Ce plan ne prépare pas l’avenir de l’Europe

« Ce plan ne prépare pas l’avenir de l’Europe, il exploite un moment de panique pour sauver par effraction une idéologie périmée depuis longtemps. »

Tribune sur le projet d’emprunt européen, parue le 26 juillet 2020 dans le JDD.


Au terme d’une longue négociation sur le plan de relance européen, les 27 ont accepté de créer le premier emprunt commun en réponse à la crise. Un problème, une dette : la France aura donc réussi à exporter à Bruxelles ses pires réflexes ; et l’Europe est sans doute aujourd’hui le seul endroit où l’on considère comme une victoire politique le fait d’encombrer l’avenir d’un emprunt supplémentaire. Bien sûr, toute crise suppose de dépenser, et toute relance d’investir ; mais les Etats européens ont déjà grâce à la politique de la BCE un accès facile aux marchés avec des taux historiquement bas. Conduire la commission européenne à emprunter à leur place, malgré une base légale très faible et des perspectives incertaines (comme l’a récemment montré le Brexit), c’est se tromper de problème. En réalité, cet emprunt commun n’est pas tant une réponse à la crise économique qui vient, qu’une manière d’utiliser cette crise pour faire avancer un agenda politique : cette nouvelle solidarité budgétaire signe le retour à la vieille illusion d’une « Europe toujours plus intégrée ». Elle offre une résurrection inattendue aux tenants du fédéralisme européen, auxquels les citoyens ont dit non depuis longtemps, mais qui s’offrent l’éphémère ivresse du « moment hamiltonien ».

Le retour au réel sera rude. Le succès apparent que représente cet accord repose sur une somme de malentendus, et il est particulièrement irresponsable de laisser l’ardoise à la génération future, au nom de laquelle cet emprunt est pourtant ironiquement contracté. Pourquoi ne dit-on rien des contreparties en termes de réformes imposées par Bruxelles aux Etats bénéficiaires des fonds, au contrôle budgétaire renforcé qui est nécessairement attaché à cette solidarité financière ? Comment a-t-on pu valider cet emprunt sans arbitrer sur les modalités de son remboursement, en se fondant simplement sur l’hypothétique création de ressources propres – sujet que chacun sait si controversé que le Conseil s’est bien gardé d’en débattre, même s’il était directement lié à l’emprunt qu’il confirmait ? Pourtant, il faudra bien rembourser. « Il n’y a pas d’argent magique », affirmait Emmanuel Macron, et cette formule n’a rien perdu de sa pertinence : pour 37 milliards d’euros, c’est-à-dire une somme très faible eu égard à son poids en terme d’économie comme de population, insignifiante aussi au regard de l’ampleur des moyens nécessaires pour faire face à la crise (le déficit public français sera de 220 milliards d’euros pour la seule année 2020), la France aura donc accepté une tutelle budgétaire renforcée et des engagements financiers disproportionnés pour l’avenir, au risque d’aggraver de façon irréversible le malaise démocratique profond qui touche déjà l’Union européenne.

Le paradoxe de cette triste histoire, c’est que pour arracher un accord sur l’emprunt européen, il a fallu sacrifier au passage l’Europe dont nous avions réellement besoin. Le budget pluriannuel de l’UE sort essoré par les coupes et les rabais concédés pour obtenir le totem de la mutualisation des dettes. Politique agricole, Fonds européen de défense, programmes de recherche et même investissement dans la santé sortiront durablement fragilisés, parfois supprimés ou presque, de ce compromis aberrant. Ce plan ne prépare pas l’avenir de l’Europe, il exploite un moment de panique pour sauver par effraction une idéologie périmée depuis longtemps. Le Parlement européen s’est montré très sévère dans son vote sur cet accord ; il nous reste quelques semaines maintenant pour tenter de remettre où nous le pourrons un peu de raison dans sa mise en oeuvre, au service d’un vrai effort de relance.


Un vrai accord historique aurait consisté, au lieu de s’enthousiasmer parce que nous avons réussi à creuser encore nos…

Publiée par François-Xavier Bellamy sur Jeudi 23 juillet 2020

Réponse à Julie Lechanteux et Thierry Mariani

Je n’ai pas l’habitude de répondre aux attaques sur Twitter, mais je fais une exception car cet épisode me semble révélateur.

Je suis attaqué ce matin par deux élus du Rassemblement National, Julie Lechanteux et Thierry Mariani : ils m’accusent d’avoir voté le plan de relance européen, auquel je me suis pourtant longuement opposé dans de nombreuses interventions, y compris en séance plénière jeudi dernier au Parlement européen.

Petit problème dans leur démonstration : ce plan de relance n’a même pas été l’objet d’un vote du Parlement… Le Parlement ne votera d’ailleurs jamais sur le principe même de cet emprunt européen, car cela ne relève pas de sa compétence – ce qui constitue d’ailleurs l’un des aspects du problème démocratique qu’il pose. Je n’ai pas entendu Mme Lechanteux ni M. Mariani s’exprimer à ce sujet la semaine dernière, je ne les ai d’ailleurs pas croisés dans l’hémicycle ; s’ils étaient à Bruxelles, sans doute sauraient-ils que le Parlement a voté, non sur le plan de relance, mais sur une résolution, dont le contenu critique précisément l’accord intervenu au Conseil européen à propos de ce plan (article 3 : « Le Parlement n’accepte pas cet accord politique »). C’est pour cette raison que j’ai voté en faveur de cette résolution, comme je l’ai expliqué lors de mon intervention en séance plénière. J’ai voté très clairement contre tous les passages susceptibles de constituer une approbation de l’emprunt européen. Chacun pourra s’il le souhaite vérifier cela en se référant aux comptes rendus publiés sur le site du Parlement.

Pour ma part, je poursuis mon engagement dans le même esprit : la démocratie suppose d’être capables de s’opposer vigoureusement quand il le faut, mais cela n’implique pas de raconter n’importe quoi… Il est bien triste que des élus auxquels des Français ont confié leur voix la discréditent si souvent, par incompétence, par sectarisme ou simplement par paresse intellectuelle.

