La logique immémoriale du bouc émissaire

Les propos d’Emmanuel Macron sur les non-vaccinés ont marqué une nouvelle étape dans la déraison générale entourant la gestion de cette crise. L’accusation qui leur est faite est en effet à la fois absurde et incohérente. Incohérente, car si les non-vaccinés étaient réellement coupables de « mise en danger de la vie d’autrui », comme l’affirme Jean Castex, il faudrait faire du refus du vaccin un délit pénal, en rendant la vaccination obligatoire, et l’assortir de sanctions lourdes. Ce n’est évidemment pas le cas ; le vaccin peut certes avoir une utilité pour prévenir les formes graves du virus, et il est donc très raisonnable qu’en bénéficient des personnes vulnérables, mais c’est un fait que cette vaccination n’a toujours aucun caractère obligatoire, et que, du point de vue de la loi, chaque citoyen français est absolument libre de se faire vacciner ou non. Accuser ceux qui ne le font pas de menacer la vie des autres, c’est, pour un chef de gouvernement, admettre qu’il laisse aux citoyens le choix de tuer librement ! Quel pouvoir peut croire sérieusement qu’un comportement constitue une « mise en danger de la vie d’autrui », et ne pas prendre les mesures adéquates pour l’interdire ?

Une telle incohérence trahit l’absence de fondement de ces accusations, pourtant infiniment graves, lancées si légèrement par nos dirigeants contre leurs propres concitoyens. Le Premier ministre avait affirmé catégoriquement, sur le plateau d’un journal télévisé, qu’une personne vaccinée ne pourrait être ni contaminée ni contagieuse. Il est manifeste que cette affirmation est fausse ; le nombre de contaminations n’a d’ailleurs jamais atteint de tels niveaux, alors qu’une immense majorité de la population est vaccinée… Prétendre qu’un « passe vaccinal» permettra de créer des espaces protégés du virus, comme l’assurait encore Olivier Véran il y a quelques jours, est un non-sens ; en se pliant aux tests exigés d’eux pour l’obtention d’un « passe sanitaire », les Français non vaccinés étaient même les seuls à pouvoir garantir qu’ils ne contamineraient personne… Par conséquent, laisser entendre que le virus ne circule désormais que par leur faute est évidemment une aberration totale.

La focalisation sur la figure du « non-vacciné », rendu coupable de ces maux imaginaires, a pourtant atteint une démesure impressionnante… Le président de la République affirme que, par leur « irresponsabilité », ils ne sont « plus des citoyens ». Le porte-parole du gouvernement explique que, « depuis deux ans » (quand ni le vaccin ni même le Covid n’existaient), les non-vaccinés « gâchent la vie des soignants ». Le Journal du dimanche publie une tribune d’un professeur de médecine demandant que ceux qui revendiquent leur liberté choisissent de ce fait « la liberté de ne pas être réanimés »; et dans la foulée, un institut de sondage très sérieux demande aux Français s’il faut soigner les non-vaccinés – et recueille une majorité d’opinions favorables… Pas un institut de sondage n’aurait osé demander s’il fallait soigner des terroristes islamistes blessés après un attentat ou sur le champ de bataille. Aucun médecin n’hésiterait à réanimer un chauffard qui aurait causé un accident mortel en transgressant la loi. Comment avons-nous pu en arriver si vite à de tels débats s’agissant de citoyens français qui, encore une fois, n’ont pas enfreint la moindre règle ?

Une telle incohérence trahit l’absence de fondement de ces accusations, pourtant infiniment graves, lancées si légèrement par nos dirigeants contre leurs propres concitoyens.

Comment expliquer que des accusations si infondées sur le plan scientifique puissent susciter une adhésion dans l’opinion ? La réponse est malheureusement assez simple : c’est qu’elles réactivent, avec une efficacité désolante mais prévisible, la logique immémoriale du bouc émissaire. Étudiée par James Frazer dans Le Rameau d’or, une enquête approfondie des mythologies primitives et antiques, la logique du bouc émissaire consiste à désigner un individu ou un groupe comme responsable de tous les maux qui affectent la communauté. La raison de cette désignation tiendra en une différence facilement identifiable, qui le met à l’écart de la collectivité (le bouc « émissaire » étant en réalité l’animal « échappé »  du troupeau – ce que l’on retrouve dans l’anglais scapegoat). Une violence progressive sera ensuite exercée à l’encontre de cet individu ou de ce groupe, jusqu’à l’expulsion, par laquelle la communauté espère exorciser le mal qui la traverse en même temps qu’elle sacrifie celui qui est supposé la causer.

Ces accusations réactivent, avec une efficacité désolante mais prévisible, la logique immémoriale du bouc émissaire.

