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L’urgence du long terme

Entretien paru dans Le Point du 28 juillet 2016. Propos recueillis par Saïd Mahrane.

Pour les terroristes de l’Etat islamique, tout est permis – jusqu’à égorger un prêtre – précisément parce que Dieu existe. Que peut-on opposer, en dehors des minutes de silence et des appels à l’union nationale, à ce nihilisme d’un nouveau genre ?

Peut-être cette réponse vous surprendra-t-elle : ces hommes ne croient pas en Dieu. S’ils croyaient à la vérité de leur religion, ils tenteraient de nous en convaincre, et cela passe par le dialogue, par la raison ; s’ils avaient vraiment la foi, ils nous donneraient leurs raisons. Vous ne pouvez convertir personne par la violence. La violence a beaucoup de pouvoir, c’est vrai : avec une arme, on peut obtenir beaucoup de celui que l’on tient sous la menace. On peut exiger de lui qu’il donne ce qu’il possède, qu’il agisse de telle ou telle façon, ou qu’il répète ce que l’on voudra… Mais on ne peut l’obliger à croire en quelque chose. Pour une raison d’ailleurs assez simple : personne ne peut s’obliger lui-même à croire en quelque chose sans raison valable. Le philosophe Epictète s’étonnait déjà de cette indéfectible résistance de la pensée… Le terroriste peut donc braquer ses armes sur un homme, ou sur tout un peuple, en lui ordonnant de croire à l’Islam : sa défaite est assurée d’avance. Même devant la terreur, notre conscience d’hommes fait nos esprits libres, définitivement libres. La seule manière de conduire une personne à adhérer pleinement à un discours, ce n’est pas de vaincre, c’est de convaincre. Quand on est certain d’avoir une vérité à partager avec les autres, c’est à la parole qu’on recourt, et non à la violence… En fait, les djihadistes trahissent leur faiblesse quand ils recourent à la violence. Ils montrent qu’ils n’ont pas une seule raison de croire en leur Dieu ; car s’ils en avaient ne serait-ce qu’une seule, ils tenteraient de nous l’expliquer pour nous permettre de les rejoindre. Comme ils n’en ont pas, ils se contentent médiocrement de réduire le reste du monde au silence. C’est en ce sens qu’on peut décrire le djihadisme comme un nihilisme : celui qui croit veut partager sa foi aux autres ; à celui seul qui ne croit en rien, l’altérité est insupportable, parce qu’elle ne peut être dépassée.

Voilà le défi silencieux que nous lançons au cœur même de cette épreuve : si vraiment votre Dieu est grand, montrez-le ; et si le christianisme est faux, prouvez-le ! Si quelqu’un ne pense pas comme vous, êtes-vous si certains de ne pouvoir le convaincre dans la discussion qu’il vous faut mettre tout votre orgueil à devenir des assassins pour le faire taire ?  En vous faisant gloire d’avoir assassiné un vieux prêtre sans armes, vous montrez en réalité l’étendue de votre impuissance… Lui croyait tellement à la vérité d’une parole qu’il avait consacré sa vie à la partager. Aujourd’hui, vous démontrez malgré vous la différence entre la force de sa fidélité discrète et féconde, et l’ineptie de votre violence bruyante, qui ne saura jamais que détruire.

Peut-on aborder la question du djihadisme sous un angle civilisationnel et religieux quand dans notre pays vivent environ cinq millions de musulmans, qui partagent pour l’essentiel les valeurs dites « occidentales »?

La question nous est renvoyée à tous : que sont les « valeurs occidentales » ? Et sommes-nous si sûrs de les partager vraiment ? Souvenons-nous que la France a été en première ligne pour refuser que l’Europe reconnaisse ses racines chrétiennes… Les valeurs que nous reprochons aux terroristes d’attaquer, n’avons-nous pas été les premiers à les vider de leur substance, même en sauvant les apparences ? Aujourd’hui, le dénominateur commun du monde occidental semble bien souvent se réduire à une forme d’individualisme consumériste, et son seul horizon se mesure en points de croissance et en indice du moral des ménages… Si le djihadisme est un nihilisme, il n’est pas étonnant qu’il prospère singulièrement dans le vide d’idéal qui traverse notre société. L’auteur de l’attentat de Saint-Etienne-du-Rouvray avait tenté de partir en Syrie ; la France est le pays européen qui a, hélas, fourni le plus grand nombre de ces candidats au djihad. Le problème n’est peut-être pas directement religieux ; bien sûr, l’Islam a une grande responsabilité dans ce qui advient en ce moment : comme l’écrivait Abdennour Bidar, le monde musulman doit « reconnaître que les racines du mal qui lui vole aujourd’hui son visage sont en lui-même. » Mais de toute évidence, ce mal s’alimente aussi dans notre pays de la pauvreté intellectuelle et spirituelle à laquelle nous nous sommes habitués, et il nous renvoie donc en même temps à notre responsabilité collective.