Enfin, un dernier mot plus particulier à l’attention de M. Mariani : je suis régulièrement la cible de vos attaques, et je n’y ai jamais répondu jusque là. Mais puisque l’occasion s’en présente aujourd’hui, un simple rappel : vous avez été député de l’UMP pendant de très longues années, à une époque où elle était bien éloignée de ce que vous dites défendre aujourd’hui. Comme secrétaire national de ce parti, vous défendiez le TCE, le traité de Lisbonne et le fait de passer de l’unanimité à la majorité qualifiée au Conseil européen, après le « non » au référendum de 2005. Vous entendre aujourd’hui m’accuser de « fédéralisme » est donc – relativement – amusant. « C’est une grande chose que de n’avoir rien fait, mais il ne faut pas en abuser. »

François-Xavier Bellamy

Rapprochement Alstom-Bombardier et règles de concurrence

Alstom se rapproche de Bombardier, entreprise en grande difficulté : mais pour se conformer aux règles européennes, le…

Publiée par François-Xavier Bellamy sur Samedi 11 juillet 2020

 

Sur le rapprochement Alstom-Bombardier et l’application des règles de la concurrence européennes

« Je voudrais revenir sur un sujet qui me paraît emblématique des aberrations du droit de la concurrence en Europe.

Aujourd’hui, Alstom, grande entreprise française qui fabrique des trains – qui avait été empêchée l’an dernier de se rapprocher de Siemens par une décision de la direction générale de la concurrence de la Commission européenne – cherche à se rapprocher de Bombardier, une autre entreprise sur le même secteur qui est en très grande difficulté.

Évidemment cette fusion est soumise à l’examen de la même direction générale de la concurrence. Pour éviter qu’Alstom ne se retrouve dans une position dominante en France sur ce secteur, il lui a été vivement recommandé de se séparer de l’une de ses usines qui se trouvent en Alsace à Reichshoffen. Ce droit de la concurrence est fondé sur un principe simple : le but est d’éviter qu’une entreprise ne puisse avoir un monopole sur le marché d’un pays, car toute situation de monopole pourrait conduire à augmenter les prix en direction des clients.

Simplement cette analyse paraît être mal fondée, parce qu’en l’occurrence il est parfaitement possible de vendre des trains en France sans disposer d’une usine en France. Et d’ailleurs la meilleure preuve de cela est que les concurrents ne se bousculent pas pour reprendre ce site industriel de Reichshoffen, en estimant qu’en effet ils n’ont pas de problème d’accès au marché français. Par ailleurs, les principaux clients d’Alstom – et notamment la SNCF, la RATP – ne se plaignent pas du tout de ce rapprochement avec Bombardier. Si les clients ne voient pas de difficulté, si les concurrents ne voient pas non plus de problème, pourquoi la Commission européenne persisterait-elle à appliquer une règle de concurrence dogmatique sans aucune considération pour les effets de ses décisions ?

Nous le savons très bien, en effet : notre marché européen est ouvert à des entreprises qui ne respectent pas les règles de la concurrence. En matière ferroviaire, on peut penser en particulier au chinois CRRC qui n’est pas encore vraiment présent sur le marché européen mais qui a déjà commencé de signer des marchés avec des États-membres et qui demain pourrait parfaitement venir vendre des trains en France. CRRC est une entreprise qui dispose d’un monopole absolu en Chine, qui est soutenue par son État, et qui de fait dispose ainsi d’une forme d’avantage concurrentiel créé simplement par nos propres règles, et par leur application aveugle.

Nous sommes à la veille d’une rentrée extraordinairement difficile sur le front social : la crise du coronavirus et le confinement menacent aujourd’hui de faire chuter le PIB de nos pays d’une manière historique, telle qu’on ne l’a jamais vu, et ceci va bien sûr créer du chômage de manière massive. Comment imaginer que la Commission européenne pourrait aller jusqu’au bout de cette logique de concurrence et menacer ainsi d’une manière aberrante et artificielle des dizaines d’emplois dans une usine qui, si elle est cédée à un repreneur, sera évidemment et nécessairement l’objet d’une restructuration, et donc de licenciements. Cela ne correspond à aucune logique économique ; cela ne correspond à aucune stratégie industrielle ; cela ne correspond même pas un problème de concurrence, puisqu’à l’intérieur du marché européen d’autres acteurs du ferroviaire peuvent vendre des trains en France. Il y a donc là une espèce d’aberration qui démontre en réalité que l’application dogmatique des règles de la concurrence européennes – sans prendre en considération l’impact social, sans se préoccuper de la réalité de la concurrence mondiale – conduit l’Europe et nos pays à se tirer des balles dans le pied, et à détruire des emplois, accélérant la désindustrialisation contre laquelle, au contraire, nous devrions lutter.

Je commence aujourd’hui à travailler sur cette question. J’ai eu l’occasion d’échanger avec les principaux responsables du dossier : nous allons faire circuler dès maintenant au Parlement européen un texte pour appeler la Commission européenne à revenir sur cette analyse, et à corriger la manière dont elles envisagent ce dossier. J’espère que nous pourrons sauver l’usine de Reichshoffen, et cette bataille importante ne fait que commencer. »

Mettre fin au processus d’adhésion de la Turquie

Intervention en séance plénière du Parlement européen sur la #Turquie. L’Europe doit sortir du déni ; et cela commence par mettre fin maintenant à ce processus d’adhésion, qui n’est qu’une fiction absurde.

Publiée par François-Xavier Bellamy sur Jeudi 9 juillet 2020

Échanges à Budapest avec Viktor Orbán

« A Budapest les 6 et 7 juillet, à l’invitation du Premier ministre Viktor Orbán et de Katalin Novak, pour échanger avec des membres du gouvernement et parlementaires hongrois. Il est plus nécessaire que jamais de maintenir un dialogue ouvert et actif entre l’ouest et l’est de l’Europe. Heureux d’avoir pu rencontrer Zsolt Németh, président de la commission des affaires étrangères du Parlement hongrois. Échanges approfondis sur les sujets importants de l’actualité européenne, et sur les liens historiques entre la France et la Hongrie. »

Dans Le Figaro du 6 juillet 2020 :

François-Xavier Bellamy s’est rendu à Budapest lundi, à l’invitation de trois chefs d’État et de gouvernement rassemblés par la fondation hongroise pour une Hongrie civique. L’eurodéputé LR et président de la délégation française au sein du groupe majoritaire PPE, doit participer à une conférence mardi qui sera diffusée en ligne mercredi. Thème de l’échange : « Une Europe non censurée, les leaders européens sur l’avenir de l’Europe ».

Outre François-Xavier Bellamy, l’événement réunit le premier ministre hongrois Viktor Orban, le premier ministre slovène Janez Jansa et le président de la République de Serbie, Aleksandar Vucic. « Il y a une chose que je crois absolument décisive aujourd’hui, c’est de pouvoir maintenir le dialogue car l’Union européenne est menacée par de vraies fractures. On a beaucoup parlé de la fracture Nord/Sud mais la fracture Est/Ouest me semble encore plus inquiétante aujourd’hui », explique l’élu de Versailles. L’ancien professeur de philosophie veut s’emparer de cette occasion pour échanger « de manière franche, ouverte et constructive » avec des responsables politiques européens membres de sa famille politique (PPE).

