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Malgré les députés macronistes, protéger nos pays contre l’immigration illégale

Désavoués par le Parlement européen, les députés macronistes voulaient empêcher l’Europe d’agir face à l’immigration illégale.

Moment politique décisif, et tellement révélateur, aujourd’hui à l’occasion de la plénière du Parlement : dans un vote sur le budget européen pour 2024, notre groupe PPE a fait adopter (321 +, 290 -, 20 abstentions) un amendement rendant possible des financements européens pour des moyens de protection physiques aux frontières extérieures, que la Commission refusait jusque là.

Depuis plusieurs mois, la délégation française Renaissance n’a eu de cesse d’attaquer avec virulence notre position, Valérie Hayer dénonçant même hier notre demande « ignoble » de soutenir les États-membres qui voudraient construire des murs à leurs frontières avec des pays tiers. Que dira la délégation macroniste aux 32 députés de son propre groupe qui ont soutenu notre position aujourd’hui ?

Que peut-elle dire aux douze gouvernements européens qui ont appelé à l’aide lorsqu’en 2021 le régime de Loukachenko organisait une crise migratoire pour déstabiliser nos pays ? Que répondra-t-elle à la Grèce, à l’Espagne, à l’Italie, à tous les pays de première entrée qui demandent que l’Union européenne les aide à protéger des frontières qui sont celles de notre continent tout entier ?

Que peut-elle expliquer aux Français surtout ? Avant-hier encore, le président de la République promettait de « renforcer le contrôle de l’immigration illégale ». Le ministre de l’Intérieur multiplie les déclarations martiales. Mais à Strasbourg, leurs élus s’organisent avec la gauche et l’extrême gauche pour faire tomber un texte budgétaire uniquement parce qu’il permet de financer les infrastructures nécessaires pour protéger nos frontières.

Se donner enfin les moyens d’empêcher l’immigration illégale

Le choix à faire est pourtant simple. Soit nous voulons d’une Europe qui se donne enfin les moyens d’empêcher les entrées illégales, pour que nos pays retrouvent la capacité de déterminer leur politique migratoire, et de sortir d’une vulnérabilité qui n’a cessé de nous exposer à toutes les menaces hybrides (celles de la Biélorussie hier, mais aussi de la Turquie d’Erdogan ou des organisations islamistes qui ont frappé nos pays au cours des dernières années).

Et et pour cela, il faut s’en donner les moyens. Cela ne se réduit pas au débat d’aujourd’hui, bien sûr : la stratégie globale que nous préparons aujourd’hui doit reposer sur la clarification du mandat de Frontex et son renforcement, sur un dialogue enfin franc avec les pays de départ, sur une coopération déterminée pour les retours et des aides au développement clairement conditionnées à la coopération en matière de réadmissions, sur une politique de l’asile refondée pour que ce principe essentiel ne soit plus détourné constamment comme il l’est aujourd’hui. Et parmi tous ces éléments, il faudra aussi poursuivre, là où c’est nécessaire, la construction de murs quand la configuration des frontières terrestres l’exige. C’est ce que met en œuvre aujourd’hui la Finlande, sous l’impulsion d’un ministre Vert au sein d’un gouvernement de gauche. Les élus macronistes l’accuseront-ils de « céder à l’extrémisme » ?

Puisque le parti macroniste considère que protéger une frontière est un acte coupable, il faut qu’il explique aux Français qu’il agit en Europe pour empêcher toute politique migratoire sérieuse et responsable.

Refuser que l’Europe s’engage dans cette protection, c’est refuser toute stratégie pour protéger nos frontières.

S’il est illégitime d’utiliser une infrastructure physique pour empêcher le franchissement illégal d’une frontière, pourquoi financer une agence de gardes frontières dans le même but ? Le vote d’aujourd’hui permet de comprendre pourquoi la majorité présidentielle française n’a pas défendu l’agence Frontex, comme nous l’avons fait sans relâche, face aux attaques de la gauche… Derrière les proclamations de solidarité européenne, ses élus choisissent aujourd’hui de mépriser tous les pays de l’Union placés en première ligne, qui demandent notre soutien pour assumer ce défi commun.

Il est temps qu’ils assument enfin une position cohérente : puisque le parti macroniste considère que protéger une frontière est un acte coupable, il faut qu’il explique aux Français qu’il agit en Europe pour empêcher toute politique migratoire sérieuse et responsable. Le Parlement européen, malgré ces manoeuvres, a désavoué majoritairement cette obsession idéologique : laissant la majorité présidentielle à ce combat minoritaire, nous poursuivrons notre travail pour protéger enfin l’Europe face à l’immigration illégale.

En Arménie, à l’entrée du Corridor de Latchine bloqué par l’Azerbaïdjan

Parce que nous n’avons pas le droit de laisser le peuple arménien seul face à une nouvelle menace d’épuration ethnique ; et parce que, en réalité, c’est aussi la sécurité de nos pays qui se joue ici.

Message à la veille de l’élection du président des Républicains

Nous voilà arrivés à la veille de cette élection pour la présidence des Républicains. Ces semaines de campagne auront été intenses : au milieu d’une activité parlementaire toujours soutenue à Strasbourg et à Bruxelles, nous avons parcouru la France, pour rencontrer les électeurs de droite, ceux qui croient encore à ce parti et ceux, nombreux, qui n’y croient plus. Partout, je vous ai entendu partager les mêmes déceptions, les mêmes doutes. Comment ne pas vous comprendre ? Et pourtant, nous avons encore des raisons d’y croire.

La raison d’être de notre parti, c’est de réunir tous les Français de droite, ceux qui croient à la transmission, à la liberté, à l’autorité de l’Etat, à la dignité de la personne. Ils n’ont jamais été aussi nombreux à partager nos convictions, nos aspirations, nos inquiétudes ; ils n’ont jamais été aussi peu nombreux à voter pour le parti qui devrait les représenter. Ce discrédit profond est au cœur de la crise démocratique que traverse notre pays. Nous n’en sortirons pas sans que ce parti ne se remette en question, et ne soit enfin solidement refondé. Pour cela il faudra d’abord revenir aux idées, et retrouver l’essentiel – l’exigence dans la vision, la clarté dans les convictions, la fidélité dans les combats. Il faudra reconstruire un parti travailleur, inventif, méthodique, uni. Et pour commencer, il faudra vous redonner la parole, parce que tout cela n’existe que pour relayer votre voix ; et parce que, pour le dire simplement, vous aurez toujours le courage et la lucidité qui ont souvent fait défaut à ceux qui parlent en votre nom.

C’est ce renouvellement profond que propose Bruno Retailleau – non pas depuis quelques mois, mais depuis des années. En faisant campagne avec lui, avec Julien, Othman, Laurence, Antoine, Pierre, et tant d’autres, j’ai pu mesurer chaque jour encore plus la force de conviction qui l’anime, la liberté et la ténacité avec lesquelles il s’est engagé dans cette bataille. Et sa certitude profonde que ce qui compte d’abord, ce n’est pas de maintenir notre parti, mais de relever notre pays, qui a tant besoin d’une alternative politique crédible, cohérente, enthousiasmante, pour rompre enfin avec la spirale du déclin.

Les statistiques, écrivait Vaclav Havel dans son premier discours présidentiel, sont souvent utiles pour mesurer la gravité d’une crise. Mais, ajoutait-il, nos résultats inquiétants ne sont pas le plus grave : « Le principal, c’est que nous traversons une crise intérieure, car nous nous sommes habitués à dire une chose tout en pensant autrement. » Avec Bruno et toute son équipe, mais aussi avec vous tous, quel qu’ait été votre choix au premier tour, nous avons devant nous la tâche immense de redonner tout son sens à la parole et à l’action de notre parti, pour réunir demain une majorité de Français et reconstruire notre pays. « Il est permis d’espérer », écrivait encore Havel. C’est pour ce renouvellement et cette espérance que je voterai pour Bruno Retailleau demain.

François-Xavier Bellamy

Promotion du hijab : lettre ouverte aux coprésidents de la Conférence sur l’avenir de l’Europe

Mme la Vice-présidente Dubravka Šuica
Commission européenne

M. le Secrétaire d’État Clément Beaune
Présidence française du Conseil de l’Union européenne

M. le Député Guy Verhofstadt
Parlement européen

 

Bruxelles, le 14 février 2022

Madame la Vice-présidente,
Monsieur le Secrétaire d’État,
Monsieur le Député,

Une campagne actuellement diffusée par les institutions européennes pour promouvoir la participation à la Conférence sur l’avenir de l’Europe est accompagnée de visuels divers dont un en particulier me paraît poser un problème majeur.

Il met en scène une jeune femme portant un hijab, qu’accompagne le message « Faites entendre votre voix, l’avenir est entre vos mains ». En tant que co-présidents de la Conférence sur l’avenir de l’Europe, vous avez la responsabilité éditoriale de la communication qu’elle produit. À ce titre, il me semble nécessaire de vous poser plusieurs questions précises.