Le politique peut-il encore quelque chose ?

Peut-être manque-t-il d’un diagnostic qui touche l’essentiel… Avons-nous vraiment travaillé sur le cœur du problème, sur ce qui motive cette folie criminelle ? Dans l’histoire, le terrorisme a pu passer par l’engagement politique, ou intellectuel. Ce n’est pas le cas aujourd’hui : c’est par la petite délinquance, par des itinéraires médiocres, sur fond d’effondrement de la rationalité, que des jeunes, perdus dans une société française sans repères et sans aspirations, finissent par devenir des assassins. Chez eux, la rencontre avec un Islam caricatural a servi de catalyseur pour transformer le vide passif qui marque notre collectivité, en une sorte de vide actif, individualisé. Du néant devenu puissance d’anéantissement : voilà ce qui définit le terrorisme contemporain. Avons-nous assez essayé de comprendre cela, de l’anticiper ? Tant que nous n’aurons pas compris l’ampleur du problème, aucune mesure sécuritaire ne nous garantira contre cette folie destructrice. Et les politiques sembleront de plus en plus impuissants, enfermés dans des polémiques stériles sur des circonstances de court terme… Bien sûr il faut tout faire pour éviter autant que possible de futurs attentats, et de futures victimes. Mais sur le fond, la seule urgence est maintenant le long terme. Et puisque ceux qui nous frappent, pour beaucoup d’entre eux, ont grandi en France, cette urgence est assez simple : il faut reconstruire l’école, non pas tant pour combattre le discours islamiste que pour empêcher qu’il trouve encore dans les esprits un tel vide à habiter.

L’un des buts avoués de l’EI est la dislocation de notre société, l’instauration un climat de guerre civile entraînant une division entre un « eux » et un « nous » intérieurs… Comment conjurer cette menace ?

Il n’y a qu’une seule façon de la conjurer, c’est de gagner cette guerre, ou à tout le moins d’expliquer aux Français comment nous pourrons la gagner. La politique est l’art d’ouvrir des perspectives ; quand elle ne propose plus de choix, quand elle ne présente plus de solutions crédibles – fussent-elles exigeantes, alors les individus reviennent inéluctablement à l’instinct primaire qui leur commande de se protéger eux-mêmes, et c’est alors, comme l’écrivait Hobbes, « la guerre de tous contre tous » qui resurgit…

Ne doit-on pas reconnaître notre impuissance devant un ennemi qui, lui, ne craint pas la mort ?

C’est une vraie mutation en effet : pour le terroriste d’aujourd’hui, la mort n’est plus un outil de négociation, ni le moyen d’obtenir une victoire ; la mort, c’est toute la victoire. Je me souviens du mot glaçant de Merah, qui venait de tuer sept innocents, au négociateur du RAID, qui tentait de le raisonner avant de lancer l’assaut contre lui : « Moi la mort, je l’aime comme vous vous aimez la vie. » Voilà la clé du terrorisme contemporain : la destruction est son but, revendiquée au nom d’une vengeance très approximative, et le suicide son mode d’action. C’est ce qui le rend singulièrement angoissant : même quand ils retiennent des otages, les djihadistes ne veulent rien obtenir, sinon le spectacle toujours nouveau de la violence. Du coup, quand cela s’arrêtera-t-il ? Ce n’est pas le signe de leur force, car en fait ils ne peuvent pas gagner ; mais nous, nous pouvons beaucoup perdre.

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Le Point

Dans le dossier du Point consacré à ces événements, d’autres entretiens à retrouver avec Alain Finkielkraut, Pascal Bruckner, Michel Onfray, Haïm Korsia, Tarek Obrou…

L’accès des jeunes au monde du travail : une génération sacrifiée ?

 

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Voici le texte d’un long entretien publié par le journal L’Opinion, dans son édition du mercredi 26 août, à l’occasion d‘une intervention à l’Université d’été du Medef sur le thème de la jeunesse.

Propos recueillis par Claire Bauchart.

– En France, trois ans après la sortie du système scolaire, un jeune sur cinq est toujours chercheur d’emploi, selon un avis du Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE) de Mars 2015. Si la crise a sa part de responsabilité, comment en sommes-nous arrivés à un système donnant si peu de place aux jeunes ?

Le modèle français a pour but premier la protection, et il sécurise au maximum ceux qui sont déjà dans l’emploi. Mais du coup, en période de crise, il rend beaucoup plus difficile l’accès au monde du travail pour ceux qui n’y sont pas encore entrés, et notamment les jeunes.