Si certains élus, comme le premier ministre hongrois Viktor Orban, sont parfois classés parmi les dirigeants « populistes », François-Xavier Bellamy se méfie de la « facilité » avec laquelle les condamnations « très souvent infondées » se succèdent. « Pendant la crise du coronavirus, on a entendu que Viktor Orban aurait quasiment aboli la démocratie en Hongrie alors qu’en réalité, sa loi sur l’état d’urgence contenait des dispositions assez semblables à celles votées en France. Elles ont d’ailleurs été suspendues en Hongrie alors qu’elles ne le sont pas encore dans notre pays ».

Pour François-Xavier Bellamy, ceux qui entretiennent ce genre d’attaques « fragilisent » l’Europe qu’ils « prétendent défendre ». L’intéressé anticipe aussi les critiques éventuelles : « Ceux qui oseront me reprocher d’être allé dialoguer avec des membres de ma propre famille politique et des dirigeants européens, n’ont rien compris, je crois, à ce que doivent être l’Europe et la démocratie ».

Le député européen plaide pour une compréhension des différentes visions européennes. Il souhaite profiter de cette conférence pour aborder le rapport entre les Européens et la démocratie libérale. « La lutte fondatrice contre l’idéologie du communisme soviétique doit nous garder profondément attachés au respect de la liberté et de la liberté de conscience qui sont au cœur de la démocratie », estime le parlementaire.

Relation UE-Chine : il est temps de sortir de la naïveté.

« Dès le 28 décembre, le docteur Li Wenliang alertait sur l’apparition d’un nouveau virus dans son hôpital. Pour toute réponse, le gouvernement chinois l’a arrêté et forcé à signer une confession publique. 

Dès la deuxième semaine de janvier, des responsables de l’OMS se sont plaints que la Chine ne transmette pas d’information sur le virus, et retienne des données cruciales pour mesurer sa dangerosité et éviter sa propagation. Des journalistes étrangers ont été expulsés du pays pour avoir évoqué l’épidémie en train de se développer. 

Une leçon pour nous, dans cette période où nos pays occidentaux perdent eux aussi le goût de la liberté d’expression : la capacité à supporter des opinions divergentes est nécessaire si nous ne voulons pas sombrer dans une société d’oppression, mais aussi si nous voulons garder le moyen d’être informés des dangers qui nous menacent. Une démocratie vivante et courageuse protège mieux qu’une dictature qui étouffe toute possibilité d’alerte. 

Si la Chine n’avait pas été un régime totalitaire, si elle avait respecté la liberté d’expression et avait tiré de ces alertes des réponses immédiates pour protéger sa population et prévenir le reste du monde, nous aurions très probablement pu éviter les dizaines de milliers de morts créées par cette pandémie, et la crise économique dévastatrice dont nos pays vont devoir payer les conséquences pour de nombreuses années sans doute. Le parti communiste chinois est directement responsable de ce désastre. 

Cette crise ne conduit pourtant pas le régime chinois à se remettre en question, bien au contraire : il a redoublé ses actions de propagande, y compris dans des pays européens. Il a multiplié avec une espèce d’opportunisme financier les actions dirigées vers des actifs économiques européens… 

Et enfin, nous le voyons aujourd’hui, il a intensifié sa répression, y compris à Hong Kong : il y a quelques jours, le 28 mai, l’Assemblée populaire de Chine a commencé la rédaction d’un projet de loi pour restreindre toutes les libertés des citoyens à Hong Kong. Les services de sécurité chinois pourraient y établir leurs antennes, l’opposition à la politique du gouvernement chinois pourrait être réprimée comme de la subversion ou du terrorisme, et ceux qui oseraient encore s’exprimer librement pourraient être extradés en Chine. Le rouleau compresseur chinois s’abat sur les libertés de Hong Kong au mépris total de l’accord signé avec les Britanniques de 1984. Depuis plusieurs semaines, avec des collègues de plusieurs groupes ici au Parlement, nous alertons sur ce sujet, et je voudrais redire ici mon soutien total aux opposants qui avec un courage incroyable se lèvent encore, avec leur seule voix pour arme, face à l’énorme puissance de la Chine. 

Malheureusement, l’Europe ne leur apporte pas le soutien qu’elle leur doit. Notre civilisation a inventé la démocratie, elle reste terriblement silencieuse aujourd’hui. Silencieuse même devant l’intimidation et le mensonge que la Chine lui impose presque ouvertement. Un fait récent, largement ignoré : fin avril, le Service européen d’action extérieure, la « diplomatie » européenne, publie un rapport sur la crise du coronavirus. Trois fonctionnaires affirment que des passages entiers de ce rapport ont été retirés avant publication : ils décrivaient les méthodes de désinformation utilisées par la Chine sur l’origine de l’épidémie. Et ces passages ont été supprimés… sous la pression de Pékin. Les ambassadeurs des 27 Etats membres ont accepté eux aussi de retirer un passage entier d’un texte qu’ils signaient le 6 mai dernier dans un organe de presse chinois, un passage qui indiquait simplement que l’épidémie avait commencé en Chine. Incroyable soumission aux diktats de ce pays… Des pays attachés à leur souveraineté et conscients de leur responsabilité démocratique auraient dû retirer leur texte au lieu de céder à un tel chantage, et de se rendre ainsi complices des mensonges qui piègent aujourd’hui un milliard trois cent millions de citoyens chinois ! 

Pourquoi nos pays sont ils prêts à trahir, à subir, et à se taire ? 

Il y a longtemps que l’Europe cède du terrain. Pour partie par naïveté. Pour partie aussi parce qu’elle y trouve un intérêt matériel évident, à courte vue. Nous avons tous dans nos poches des produits fabriqués en Chine. Le fait évident que la Chine exploite par exemple même le travail forcé dans ses prisons ne nous a pas fait reculer. Je me souviens de ces cartes postales vendues en décembre dernier dans des supermarchés de Londres, dans lesquelles plusieurs acheteurs avaient eu la surprise de trouver des appels au secours de détenus de Shanghaï. Qui leur a répondu ? La chaîne de supermarché a précipitamment retiré les produits, et nous avons continué d’acheter chinois : la conscience européenne se dissout dans le calcul. 