1) Souhaitez-vous que la Conférence sur l’avenir de l’Europe soit l’occasion d’une nouvelle étape dans la promotion du voile islamique par les institutions européennes ? Après le co-financement par la Commission européenne d’une campagne indiquant que « la joie est dans le hijab », ce nouveau visuel concourt à la légitimation institutionnelle, par des instances officielles, au moyen de financements publics, d’une norme religieuse prescrite aux femmes par des autorités musulmanes. Sur cette photographie, le hijab apparaît d’ailleurs porté conformément aux exigences rigoristes de l’islam radical, de manière à ne pas laisser apparaître une seule mèche de cheveux. Comment ne pas voir là une absolue confusion des genres ?

2) La présidence de la Conférence sur l’avenir de l’Europe est-elle indifférente aux problèmes graves posés par ce symbole ? Contre le principe, fondamental dans notre civilisation, de l’égalité de l’homme et de la femme, le port du voile est aujourd’hui imposé, y compris par la contrainte et la violence, dans bien des pays musulmans, et trop souvent hélas dans de nombreux territoires au sein même de nos pays européens. La revendication de « liberté » qui sert de prétexte à la banalisation du voile ne peut masquer cette réalité : des femmes sont agressées, menacées, condamnées parfois aux peines les plus lourdes, pour avoir osé retirer le voile. Citons seulement le cas de l’iranienne Nasrin Sotoudeh, lauréate du Prix Sakharov, qui a été une nouvelle fois condamnée en 2019 à douze ans de prison et 148 coups de fouet pour être apparue tête nue, et pour avoir défendu des femmes refusant de porter le hijab – ce même hijab que mettent ensuite en valeur nos institutions européennes… Comme co-présidents de cette Conférence, considérez-vous que votre responsabilité soit de normaliser ce qui reste un signe d’oppression pour des millions de femmes dans le monde ?

3) La Conférence sur l’avenir de l’Europe souhaite-t-elle mobiliser spécifiquement la participation d’une communauté religieuse, en lui promettant que « l’avenir est entre ses mains » ? Avec quels partenaires un tel visuel a-t-il été conçu ? Des universitaires et chercheurs reconnus ont mis au jour, au cours des dernières années, les stratégies déployées par des organisations islamistes comme les Frères musulmans pour bénéficier de fonds européens, orienter des programmes de recherche, agir sur les institutions et leur communication – à l’instar de l’association Femyso ou de différents comités nationaux « contre l’islamophobie », porteurs d’un agenda politico-religieux clairement identifié. Des organisations de ce type touchent-elles des subventions dans le cadre de la Conférence sur l’avenir de l’Europe, ou de la part d’institutions européennes ? Il est clair qu’un tel processus peut être instrumentalisé par des groupes de pression d’horizons variés ; la présidence de la Conférence s’est-elle donné les moyens de se prémunir notamment de l’entrisme d’organisations islamistes, dans le contexte du combat actuel à travers toute l’Europe pour la sécurité de nos pays, la défense de nos principes et la préservation du mode de vie européen ? Existe-t-il des lignes rouges qui disqualifient certaines organisations dans le cadre de ce débat ?

Compte tenu de la gravité de ce sujet, une dernière question se pose enfin : dans quel délai cette affiche sera-t-elle retirée ?

En vous remerciant par avance pour l’attention que vous porterez à ces questions, et sûr que vous aurez, en tant que co-présidents de la Conférence sur l’avenir de l’Europe, un message à adresser à toutes les femmes pour qui retirer le voile consiste à risquer sa liberté, sa sécurité ou sa vie, je vous prie d’agréer, Madame la Vice-Présidente, Monsieur le Secrétaire d’État, Monsieur le Député, l’expression de ma haute considération.

François-Xavier Bellamy

Député au Parlement européen
Président de la délégation française du PPE

 


Débat avec Emmanuel Macron au Parlement européen

 

Monsieur le Président de la République,

Vous venez d’ouvrir cette présidence avec de grandes promesses, mais il faut vous dire la vérité : personne ici n’y croit vraiment. Non seulement parce que le calendrier que vous avez cautionné servira plus votre campagne présidentielle que l’action européenne, mais surtout parce que vous vous êtes tellement contredit, vous avez tellement joué, en détournant jusqu’au sens des mots les plus importants… Vous avez – pardon de le dire – souvent menti. Comment vous croire ?

Vous dites vouloir maîtriser les frontières de l’Europe, mais hier vous dénonciez comme une « lèpre nationaliste » les pays qui appelaient à l’aide pour protéger leurs frontières face à la crise migratoire. Vous parlez d’environnement et d’autonomie stratégique, mais la France importe aujourd’hui du gaz et du charbon parce que vous avez fermé Fessenheim et miné notre industrie. Vous parlez aujourd’hui d’appartenance européenne tout en déclarant que les racines de l’Europe n’importent pas. Mais où puiser alors la sève pour irriguer notre avenir ? Vous promettiez la fin des clivages, et vous laisserez la France comme l’Europe fracturées comme jamais.

Ici aussi, nous savons que votre « en même temps » n’est qu’un artifice rhétorique pour dissimuler des incohérences calculées. Comme l’écrit Pierre Manent, la contradiction « entre les ambitions – ou les prétentions – de l’Europe, et sa réalité, est devenue un fait politique majeur ». Cette contradiction, vous l’incarnez aujourd’hui. Et nous, nous devons la résoudre.

Bien sûr, avec notre groupe, notre délégation, nous ferons tout pour rendre ces six mois aussi utiles que possible pour nos pays. Mais en vérité, Monsieur le président, l’essentiel n’est déjà plus là. L’essentiel est de dire à vous tous, Français, Européens, qui nous regardez : une autre politique est possible.

Ici aussi, nous savons que votre « en même temps » n’est qu’un artifice rhétorique pour dissimuler des incohérences calculées. 

Une politique qui vous prenne au sérieux, qui préfère la sobriété de l’action à l’obsession de la communication. Une politique qui ne prétende pas renforcer l’Europe en affaiblissant les États qui la constituent ; qui ne croit pas que la solidarité européenne consiste à vous surendetter ; qui ne prétende pas défendre l’état de droit en marchandant votre liberté et votre souveraineté ; qui ne vous méprise pas au premier désaccord venu ; qui vous respecte et se donne les moyens de vous faire respecter par les grandes puissances du monde. Vous ne demandez pas trop si vous espérez tout cela. Et nous avons le devoir de préparer ensemble le relèvement de nos pays, de l’Europe, de préparer la relève à laquelle vous avez droit. Merci beaucoup.

L’essentiel est de dire à vous tous, Français, Européens, qui nous regardez : une autre politique est possible. Une politique qui vous prenne au sérieux, qui préfère la sobriété de l’action à l’obsession de la communication. Nous avons le devoir de préparer ensemble la relève à laquelle vous avez le droit. 

« Si nous sommes le Noël du monde… »

En ce soir de Noël, quelques mots pour souhaiter à chacun d’entre vous la joie et la paix. La joie malgré toutes les épreuves, en particulier pour ceux qui vivent la solitude, la maladie, l’absence, et que la lumière qu’annonce cette nuit viendra j’espère consoler. Et la paix, dont nous avons tant besoin au milieu des tensions et des divisions profondes qui traversent en ce moment notre société, parfois même nos familles et nos amitiés ; ce soir, n’oublions pas que Noël a été, tout au long de l’histoire, la trêve qu’aucune guerre, aucune querelle n’empêchent de refaire notre unité. Il sera bien temps plus tard de reprendre nos débats…

Pour l’instant, laissons simplement la bonne nouvelle de cette nuit accomplir le miracle qu’elle renouvelle depuis des siècles, et rappeler ce qui nous lie. Vous avez été très nombreux à m’écrire depuis cette réflexion sur Noël il y a quelques jours, et j’ai été marqué par vos mots. Chrétiens ou non, vous m’avez dit de bien des manières ce que cette nuit nous révèle : nous ne sommes pas une addition d’individus isolés. Nous sommes reliés par une aspiration essentielle, suscitée par cette bonne nouvelle qui a irrigué toute l’histoire de notre civilisation. Par elle, nous avons appris à voir le verbe dans la chair, l’absolu dans le familier, le ciel sur la terre, le plus grand dans le plus petit, et la lumière dans la nuit. Il n’est pas nécessaire d’être croyant pour savoir que cet enseignement transmis depuis deux millénaires continue de nous habiter. Et que, malgré le bruit matérialiste qui entoure souvent les « fêtes de fin d’année », Noël révèle toujours combien ce qui nous réunit est d’abord cette signification spirituelle.

Voilà où nous pouvons retrouver pour l’avenir, non pas l’optimisme facile qui nie les difficultés, mais l’espérance qui nous engage à ne pas nous décourager. Dans Pilote de Guerre, Saint-Exupéry revenait à ce qui unit notre civilisation comme source de cette espérance, et de cet engagement : « Si nous sommes le Noël du monde… »

« Mon escadron s’est offert successivement comme volontaire pour la guerre de Norvège, puis de Finlande. Que représentaient la Norvège et la Finlande pour les soldats et les sous-officiers de chez moi ? Il m’a toujours semblé qu’ils acceptaient, confusément, de mourir pour un certain goût des fêtes de Noël. Le sauvetage de cette saveur-là, dans le monde, leur semblait justifier le sacrifice de leur vie. Si nous sommes le Noël du monde, le monde se sauvera à travers nous… »

Joyeux Noël !