Je suis président de la Mission locale Intercommunale de Versailles, qui accompagne des centaines de jeunes dans leur recherche d’emploi : je vois combien les DRH ou les dirigeants ont tendance à augmenter dans leurs annonces l’expérience qu’ils demandent aux candidats. C’est un filtre utile pour éviter d’être noyé sous les sollicitations ; mais cela constitue de fait un obstacle désespérant pour l’accès au premier emploi. Comment obtenir les années d’expérience que l’on vous refuse d’acquérir ?

– Diriez vous alors que les jeunes sont aujourd’hui une génération sacrifiée ?

Il y a de vraies injustices, c’est vrai, notamment du fait de l’échec de notre système scolaire, qui est devenu le plus inégalitaire de tous les pays de l’OCDE. Mais la France est un pays riche d’opportunités ; à nous de relever les défis dont nous héritons. Devant les drames récents de l’immigration, les situations de pauvreté ou de conflit que subissent tant de jeunes dans le monde, il serait scandaleux de nous poser en victimes.

– Au cours des dix dernières années, le nombre d’entreprises créées par des jeunes de moins de 30 ans a pratiquement triplé, s’établissant à 125 000 pour la seule année 2014, d’après l’Agence Pour la Création d’Entreprises (APCE). Dans le même temps, les incubateurs prolifèrent au sein des grandes écoles. Ces vocations soudaines sont-elles nées d’une envie ou constituent-elles une alternative à un monde du travail peu accueillant ?

L’entrepreneuriat séduit en effet pour plusieurs raisons. Parmi elles, bien des jeunes partagent l’expérience de cette rigidité dans l’accès au monde du travail. S’ajoute à cela l’envie, qui constitue un marqueur de la génération Y, de sortir des cadres, de ne pas se contenter d’un travail salarié souvent perçu comme un obstacle à la créativité.

– Dans ce cadre, cette génération d’entrepreneurs évolue-t-elle dans un contexte favorable à la création ? En d’autres termes, si Mark Zuckerberg avait été français, son entreprise aurait-elle eu autant de succès ?

Si Zuckerberg avait été français, Facebook aurait pris son essor, sans aucun doute… mais aux Etats-Unis ! La France a un vrai problème avec la réussite, et celle de l’entreprise privée en particulier.

Nous avons pourtant effectué un travail important au sein des collectivités locales afin de développer les incubateurs et les pépinières. Une vraie souplesse a été apportée avec la réforme de l’auto-entreprise. Le problème se situe aujourd’hui au moment de l’étape suivante, celle du développement : en clair, quand vous avez besoin de vous financer, et surtout quand vous souhaitez recruter et créer de l’emploi, la complexité du système est telle que tout semble fait pour vous en dissuader. C’est terrible à dire, mais aujourd’hui, le principal ennemi du dynamisme économique français, c’est l’Etat.

La prise de risque n’est absolument pas accompagnée. Ne nous étonnons pas que les jeunes qui ont un projet fort le portent si souvent à l’étranger…

– Dans un monde économique en crise par ailleurs bouleversé par la mutation numérique, les jeunes, qu’ils soient diplômés ou pas, issus de classes sociales modestes ou aisées, estiment-ils avoir des rôles-modèles auxquels se référer ?

Arrive aujourd’hui sur le marché du travail une génération, dont je fais partie, qui a grandi dans l’omniprésence de la crise. Depuis que nous avons une attention au monde, on nous parle de crise partout : crise économique,  crise de la dette, crise de l’emploi, crise écologique, crise politique, crise de l’éducation… Ce diagnostic permanent peut fragiliser la légitimité des responsables auxquels nous devons la situation dont nous héritons.

D’autre part, cette génération vient après la chute du mur de Berlin, et la fin des grandes idéologies. Les partis de gouvernement sont devenus gestionnaires : difficile d’y trouver des visions fortes et singulières. Nous sommes un peu orphelins sur le plan politique : l’idéalisme auquel aspire souvent la jeunesse peine aujourd’hui à s’incarner.

Et pourtant, contrairement à ce que l’on ne entend parfois, je crois que de nombreux jeunes cherchent à être accompagnés par des aînés. Je le constate par exemple au sein de la Mission locale : le système de parrainage qui relie des cadres seniors et des jeunes est extrêmement bénéfique, et les jeunes le plébiscitent.

Nous avons donc beaucoup à gagner dans la reconstruction d’un vrai dialogue entre les générations, y compris pour le dynamisme économique de nos entreprises et de notre pays.