Notre passivité est pourtant non seulement un renoncement moral, mais aussi une erreur stratégique. En France en particulier, nous consommons depuis longtemps maintenant plus que nous ne sommes capables de produire : notre balance commerciale avec la Chine est déficitaire de 30 milliards par an. Cela implique que nous devenons dépendants, et que notre économie est vouée à être progressivement rachetée par des acteurs étrangers. La Chine a développé une stratégie claire de conquête par le commerce, baptisée les nouvelles route de la soie : elle investit en particulier dans les infrastructures de transport dans le monde entier, en Afrique par exemple, mais aussi en Europe. La part des investissements chinois dans ce domaine est passée de 20 % en 2016 à plus de 50 % dans les années suivantes. 5 des 10 ports les plus importants en Europe, qui sont des points d’entrée essentiels dans notre marché, ont été ciblés par des investissements chinois. Avec notre complaisance étonnante : le port du Pirée par exemple, détenu en majorité depuis 2016 par le chinois Cosco Shipping, a reçu 140 millions d’euros de la banque européenne d’investissement l’année dernière… 

La crise actuelle ne va rien arranger bien sûr : elle fragilise beaucoup d’entreprises européennes, qui deviennent ainsi beaucoup plus vulnérables à des stratégies opportunistes de rachat. Dans cette situation, il est urgent de réagir et de sortir l’Europe de sa léthargie. 

Nous devons être prêts à protéger notre tissu industriel, et en particulier nos entreprises stratégiques, et les Etats doivent pouvoir agir pour cela. Habituellement les règles européennes interdisent aux Etats d’intervenir pour soutenir une entreprise : ces règles ont été suspendues pendant cette crise, et nous voulons qu’elles restent suspendues aussi longtemps qu’il le faudra. 

Nous devons retrouver un climat économique plus sain en Europe, mais cela suppose de mettre fin à la concurrence déséquilibrée que nous imposons à nos entreprises, en restant aveugles au contexte mondial. La commission européenne a refusé par exemple la fusion d’Alstom et Siemens l’an dernier, au motif que cette entreprise deviendrait trop importante en Europe. D’accord ; mais alors comment pouvons nous autoriser le géant chinois CRRC, qui bénéficie du monopole en Chine, et qui est largement soutenu par des aides d’Etat dans son pays, à prendre des marchés en Europe ? Il est totalement avantagé par les règles que nous imposons à nos propres entreprises, et qui ne s’appliquent pas à lui ! Je crois à la liberté de l’économie, à condition que les règles soient les mêmes pour tous… Nous ne pouvons sur ce sujet nous en prendre qu’à notre propre naïveté. Il faut que l’Europe soit cohérente ! 

En attendant ce rééquilibrage, face à l’urgence actuelle, notre président de groupe Manfred Weber a fait une proposition que je soutiens totalement : il faut imposer au moins un moratoire d’un an pour empêcher toute entrée chinoise au capital d’une entreprise européenne. Il serait absolument scandaleux que la Chine tire bénéfice de la crise économique mondiale qu’elle a au moins contribué à causer. 

Enfin, pour éviter que l’épidémie ne resurgisse, nous devons exiger une enquête indépendante sur l’origine et la gestion de cette crise sanitaire dans le monde. Cette enquête, nous devons la mener pour dissuader tout Etat à l’avenir de dissimuler une menace globale ; mais nous la devons aussi à la mémoire de tous ceux qui sont morts et pour les familles endeuillées. Nous la devons pour la cause de la vérité, et l’Europe ne sera pas fidèle à son histoire et à sa vocation si elle ne donne pas pour priorité essentielle à sa diplomatie d’imposer cette exigence. Si nous nous renions, si nous ne respectons pas nos propres principes fondamentaux, comment pouvons-nous espérer être respectés ? 

La Chine est un grand pays, héritier d’une histoire exceptionnelle, qui a mûri une civilisation magnifique. Mais avec le parti communiste chinois, qui a imposé et maintenu son pouvoir depuis plus de soixante ans au prix de dizaines de millions de victimes, nous n’avons ni les mêmes intérêts, ni la même idée du monde de demain, ni la même vision de l’homme et de la société. Bien sûr, il ne s’agit pas de traiter la Chine en ennemie ; mais les européens doivent se rappeler d’urgence que l’histoire est faite de rapport de forces, et que préserver la paix et la liberté l’exigent aussi. Le gouvernement chinois assume de défendre ses objectifs et ses principes ; si nous n’en sommes plus capables, nous serons balayés, à un moment où pourtant le monde a besoin plus que jamais des principes de liberté et de dignité absolue de la personne humaine que la civilisation européenne a mûris. » 



 

Débat chez « Zemmour et Naulleau » avec la secrétaire d’État aux affaires européennes

François-Xavier Bellamy était l’invité d’Anaïs Bouton sur Paris Première dans l’émission Z&N le 3 juin 2020, avec Eric Zemmour et Eric Naulleau. Il débattait notamment avec Amélie de Montchalin, secrétaire d’État aux Affaires européennes. Extraits.

François-Xavier Bellamy chez Zemmour et Naulleau – Extrait n°1

« Il faut dire la vérité aux Français : pendant qu’Emmanuel Macron parle de souveraineté, il veut créer une dette commune européenne, qui n’est qu’une manière de transférer notre responsabilité budgétaire. »

#ZENPP • Débat entre François-Xavier Bellamy et Amélie de Montchalin chez Zemmour et Naulleau (1)

Il faut dire la vérité aux Français : pendant qu'Emmanuel Macron parle de souveraineté, il veut créer une dette commune européenne, qui n'est qu'une manière de transférer notre responsabilité budgétaire.

Publiée par François-Xavier Bellamy sur Jeudi 4 juin 2020

François-Xavier Bellamy chez Zemmour et Naulleau – Extrait n°2

« Si l’Union européenne ne change pas son rapport à la mondialisation, si nous continuons d’imposer à nos entreprises une concurrence déloyale permanente, alors cette nouvelle dette que vous faites peser sur les générations futures ne servira qu’à aider la relance chinoise. »

#ZENPP • Débat entre François-Xavier Bellamy et Amélie de Montchalin chez Zemmour et Naulleau (2)

Si l'Union européenne ne change pas son rapport à la mondialisation, si nous continuons d'imposer à nos entreprises une concurrence déloyale permanente, alors cette nouvelle dette que vous faites peser sur les générations futures ne servira qu'à aider la relance chinoise. #ZENPP

Publiée par François-Xavier Bellamy sur Jeudi 4 juin 2020

François-Xavier Bellamy chez Zemmour et Naulleau – Extrait n°3

« Il y a de quoi être révolté par ce double discours permanent : derrière les belles postures d’aujourd’hui, vous créez les grands problèmes de demain, y compris pour l’Europe que vous dites défendre. »

#ZENPP • Débat entre François-Xavier Bellamy et Amélie de Montchalin chez Zemmour et Naulleau (3)

Il y a de quoi être révolté par ce double discours permanent : derrière les belles postures d'aujourd'hui, vous créez les grands problèmes de demain, y compris pour l'Europe que vous dites défendre. #ZENPP

Publiée par François-Xavier Bellamy sur Jeudi 4 juin 2020

Sur le projet de plan de relance de la Commission européenne

Projet de plan de relance de la commission européenne

…pour les générations futures ?

