des réponses apportées par le gouvernement, face à cette crise globale, il faudra aussi déployer une stratégie très forte à l’échelle du continent ; c’est le moment ou jamais de démontrer que la coopération européenne peut nous renforcer, loin des erreurs du passé qui nous placent aujourd’hui dans une situation de dépendance industrielle, et donc de fragilité sanitaire.

Enfin, l’épreuve va mettre en tension notre tissu social tout entier – et je crois qu’il ne faut pas taire cette inquiétude. Cette crise intervient dans une France dont les fractures sont immenses, et qui alimente depuis longtemps déjà la défiance, le ressentiment, la violence. Nous avons laissé naître une société à plusieurs vitesses, dans l’aménagement territorial, l’accès à l’éducation, à l’emploi, à la santé… Nous aimons rappeler les «valeurs de la République», mais derrière les incantations et les gestes politiques, nos échecs et nos inconséquences ont fait beaucoup de déshérités ; en perdant le sens de ce qui nous relie, nous avons fini par nous enliser dans l’indifférence et le chacun pour soi, et la politique même s’est peu à peu dissoute dans le conflit d’intérêts, de classes ou de communautés. Bien sûr, nous savons encore nous retrouver dans la facilité de la fête pour un grand succès sportif, ou bien faire bloc à l’occasion des sursauts collectifs, de plus en plus éphémères, provoqués par le terrorisme. Mais comment tiendrons-nous cette fois-ci ?

Il est urgent de vivre de nouveau comme un peuple, c’est-à-dire comme des personnes qui se savent liées les unes aux autres par une communauté de destin.

La suite de l’histoire dépend de nous. Cette crise va mettre à l’épreuve non seulement notre capacité de résistance, mais plus encore notre volonté d’unité. Il est urgent de mettre de côté les divisions, les soupçons, les calculs. Les responsables politiques devront être exemplaires pour cela, en ne refusant aucun des efforts qui seront demandés à tous. Il est urgent de vivre de nouveau comme un peuple, c’est-à-dire comme des personnes qui se savent liées les unes aux autres par une communauté de destin. Nous allons avoir une occasion, douloureuse mais peut-être salutaire, de redécouvrir ce qu’écrivait Saint-Exupéry, engagé volontaire, dans Pilote de guerre«Chacun est responsable de tous. Chacun est seul responsable. Chacun est seul responsable de tous.»

Saurons-nous tout faire pour protéger autrui – y compris nous imposer une prudence que le sentiment de toute-puissance inspiré par notre univers technologique nous a fait depuis longtemps oublier ? Serons-nous assez généreux pour être simplement attentifs aux plus fragiles d’entre nous ? Assez humbles pour faire confiance à l’autorité et à l’expérience ? Assez libres et courageux pour ne jamais baisser les bras, même quand tout semblera contre nous ? De notre réponse dépend aujourd’hui l’issue de cette bataille ; mais en réalité, elle décidera aussi, bien au-delà, l’avenir de notre pays.

Un petit organisme de quelques dizaines de nanomètres est venu perturber brutalement nos sécurités, nos projets, nos habitudes, nos économies. Il va sans doute mettre à nu nos fragilités, et mettre à l’épreuve comme rarement notre société tout entière ; mais il révèlera aussi, j’en suis sûr, une force vitale partagée dont nous ne nous pensions plus capables. Toutes les crises sont à la fois un instant de vérité, et une obligation de choisir. Nous voulons encore vivre, et faire vivre l’esprit qui, en dépit de toutes nos défaites, continue de nous animer: c’est le moment de le montrer.

Classement PISA, systèmes scolaires en Europe, réforme du bac

Émission Europe Hebdo sur Public Sénat présentée par Marie Brémeau, à revoir sur https://www.publicsenat.fr/espace-replay

Interventions de François-Xavier Bellamy durant le débat en plateau :

Voir aussi :

Public Sénat – Baccalauréat : l’Allemagne prend un chemin « exactement inverse » à la France pour François-Xavier Bellamy

Guerre d’Algérie, Mila, chômage, Brexit : invité de la matinale d’Europe 1

François-Xavier Bellamy était l’invité de Sonia Mabrouk dans la matinale d’Europe 1 le 28 janvier 2020.