– Une étude d’Ernst & Young publiée en 2014 pointe une « révolution des métiers » : 90% des dirigeants prédisent des transformations majeures concernant les métiers de leurs équipes. Comment adapter notre système éducatif aux défis du monde moderne ?

 Nous devons refaire de l’école le lieu de transmission des connaissances fondamentales. Apprendre le code informatique en CE1 me paraît dérisoire quand, selon la Ministre, plus de 23% des jeunes de troisième ont de grandes difficultés en mathématiques, et près de 20% en français.

Je crois que l’école se trompe lorsqu’elle court derrière les dernières nouveautés. Mieux vaut transmettre à un enfant les éléments d’une culture fondamentale (maîtrise de la langue, du raisonnement scientifique, de l’histoire, de la géographie…) : c’est cela qui le rendra capable de s’adapter, d’imaginer, de chercher. Les créateurs de Google n’avaient pas fait de code informatique à l’école…

Crise omniprésente, difficultés à accéder à l’emploi, nouveaux usages numériques… Ces nombreux bouleversements engendrent-ils une redéfinition de l’ambition professionnelle au sein des jeunes générations ?

Pour la première fois, les jeunes sont majoritaires à estimer, dans toutes les enquêtes d’opinion, qu’ils vivront moins bien que leurs parents. Cela modifie en profondeur la manière dont ils appréhendent le monde du travail. La génération qui nous a précédés est entrée sur le marché de l’emploi accompagnée d’une promesse de prospérité, de croissance, de progrès économique… Cette perspective a forcément changé : marqué par un climat de crise, l’état d’esprit des jeunes n’est pas tant de s’engager dans la vie avec enthousiasme et un esprit conquérant que de tenter de se protéger au maximum d’un monde du travail perçu comme un espace de difficultés, et d’inquiétante incertitude. Par ricochet, les sondages[1] montrent à quel point la famille est une valeur importante, une véritable valeur refuge, pour les jeunes : beaucoup cherchent ce lien avec leurs aînés qui les aidera à s’engager dans un monde complexe.

Un dernier aspect à relever : puisque beaucoup sont persuadés de devoir se résoudre à une sobriété plus grande d’un point de vue matériel, ils cherchent des métiers qui puissent avoir du sens pour eux. C’est une belle exigence pour le monde du travail, qui devra répondre à cette aspiration profonde, que la prospérité économique avait peut-être contribué à éloigner.

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[1] D’après l’Atlas des jeunes en France (éd .Autrement), 85% des jeunes de 18 à 29 ans estiment la famille « très importante. »

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Fonctionnement du service public de l’éducation : audition au Sénat

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Au Sénat : témoignage et partage de réflexions de fond sur l’éducation nationale

Le 19 mars 2015, j’ai été sollicité pour être auditionné par la Commission d’enquête parlementaire portant « sur le fonctionnement du service public de l’éducation, sur la perte de repères républicains que révèle la vie dans les établissements scolaires et sur les difficultés rencontrées par les enseignants dans l’exercice de leur profession. »

J’ai tenté de dire combien le refus de transmettre notre propre culture est directement responsable de la crise que nous vivons… En espérant que ce dialogue franc et direct contribue à une prise de conscience !


Auditions de François-Xavier Bellamy puis de… par publicsenat

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Faut-il quitter la France ?

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Cette Lettre à un étudiant a été publiée dans le Figaro daté du 12 décembre, dans le cadre d’un dossier sur le départ massif des jeunes Français à l’étranger. Elle prolonge l’échange de tribunes dans le journal Libération, en septembre 2012 (« Jeunes de France, battez-vous ! »), et le débat qui l’avait suivi.

 

En France, être jeune tourne au cauchemar. Puisque le mauvais sort lie notre génération, permets-moi de t’écrire ces quelques mots. Je t’ai suivi comme enseignant, en zep et en prépa ; je t’accompagne comme élu, quand tu cherches une formation ou un emploi. Je te vois douter, sans que tu oses le dire. Comment ne pas te comprendre ? Tu espérais l’aventure et les promesses de la vie, la création, la liberté – mais devant toi, il y a la crise et le chômage de masse. On a refroidi tes rêves à coup de schémas sur papier glacé. Tes parents avaient connu la croissance et l’insouciance, il te reste la dette et le financement des retraites. Il reste la comptine monotone des mauvaises nouvelles – plans sociaux, licenciements, grèves et manifs ; il reste le bavardage des commentateurs habitués, et l’ironie mécanique que ta télévision débite à longueur de journée.