La campagne pro-hijab du Conseil de l’Europe n’a rien d’un fait isolé.

Tribune initialement parue dans Le Figaro.

C’est une courte vidéo promotionnelle comme on en voit tant sur les réseaux sociaux. Une jeune femme vous regarde, souriante. Une ligne balaie l’écran de gauche à droite : cette fois, le visage est voilé. L’opération se répète plusieurs fois, avec des visages différents, et un message : « La liberté est dans le hijab ». Ce message publicitaire est relayé sur les réseaux sociaux, accompagné d’un slogan : « Joy in hijab », « la joie dans le hijab ».

Contre toute apparence, cette campagne n’est pas diffusée par une organisation islamique, mais par le Conseil de l’Europe, avec le cofinancement de la Commission européenne. C’est une courte vidéo, qui aura en quelques heures fait couler beaucoup d’encre. Pourtant, elle n’est qu’un symptôme parmi bien d’autres, qui ensemble permettent d’établir le constat d’une dérive de grande ampleur.

Depuis des années, des hauts fonctionnaires, des universitaires, des chercheurs alertent sur les stratégies d’entrisme qu’ils observent de la part d’une nébuleuse islamiste qui, sous couvert d’antiracisme, prend place dans l’environnement des institutions européennes : des associations, des fédérations, des organisations non gouvernementales proposent des projets et obtiennent des financements p européens.

Elles utilisent les mots-clés en vogue : défendre l’inclusion, promouvoir la diversité, contrer les « discours de haine »… Et, au nom de la « lutte contre l’islamophobie », elles parviennent à imposer leurs thèses. Ainsi du projet « dialogue sur la radicalisation et l’égalité » (DARE), financé dans le cadre du programme de recherche européen Horizon 2020, qui a conclu au fait que la « radicalisation » (le mot islamisme n’est jamais cité) s’expliquait par les « discriminations structurelles » en Europe. Improbable retournement : les pays victimes d’une série d’attentats en deviennent soudain les coupables…

Le Parlement européen lui-même ne manque plus une occasion de relayer ce type d’accusation : quelques jours après la mort de George Floyd, il votait une résolution dénonçant « l’oppression et le racisme structurel en Europe », ainsi que « le recours excessif ou létal de la force par la police dans l’Union européenne », sans qu’on voie bien où pouvait se trouver la responsabilité des forces de l’ordre européennes dans la mort d’un citoyen américain au Minnesota.

Un exemple de plus du mélange de naïveté et de complaisance qui explique la vulnérabilité de l’Europe, sommée au nom de ses principes d’ouvrir la voie à l’idéologie qui veut les détruire.

S’indigner d’un racisme « structurel » permet de toute façon d’éviter toute objection : il n’est plus nécessaire de fonder l’accusation sur des faits précis, il suffit d’évoquer une ambiance. Il y a quelques jours seulement, à l’occasion d’un événement réunissant des centaines de jeunes européens à Strasbourg, une jeune fille voilée a pris la parole dans l’hémicycle du Parlement pour dénoncer « l’islamophobie » au sein de nos institutions : son intervention a été soutenue par un courrier signé de nombreux parlementaires, de la gauche à LREM. Or cette jeune fille était présente au titre de l’association Femyso, émanation du réseau des Frères musulmans… Un exemple de plus du mélange de naïveté et de complaisance qui explique la vulnérabilité de l’Europe, sommée au nom de ses principes d’ouvrir la voie à l’idéologie qui veut les détruire.

La campagne du Conseil de l’Europe n’a donc rien d’un fait isolé. La stratégie est constante : entretenir l’accusation d’un « racisme structurel » dans nos pays ; définir ensuite ce racisme comme une « islamophobie », ce qui permet de criminaliser toute critique de cette religion ; pour lutter contre cette critique dénoncée comme « islamophobe », promouvoir positivement cette religion, ses pratiques et ses injonctions. Le même mouvement avait conduit à l’organisation du « Hijab Day » à Sciences Po il y a quelques années, qui consistait à proposer aux étudiantes de se voiler au nom de la « lutte contre l’islamophobie ».

Alors que tant de femmes, dans le monde et dans nos pays mêmes, subissent menaces, pressions et violences pour leur imposer de porter le voile, voir l’Europe affirmer que la liberté est dans le hijab est un reniement désespérant. Et, lorsque ce message est porté par des institutions qui ne cessent de se réclamer d’un progressisme intransigeant, cette contradiction confine à la folie : les mêmes institutions qui reprochent aux pays d’Europe de l’Est d’être réactionnaires au motif qu’ils n’adhèrent pas pleinement à l’agenda de réformes sociétales fixé à l’Ouest publient sans sourciller que « la joie est dans le hijab »…

Une telle dérive appelle des questions, et une réponse.

Des interrogations d’abord : comment une telle campagne a-t-elle pu être mise en œuvre ? Qui a pris la décision de la concevoir, de la diffuser ? Quel budget a-t-elle mobilisé ? En démocratie, nous ne finançons pas les institutions pour qu’elles nous réforment ou nous endoctrinent ; les responsables qui engagent des moyens publics doivent en revanche rendre des comptes devant les citoyens. C’est la raison pour laquelle il faut maintenant que toute la lumière soit faite sur les conditions dans lesquelles cette vidéo a été publiée.

Mais, sans attendre, apportons-lui une réponse. Le véritable racisme est à l’évidence dans l’assignation identitaire que de tels messages relaient. Il y a quelques jours, la même « unité antidiscriminations » du Conseil de l’Europe diffusait la photo d’une femme voilée, avec ce commentaire : « Ce que ce foulard veut dire pour moi : c’est la possibilité d’être moi-même, sans avoir à me cacher ni à faire semblant d’être ce que je ne suis pas ». Paradoxe absolu : on se cacherait en se dévoilant, on se montre en se dissimulant. Aucune femme ne se définit par le fait que, derrière un voile, elle montre ce qu’elle est.

Le véritable racisme est à l’évidence dans l’assignation identitaire que de tels messages relaient.

En Europe, la liberté de conscience est effectivement respectée – et c’est une chance, car très peu de pays musulmans se montrent aussi tolérants à l’égard des chrétiens ou des incroyants… Mais, si cette liberté est permise, il doit être clair pour tous les enfants de la civilisation européenne, d’héritage ou d’adoption, que personne ne se définit par le fait de se voiler. Le Conseil de l’Europe manque à l’idée même de l’Europe quand il fait croire le contraire.

La clarté et la constance

Entretien à L’Express initialement paru le 15 mai 2021.

L’Express : La secrétaire d’Etat Sophie Cluzel ne présentera pas de liste de la majorité présidentielle pour les régionales en Paca, se rangeant derrière Renaud Muselier. La liste du président sortant comportera d’autres membres de LREM, et devrait écarter les parlementaires de toute sensibilité, y compris de droite. Souhaitez-vous que LR retire son soutien à Renaud Muselier, comme le demande Bruno Retailleau ?

François-Xavier Bellamy : Bien sûr. Ce dénouement était parfaitement prévisible, et c’est pour cela que j’avais voté contre le soutien accordé à Renaud Muselier lors de la Commission nationale d’investiture (CNI) du 4 mai, tout comme Éric Ciotti et Bruno Retailleau. Les faits nous ont donné raison. Je n’aurais pu soutenir Renaud Muselier que s’il avait dénoncé la fusion annoncée par Jean Castex, et refusé clairement d’être appuyé par LREM. Mais quelques heures plus tôt, dans le texte qui était supposé « clarifier » la situation, il remerciait encore le Premier ministre pour son soutien… Comment s’étonner de cette issue affligeante ?

Dans cette exigence de clarté, il y a un enjeu de survie pour la droite. Notre famille politique meurt de ces ambiguïtés. Je ne reproche rien à ceux qui soutiennent Emmanuel Macron, chacun est bien sûr libre de ses idées ; mais ils doivent se mettre en conformité avec leurs actes et rejoindre LREM. La droite, elle, doit préparer l’alternance dans la clarté et la constance. Sinon, elle n’a plus de raison d’être. Or je suis convaincu que cette alternance est plus que jamais nécessaire pour la France.

 

Si vous étiez électeur de cette région, pour qui voteriez-vous ?

Je serais déprimé ! Les petits calculs d’En Marche sont un immense cadeau offert à Thierry Mariani, qui apparaît désormais comme la seule alternative à droite pour ceux qui ne se reconnaissent pas dans la majorité présidentielle. C’est d’autant plus affligeant que M. Mariani est clairement une incarnation du pire de l’opportunisme politique. Je l’ai vu encore tout récemment en Arménie, un pays si proche de la civilisation européenne, victime de l’agression unilatérale de l’Azerbaïdjan. Des élus européens comme M. Mariani ont contribué au silence dans lequel des milliers de jeunes ont été tués, parce qu’il entretient les meilleures relations avec cet Etat musulman autocratique, dirigé par des anciens du KGB, qui pratique une corruption à grande échelle dans les institutions européennes. L’attaque menée par l’Azerbaïdjan, appuyée par la Turquie et par des mercenaires djihadistes, a été marquée par des crimes de guerre terribles et documentés ; mais M. Mariani n’a cessé de redire son soutien au dictateur Aliev auprès d’une presse azérie complaisante. Ce n’est que le symptôme d’un comportement politique d’un cynisme affligeant, celui-là même qui nourrit la défiance des Français.