L’intégralité de l’entretien

François-Xavier Bellamy invité de Sonia Mabrouk dans la matinale d'Europe 1 le mardi 28 janvier 2020

Invité ce matin dans la matinale d'Europe 1

Publiée par François-Xavier Bellamy sur Mardi 28 janvier 2020

 

Sur Twitter

Les équilibres fragiles de la condition humaine

« Nous ne devons pas jouer avec les équilibres fragiles de la condition humaine. Même légitime, le désir des adultes ne suffit pas à fonder un droit à l’enfant. Présent aujourd’hui parmi les milliers de Français, fidèles et libres, qui tiennent à ce simple message. »

Sur le même sujet :

Propos recueillis par le JDD : « Bioéthique : nous sommes tous responsables du monde qui se contruit sous nos yeux »

Sur France Info dimanche 19 janvier :

François-Xavier Bellamy était également l’invité de France Info le dimanche 19 janvier 2020 et a été interrogé, entre autres sujets, sur l’examen en cours du projet de loi « bioéthique ».

 

Cinq ans après

Il y a cinq ans s’achevaient les attentats de janvier 2015. De Charlie Hebdo à l’Hyper Cacher, 17 victimes, et tant de blessés, tant de familles éprouvées pour toujours. Cinq ans après, malgré les défaites de l’Etat islamique, nous sommes loin d’avoir remporté ce combat. La menace est intacte. Le terrorisme islamiste frappe toujours en France.

Seulement, désormais, un criminel antisémite est relaxé parce qu’il a pris du cannabis avant de tuer… Derrière le délire, on préfère ne pas voir le djihad. Mais comment peut-on vaincre un ennemi qu’on a du mal à nommer ? La liberté d’expression recule. Hier, tout le monde était Charlie. Aujourd’hui, on interdit un colloque universitaire sur le terrorisme, on a peur de jouer une pièce sur l’œuvre de Charb, et Zineb El Rhazoui est menacée de mort en public par un « humoriste » – mais qui réagit encore ? Non, nous ne sommes pas face à une « violence aveugle », mais à un ennemi assumé.

Cinq ans après…

Nous ne retrouverons la liberté et la sécurité que par une stratégie claire contre le terrorisme islamiste, et en refusant enfin la moindre lâcheté. Cinq ans après, nous le devons à toutes les victimes.

Réforme des retraites

Interventions de François-Xavier Bellamy relatives à la réforme des retraites

Sud Radio, mars 2020 (mise à jour) :

Agence France Presse :

« Le gouvernement a réussi cette prouesse incroyable de crisper la France à un point extraordinaire sans pour autant avoir mis sur la table un vrai projet pour cette réforme des retraites », a affirmé M. Bellamy sur Sud Radio.

Dénonçant une «réforme technocratique», M. Bellamy a estimé que « derrière le rêve de construire un système universel à points (…) en réalité on va produire des inégalités considérables, des injustices considérables, on va créer une immense tension et en même temps on va réussir à faire une réforme qui coûte de l’argent aux finances publiques ».

Sud Radio :

« Nous sommes l’un des pays d’Europe où nous vivons le plus longtemps à la retraite, explique François-Xavier Bellamy. Il est nécessaire de faire en sorte que nous puissions travailler un peu plus longtemps : nous ne voulons pas baisser le niveau des pensions ni augmenter le niveau des cotisations. Je ne crois pas à ce mythe d’un système universel qui fonctionnerait pour tous exactement de la même manière ». Concernant les régimes spéciaux, « il faut corriger les inégalités qui existent aujourd’hui à cause des corporatismes qui ont bloqué notre pays pendant trop longtemps ». Reporter l’application de la réforme après la génération 1973 « serait la pire des solutions, estime-t-il. Soit on fait une bonne réforme qui doit s’appliquer maintenant, soit on fait une mauvaise réforme et il est scandaleux de la faire porter aux générations qui viennent ».

Public Sénat :
Grand entretien pour l’émission Forum de Radio J :

France Info (janvier 2020)

Contre tous les pronostics

Heureux d’avoir participé aujourd’hui à la manifestation du collectif « Marchons enfants ! »

Contre tous les pronostics qui disaient ce débat joué d’avance, des dizaines de milliers de personnes sont venues rappeler, paisiblement et sereinement, ce que tous osaient dire encore il y a quelques années : non, il n’est pas neutre pour un enfant de ne pas avoir de père. Non, le désir d’enfant, si légitime soit-il, ne saurait justifier un droit à l’enfant. Et oui, la condition humaine est belle, avec ses équilibres qui nous précèdent, et elle mérite d’être transmise au lieu d’être soumise, comme nous l’avons fait pour la nature, à la toute-puissance de la technique.