Dans la société de la crise, chacun calcule son intérêt, en société, en affaires, en politique, en amour ; quelle tristesse infinie. Il faudrait inventer un truc original pour dire que ça ne va pas : bloquer quelque chose, faire une marche blanche, monter sur une grue… Mais tout cela est déjà vu. Et puis, à quoi bon ? Devant toi, il y la sclérose généralisée d’un pays qui ne se croit même plus capable d’avancer. Il y a aussi ce conformisme qui ne s’assume pas, mais qui traque la moindre question avec une obsession crispée. Mieux vaut ne pas attirer l’attention. Du coup tu te forces à sourire ; mais quand tu parles de ton avenir, je n’entends que tes inquiétudes.

Comment ne pas comprendre que tu aies envie d’ailleurs ? Toutes les raisons sont réunies pour cela. Dans notre génération, plus de la moitié d’entre nous pense pouvoir vivre mieux en partant à l’étranger. En quelques décennies, les dirigeants français auront donc réussi à faire de la cinquième puissance mondiale une terre d’émigration. Le constat est nécessaire, non pour s’offrir d’inutiles indignations, mais pour considérer lucidement l’origine de cette situation ; car la crise a une origine. Depuis toujours, tu en entends parler comme d’un phénomène climatique : on te dit que la reprise viendra, comme on espère la fin de la tempête. Mais la crise n’est que le résultat de nos propres décisions. Et la reprise ne viendra que de notre conversion.

La crise, toute la crise, provient de l’individualisme qui, dans nos sociétés, a fini par dissoudre l’idée même de bien commun. De la prospérité des Trente Glorieuses, les occidentaux voulaient tirer les dividendes. Ils ont souvent voté pour ceux qui leur promettaient le plus, le mieux – sans trop y croire, bien sûr ; mais il suffisait de laisser l’ardoise à l’avenir. Les périodes de croissance sont propices aux illusions égoïstes. Aujourd’hui, c’est exactement le même mensonge qui t’appelle à déserter. Toi qui en paies les conséquences, referas-tu la même erreur ?

L’individualisme a transformé les citoyens en consommateurs. L’économie occidentale pourrait ne jamais s’en remettre. La mondialisation est féconde, quand elle relie les nations pour mieux faire valoir leurs atouts respectifs. Elle est destructrice, quand elle dissout tous les liens pour inscrire les individus dans un espace neutre où chacun cherchera seul son propre profit. Si nous partons en espérant gagner plus ailleurs, nous poursuivrons exactement la même fuite en avant qui a piégé nos aînés, vers une crise toujours plus globale, et des injustices toujours plus graves.

Il n’y a qu’un seul remède, si simple, au fond : c’est de ressusciter la politique, c’est-à-dire la volonté de servir ensemble une réalité qui excède la somme de nos intérêts individuels, et qui donne sens à notre effort commun. L’individualisme anéantit la cité ; de là vient l’impuissance dont nos dirigeants semblent affligés. Le même cynisme de l’abdication résignée te conseille maintenant de te barrer. Ne laisse personne te dire qu’il n’y a pas de place pour toi dans ton pays : nous n’avons pas le droit de nous laisser exclure. C’est ensemble que nous vaincrons toutes les difficultés, pourvu que nous sachions reconquérir, avec toutes les générations, le sens de notre responsabilité partagée. Le pessimisme des experts ne nous empêchera pas de réussir : l’avenir n’est jamais écrit d’avance. Voilà l’acte de renaissance de la volonté politique.

Elle suppose que soit retrouvé le lieu de son exercice. Cette cité qui fait notre lien, cette communauté d’histoire, de langue, de culture et de territoire, qui seule peut rassembler nos individualités distinctes en une unité qui les dépasse, qu’est-elle, sinon notre pays ? Cette forme politique n’est pas dépassée : jamais plus que dans ce monde globalisé, on n’a mesuré concrètement la nécessité de la proximité, sa pertinence économique, sociale, écologique. C’est dans cette proximité qu’est, pour nous, la France, que se joue la seule refondation possible. Notre pays n’est pas fini – si nous sommes capables de consacrer ensemble notre effort et nos talents à lui redonner un avenir. Alors, pars au bout du monde, si c’est pour mieux servir demain. Mais souviens-toi que, dans la crise que nous traversons, les plus belles destinations seront des impasses, si elles ne nous servent qu’à fuir. Jouer aux mercenaires nous a coûté assez cher : il est temps de devenir des citoyens – c’est à dire, dans les épreuves que nous traverserons, des résistants.

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À Cédric

Nous nous sommes peut-être croisés il y a quelques jours encore, au coin d’une rue ou à la terrasse d’un café. Ou bien peut-être sur le « plateau », dans ce quartier de Satory où tu vivais, comme tant d’autres de tes collègues, pour être toujours disponible quand on avait besoin de toi. Lequel de ces visages étais-tu ? Je ne le saurai jamais. Jeudi soir, pendant un exercice d’action navale au large de la presqu’île de Giens, la mer a eu le dessus. Nous ne nous croiserons plus.