Comment voir dans un tel personnage l’espoir d’un renouveau… Il est d’ailleurs improbable qu’un ancien ministre, député sans discontinuer depuis 1993, nous explique maintenant que la droite a tous les torts – qu’a-t-il fait pendant les trente dernières années ? Si M. Mariani reproche à la droite son bilan, qu’il ait au moins la loyauté de s’effacer, car il en est comptable.

 

La situation en Paca a provoqué un psychodrame chez LR. Cette surréaction ne met-elle pas en lumière la fébrilité de votre parti sur son rapport au macronisme?

C’était une sous-réaction ! Le Premier ministre a annoncé dans le JDD que l’alliance entre LREM et Renaud Muselier amorçait une « recomposition nationale » qui allait voir LR devenir un supplétif du macronisme. Dans ces conditions, la seule réaction légitime était de dénoncer clairement cette manœuvre, de prendre acte du fait que Renaud Muselier était candidat de LREM, et de présenter une nouvelle liste dans la région Sud pour que notre ligne reste défendue. Le psychodrame que vous décrivez aurait été évité si le retrait du soutien annoncé immédiatement par Christian Jacob avait été maintenu.

 

Dans un communiqué publié sur Twitter, vous affirmez que la vie politique suppose une « ligne claire » pour que les électeurs « puissent faire un vrai choix ». Entre le rapprochement avec LREM en Paca ou avec Debout la France en Bourgogne Franche-Comté, la « ligne » de LR est difficile à suivre…

Les petits calculs d’opportunité ne peuvent qu’être un danger mortel pour la clarté de notre engagement. Mais on ne peut pas tout comparer : dans le cas de la région PACA, un Premier ministre vient annoncer dans la presse nationale une recomposition de la vie politique à travers une alliance LR-LREM. Cet épisode est dévastateur pour notre famille politique. Je sais de quoi je parle : nous avons payé très cher, lors des européennes de 2019, toutes les ambiguïtés de la droite pendant les années précédentes. Lors du débat de la semaine dernière, j’ai voulu parler pour tous ceux qui ont perdu les législatives de 2017 à cause des quelques cadres partis de notre famille politique pour un siège de ministre avec Emmanuel Macron, après l’avoir combattu. Ces reniements ont fait du mal, dans l’esprit des Français, même à ceux qui restaient fidèles ; mais plus grave encore, ils continuent de miner de l’intérieur notre vie démocratique. Il ne peut y avoir aucune confiance si la classe politique semble n’avoir ni cohérence ni clarté.

Nous avons payé très cher, lors des européennes de 2019, toutes les ambiguïtés de la droite pendant les années précédentes. Lors du débat de la semaine dernière, j’ai voulu parler pour tous ceux qui ont perdu les législatives de 2017 à cause des quelques cadres partis de notre famille politique pour un siège de ministre avec Emmanuel Macron, après l’avoir combattu.

 

Sur un plan idéologique, le destin de LR n’est-il pas d’être aspiré par ses deux pôles, LREM et RN ?

Non, car ces deux pôles ne sont pas de nature idéologique. Le macronisme n’est pas une doctrine, c’est un opportunisme ; Emmanuel Macron ne construit pas une vision du monde, mais un récit marketing, variable selon la tactique du moment. Au prétexte du « en même temps », il aura dit tout et son contraire sur tous les sujets pendant ce quinquennat…

Ces deux forces politiques ne cessent de changer de discours. Et de manière opportuniste, toutes deux rallient aujourd’hui le cœur intellectuel de la droite. Prenons le sujet européen, par exemple : Emmanuel Macron pourfendait avec vigueur le protectionnisme, il défend maintenant l’autonomie stratégique européenne… Il rejoint ce que nous avons défendu pendant toute notre campagne. Le RN, quant à lui, avait applaudi le Brexit et prônait la sortie de l’Euro comme la condition de tout son programme : il a soudainement abandonné ces idées et parle aujourd’hui de réorienter l’Europe, comme la droite l’a toujours fait.

 

Les Français se positionnent de plus en plus à droite, notait en 2020 une étude de l’Ifop. LR semble ne parvient pourtant pas à en tirer profit. Au-delà des « ambiguïtés » que vous dénoncez, comment l’expliquer ?

Cela tient en partie au fait que la droite n’a pas su reconnaître franchement ce qu’elle n’a pas réussi dans le passé. L’exercice du pouvoir crée toujours de la déception. Nous serions plus crédibles si la droite avait su admettre que son bilan comporte aussi des éléments de la crise que la France connaît aujourd’hui. Je pense par exemple à la crise éducative actuelle : il est clair qu’elle ne relève pas de la seule responsabilité du gouvernement. Notre opposition aux réformes récentes, qui est parfaitement fondée, serait plus audible si elle s’accompagnait d’un regard plus lucide sur le bilan des années passées.

Enfin, il nous a manqué un travail de fond pour renouveler nos propositions. Le travail avance au sein du parti, mais nous n’avons pas de moyen de trancher les options contradictoires qui émergent en interne.

 

Sur les questions économiques, le flou règne. Entre le libéralisme de Bruno Retailleau et les positions plus iconoclastes d’Aurélien Pradié ou de Guillaume Peltier, il est difficile pour l’électeur de droite de s’y retrouver…

C’est vrai. On ne peut que reconnaître qu’il y a de vraies divergences sur ces sujets. Il est légitime que des points de vue différents s’expriment, bien sûr ; mais à la fin, il faut que quelqu’un tranche. A droite, c’est le rôle du candidat à l’élection présidentielle. En le désignant, nous pourrions déterminer notre ligne collective. Or, nous n’avons pas de candidat et nous ignorons comment le choisir.

 

Êtes-vous favorable à une primaire ?

Vous évoquiez les divergences de fond chez LR, particulièrement sur les questions économiques : pour les trancher, il faudra passer par un débat ouvert avec ceux qui souhaitent être représentés par notre famille politique en 2022. Une réunion derrière des portes fermées ne permettra pas d’aboutir à un choix reconnu et légitime. On peut appeler cela primaire ou autrement, mais il faudra susciter une conversation ouverte, et une large participation. Ce n’est pas la primaire de 2017 qui a fait perdre la droite.

 

En 2007, Nicolas Sarkozy défendait le « travail » et l’identité française. En 2017, François Fillon misait sur le réformisme économique et la lutte contre l’islamisme. Quels thèmes devra porter la droite en 2022 ?

Il est difficile de réduire un projet présidentiel à un ou deux thèmes : ces deux campagnes portaient plus que ces intuitions fondamentales. Mais s’il fallait ne retenir qu’une priorité, il me semble que l’urgence est de sauver l’unité de la France. Notre société est aujourd’hui profondément fracturée. Il faut garantir que la loi est appliquée partout en France ; c’est la condition de la sécurité et de la confiance dans nos institutions. La maîtrise des flux migratoires, la reconstruction d’une prospérité économique retrouvée en réorientant l’Europe dans la mondialisation, sont aussi des conditions pour reconstruire cette unité. Et la plus importante sans doute, la reconstruction de notre système éducatif, qui est aujourd’hui dans un état d’effondrement

 

Revenons sur l’actualité. Les tribunes de militaires publiés par l’hebdomadaire Valeurs Actuelles ont suscité la polémique. Vous avez affirmé être « révolté que certains s’en prennent aux messagers, pour ne pas écouter le message« . Mais le sujet n’est-il pas justement ici la légitimité du messager à s’immiscer sur le terrain politique ?

Les signataires précisent explicitement qu’il n’est en aucun cas question pour eux de menacer l’ordre démocratique : ils se préoccupent au contraire de sa stabilité. Personne n’imagine sérieusement que nous sommes à la veille d’un coup d’État militaire, cela n’a aucun sens ! Les militaires sortiraient de leur devoir de réserve s’ils annonçaient leur soutien à tel parti politique, ou refusaient de servir une autorité légitime. Mais il n’est en rien question de cela dans ces textes… Le devoir de réserve n’interdit pas à des militaires en leur qualité de s’exprimer sur les défis stratégiques du pays. Il serait absurde et dangereux de se priver de leur expérience.

 

Le gouvernement en a-t-il trop fait ?

Sa réaction était infondée. Il est normal que le gouvernement rappelle les règles qui régissent la relation des forces armées avec l’autorité politique. Mais l’emphase et la violence avec laquelle on a traité ces militaires retraités, parfois âgés de 80 ans, étaient absurdes et démesurées. Cela fait partie de ce « petit théâtre antifasciste » que dénonçait Lionel Jospin. Le gouvernement joue à se faire peur, car cela sert son récit : il se pose en rempart contre le danger. Mais si la principale menace pour la France était de vieux soldats qui l’ont toujours servie et expriment leurs inquiétudes pour l’avenir, le pays irait bien ! Nos dirigeants devraient avoir bien d’autres combats à mener…

 

La manifestation en soutien au peuple palestinien prévue samedi à Paris a été interdite à la demande du gouvernement en raison de « risques de troubles à l’ordre public ». Vous soutenez cette décision ?