Tant de Français le savent au fond d’eux-mêmes, sans parfois oser le dire encore dans le contexte actuel. Je suis heureux que nous ayons été si nombreux à en témoigner paisiblement.

Oui, la condition humaine est belle, avec ses équilibres qui nous précèdent, et elle mérite d’être transmise au lieu d’être soumise, comme nous l’avons fait pour la nature, à la toute-puissance de la technique.

Hommage à Christine Renon

Texte paru sur le site du Figaro le 7 octobre 2019.

Présent ce matin à Pantin, parmi des centaines de personnes venues à la marche blanche en hommage à Christine Renon. Cette directrice d’école, qui se donnait sans compter, s’est donné la mort un samedi matin, il y a quinze jours. Elle laissait derrière elle une lettre bouleversante, qui dit à la fois son engagement total, son épuisement et sa détresse.

Comme elle, tant d’enseignants et de chefs d’établissement se retrouvent seuls, en première ligne pour absorber les échecs et les incohérences d’une école en crise depuis si longtemps, mais aussi les tensions et les violences qui touchent désormais le quotidien des salles de classe. Christine Renon décrit la « goutte d’eau qui l’a anéantie », un soupçon d’agression sexuelle entre deux élèves de maternelle… et signe : « directrice épuisée. »

C’est notre éducation nationale dans son ensemble qui est épuisée.

C’est notre éducation nationale dans son ensemble qui est épuisée. Pour ne m’arrêter qu’à des faits parus dans la presse cette semaine…

Ce lundi, une enseignante du Cap d’Agde est insultée, menacée de mort et frappée à plusieurs reprises, dans son établissement, par les parents d’un élève qu’elle avait empêché de se battre avec d’autres.

Le même jour, à Sarcelles, un professeur de sport demande à un élève de retirer sa casquette : le lycéen le frappe de plusieurs coups de poings. Les élèves présents autour filment la scène ; aucun ne tente de protéger leur enseignant. La violence des coups lui vaut cinq semaines d’interruption de temps de travail.

Jeudi, à Osny, un professeur d’histoire veut confisquer un portable ; le lycéen concerné lui répond par un croche-pied brutal, qui le jette au sol. Il est hospitalisé et souffre d’un traumatisme crânien.

Vendredi, aux Lilas, pendant un cours de sport, un élève de quinze ans meurt poignardé, alors qu’il tentait de s’interposer pendant une rixe. Tous les jeunes impliqués dans ce meurtre ont entre quatorze et quinze ans.

J’ai écrit les Déshérités pour Samy, tué devant la porte du lycée où j’avais, quelques mois plus tôt, commencé à enseigner. Lui aussi avait quinze ans. Qu’est-ce qui a changé depuis ?

Il ne s’agit pas d’utiliser ces drames pour faire de la mauvaise politique. Ils sont le symptôme d’une crise profonde, celui d’une école qui ne peut plus assurer correctement sa mission depuis trop longtemps déjà. La mort de Christine Renon est le résultat d’un immense échec collectif, qui remonte à plusieurs décennies. Distribuer les mauvais points serait stérile. Mais ne pas réagir enfin serait coupable.

J’ai écrit les Déshérités pour Samy, tué devant la porte du lycée où j’avais, quelques mois plus tôt, commencé à enseigner. Lui aussi avait quinze ans. Qu’est-ce qui a changé depuis ?

Le drame, c’est que cet échec collectif pèse d’abord sur les milieux les plus défavorisés.

Pendant trop longtemps, on a voulu nier cette crise, taire cette violence, étouffer la souffrance. Il y a quelques mois, alors qu’une enseignante avait été menacée en plein cours par un élève, braquant sur elle une arme factice, et filmée là encore par des élèves riant de la voir humiliée, des centaines d’enseignants se sont mis à témoigner. Racontant sur les réseaux sociaux, sous le slogan « pas de vague », ces agressions qu’on leur avait demandé de ne pas ébruiter : il valait mieux préserver le calme apparent… Peut-être certains, en lisant ce simple résumé de la semaine, me reprocheront-ils aussi de susciter l’inquiétude. Mais la tragédie que traverse notre école devrait tous nous empêcher de dormir.