Tu étais gendarme au GIGN. De ceux que l’on appelle quand plus personne ne peut rien faire. De ceux qui savent que, derrière eux, il n’y a pas de solution de secours. Depuis que tu avais rejoint le groupe, tu t’es toujours entraîné dans les conditions les plus exigeantes, les plus difficiles, pour être capable, le jour venu, d’intervenir en toutes circonstances. S’exercer au pire : c’est le prix que paie quotidiennement ton unité pour être un dernier recours – la veille qui dure quand personne n’a pu rester, la main qui se tend quand personne n’a pu venir. Tu n’as pas mégoté toi non plus devant l’exigence de l’exercice. Tu es mort pour être prêt.

Comme un signe, la mer t’a pris, elle qui est si souvent dans le monde la tombe silencieuse des morts anonymes. Il aura fallu la solidarité obstinée de tes frères d’armes, qui t’ont cherché une nuit entière, pour qu’elle veuille bien rendre ton corps. Encore une petite victoire dans l’ombre… Tu seras parti dans le silence. Les journalistes, qui savent – et ils ont bien raison – commémorer les leurs quand ils meurent en mission, se sont contentés de recopier une brève dépêche. Les politiques n’ont pas été beaucoup plus attentifs. Mais ce n’est pas grave. Toi qui étais un expert des transmissions, tu sais qu’il n’est pas nécessaire de faire beaucoup de bruit pour transmettre l’essentiel. Tu es parti comme un grand pro, discret, comme tes collègues le sont toujours ; tu es parti comme un grand soldat.

Tu te moquais bien de toute l’indifférence du monde, sinon tu n’aurais jamais fait ce métier. Porter l’uniforme, c’est déjà un défi à l’indifférence. Comment pourrait-elle t’atteindre ? Ce qui compte n’est pas d’être remercié, ce qui compte, c’est de servir. Voilà tout ce qui nous reste, Cédric. Nous avions le même âge tous les deux, vingt-huit ans. Aurais-je été capable de ton courage ? Voilà la question que tu nous laisses. La seule qui compte.

Que ferons-nous de ton sacrifice ? Ce matin, c’est le 11 novembre. Pour la première fois, cette année, aucun poilu ne survit pour commémorer ces millions d’anonymes qui, comme toi, ont donné leur vie comme un rempart au moment du plus grand danger. Ils sont tous morts, ceux de 14. Un siècle après eux, Cédric, tu as pris leur suite. Que ferons-nous de ta vie donnée ?

Cher Cédric, je ne te connaissais pas. Mais ce matin, devant le monument aux morts, c’est aussi à toi que nous penserons. A ta famille, à tous ceux qui t’ont aimé et qui te pleurent, et qu’un pays entier devrait prendre dans ses bras dans cet instant. Nous penserons aussi à Jean-Nicolas, un autre jeune versaillais de vingt-cinq ans, tombé pour la France, il y a trois ans, en Afghanistan. Votre don est une exigence pour nous, qui restons. Nous avons grandi avec vous, et nous héritons aujourd’hui de notre vieux pays fatigué, désorienté et inquiet – de notre vieux pays magnifique aussi, puisqu’il sait encore susciter une générosité comme la vôtre. Je voudrais vous promettre que nous ne la laisserons pas inféconde. Que nous referons ensemble une France qui soit à votre hauteur.

Je voudrais te promettre, Cédric, à toi et à tes collègues, qui demain reprendront l’entraînement, que nous ferons tout pour que la France puisse mériter votre engagement.

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Vous pouvez laisser un mot d’hommage à Cédric sur la page ouverte à cet effet par le GIGN.

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Mille jeunes s’engagent pour la famille

Ce matin, avec mille jeunes, je signe dans Libération un appel aux parlementaires sur la question du mariage. Un projet important, à retrouver en ligne sur le site generationjusticepourtous.fr (lien vers le compte twitter dédié). Rendez-vous dans vos kiosques aujourd’hui !

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Nous avons moins de trente ans. C’est nous qui hériterons de l’avenir que vous préparez aujourd’hui. Or vous serez bientôt conduits à vous prononcer sur l’évolution du mariage, et votre décision comptera pour dessiner cet avenir ; aussi avons-nous notre mot à dire.

Vous pensez peut-être que l’ouverture du mariage aux personnes de même sexe n’est pas d’une grande importance, et que d’autres sujets sérieux pourraient nous préoccuper. Nous sommes nés dans un monde en crise, et cette crise devrait être l’unique sujet d’inquiétude de notre génération. Mais nous pensons justement que la question du mariage en est l’un des aspects majeurs. C’est cette inquiétude qui nous pousse à parler aujourd’hui, et elle seule : nous refusons une réforme qui ne pourra qu’aggraver la précarité des équilibres sociaux, et dont les plus jeunes seront les premières victimes.