Oui. Il n’est jamais simple d’interdire une manifestation ; il faut faire ce choix avec la main qui tremble, car la liberté de manifestation est une liberté fondamentale. Mais nous devons refuser à tout prix toute stratégie d’importation du conflit israélo-palestinien sur notre sol. Nous l’avons vécu en France, comme en Allemagne aujourd’hui où des “manifestants” se regroupent devant des synagogues pour insulter les juifs : la critique de la politique du gouvernement israélien devient un prétexte pour le retour d’un antisémitisme violent et décomplexé. Nous ne pouvons pas l’accepter.

La France doit dire ce qu’elle est

Entretien initialement paru dans L’Incorrect du mois de mars 2021.

Le projet de loi actuellement en discussion devait porter sur l’islamisme. Il prétend maintenant veiller au « respect des principes de la République » par toutes les religions, de peur de « stigmatiser » l’islam. Qu’en pensez-vous ?

Ce projet de loi est totalement décalé par rapport à l’enjeu. J’ai du mal à comprendre l’erreur de diagnostic et de solutions. Il y a une erreur de fond dans le fait de croire que le problème serait lié aux religions : le sujet, c’est la rencontre à haut risque de de l’islam avec la culture française et la civilisation européenne. De ce point de vue, la réponse ne peut d’ailleurs pas se trouver contenue dans une simple loi.

Le problème fondamental est intellectuel, spirituel, civilisationnel. Il consiste à savoir si nous voulons encore défendre, préserver et transmettre notre héritage. Cet héritage inclut une certaine manière de vivre, de voir le monde, une certaine conception de la relation entre l’homme et la femme, une certaine idée de la raison, une certaine organisation politique, et en elle l’idée de la laïcité, qui est en réalité une idée européenne, parce qu’elle est une idée chrétienne — le mot même de laïcité vient de la théologie chrétienne.

Vouloir s’en prendre de manière équivalente à toutes les religions, ou vouloir revenir aux débats internes à l’esprit européen quand il s’agissait de limiter l’emprise de la religion sur le pouvoir temporel, c’est commettre une erreur majeure. Aujourd’hui, le sujet n’est plus la distinction entre le temporel et le spirituel dans un monde chrétien ; c’est la préservation du modèle hérité de la tradition judéo-chrétienne face à la montée de la culture musulmane, elle-même liée à l’immigration massive. Il peut y avoir une évolution de la loi pour améliorer notre réponse sécuritaire ou judiciaire à court terme ; mais le point central, c’est de savoir comment nous serons capables de transmettre de nouveau la France à tous ceux qui grandissent dans notre pays, et dont beaucoup ne se reconnaissent pas de cet héritage.

Ne pourrait-on pas imaginer quelque chose sur le modèle de la convocation du Grand Sanhédrin par Napoléon en 1806 ?

L’État ne réformera pas l’islam. L’État n’organisera pas l’islam. Projeter cela, ce serait se méprendre sur la nature de cette religion, qui ne connaît pas une structuration semblable à celle de l’Eglise par exemple. Par ailleurs, il y aurait un abus de pouvoir dans l’idée que l’on va intervenir de l’extérieur dans le culte musulman : nous n’avons pas à dire ce qu’un musulman a le droit de croire ou de ne pas croire, ce qu’il doit penser ou ne pas penser. Sans compter que cet abus de pouvoir ne fonctionnera pas. Je l’ai vécu comme prof et comme élu local : la montée de la radicalité chez beaucoup de jeunes musulmans fait que les responsables qui s’accordent avec les institutions se trouvent de facto discrédités. Une immense majorité des croyants refuseront logiquement d’adhérer à des dogmes négociés avec l’Etat… Nous n’avons rien à gagner à entrer dans cette logique.

Ce serait aussi décalé que, par exemple, de vouloir proscrire la kippa dans l’espace public, comme le propose depuis longtemps Marine Le Pen. Il y a depuis quinze ans une montée de la pression islamiste dont les Français de confession juive sont directement les victimes, et à la fin, quand il faut y répondre, on dit : qu’ils enlèvent leur kippa ! C’est absurde !

Alors que doit-on faire ?

La seule chose que doit faire la France, c’est de dire ce qu’elle est et ce qu’elle ne négociera jamais. À partir de là, à chacun de juger s’il veut vivre dans notre pays. Oui, la France est le pays de la liberté de conscience, donc en France on a le droit d’être musulman – c’est une grande chance parce que dans les pays musulmans, on n’a pas toujours le droit d’être chrétien… Cela implique que la France est un pays où la parole est libre, avec les excès que cela peut entraîner. En France, il peut vous arriver de croiser une caricature qui heurte votre foi – je le dis comme un catholique à qui il est arrivé de se sentir parfois blessé par une caricature –, mais c‘est comme ça, c’est la France. À ceux qui trouvent ça trop pénible, à ceux qui sont trop fragiles pour le supporter, je dis qu’il y a des tas de pays dans lesquels ils seront sûrs de ne jamais voir une caricature du prophète, et qu’ils peuvent parfaitement choisir d’y vivre. Je ne peux le leur reprocher : choisissez un autre pays, une autre manière de vivre, et restons bons amis ! Mais si vous voulez vivre en France, vous devez épouser ce modèle.

Vous pensez qu’une majorité de jeunes musulmans est prête à l’accepter ?

Dans notre histoire, beaucoup de musulmans sont morts pour la France ; il n’y a aucune raison pour qu’un citoyen musulman se sente étranger à la France. Je crois profondément que beaucoup de jeunes issus de l’immigration sont prêts à estimer un pays qui s’estimerait lui-même. C’est pour cela que le vrai sujet est politique, au sens le plus fort du terme – non pas seulement sécuritaire, ou institutionnel… Au fond, il renvoie notre pays à sa propre incapacité à s’assumer et à se transmettre. Quand on élit un président de la République qui nous a dit qu’il n’y avait pas de culture française, il est évident que ça ne peut pas marcher. Vous ne pouvez pas intégrer et vous ne pouvez pas assimiler si vous partez du principe que votre pays n’a rien à proposer, qu’il n’a pas une culture à recevoir et à rejoindre.

L’islamisme des cités est d’ailleurs un adversaire idéologique d’une fragilité insigne. Il faut bien avoir conscience que la médiocrité et la superficialité de son discours ne se propagent qu’à proportion du vide que nous laissons derrière nous, quand nous refusons d’assumer ce que nous sommes et de le transmettre.

Vous dites : « On ne peut pas intégrer, on ne peut pas assimiler. » Ce n’est pas la même chose. Vous souhaitez intégrer ou assimiler ?

J’assume parfaitement l’idée de l’assimilation, un projet d’une immense générosité et qui est particulièrement français, parce que la France a toujours eu une relation particulière avec l’universel. La singularité paradoxale de la France est d’avoir toujours cru qu’elle pouvait s’adresser à tous. Le projet de l’assimilation est très français en ce sens qu’il signifie que d’où que vous veniez, quelle que soit votre histoire personnelle, si vous habitez en France, et a fortiori si vous souhaitez partager la nationalité française, vous pouvez être pleinement participant de cette histoire qui se prolonge à travers nous tous. On a fait de l’assimilation une sorte de tabou : Emmanuel Macron a récemment expliqué, dans l’Express, qu’il fallait supprimer du code civil la nécessité de “justifier de son assimilation à la communauté française” pour pouvoir être naturalisé. En réalité, comme l’a récemment montré Raphaël Doan, l’assimilation est l’exigence la plus antiraciste qui soit. Elle consiste à dire : vous n’avez pas besoin d’avoir les gênes d’une ethnie particulière pour être assimilé à la communauté de destin qui s’appelle la France. Évidemment, aujourd’hui, réussir le défi de l’assimilation suppose un préalable : mettre fin, de manière urgente, aux flux migratoires massifs qui rendent impossible la reconstitution de l’unité de la nation. Mais je crois malgré tout que le projet de l’assimilation, que la France a réussi dans son passé, comme le montrent ces Français qui le sont devenus “non par le sang reçu mais par le sang versé”, est plus nécessaire que jamais. On n’échappera pas à l’« archipellisation » de la France sans renouer avec ce projet.

Pour paraphraser de Gaulle, on peut assimiler des individus : pensez-vous que l’on puisse assimiler des peuples, et n’est-il pas déjà trop tard ? Et vous parlez de stopper les flux migratoires : est-ce qu’il faut simplement les stopper ou est-ce qu’il faut les inverser ?

Pour la première question, oui, on se demande s’il n’est pas déjà trop tard. Je l’assume sans difficulté. Cela étant dit, j’ai trente-cinq ans, je ne compte pas baisser les bras. Comme le dit Marc Aurèle : « Les batailles que je n’ai pas livrées, je me console trop facilement dans la certitude qu’elles étaient déjà perdues ». Je ne veux pas me résigner à la fracturation de la France dans une juxtaposition de communautés qui ne se connaissent plus de lien. Il me semble que la puissance de notre héritage peut encore susciter l’enthousiasme et l’adhésion.