Le drame, c’est que cet échec collectif pèse d’abord sur les milieux les plus défavorisés : notre école est la plus inégalitaire des pays de l’OCDE. Et ainsi, même si la crise éducative se fait sentir partout, son ampleur reste largement sous-évaluée par l’essentiel de la classe dirigeante en France, dont les enfants sont scolarisés bien souvent à l’abri de ce climat de violence, dans des îlots de plus en plus restreints – et de plus en plus inaccessibles pour une majorité de Français. Ainsi peut-on se bercer encore d’illusions, si l’on a les moyens de ne pas ouvrir les yeux. Mais nous n’avons pas le choix maintenant. Comment ne pas voir ce qui se joue quand une directrice d’école courageuse, généreuse, engagée, finit par mettre fin à ses jours ? Comment ne pas voir qu’une société n’a pas d’avenir, quand se donnent la mort ceux qui préparent la vie, ceux qui nourrissent la vie, ceux qui protègent la vie – enseignants, agriculteurs, policiers et gendarmes ? Ils meurent, parce que leur travail n’est plus respecté ; et ils ont ceci en commun que, si leur travail n’est pas respecté, il n’est tout simplement plus possible. Comment ne pas voir qu’il s’agit de la même tragédie – celui de l’abandon, de la défiance, de la violence que vivent, isolés, ceux qui pourtant devraient recevoir le plus notre reconnaissance collective ?

La crise de l’éducation nationale n’est pas un problème technique qu’on pourrait régler par une énième loi. Ce n’est pas une crise de l’école ; c’est une crise de la société. Péguy écrit, dans L’Argent : « Les crises de l’enseignement ne sont pas des crises de l’enseignement ; elles sont des crises de vie. (…) Quand une société ne peut pas enseigner, ce n’est pas qu’elle manque accidentellement d’un appareil ou d’une industrie ; quand une société ne peut pas enseigner, c’est qu’une société ne peut pas s’enseigner ; c’est qu’elle a honte, c’est qu’elle a peur de s’enseigner elle-même ; pour toute humanité, enseigner, au fond, c’est s’enseigner. »

Quand notre humanité ne sait plus s’enseigner, c’est l’inhumain qui resurgit. De ce climat de tension, de violence, de cet échec éducatif, tant de jeunes sont aujourd’hui victimes, tant d’enseignants, tant de familles. Il serait coupable de ne pas réagir enfin.

Il faut permettre à l’école d’assumer sa mission, nous le devons à Christine Renon.

Il faut permettre à l’école d’assumer sa mission, soutenir enfin les enseignants, mieux les former, mieux accompagner leurs parcours, mieux les rémunérer aussi – ce n’est pas un détail, et sur ce point-là aussi le déni de réalité auquel nous avons assisté récemment n’est pas une réponse valable. Il faut ensuite leur faire confiance, les laisser faire leur travail, au lieu de leur faire tomber sur la tête, avec la régularité du supplice chinois, la réforme suivante qui réorganisera tout sans les consulter, et qu’il faudra comme toujours appliquer en urgence, avant que celle d’après n’arrive. Et surtout, il faut enfin leur garantir le respect qui leur est dû, et la sérénité nécessaire pour exercer leur métier, en ne négociant plus jamais avec les paroles et les actes qui méprisent leur mission – que ce mépris vienne d’élèves, de parents ou de supérieurs…

Péguy écrit, dans L’Argent : « Les crises de l’enseignement ne sont pas des crises de l’enseignement ; elles sont des crises de vie. (…) Quand une société ne peut pas enseigner, ce n’est pas qu’elle manque accidentellement d’un appareil ou d’une industrie ; quand une société ne peut pas enseigner, c’est qu’une société ne peut pas s’enseigner ; c’est qu’elle a honte, c’est qu’elle a peur de s’enseigner elle-même ; pour toute humanité, enseigner, au fond, c’est s’enseigner. »

Je sais que les « il faut » peuvent paraître trop faciles ; mais au fond notre école a besoin de réponses simples. Et avec tous ceux qui le voudront, travaillons pour faire des propositions concrètes, dans l’esprit d’ouverture et d’exigence à la fois qu’exige une telle urgence nationale. La France est capable de relever ce défi, j’en suis sûr. Et elle peut compter pour cela sur ses enseignants de terrain, si elle sait leur tendre la main.