« Bonjour à tous, heureux de vous retrouver depuis Bruxelles à la fin de cette semaine particulièrement importante, car elle a été l’occasion de discuter du plan de relance proposé par la Commission européenne.

Ce plan de relance correspond à une nécessité car, bien sûr, l’Europe doit agir face à la crise économique devant laquelle nous sommes placés. Mais il me semble pourtant que ce plan pose un problème majeur. Il est fondé sur le fait que, pour la première fois, l’Union européenne va s’endetter en notre nom à tous. Et cela pose au moins deux grandes questions.

La première, c’est : qui va rembourser cette dette ? Personne de sérieux ne pense qu’on peut créer de l’argent gratuitement. Ce qui est emprunté aujourd’hui doit être remboursé demain. Or l’Union européenne n’a pas, dans son budget, les moyens de rembourser cet emprunt. On nous explique que ce remboursement commencera en 2028 et qu’il s’achèvera probablement autour de 2060, mais sans nous expliquer comment. C’est tellement facile d’obliger ceux qui nous suivrons à payer nos propres problèmes… L’ironie de l’histoire, c’est que ce plan de relance s’appelle « Next Generation EU » : pour « l’Europe de la nouvelle génération ». Mais pour moi, c’est très clair : applaudir – comme beaucoup le font – que l’on vote une dette sans même savoir comment elle sera remboursée, c’est évidemment trahir les générations futures, et je ne veux pas m’en rendre complice.

C’est encore plus vrai si l’Union européenne n’assume pas de sortir de sa naïveté dans la mondialisation, et de changer enfin les règles du jeu. Aujourd’hui nous le voyons bien : nous fixons des règles très exigeantes à nos entreprises européennes sans imposer les mêmes règles à celles qui viennent sur le marché européen en important. Si nous investissons à travers cette dette commune pour pouvoir financer notre activité d’aujourd’hui sans changer ce rapport à la mondialisation, alors il est parfaitement clair qu’en réalité, nous financerons avec cette dette la relance de l’activité chinoise ou de l’activité de pays asiatiques à moindre coût. Et c’est ce qui est en train de se passer dans la nouvelle étape de la tragédie qui frappe par exemple Renault, et qui touche notre industrie depuis tellement longtemps maintenant.

Le deuxième problème que pose ce plan de relance à travers cet endettement commun, c’est que, qui dit endettement commun dit aussi responsabilité budgétaire commune. Aujourd’hui, le budget de l’Union européenne est construit à partir de la contribution des États : chacun apporte les moyens qui correspondent à ses ressources à cette action collective. SI demain l’Union européenne, pour la première fois, va sur les marchés pour s’endetter, cela veut dire qu’elle assume une responsabilité budgétaire qui nous lie les uns aux autres d’une manière beaucoup plus forte que ce n’est le cas aujourd’hui. Et je crois que nous ne sommes pas légitimes pour, à la faveur d’une crise majeure qui préoccupe nos concitoyens, imposer une nouvelle étape de l’intégration vers une responsabilité budgétaire qui ne correspond pas à un véritable échelon de la responsabilité démocratique.

Il me semble qu’il est catastrophique que certains profitent de cet épisode pour faire avancer un agenda qui ne dit pas son nom. Et je crois qu’il y a là, évidemment, probablement un potentiel de désamour encore plus fort pour l’Union européenne dans les années qui viendront, lorsqu’elle nous demandera, au nom de cette responsabilité budgétaire commune, de faire des réformes ou de changer nos attributions budgétaires à l’intérieur de nos pays. Non parce que ce serait bon pour nos pays ou parce que nous l’aurions décidé, mais parce que ce serait nécessaire du point de vue de cette responsabilité budgétaire que constituerait cet emprunt. Il y a là donc un débat fondamental. Nous allons nous y impliquer évidemment avec beaucoup d’énergie et je reviendrai vers vous très bientôt pour vous donner plus de nouvelles. Merci beaucoup. »

Pour aller plus loin

Responsabilité budgétaire et souveraineté

Débat avec la secrétaire d’État aux affaires européennes

 

Il est vital aujourd’hui de reconstruire une alternative crédible.

François-Xavier Bellamy au Parlement européen

Entretien paru dans Le Figaro le 27 mai 2020. Propos recueillis par Emmanuel Galiero.

LE FIGARO – Au terme de votre première année de mandat, le PPE vous a désigné pour conduire une réflexion sur la droite. De quoi s’agit-il ?

François-Xavier BELLAMY – Dans un paysage politique de plus en plus fragmenté, la droite n’a plus la vision, la stratégie d’ensemble qui lui permettraient d’être audible. Elle doit se remettre à travailler sur le fond pour retrouver une parole claire. En échangeant avec des élus d’autres pays européens, je vois à quel point la décomposition politique que nous connaissons en France se vérifie ailleurs, en Italie, en Espagne, en Allemagne même : partout on observe le développement de partis contestataires qui concentrent une colère impuissante, la poussée d’un mouvement “vert” qui semble souvent servir une idéologie plus qu’une véritable écologie, ou d’un progressisme totalement déconnecté des aspirations populaires, qui n’arrive qu’à accroître encore les tensions sociales. Dans ce contexte, les partis politiques de droite ne peuvent survivre si leur vision reste incertaine, ambiguë, paresseuse. Beaucoup de nos alliés européens font face comme nous à de vraies difficultés. Après un long débat sur le sujet avec les chefs des délégations nationales du PPE, notre président, Manfred Weber, m’a demandé de conduire un travail de fond pour redéfinir l’identité de la droite en Europe, et notre groupe m’a élu pour mener à bien cette mission. Avec une équipe de députés européens, auquel nous associerons des parlementaires nationaux, nous allons maintenant travailler méthodiquement pour affronter toutes les questions auxquelles la droite n’a pas toujours su faire face. Le but est de produire un texte de fond qui doit être discuté et adopté en novembre, avec l’ambition de contribuer à un nouveau départ, et de parler largement au grand public en Europe. Cela sera un signal fort envoyé à tous ceux qui ont perdu confiance en notre famille politique parce qu’elle semblait incapable de se remettre en question : il est vital aujourd’hui de reconstruire une alternative crédible qui puisse redonner espoir.

Dans ce contexte, les partis politiques de droite ne peuvent survivre si leur vision reste incertaine, ambiguë, paresseuse. Beaucoup de nos alliés européens font face comme nous à de vraies difficultés. Manfred Weber, m’a demandé de conduire un travail de fond pour redéfinir l’identité de la droite en Europe.