Toutes les formes de la crise que nous traversons sont le résultat d’une même rupture. Au nom du progrès et de la consommation conquérante, l’individualisme de nos sociétés occidentales a partout produit l’affaiblissement des repères fondamentaux. Il y a trente ans, dans le monde de l’économie, appeler à la mesure dans la consommation ou au respect de la nature vous valait d’être considéré comme un rétrograde ou un marginal. Aujourd’hui, c’est une nouvelle forme de dérégulation qui s’annonce, cette fois-ci en matière de droit de la famille : une petite minorité, munie des armes classiques du lobbying politique et médiatique, martèle que la structure ancestrale de la famille, fondée sur l’alliance complémentaire d’un homme et d’une femme, doit être dépassée. Elle exige, sous prétexte de « progressisme », qu’on adapte la définition de la famille à la mesure de son désir, qu’elle prétend, à tort, partagé par toutes les personnes homosexuelles. Et qu’on lui cède, sans discussion, des enfants adoptés, ou fabriqués pour l’occasion s’il venait à en manquer.

Les voix qui alertent ne manquent pas. Des juristes, qui appellent à la prudence avant de bouleverser le socle même du droit de la famille et de la filiation. Des associations d’enfants adoptés, qui, avec les psychologues et les pédopsychiatres, s’inquiètent des conséquences sur les enfants. Des psychanalystes, qui rappellent combien la différence des sexes est nécessaire à la construction des personnalités et des sociétés. Tout cela est balayé d’un revers de main : ceux qui doutent de cette réforme sont taxés en bloc de passéisme. Et pourtant, les rétrogrades ne sont pas où l’on croit : au nom des vieilles revendications d’une idéologie dépassée, certains voudraient refuser un débat nécessaire, et écarter ces voix qui pointent le risque pour les générations futures – pour notre avenir ! Mais comment accepter que le principe de précaution s’applique pour la défense de l’environnement, et non lorsqu’il s’agit de nos enfants ?

Nous ne parlons au nom d’aucun conservatisme, d’aucune haine. Nous serons les premiers à le rappeler, toute personne doit être absolument respectée dans sa dignité ; et nous espérons que notre jeunesse saura toujours se révolter contre le mépris, l’intolérance et la discrimination. L’injustice est scandaleuse quand elle touche les personnes homosexuelles ; mais elle ne l’est pas moins quand elle atteint les enfants. Affirmer que la société doit offrir à chaque jeune, autant qu’il est possible, de grandir avec un père et une mère ; que  c’est le bien des plus petits qui doit être notre première préoccupation ; que le droit ne peut réinventer les liens de filiation pour satisfaire le désir des adultes – rien de tout cela n’est homophobe !

Nous voulons parler pour les plus vulnérables d’entre nous. Les jeunes, dans notre pays, sont touchés de plein fouet par la précarité ; comme partout, quand la crise frappe, c’est vers leur famille qu’ils se tournent. Dans les années d’épreuve qui s’annoncent pour notre génération, dans l’instabilité du monde qui vient, nous aurons plus que jamais besoin de la stabilité des repères familiaux. Le bouleversement que susciteraient ces filiations artificielles, séparées de la complémentarité des sexes, fragiliserait définitivement la structure la plus nécessaire. Le mariage pour tous, c’est, en fin de compte, la famille pour personne. C’est le législateur qui fuit son rôle, parce qu’il abandonne, au nom d’un faux progrès, la norme et le bien communs. C’est la République qui perd du terrain, au profit de l’individualisme consumériste et du communautarisme identitaire. Et quand le terrain perdu est celui de la famille, alors, le perdant, c’est l’enfant. Nous ne pouvons prendre ce risque ; nous comptons sur vous !

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Jeunes de France, battez-vous !

Après un été silencieux et quelques jours de reprise, ce blog fait sa rentrée ! Et pour ouvrir cette nouvelle année, voici la réponse que je publie ce matin dans Libération pour répondre à une tribune cosignée que le journal publiait, il y a quelques jours, sous le titre « Jeunes de France, votre salut est ailleurs : barrez-vous ».

Devant la difficulté, se battre ou s’évader : il y a là une alternative cruciale, et décisive pour l’avenir de notre génération !

Bonne rentrée à tous.