La mort de Christine Renon est un drame. Mais sa vie a été un miracle. Comme enseignant, j’ai eu la chance de rencontrer des collègues et des chefs d’établissement exceptionnels, qui malgré l’ampleur des difficultés ont, comme elle, tout donné pour faire grandir leurs élèves. Notre pays tient par le courage de ceux qui tiennent encore, envers et contre tout. Nous n’avons plus le droit de laisser seuls ceux qui se sentent à bout. Nous leur devons notre soutien. Et le travail qui nous attend pour leur apporter ce soutien, nous le devons à Christine Renon.

Bioéthique : nous sommes tous responsables du monde qui se construit sous nos yeux

Entretien paru dans Le Journal du Dimanche du 15 septembre 2019.

Pourquoi vous opposez-vous à la « PMA pour toutes » ?

Nous sommes à un carrefour historique. Depuis son apparition, la médecine a pour but de remédier à la maladie. Dans ce cadre, la loi autorisait la PMA pour pallier une infertilité pathologique, qui devait être médicalement constatée. Si nous supprimons ce critère, la technique médicale ne servira plus à rétablir l’équilibre de la condition humaine, mais à dépasser ses limites. Cette nouvelle PMA n’est plus un acte médical, en fait : elle concernerait des femmes en parfaite santé, qui n’ont pas d’enfant non pas à cause d’une pathologie, mais simplement parce que la vie se transmet organiquement par la complémentarité du masculin et du féminin. Ce n’est pas une violence sociale, c’est la réalité de nos corps… Si nous voulons nous en affranchir, nous assumerons une rupture inédite dans le principe même de la technique médicale : il ne s’agira plus de rétablir le vivant, mais de le dépasser ; non plus de réparer nos corps, mais de les vaincre. Une fois cette nouvelle logique acceptée, je ne vois pas ce qui nous arrêtera : elle nous conduit directement au transhumanisme, par la transformation technique de nos corps. Le désir d’avoir un enfant est bien sûr légitime, mais il ne permet pas tout.

La PMA pour toutes serait donc un dévoiement de la médecine ?

C’est un choix de société : rompre avec la condition humaine parce que ses limites frustrent nos désirs. Je crois que ce choix sera notre malédiction. La prise de conscience écologique nous l’a déjà fait comprendre : nous avons transformé le monde pour que tout s’organise autour de la satisfaction de nos désirs, quitte à vaincre les résistances que la nature nous imposait ; cela ne nous a pas rendus plus heureux. Au contraire : notre immense pouvoir technique a produit des catastrophes qu’il ne sait pas résoudre, et une fuite en avant perpétuelle dans l’insatisfaction et la frustration. Voulons-nous faire de nos corps le prochain terrain de cette expérience ?

Selon le gouvernement, la PMA pour toutes, c’est un nouveau droit accordé à certaines femmes, qui n’enlève rien aux autres ?

Nous sommes tous concernés. Dans la nuit de mercredi à jeudi, dans une impréparation incroyable, les députés ont autorisé le secteur privé à assurer la conservation des ovocytes. Le marché peut désormais se saisir de la procréation humaine pour en faire commerce. Demain, nous pourrons avoir des publicités dans le métro proposant aux femmes de conserver leurs ovocytes, et les employeurs par exemple pourront faire pression sur des salariées pour qu’elles reportent leur grossesse si elle n’arrange pas l’entreprise… Nous sommes tous responsables du monde qui se construit sous nos yeux.

Mais qui, précisément, serait lésé par ces nouvelles dispositions ?

Jean-Louis Touraine, le rapporteur du projet de loi, a affirmé en commission : “Il n’y a pas de droit de l’enfant à avoir un père.” Nous savons pourtant à quel point un père compte dans une vie… Plutôt que de retirer cela à des enfants, pourquoi ne pas simplement reconnaître qu’il n’y a pas de droit à l’enfant ? Nous préférons prendre le risque de léser les plus petits, en nous faisant les apprentis sorciers de la condition humaine.

N’êtes-vous pas en train de nous décrire « Le meilleur des mondes », tel qu’imaginé par le romancier Aldous Huxley ?

C’est toujours en rêvant du “meilleur” des mondes en effet, et même avec les meilleures intentions, que nous préparons un enfer, quand nous acceptons pour cela que la technique remplace le vivant. La promesse du transhumain, c’est la certitude de l’inhumain. Et à la différence d’Huxley, ici il ne s’agit pas de science-fiction…

L’opposition à ce projet de loi semble bien moindre que celle qui existait à l’époque de la promulgation du mariage pour tous ?