Chez Les Républicains, la définition du libéralisme fait débat. Qu’en pensez-vous ?

Il y a en effet un problème de définition. Mais il est difficile d’admettre que notre pays, champion des normes et des prélèvements obligatoires, souffre d’être trop “libéral”. Prétendre que la défaillance de l’Etat dans ses missions régaliennes pourrait être réglée en augmentant la dépense publique, alors que nous sommes déjà les premiers au monde en la matière, relève d’une forme de paresse intellectuelle… En vérité, malgré le dévouement des acteurs de terrain, nous subissons surtout les effets d’une incroyable désorganisation de l’Etat, d’une hyper-administration contre-productive, de la complexité du millefeuille territorial, qui asphyxient l’initiative et déresponsabilisent les corps intermédiaires. Nous devons avoir ce débat sans céder à la démagogie ou au simplisme, mais en osant regarder la vérité en face.

Beaucoup pensent que la droite retrouvera une voix en France quand elle aura trouvé son candidat pour 2022. Quel est votre avis ?

La première urgence, qui concerne le travail de fond, afin de retrouver une ligne claire et solide à proposer demain à la France. Christian Jacob a réuni des équipes thématiques pour avancer sur chaque sujet : sur les questions européennes par exemple, nous échangeons régulièrement avec nos collègues de l’Assemblée et du Sénat, avec des experts… C’est la priorité aujourd’hui. La question de l’incarnation sera bien sûr déterminante, et elle devra évidemment être tranchée le moment venu ; mais ce n’est pas la priorité aujourd’hui.

Que pouvez-vous dire sur le fonctionnement de l’Union européenne aujourd’hui ?

Au bout d’un an de mandat, j’observe que toutes les grandes intuitions de notre campagne se sont vérifiées : nous voulions d’une Europe qui ne se contente plus de créer des normes et des règles de concurrence, mais qui respecte une véritable subsidiarité, tout en retrouvant une vision stratégique dans la mondialisation. Cette perspective est plus urgente que jamais ! Mais je mesure l’ampleur du changement qu’il faut réussir à imposer… Au milieu d’une crise qui a montré que notre autonomie alimentaire était un enjeu crucial, c’est à Greta Thunberg que la Commission demande des conseils pour réformer la politique agricole commune. Et au moment où il apparaît plus nécessaire que jamais de protéger notre marché européen pour retrouver une capacité de produire, le commissaire au commerce extérieur parle de nouveaux accords de libre-échange avec les Etats-Unis ou le Mercosur… L’Union européenne est encore piégée par une vision idéalisée et naïve de la mondialisation : certains nous expliquent que, pour ne plus manquer de masques à l’avenir, il n’est pas nécessaire de retrouver les moyens d’en fabriquer, mais simplement s’assurer d’avoir plusieurs fournisseurs. Au lieu de ne plus dépendre enfin d’autres acteurs, on nous propose de multiplier cette dépendance, comme si les chocs globaux et les rapports de force n’existaient plus ! Les dirigeants européens peinent à prendre conscience que l’histoire est de retour, et qu’il faut se préparer pour ne pas subir les crises futures et la puissance croissante des autres acteurs. L’épidémie actuelle est un avertissement clair : l’avenir de l’Europe dépend des leçons qu’elle saura en tirer.

L’Union européenne est encore piégée par une vision idéalisée et naïve de la mondialisation. Les dirigeants européens peinent à prendre conscience que l’histoire est de retour, et qu’il faut se préparer pour ne pas subir les crises futures et la puissance croissante des autres acteurs.

Ces « dogmes » sont-ils les moteurs de l’élargissement défendu par certains ?

Oui, et c’est d’ailleurs un autre exemple de cette absence de lucidité… En plein milieu de la crise du Coronavirus, Emmanuel Macron a accepté le processus d’élargissement pour l’Albanie et la Macédoine du Nord. Après avoir promis de s’y opposer pendant toute la campagne européenne… C’est un pas de plus dans l’impasse qui a condamné l’Union à tant de paralysie et de dangereuses tensions, notamment sur le plan migratoire, économique, ou même démocratique !

Comment la complexité des institutions européennes s’illustre-t-elle ?

Le Parlement négocie en permanence avec la Commission et le Conseil des chefs d’Etat et de gouvernement, pour déterminer la législation. Dans cette mécanique institutionnelle, il faut vraiment être un combattant si l’on veut obtenir des avancées. Avec notre délégation, nous avons parfois emporté la décision, par exemple avec la désignation de Thierry Breton au sein de la Commission : malgré les critiques d’Emmanuel Macron, nous avons rendu un vrai service à la crédibilité de la France, qui aurait été fortement atteinte si la commissaire que le Président avait désignée avait été confirmée. Mais dans l’effet d’inertie de cet univers complexe, toute bataille remportée suppose un engagement total.

Malgré ses pesanteurs, l’Union européenne vous semble-t-elle prête à se réformer ?

C’est la grande question. Soit l’Europe changera, soit elle disparaîtra. Si les Européens ne prennent pas toute la mesure de leur vulnérabilité aujourd’hui, ils sortiront de l’histoire. Une Europe obligée d’aller quémander en Chine les produits nécessaires à sa survie, ou dépendante technologiquement des plateformes numériques américaines est une Europe sans avenir, parce qu’elle se rend otage de puissances extérieures qui décideront de son destin.

Avec 500 milliards d’emprunt, le plan de relance franco-allemand vous semble-t-il à la hauteur des enjeux ?