J’ai enseigné dans des zones urbaines sensibles où il y avait 90% ou 95% de jeunes issus de l’immigration. Je n’ai jamais eu un élève qui m’ait dit : « Je ne veux pas de votre philosophie ethnocentriste, occidentale et néocoloniale ». Ça, c’étaient mes formateurs à l’IUFM qui me le disaient ! Mes élèves, quand je leur parlais de Platon et d’Aristote, étaient capables de s’y reconnaître. Quand vous arrivez devant des jeunes gens en leur disant que vous avez quelque chose à leur offrir qui vaut la peine d’être reçu, vous retrouvez en eux la soif infinie d’apprendre, et de rejoindre quelque chose de plus grand que nous qui mérite d’être partagé. Je ne nie pas qu’il y a une sorte de pari. Je ne suis pas optimiste de nature, mais je ne peux pas me résigner. Et je crois qu’il y a dans l’identité française quelque chose d’assez grand pour pouvoir surmonter la crise existentielle que nous traversons.

Pour réussir ce défi, et c’est votre deuxième question, commençons par mettre un terme aux flux migratoires qui continuent. Rappelons quand même que depuis quarante ans, on n’a jamais délivré autant de titres de séjour que depuis 2017. Je ne cesse de l’expliquer à bien des gens qui affirment qu’Emmanuel Macron mène une politique de droite. En 2019, c’est l’équivalent de la ville de Nantes qui s’est installé légalement en France, essentiellement d’ailleurs en provenance des pays du Maghreb et de la Turquie. Et je ne parle même pas de l’immigration illégale… C’est évidemment intenable.

Lorsque la région Île-de-France, durant le premier confinement, a mis en place un outil pour apprendre une langue étrangère en ligne, elle a eu la surprise de voir que la première langue demandée était le français, et de loin ! On ne peut pas continuer à accueillir quand on vit un tel échec de l’assimilation.

Votre famille politique, notamment sous le mandat de Nicolas Sarkozy, a accueilli elle aussi beaucoup de gens. Il y a même eu une explosion du nombre d’entrées. Il y a une prise de conscience au sein de LR ?

Je ne me suis pas engagé en politique parce que tout allait bien, et je ne me suis pas engagé à droite parce que la droite avait tout réussi. Je me suis engagé justement parce que je crois qu’il est nécessaire que cette prise de conscience puisse avoir lieu à l’intérieur de la droite. La grande fragilité de la droite aujourd’hui, sa fragilité politique et électorale, vient de la profonde déception de beaucoup d’électeurs qui lui reprochent de ne pas avoir tenu ses promesses. Pendant toute la campagne des élections européennes, j’ai entendu des gens me dire : « Ce que vous dites est très bien, mais on ne se fera pas avoir une nouvelle fois ». Il y a une corrélation très claire entre le fait que la droite, lorsqu’elle était au pouvoir, n’a pas été à la hauteur des engagements qu’elle avait pris, et le discrédit qu’elle subit aujourd’hui. Cela étant dit, on ne peut pas être complètement relativiste : en matière d’immigration par exemple, la politique menée n’a pas été la même sous la droite que sous la gauche ; et Emmanuel Macron va plus loin que la gauche, en termes d’entrées légales sur le territoire national.

Y a-t-il un consensus sur ce sujet au sein de LR ? On sait à peu près ce que pense chacune de ses personnalités, mais concernant la ligne du parti, c’est nettement plus flou…

Sur les questions migratoires, la ligne de notre famille politique est parfaitement claire. Nous l’avons exposée lors des élections européennes : nous pensons qu’il faut une stratégie globale, à la fois européenne et nationale. C’est ce que nous avons appelé la« double frontière ». Je suis allé sur l’île de Lesbos, pour voir le gigantesque camp de migrants qui s’y trouve. Vu de ces îles, situées à quelques kilomètres seulement des côtes turques, il est évident que la Grèce ne pourra pas défendre toute seule ses frontières face à la pression migratoire. De plus, les gens qui entrent en Grèce ne veulent pas y rester. Ils veulent se rendre en France, en Allemagne, en Grande-Bretagne : il est donc nécessaire et légitime que nous soyons aux côtés des pays de première entrée, en renforçant Frontex notamment, pour maîtriser ensemble les frontières extérieures de l’Europe. Jusque-là, ça n’a pas été fait, c’est sur cette priorité que nous travaillons. Au Parlement européen, nous sommes engagés dans une bataille politique rude pour défendre une doctrine d’emploi assumée pour Frontex : une agence de garde-frontières n’est pas là pour accueillir les gens qui entrent illégalement, mais pour les refouler. Ce travail commun est indispensable : il est vain de prétendre que l’on maîtrisera nos frontières face à la pression migratoire si les pays européens n’y travaillent pas ensemble. La position du RN sur ce sujet, qui a sans cesse voté contre tout renforcement de Frontex, est purement idéologique et me semble irresponsable. Si demain la Grèce est envahie, ça ne peut pas ne pas avoir de conséquences sur nous. Il faut donc agir ensemble, pour permettre que chaque pays garde la maîtrise de sa politique migratoire. C’est parce que nous tenons à garder à chaque Etat sa souveraineté en la matière que nous parlons de « double frontière ».

Le parti européen au sein duquel vous siégez, le Parti populaire européen (PPE), est-il en phase avec ça ? Il ne nous a pas donné l’impression de vouloir « refouler » les migrants.

Durant le précédent mandat, et particulièrement lorsque l’Allemagne a ouvert grand les frontières à l’été 2015, le PPE s’est littéralement fracturé sur la question migratoire. Deux lignes complètement opposées s’y sont affrontées : d’un côté il y avait celle d’Angela Merkel, de l’autre celle de Viktor Orbán. Or cinq ans et demi plus tard, que constate-t-on ? Que sur le fond, tout le groupe s’est rallié à la position de Viktor Orbán ! Aujourd’hui, plus personne dans le PPE ne défend l’idée d’un accueil inconditionnel des migrants. Angela Merkel elle-même ne referait plus ce qu’elle a fait en 2015… Même au-delà du PPE, les États européens se sont ralliés à la ligne de protection des frontières défendue par le Premier ministre hongrois. Ce qui est tout à fait paradoxal car Viktor Orban continue à être victime d’une forme de procès permanent, alors même que sur les questions migratoires, tout le monde parle désormais comme lui.

Concrètement, la doctrine qui prévalait jusque-là, et qui était d’ailleurs soutenue par Emmanuel Macron, était celle dite de la « relocalisation » des migrants : des gens entrent dans l’UE de façon illégale, au nom de la “solidarité” entre pays européens, on se les répartit et on oblige chaque Etat-membre à accepter son quota de migrants. C’était cela que Viktor Orbán refusait. Or la Commission européenne vient de présenter son nouveau “pacte migratoire”, et le point majeur est qu’elle renonce à la relocalisation des migrants. La solidarité européenne face à la question migratoire voudra dire que les Etats devront, selon leur choix, à à contribuer à la maîtrise des frontières ou aux reconduites hors de l’Europe des migrants illégaux C’est un changement complet de paradigme. La gauche est ulcérée, et il faut la comprendre : dans ce débat, Viktor Orbán a gagné !

Il y a encore beaucoup de travail, bien sûr, mais le débat progresse enfin. J’ai été chargé par le groupe du PPE d’écrire un texte sur l’identité de la droite en Europe : le passage sur l’immigration, qui fixe pour priorité la maîtrise de nos frontières, a été adopté par le groupe dans son ensemble après un travail d’amendements. Aujourd’hui, je pense que les choses peuvent être réorientées dans le bon sens. Avec certes toutes les pesanteurs de ces institutions – ça prend du temps, c’est lent, c’est compliqué… – mais globalement, dans la matrice européenne, quasiment plus personne ne dit, à l’exception de la Commissaire européenne aux Affaires intérieures, la social-démocrate suédoise Ylva Johansson, que les migrants sont une chance pour nos usines et pour compenser la baisse de la natalité de l’Europe…

En 2018 sur France Culture, lors d’une émission d’Alain Finkielkraut et alors que vous n’aviez pas encore été désigné tête de liste aux élections européennes mais que le JDD venait de faire état de cette probabilité, Sylvain Tesson vous avait imploré de « ne pas rentrer dans ce débat qui risque lui-même d’être un mouvement qui vous perdra ». Vous ne regrettez pas de ne pas l’avoir écouté ?

C’est une bonne question. Je ne suis pas entré en politique parce que ça m’amusait. C’est une expérience passionnante et je ne me plains pas de ce que je vis, mais si j’avais eu le sentiment que la France allait bien, je serais resté prof de philo. J’ai adoré mon métier, c’était ma vocation professionnelle, il reste mon élément naturel et j’espère le retrouver. Je suis entré en politique parce que tout ce à quoi je tiens est menacé. Je n’étais pas adhérent des Républicains, mais je me suis toujours senti de droite ; cette famille politique est venue me chercher : si j’avais décliné, je me serais senti illégitime de continuer à écrire des livres pour expliquer ce qui ne va pas.

La politique est un combat. Si vous croyez au sérieux de ce qui s’y joue, vous ne pouvez pas demeurer spectateur, ni même commentateur. Il faut entrer sur le champ de bataille.

Et vous pensez que de LR peut sortir un candidat qui ne fasse pas simplement de la figuration ?