Les états généraux de la bioéthique, qui ont préparé cette loi, ont été suivis par des centaines de milliers de Français : le résultat était majoritairement défavorable à la PMA pour toutes. Mais l’ancien vice-président du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) expliquait lui-même que les choses sont jouées d’avance. On a le sentiment d’une forme de rouleau compresseur, qui franchit toutes les lignes rouges qu’on nous disait pourtant définitives… Rappelons qu’au moment du mariage pour tous, on nous expliquait qu’il n’était pas question d’étendre la PMA. Où cela s’arrêtera-t-il ?

L’opinion semble cependant majoritairement favorable à la PMA pour toutes…

Ce n’est clairement pas une demande massive de l’opinion. Ce sont des revendications très minoritaires, et beaucoup se laissent ensuite convaincre par ce qui est présenté comme un progrès inéluctable. Mais nous, élus, nous croisons tous les jours des Français qui nous parlent de la recherche sur Alzheimer, de l’accompagnement des enfants handicapés, de l’autisme, de la dépendance… Voilà des demandes vraiment majoritaires dans l’opinion ! Et l’une des fautes de cette loi bioéthique est de ne pas s’en préoccuper : elle n’apporte aucune avancée par exemple sur le traitement de l’infertilité pathologique, qui est pourtant un immense sujet de société et une épreuve pour des centaines de milliers de couples.

Et la circulaire préparée par la chancellerie pour reconnaître à l’état-civil la filiation des enfants conçus par GPA à l’étranger ?

Il serait incohérent de proclamer qu’on interdit la GPA, tout en autorisant de facto ceux qui en ont les moyens à y recourir légalement à l’étranger. La marchandisation du corps des femmes ne serait plus un problème si ces femmes sont étrangères ? Triste conception de la dignité humaine. Ajoutons que les enfants nés de GPA ont effectivement un état civil en France, des papiers… ce ne sont heureusement pas des fantômes de la République !

Cette circulaire ne permettrait-elle pas de résoudre des situations humaines dramatiques, et d’une complexité extrême ?

Mais qui les a produites ? Les responsables sont les adultes qui ont exposé ces enfants à ces situations que vous décrivez. Je ne nie pas la légitimité et la beauté du désir d’enfant, ni la réalité de la souffrance qu’il peut y avoir à ne pas avoir d’enfant. Mais pour éviter la frustration, tout est-il permis ?

N’est-il pas logique de faire évoluer l’état civil dès lors que les modes de procréation évoluent ?

La mère n’est plus celle qui accouche, mais celle qui veut être mère, a expliqué Jean Louis Touraine. C’est une transformation complète de la filiation, qui ne reposera plus sur le lien de la gestation, mais sur la volonté de l’adulte. Or la volonté humaine est fluctuante et fragile, contrairement au fait d’avoir conçu, porté un enfant, qui est irrévocable et définitif… Quand la volonté seule définit la filiation, que se passe-t-il si la mère ne veut plus être la mère ? Peut-elle divorcer de son enfant ? Nous finissons de construire la société liquide dont parlait Bauman, celle de la plus grande insécurité affective.

Participerez-vous au défilé organisé par la Manif pour tous, le 6 octobre ?

Je participerai à cette manifestation, qui réunit plusieurs associations.

Aux côtés de Marion Maréchal ?

Manifester est un droit démocratique. Tout le monde peut y prendre part. Quelle que soit ses convictions politiques. Et je vois des grandes figures issues de la gauche, Sylviane Agacinski ou José Bové, qui s’opposent à cette réforme. J’espère que personne ne sera dissuadé par une forme d’intimidation politicienne.

Vos positions ne contribuent-elles pas à donner l’image d’une droite fort peu moderne ?

Il ne faut pas se laisser intimider par le sens du vent, par la peur de paraître ringard. On ne doit jamais craindre de défendre simplement et paisiblement ses convictions, surtout face à des contradicteurs qui ne cessent d’en changer ; la cohérence est pour moi une belle vertu en politique. Et en réalité, c’est cette loi qui est un contresens historique. Quand les premiers écologistes bêchaient dans le Larzac et nous appelaient à nous réconcilier avec les limites de la nature, tout le monde les prenait pour des réactionnaires passéistes et marginaux. La suite a montré qu’ils avaient raison.

Recueilli par David Revault d’Allonnes