En réalité, ce plan est issu d’un projet que la commission construisait depuis plusieurs semaines. Ce que l’on a beaucoup évoqué, c’est un accord entre la France et l’Allemagne sur ce projet ; mais mettre en scène une discussion à deux ne suffit pas à convaincre les 25 autres… Et quand j’entends Nathalie Loiseau faire la leçon aux pays qui osent s’inquiéter d’un dérapage budgétaire incontrôlé, de la part d’un Etat qui n’a pas su faire un budget à l’équilibre depuis près de cinquante ans, je me dis que décidément LREM n’est pas près d’aider les Français à passer enfin pour moins arrogants, ni plus crédibles… Concernant ce projet d’emprunt européen, je suis très réticent : qui dit emprunt dit responsabilité budgétaire ! Nous rêvons d’asseoir notre endettement sur les excédents de l’Allemagne et des pays nordiques. Mais si nous créons cette solidarité budgétaire, cela impliquera de soumettre nos politiques nationales à un contrôle encore plus étroit de l’échelon européen. La fourmi ne prêtera pas à la cigale sans vérifier qu’elle va arrêter de chanter. Quand on voit le rejet que suscite la règle des 3%, imposée par la simple solidarité monétaire, on comprend qu’Emmanuel Macron n’ait pas parlé aux Français des conditions déjà exigées par l’Allemagne à ce plan de relance… Or s’il nous faut faire des réformes, ce doit être à notre initiative et pour préparer notre avenir, et non sous l’injonction d’une autorité extérieure. La décision budgétaire est l’expression la plus concrète de la responsabilité démocratique : elle ne peut pas être transférée sans une atteinte absolue à la souveraineté d’un pays. Ceux qui voient ici l’occasion de ressusciter le vieux rêve fédéraliste en créant un contrôle de fait des Etats à travers un endettement commun, courent le risque de constituer une nouvelle pomme de discorde, susceptible à terme de faire exploser l’Union européenne. Je crois à une Europe qui renforce nos pays, et non qui les remplace ; de ce point de vue, je le dis depuis plusieurs semaines, il me semble infiniment préférable de mobiliser rapidement le budget européen avec un effet de levier pour que les Etats et les entreprises financent des besoins concrets et urgents, plutôt que de provoquer de longs débats et des tensions profondes sur un endettement commun.

La décision budgétaire est l’expression la plus concrète de la responsabilité démocratique : elle ne peut pas être transférée sans une atteinte absolue à la souveraineté d’un pays. Ceux qui voient ici l’occasion de ressusciter le vieux rêve fédéraliste en créant un contrôle de fait des Etats à travers un endettement commun, courent le risque de constituer une nouvelle pomme de discorde

Comment avez-vous vécu l’épisode du Brexit en janvier ?

Pour la première fois, un Etat membre a choisi de quitter l’Union européenne. On a trop vite oublié ce que cela signifiait. Beaucoup se sont rassurés en affirmant que le Brexit avait gagné grâce à des “fake news”; il y en a eu, comme dans bien des campagnes hélas, et sans doute dans chaque camp. Mais si une majorité de Britanniques a voté pour sortir de l’Union, c’est qu’elle considérait qu’appartenir à l’Union européenne fragilisait leur pays au lieu de le renforcer. Si les Européens ne comprennent pas cela, il y aura d’autres Brexit.

Quelle réflexion vous inspirent Emmanuel Macron et Bruno Le Maire quand ils parlent de « souveraineté nationale » ?

Quelle incroyable contradiction avec ce qui était au coeur même de la vision d’En Marche ! Durant les élections européennes, le responsable du pôle Idées de LREM, Aurélien Taché expliquait que le projet de son mouvement était de transférer la souveraineté française à l’échelle européenne. Un an plus tard, on nous explique qu’il faut repenser la souveraineté nationale. Emmanuel Macron déclarait en 2017 que « le protectionnisme, c’est la guerre » ; maintenant il affirme que délocaliser a été une folie… Il voudrait nous faire croire qu’il se réinvente. En réalité, il me fait l’effet d’un comédien changeant de texte après avoir constaté que la pièce d’avant ne marchait pas. Malheureusement, personne ne peut croire ces revirements. Et la principale victime de ces zigzags idéologiques, c’est la clarté du débat démocratique… Je le répète depuis l’apparition d’En Marche : l’inconsistance du “en même temps” rend impossible une conversation civique claire, qui puisse servir le discernement des Français et exprimer la réalité des clivages qui traversent la société. En adoptant, pour tout projet politique, de médiocres stratégies de communication qui se succèdent dans une incohérence absolue, Emmanuel Macron a profondément dévitalisé notre démocratie, et alimente ainsi les colères qui menacent désormais de la déborder.

Emmanuel Macron voudrait nous faire croire qu’il se réinvente. En réalité, il me fait l’effet d’un comédien changeant de texte après avoir constaté que la pièce d’avant ne marchait pas.

Il vous reste quatre années de mandat européen. Quelles sont vos ambitions ?

Notre boussole est le projet que nous avons défendu pendant la campagne, qui est plus que jamais d’actualité : une Union européenne qui se concentre enfin sur ses missions fondamentales, qui créé les conditions d’une vraie autonomie stratégique pour nos pays dans les secteurs essentiels, restaurant ainsi la capacité de l’Europe à agir face aux crises futures et aux autres puissances mondiales. Pour ne plus subir ce qui lui arrive, comme nous le vivons aujourd’hui, l’Europe doit se souvenir qu’elle n’est pas un projet pour cogérer le déclin, mais une civilisation millénaire indispensable à l’équilibre du monde de demain. Je le crois plus que jamais.

Europe : changer de paradigme

Tribune écrite avec Sven Simon et cosignée par une quinzaine députés du Parlement. Le texte est paru dans L’Opinion le 9 mai 2020. Voir les signataires

Le 9 mai 1950 à Paris, Robert Schuman, ministre français des Affaires étrangères, proclamait une nouvelle vision pour l’Europe : l’Allemagne et la France devaient partager leur production de charbon et d’acier en créant une autorité commune. Ce n’est pas un hasard si Schuman voulait placer sous cette supervision mutuelle les industries qui étaient considérées comme les armureries des nations européennes. Il était conscient que l’Europe ne pouvait pas être créée « d’un coup » ni « dans une construction d’ensemble ». Elle serait liée « par des réalisations concrètes créant d’abord une solidarité de fait. »

Devant les nombreuses crises de l’intégration européenne, et le mécontentement généralisé que suscite le fonctionnement des institutions européennes, ce 70ème anniversaire est l’occasion de réfléchir à nouveau sur la Déclaration Schuman. Dans le contexte de 1950, préserver la paix et renouer avec la prospérité étaient les principaux défis politiques auxquels étaient confrontés les responsables politiques allemands et français. La vision que Schuman proposait de l’Europe ne se réduisait pas à des slogans systémiques abstraits, comme c’est si souvent le cas aujourd’hui entre « État fédéral » et « Europe des nations ». Il a plutôt défini les compétences de la nouvelle communauté en fonction des exigences concrètes de son époque.

À quoi ressemblent ces exigences en 2020 ? Aujourd’hui, les Européens doivent combattre pour leur futur rôle dans la mondialisation. L’Union européenne est toujours le plus grand marché unique, et cela n’est pas sans poids politique. Nos valeurs de liberté, d’État de droit et de démocratie attirent toujours, mais notre modèle n’est plus incontesté. Les nouvelles puissances émergentes revendiquent une influence économique et politique, et la Chine en particulier est en concurrence avec l’Occident dans sa promesse de prospérité. En même temps, les processus complexes de négociation pour une fédération d’États, l’incapacité des institutions européennes à se concentrer sur l’essentiel, un lien faible avec la volonté des électeurs et, enfin et surtout, la difficulté de modifier le droit de l’Union ont donné à de nombreux citoyens le sentiment d’un échec de l’Europe. Cela a sapé la légitimité de l’Union européenne, et conduit à une menace existentielle pour une Europe unie.