Je crois que la droite a la responsabilité d’incarner une alternative, parce que le Rassemblement national fait objectivement partie de l’équation qui sauve Emmanuel Macron – je dis cela sans aucun jugement moral, ne détestant rien tant que tous ceux qui transforment les désaccords politiques en condamnations condescendantes. Je sais que la politique suppose des discernements difficiles dans le clair-obscur du réel, comme l’expliquait Aristote..Mais c’est un fait que la seule chose que redoute Emmanuel Macron, ce serait une droite enfin sortie de sa torpeur. Lors de l’élection européenne, j’ai espéré commencer une alternative, et nous n’y sommes pas arrivés. Notamment parce que dix jours avant le scrutin, Emmanuel Macron a brandi le risque de voir la liste du RN triompher, que Marine Le Pen lui a répondu, ce qui est normal, et que les médias se sont focalisés sur ce duel en forme de tandem. Pendant dix jours, les Français ont suivi à la télévision le troisième tour de l’élection présidentielle, et ils se sont prononcés par rapport à cette mise en scène. La politique, c’est aussi ça. On a eu beau faire une belle campagne, en tout cas une campagne que je ne renie pas sur la forme ni sur le fond, la construction de l’opinion passe encore par les journaux télévisés, qui nous ont largement ignorés.

Durant toute cette campagne, Emmanuel Macron n’a eu qu’une obsession : éviter que la droite ne se reconstruise à l’occasion de ce scrutin. Il y est parvenu. Nathalie Loiseau a refusé tous les débats que les médias lui proposaient avec moi. Et elle n’a accepté de discuter qu’avec Jordan Bardella. Il suffit de bien vouloir ouvrir les yeux pour voir que le macronisme a besoin du RN, qui pour bien des raisons reste très éloigné d’une victoire à l’élection présidentielle – bien des gens autour de Marine Le Pen le savent parfaitement, d’ailleurs… Le parti au pouvoir n’aurait aucune chance de s’y maintenir si nous étions dans une configuration politique normale. C’est la raison pour laquelle la vraie inquiétude pour Emmanuel Macron, c’était qu’un nouvel élan reprenne à droite et que les électeurs se remettent à y croire.

Parmi les faiblesses de la droite, ne pensez-vous qu’il lui manque d’avoir une ligne claire sur l’écologie ? Elle est globalement considérée comme libérale, donc comme anti-écologiste.

La droite s’est occupée d’écologie quand elle était au pouvoir et qu’on en parlait infiniment moins que maintenant, mais il est vrai qu’elle n’a pas de discours construit sur les sujets écologiques. Le travail à faire est d’autant plus important qu’il est urgent de proposer une écologie qui ne porte pas atteinte à nos libertés fondamentales.

Je suis inquiet quand j’entends Barbara Pompili nous dire que ce qui compte maintenant, ce n’est pas de changer notre manière de consommer, mais de changer notre manière de vivre et même, de changer notre civilisation ! Là, il y a une véritable idéologie, qui se préoccupe d’ailleurs assez peu de l’environnement – je le vois au Parlement par exemple sur le sujet de l’éolien, à terre ou en mer, qui est défendu par ces militants malgré son impact écologique désastreux. . Cette écologie a simplement trouvé une occasion de recycler un vieux fonds totalitaire hérité du marxisme et de l’antilibéralisme de gauche. Si la politique est faite pour sauver ce qui doit l’être, et je crois que c’est ce qui définit la droite, cela suppose évidemment de se préoccuper de transmettre, à la fois notre culture, et une nature qui permette que le monde reste vivable. C’est à cette cohérence qu’il faut travailler.

Vous voulez sauver et transmettre ce qui doit l’être, et, « en même temps », vous avez parlé d’« épuisement du modèle dont nous héritons ». Qu’est-ce qui reste à sauver ? Est-ce qu’on n’en est pas au stade de la décadence de l’Empire romain ?

Vous posez la question la plus difficile qui soit, savoir si la politique peut quelque chose à une forme de crise intérieure. Au fond, est-ce que la politique peut sauver un pays si ce pays ne veut plus se sauver lui-même – si ce pays a perdu le goût de continuer à exister ? Je dirais qu’on n’a pas le droit de se résigner. Aujourd’hui, comme dans certaines périodes de l’histoire, le levier de l’engagement politique pourrait être : « Et si jamais… » Et si jamais il y a une chance, même infime, que la France retrouve le goût d’exister, alors cette chance vaut la peine qu’on engage sa vie là-dessus.

J’imagine que quand Hans et Sophie Scholl ont créé La Rose blanche, en 1942, ils ne devaient pas avoir beaucoup d’espoir que la situation s’améliore. Et pourtant ! J’ai été profondément bouleversé par le dernier film de Terrence Malick, Une vie cachée, sur ce paysan autrichien, Franz Jägerstätter, qui avait refusé de prêter le serment de loyauté à Hitler. D’une certaine manière, ça ne servait à rien, la partie était perdue. Jägerstätter a donné sa vie sans voir la victoire à laquelle il espérait pourtant contribuer de manière presque infime. Et pourtant, ça valait la peine. Même si nous ne sommes pas dans une situation aussi dramatique, la question se pose de savoir si l’on peut quelque chose à un processus qui donne le sentiment d’être intérieur et donc irréversible, en tout cas par des moyens politiques. Mais si jamais il y a encore une chance, elle vaut la peine d’être vécue.

Cette chance, on la tente comment ?

La réponse politique la plus importante, qui devrait être la seule et unique priorité de la droite si elle parvenait à retrouver la confiance des Français, c’est l’éducation. Tout se joue dans l’éducation, tout, et il y a urgence. Un pays qui n’a pas transmis sa culture est un pays qui se perd de manière définitive. Beaucoup d’erreurs politiques sont rattrapables : vous pouvez avoir été laxiste en matière de sécurité avant de vous rendre compte que c’est devenu le désordre et de remettre des policiers dans les rues ; vous pouvez avoir été trop dépensier et avoir accumulé de la dette, et un jour décider qu’il faut remettre les finances d’équerre. Mais si vous manquez la transmission de la culture, alors où trouverez-vous ceux qui, demain, deviendront les professeurs qui l’enseigneront à nouveau ?

C’est pour cela qu’il y a une urgence éducative absolue. C’est quasiment le seul sujet politique dont on devrait s’occuper, parce que si on ne se transmet plus, nous perdrons jusqu’à la conscience des trésors qui se seront dissipés. Ceux qui n’auront pas reçu notre culture ne pourront même pas mesurer la valeur de ce qu’ils auront perdu.

Face à la situation sanitaire, les Français demandent semble-t-il toujours plus de sécurité et de restriction de leurs libertés.

Ce qui m’inquiète profondément, c’est le risque de ne plus sortir de la situation que nous vivons aujourd’hui. Emmanuel Macron disait récemment que le principe de la réponse sanitaire est que rien n’est plus important que de sauver une vie humaine. En un sens, je partage son point de vue : la vie humaine a une valeur absolue et ce principe mériterait d’être rappelé sur le terrain des questions de bioéthique… Le problème de cette affirmation, c’est que si elle est valable éthiquement dans l’appréciation que l’on fait de l’action de chaque personne, elle ne peut pas servir de fondement à une conception politique. Sinon, il faut tout de suite interdire la circulation en voiture, parce qu’il y a des accidents de la route et que certains sont mortels. Et même, il est impératif de confiner les gens de façon définitive parce que c‘est le plus sûr moyen qu’il ne leur arrive rien en marchant dans la rue ou en rencontrant d’autres personnes…

Encore que les accidents domestiques sont une cause importante de mortalité…

[rires] On voit bien que la société du risque zéro est une société invivable. Si notre seul et unique objectif est d’éviter la mort, alors nous n’arriverons qu’à empêcher la vie. C’est la vie que nous perdons en la construisant seulement pour éviter de mourir. C’est exactement le monde auquel il faut tenter d’échapper. De ce point de vue, il y a un problème majeur dans notre rapport à la liberté. C’est pourquoi je crois que notre famille politique doit embrasser de nouveau la cause de la liberté. Je suis très inquiet de voir que parce que nous nous élevons,, à raison, contre la folie de la mondialisation néolibérale, certains en viennent à jeter la liberté avec l’eau du bain néolibéral. Rien n’est plus nécessaire que de défendre la cause de la liberté.

Lors d’un débat au Parlement européen sur les applications de traçage, je me suis opposé à celles-ci, au nom de la liberté. J’étais quasiment le seul dans ce cas. Dans le débat qui nous a opposés, un de mes collègues parlementaires a dit littéralement : « Je préfère vivre encadré plutôt que mourir libre ». La formule est incroyable ! Je lui ai répondu: « Je te conseille d’aller faire un tour sur le plateau des Glières. » « Vivre libre ou mourir », c’est ce qui a structuré notre civilisation.

Dans Zarathoustra, Nietzsche écrit : « Formule de mon bonheur : un oui, un non, une ligne droite, un but. » Bellamy, quel but ?