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Tribune parue dans le journal « Libération » daté du 10 septembre 2012

 C’est la rentrée ; en cette période où des millions de jeunes retrouvent le chemin des cours, l’actualité semble accumuler sur leur avenir des nuages plus noirs que jamais. C’est le moment qu’ont choisi trois auteurs pour signer, dans ces pages (Libération du 4 septembre), une tribune au titre encourageant : « Jeunes de France, votre salut est ailleurs ! »

Le texte qui s’ensuit est un passionnant mélange de toutes les pulsions qui habitent l’inconscient collectif de notre génération. La première d’entre toutes, un fatalisme à toute épreuve, qui proclame avec assurance l’inéluctable déclin de nos sociétés occidentales, en trouvant d’ailleurs des raisons de s’en réjouir : notre pauvreté future, et bien méritée, serait le corrélat nécessaire du développement du tiers-monde – comme si l’activité humaine, dépourvue de toute créativité, était un jeu à somme nulle…

La même passivité inspire un discours victimaire, qui nous présente comme des « ânes sans oreilles », maltraités par une gérontocratie qui nous abuse. Je ne nous pensais pas si bêtes ! Cette lamentation puérile converge avec un individualisme absolu, qui ne se reconnaît aucun héritage et aucun devoir, puisque nous sommes « du monde tout entier ».

Le propos aboutit donc à un résultat simple et logique : « Barrez-vous ! »

De deux choses l’une : soit nos auteurs ont voulu expliquer qu’il était bon d’aller voir ailleurs comment tourne le monde pour revenir plus intelligents. Voilà qui n’est pas bien nouveau ; il aurait suffi de rappeler que « les voyages forment la jeunesse », rien n’a changé de ce point de vue.

Soit il faut prendre au sérieux leur argumentation, ce qu’ils semblent parfois ne pas oser faire eux-mêmes. La France est en crise ; la croissance est ailleurs ; vous ne devez rien à personne : partez ! Alors, cette incitation à l’évasion apparaît brutalement dans sa prodigieuse lâcheté.

Jeunes de France, notre pays va mal. Il est inutile de détailler les difficultés dans lesquelles il se trouve pris ; si nous ne les connaissons pas toutes, elles viendront à nous bien à temps. Ne nous plaignons pas que notre pays nous a manqué : c’est nous qui manquerions à notre pays. Toutes les portes nous sont grandes ouvertes, pourvu que nous voulions les pousser. Nous aurons toutes les solutions, si nous voulons les inventer. Cela suppose simplement de faire face, au lieu de tourner le dos.

C’est peut-être la seule chose que nous puissions reprocher aux responsables qui nous ont précédé : avoir trop souvent tourné le dos, et ainsi brûlé l’avenir pour éviter d’assumer le présent. Mais la tentation paraît bien partagée… Y cèderons-nous à notre tour ?

Nous n’en avons pas le droit. Pour une raison simple : nous ne sommes pas de nulle part. Nous ne nous sommes pas faits tout seuls. Certes, rien n’est parfait dans notre pays ; mais enfin, arrêtons avec cette malhonnête ingratitude : qu’avons-nous que nous n’ayons reçu, de nos familles, de nos amitiés, de ces solidarités locales et nationales, de cet effort collectif qui s’appelle un pays ? Qui s’appelle pour nous la France ? Cet effort-là, la langue, l’histoire, la culture que nous avons reçues, le modèle social qui nous a vu naître, grandir, apprendre, tout cela, nous en sommes débiteurs. De tout cela, nous voilà donc responsables.

Responsables, nous le sommes dès maintenant. L’heure n’est plus à l’insouciance, mais à l’exigence. Quelle que soit notre voie, nous ne pourrons nous contenter de l’à-peu-près. Sans doute sera-ce le lot de notre génération, après quelques décennies de facilité. Mais soyons assurés que, des batailles qui nous attendent – celle de la justice, de l’emploi, de l’école,… – aucune ne sera jamais perdue avant que nous ne l’ayons livrée. Seul le mercenaire s’enfuit à l’heure du danger : le résistant sait que rien n’est joué d’avance. L’évasion qu’on nous propose n’est pas une solution, elle est un aveu d’impuissance. Et le plus triste, dans cette histoire, c’est de voir notre génération appelée à cette résignation calculatrice pourtant si peu de son âge… Où sont la fougue, la volonté – et la jeunesse ?

Bref, ce n’est pas le moment de dégager ; c’est le moment de s’engager. Formons-nous, et allons à l’étranger si c’est pour mieux nous former. Mais que notre but soit très clair ! Notre pays a besoin de nous pour surmonter les défis qui l’attendent, et nous n’allons pas lui faire défaut maintenant. C’est aussi le meilleur service que nous puissions rendre à l’équilibre du monde. Jeunes de France, notre salut à tous n’est nulle part ailleurs que dans nos mains. Ne vous barrez pas : battons-nous !

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