Les processus complexes de négociation pour une fédération d’États, l’incapacité des institutions européennes à se concentrer sur l’essentiel, un lien faible avec la volonté des électeurs et, enfin et surtout, la difficulté de modifier le droit de l’Union ont donné à de nombreux citoyens le sentiment d’un échec de l’Europe.

Contrairement à l’État-nation, l’Union européenne n’est pas une fin en soi pour la plupart de nos contemporains. Elle est en débat, elle doit prouver sa raison d’être et devra faire ses preuves encore et toujours pour se poursuivre. Elle se mesure en fonction de ses coûts et de ses avantages. La mise en balance de ces facteurs n’est pas nécessairement rationnelle, mais elle s’impose. C’est pourquoi le sujet n’est absolument pas « plus ou moins d’Europe », encore moins les vieilles idées d’un ordre fédéral ou d’une constitution de l’Europe ; la seule question est de savoir à quoi peut servir l’Union européenne pour les européens du XXIème siècle. Elle doit leur permettre de s’affirmer dans un monde de superpuissances agissant unilatéralement, avec lesquelles aucun État européen ne peut rivaliser seul. Par rapport à l’époque de Schuman, nous sommes donc confrontés aujourd’hui à un changement de paradigme : l’Union ne doit pas s’imposer aux pays européens, mais leur donner le poids dont ils ont besoin dans le monde (Kielmansegg). Au lieu de « créer une Union toujours plus étroite », nous avons besoin d’une Union concentrée sur des projets, et qui retrouve une vision stratégique dans la mondialisation.

Le sujet n’est absolument pas « plus ou moins d’Europe », encore moins les vieilles idées d’un ordre fédéral ou d’une constitution de l’Europe ; la seule question est de savoir à quoi peut servir l’Union européenne pour les européens du XXIème siècle.

C’est la raison pour laquelle, en cette Journée de l’Europe 2020, nous demandons que l’Europe se concentre sur le cœur de ce qui fera la concurrence globale entre les systèmes géopolitiques de demain, et que ses compétences soient beaucoup plus clairement délimitées, pour que les européens soient capables demain d’agir à l’échelle mondiale.

Pour l’essentiel, les défis de notre époque sont l’évolution du commerce mondial et les politiques d’investissement, la révolution numérique, la sécurité intérieure et extérieure, l’harmonisation de notre modèle énergétique, la conversion d’une économie sociale de marché vers une transition écologique et durable, le défi migratoire, et la stratégie pour l’Afrique.

Dans ces domaines, qui doivent être définis plus en détail, une approche européenne commune a indéniablement du sens, et sa valeur ajoutée peut être rendue concrètement visible, conformément à l’intuition de Schuman. Toutefois, pour que cette « solidarité d’action » se concrétise, l’Union Européenne doit se concentrer sur ces domaines et être capable de résoudre des problèmes. Sa structure institutionnelle doit être réformée pour cela.

Toutefois, pour que cette « solidarité d’action » se concrétise, l’Union Européenne doit se concentrer sur ces domaines et être capable de résoudre des problèmes. Sa structure institutionnelle doit être réformée pour cela.

Concrètement, cela implique de restructurer la Commission européenne pour en faire une structure efficace, liée à une majorité stable au Parlement Européen, articulée à une opposition visible. Pour être pris au sérieux, le Parlement doit se concentrer beaucoup plus sur les tâches pour lesquelles il a une compétence législative et des fonctions de contrôle. Il doit mûrir dans son fonctionnement, et développer une culture du débat digne d’un Parlement. Cela ne réussira pas sans un échange sérieux et approfondi d’arguments en plénière. Tant que le Parlement Européen ne deviendra pas un lieu d’échange d’idées dans la sphère publique européenne, tant que les orateurs ne seront pas engagés dans l’action mais parleront chacun de leur siège, tant qu’ils ne se considèreront pas et n’auront pas de relations entre eux, la décision au niveau européen restera difficile à accepter.

Pour réaliser cette vision d’une Europe unie par sa capacité d’action, nous avons besoin d’un nouveau départ, d’une impulsion comme celle donnée par la Déclaration du 9 mai il y a soixante-dix ans. Robert Schuman a fait preuve d’un courage déterminé lorsqu’il a tendu la main de la réconciliation à l’Allemagne, au sortir d’une guerre mondiale avec cet ennemi héréditaire, sur les ruines des villes européennes. La crise actuelle nous appelle à ouvrir un nouveau chapitre de l’histoire de l’Europe, avec la même clairvoyance. Contrairement aux États-Unis d’Amérique, l’Union Européenne ne veut pas faire de plusieurs, un – e pluribus unum – mais être « unie dans la diversité ». Si nous reconnaissons la fécondité de cette diversité, si nous la mettons en œuvre par la coopération de nos Etats, en utilisant pleinement les économies d’échelle qu’elle permet, alors nous avons toutes les chances que l’Europe récupère le retard qu’elle accuse désormais sur bien des terrains, pour continuer d’être le continent où il vaut le mieux vivre à l’avenir.

Les signataires sont tous membres du Groupe PPE au Parlement européen :

  • Sven SIMON, député de la délégation allemande du Groupe PPE
  • François-Xavier BELLAMY, président de la délégation française du Groupe PPE
  • Eva MAYDELL (délégation bulgare), présidente du Réseau des jeunes membres du PPE
  • Sara SKYTTEDAL (délégation suédoise), présidente de la Délégation pour les relations avec l’Irak
  • Isabel BENJUMEA (délégation espagnole), vice-présidente de la Commission du Développement régional
  • Tom BERENDSEN (délégation néerlandaise)
  • Lena DÜPONT (délégation allemande)
  • Arba KOKALARI (délégation suédoise)
  • Stelios KYMPOUROPOULOS (délégation grecque)
  • Jeroen LENAERS (délégation néerlandaise), vice-président de la Délégation pour les Relations avec les pays du Machrek
  • Lidia PEREIRA (délégation portugaise), vice-présidente du Réseau des jeunes membres du PPE
  • Karlo RESSLER (délégation croate)
  • Sven SCHULZE (délégation allemande), vice-président de la Commission des Transports et du Tourisme
  • Tomislav SOKOL (délégation croate)
  • Barbara THALER (délégation autrichienne)
  • Maria WALSH (délégation irlandaise)
  • Tomáš ZDECHOVSKÝ (délégation tchèque), vice-président de la Commission de l’Emploi et des Affaires sociales