Cette formule est magnifique. Je l’ai souvent citée à mes étudiants…

Si un seul mot pouvait définir l’engagement, ce serait sans aucun doute servir. Je pense que ce qui compte le plus dans une existence, c’est qu’elle puisse être engagée au service de quelque chose de plus grand qu’elle. Je me sentirais heureux si, la veille de ma mort, je pouvais me dire que j’ai pu servir à quelque chose de plus grand que moi. Et, en particulier, que j’aie pu servir à la transmission de cet héritage qui a fait de moi ce que je suis, auquel je dois tout, et qui, j’en suis sûr, peut encore être une promesse de vie et de liberté pour d’autres que moi à l’avenir.

Y a-t-il une identité européenne ?

Photo : Unsplash / Jonathan Marchal

Texte initialement publié dans le hors-série Grands Débats n°1 de Valeurs Actuelles en janvier 2021.

Y a-t-il une identité européenne ? Une partie de la réponse à cette question se trouve sans doute dans le dernier chef d’oeuvre de Terrence Malick, Une vie cachée. En reprenant l’histoire de Franz Jägerstätter, ce paysan autrichien qui refusa de prêter le serment de loyauté que tout soldat devait jurer envers Hitler, Malick racontait une « vie cachée » et son sacrifice apparemment inutile. Dans cette nuit noire du totalitarisme nazi, l’Europe se retournait contre ses propres racines. Mais au milieu de ce reniement général, le choix de Jägerstätter prolongeait celui de Socrate et d’Antigone, celui de Jeanne d’Arc et de Thomas More, condensant ainsi le le miracle patient de toute une civilisation qui avait mûri peu à peu le sens de la primauté absolue de la conscience, du droit de la justice sur la force, de la liberté sur le pouvoir, et de l’esprit sur le corps.

Pour faire naître, au milieu de la violence, le « non » de Jägerstätter, il avait fallu toute l’histoire de cette civilisation. À l’opposé du totalitarisme qu’imposait Hitler, la philosophie européenne avait, malgré bien des errements et des fautes, porté lentement à la lumière le principe de la dignité absolue de la personne humaine. Et c’est cette lumière qui éclairait le discernement de Jägerstätter, tout comme le combat spirituel de Hans et Sophie Scholl, ou la résistance dans les maquis des pays d’Europe occupés ; sur un continent entier, infime et infiniment minoritaire, et pourtant bientôt victorieuse en dépit de toute probabilité, la petite flamme de la fidélité à l’identité de l’Europe et à son héritage spirituel, au moment où elle semblait s’être reniée pour toujours…

Y a-t-il une identité européenne ? Dans une conférence prononcée en 2004, George Steiner tentait de répondre à cette question en identifiant cinq caractéristiques susceptibles de la définir. D’abord, l’Europe est le lieu où les cafés jouent un rôle central, ces lieux où l’on se retrouve avant tout pour la conversation : elle est le continent de la discussion. Très peu de cafés en Russie, ou aux États-Unis : « Dessinez la carte des cafés, vous obtiendrez l’un des jalons essentiels de la notion d’Europe ». La seconde caractéristique est spatiale : l’Europe est un continent que l’on parcourt à pieds, depuis des siècles. Rien à voir avec les immenses étendues désertiques de l’Asie, de l’Afrique ou de l’Amérique : les pays européens ont été reliés les uns aux autres par la les longues marches des soldats et des princes, des savants et des artistes, des clercs, des pèlerins, des mendiants. Après l’espace, le temps : le propre de l’Europe est son rapport singulier à l’histoire, une incapacité à se défaire de son passé. Nous vivons dans des lieux saturés de mémoire ; nos rues portent des noms de personnages historiques, d’événements et de batailles. Dans les plus grandes capitales comme dans les petits villages, on trouve monuments aux morts, statues, plaques commémoratives rappelant pour l’avenir qui vécut ou mourut ici. Vivre sur le « vieux continent », c’est habiter son histoire ; rien à voir avec le « nouveau monde », par exemple, cette Amérique toute neuve qui donne des numéros à ses avenues et se projette d’abord dans l’avenir.

Quatrième critère évoqué par George Steiner : l’Europe est « un conte de deux cités », le résultat de la rencontre de deux sources qui se sont jointes en elle au point de ne plus pouvoir être totalement distinguées. L’effort intellectuel d’Athènes et de Rome, mêlé à l’héritage spirituel de la tradition judéo-chrétienne : voilà la substance d’une civilisation qui lie définitivement tous les pays européens, d’une manière intérieure aussi bien que par d’innombrables manifestations visibles et sensibles. De la Grèce, l’Europe a reçu le logos, du verbe par quoi tout commence, l’appétit de la mesure, de l’équilibre, de la beauté, une soif insatiable de connaissances, le goût de la dialectique, une méthode de penser, le germe de toutes les sciences. De Rome, de cet empire de paysans, de soldats et de rhéteurs, elle a pris le corps, l’enracinement, le sens pratique, le corpus juridique, la puissance stable et organisée. Et de sa rencontre avec la foi chrétienne, entée sur la tradition juive : la foi au Dieu unique, la force du refus prophétique, la contestation des pouvoirs, l’ouverture à l’universel, le sens de l’histoire, le goût du dépassement, le souffle de la transcendance, la morale de l’intériorité. Tout cela n’est pas abstrait, conceptuel, théorique : l’Europe est une histoire charnelle.

Tout cela n’est pas abstrait, conceptuel, théorique : l’Europe est une histoire charnelle.

Qu’on pense seulement à l’urbanisme, que Jean-Robert Pitte évoque en géographe dans La Planète catholique : la polis grecque avait fixé l’unité politique de la cité, l’urbs latine avait déterminé son implantation et organisé son plan ; le christianisme, pour y faire vivre des rituels inspirés du temple juif, installa l’église au centre du village. La forme constante de la ville européenne est un signe concret, parmi tant d’autres, de l’unité de cette civilisation qui a façonné nos pays. A travers les différences de langues, de cultures, de climats, de tempéraments, le fil de cette unité est partout perceptible : au confluent de l’antiquité grecque et latine, et de la Bible rassemblant ancien et nouveau testament, s’est produite la rencontre qui a suscité notre manière de vivre, structuré notre conversation, organisé notre droit, fécondé notre art, stimulé notre science, éveillé nos libertés. Même notre manière d’ignorer est encore grecque ; même notre athéisme est encore chrétien. Notre modernité, dans son universalisme satisfait, préfère oublier ce que notre autonomie doit à cet héritage singulier : il devrait pourtant lui suffire de regarder comment on traite le scepticisme sur des continents pétris par d’autres civilisations, et d’autres religions…

C’est aussi par cette histoire que l’Europe se trahit elle-même quand une Union de nations libres prétend se substituer aux démocraties souveraines qui la constituent – tout en niant, paradoxalement, l’unité de la civilisation qui peut seule donner sens à ce qu’elle incarne. La civilisation européenne a ceci de singulier qu’elle relie des peuples différents dans une même passion de la liberté, dont l’expression politique est l’idée démocratique – née avec l’Europe elle-même. Ce serait abandonner cette idée que de vouloir fédérer ces pays singuliers sous un même pouvoir central, en prétendant écraser la diversité des langues, des cultures et des coutumes, qui font la richesse de notre continent mais rendent impossibles l’uniformisation de la conversation civique. Oui, l’alliance des pays européens a un sens, plus que jamais sans doute dans les défis que constitue la mondialisation présente et à venir. Mais prétendre remplacer les Etats, qui constituent le cadre naturel de la démocratie, au profit d’une « souveraineté européenne », serait le choix le plus anti-européen qui soit. Il est de ce point de vue parfaitement logique que ceux qui défendent le plus énergiquement le fédéralisme européen, soient aussi ceux qui refusent jusqu’à l’absurde l’évocation des racines de l’Europe…

Il est de ce point de vue parfaitement logique que ceux qui défendent le plus énergiquement le fédéralisme européen, soient aussi ceux qui refusent jusqu’à l’absurde l’évocation des racines de l’Europe… Leur modèle est en fait celui de l’empire chinois, ou de la fédération américaine : il ne correspond en rien à l’idée européenne.

Leur modèle est en fait celui de l’empire chinois, ou de la fédération américaine : il ne correspond en rien à l’idée européenne.
Ce déni de l’identité de l’Europe est au coeur de la crise qu’elle traverse – en particulier le déni de ses racines spirituelles. Matthieu Bock-Côté le rappelle, dans Le Nouveau Régime : si elle devait refuser définitivement de considérer son héritage chrétien, « son histoire lui deviendrait profondément incompréhensible, inintelligible ». Aujourd’hui privée de cette dimension, « la construction européenne se présente comme une ambition technocratique vidée de tout substrat historique ». Une raison cependant de mettre en perspective l’expérience de cette crise : elle constitue précisément la cinquième caractéristique de l’esprit européen, selon George Steiner. L’Europe est en effet une eschatologie, une manière de se croire sans cesse au bord de la catastrophe, une conscience toujours inquiète de sa propre vulnérabilité, qui se sait depuis toujours finie et menacée – et qui se pense depuis toujours parvenue à la fois à son sommet et à son déclin. Il ne suffit pas d’espérer que notre rapport à l’histoire nous joue une fois de plus ce tour : encore faut-il agir maintenant pour préserver et transmettre ces racines partagées de l’Europe, héritées de nos pays, afin qu’elles continuent de donner à l’avenir la sève qui suscitera pour longtemps encore leur vie et leur liberté.