C’est bien de violence qu’il s’agit dans cette affaire, toute civilisée qu’elle paraisse. « Enfin un peu de sang sur les murs », s’enthousiasme un « ténor » macroniste dans Le Point, après les déclarations du président. Bien sûr, à cette métaphore glaçante, il faut répondre avec un surcroît de calme et de recul. Cela étant dit, quand les propositions du ministre de la Santé se trouvent résumées par la volonté de « surveiller et punir les non-vaccinés » (Le JDD, 1er janvier 2022), comment ne pas voir que derrière la méthode apparemment avenante du « nudge », l’incitation comportementale revendiquée par le gouvernement, se cache en réalité une brutalité très concrète ? Le modèle démocratique imposait l’égalité en droit, la loi obligeant chacun quand le bien commun l’exige, et protégeant par défaut la liberté en tout le reste. Le nouveau modèle qui se dessine contourne la loi, ne constituant pas d’obligation explicite, mais évalue en permanence les individus selon qu’ils adoptent plus ou moins les comportements normés par le pouvoir, et leur accorde des droits différenciés pour rétribuer leurs choix. Quand une personne se voit empêchée d’accéder aux lieux de sociabilité communs, d’utiliser des services publics qu’elle finance par ses impôts, de se déplacer librement, et finit par se voir dénier jusqu’à son appartenance à la cité, pour avoir seulement fait usage d’une liberté que la loi lui reconnaît pourtant, n’est-ce pas de violence qu’il s’agit ?

Le nouveau modèle qui se dessine contourne la loi, ne constituant pas d’obligation explicite, mais évalue en permanence les individus selon qu’ils adoptent plus ou moins les comportements normés par le pouvoir, et leur accorde des droits différenciés pour rétribuer leurs choix.

Il est urgent de dénoncer le basculement inédit qui est en train de se jouer. La civilisation européenne avait constitué une rupture anthropologique décisive, en dénonçant précisément le schéma du bouc émissaire. René Girard, le plus grand penseur sur cette question décisive, a montré dans toute son œuvre comment, par leurs racines chrétiennes, les sociétés occidentales ont appris à démasquer progressivement la folie de cette violence : dans la figure d’un Dieu crucifié, elles ont reconnu que la victime sacrifiée est innocente, que le pauvre n’est pas coupable de sa misère, ni le malade de la maladie. Elles ont appris à s’affranchir de la déraison qui cherche des responsables, pour trouver des réponses rationnelles aux crises que nous traversons. Elles ont appris à prendre soin de chacun, de manière inconditionnelle. Laisserons-nous cet héritage se disloquer, sous le seul effet de la peur ? Nous sommes pourtant largement capables de maîtriser cette épidémie, par une stratégie sanitaire sereine et méthodique. Ne laissons pas la faillite de nos politiques de santé se doubler de la régression morale inouïe qui consiste à désigner des coupables imaginaires.

Nous sommes largement capables de maîtriser cette épidémie, par une stratégie sanitaire sereine et méthodique. Ne laissons pas la faillite de nos politiques de santé se doubler de la régression morale inouïe qui consiste à désigner des coupables imaginaires.

Le pass vaccinal ou la poursuite du délitement de l’État de droit

Texte initialement paru dans Le Figaro.

Nous y voilà donc : alors que le “pass sanitaire” est désormais nécessaire pour les actes les plus quotidiens comme les plus essentiels, il devrait devenir bientôt un “pass vaccinal”. Avec un peu de recul, le spectacle des reniements gouvernementaux donne le vertige : en février, Emmanuel Macron garantissait qu’il “ne conditionnerait pas l’accès à certains lieux à la vaccination”. En mai, cette condition était imposée, mais seulement pour les “grands rassemblements” de plus de mille personnes. En juillet, le pass sanitaire était exigé dans les trains ou les cafés – mais Olivier Véran jurait qu’il aurait disparu “au plus tard en novembre”. En décembre, la restriction est renforcée.

Avec un peu de recul, le spectacle des reniements gouvernementaux donne le vertige.

Bien sûr, il est hors de question de nier la réalité de l’épidémie et son évolution difficilement prévisible, qui oblige tous les gouvernements à faire face à l’incertitude. Et bien sûr, écrivons-le de nouveau puisque le dogmatisme au pouvoir voudrait faire de toute réticence un obscurantisme aveugle, il n’est pas question non plus de nier l’utilité de la vaccination pour prévenir les formes graves de cette maladie. Cette efficacité, qui sans être infaillible est absolument incontestable, doit conduire à vacciner en priorité tous ceux qui risquent ces formes graves. En la matière, avec encore plusieurs millions de personnes vulnérables non vaccinées, la France accuse un retard sérieux sur ses voisins européens. Il faut dire que nous avons l’un des seuls gouvernements qui, plutôt que de se concentrer sur cet objectif essentiel, se préoccupe d’interdire de boire un café debout ou de consommer du popcorn (disons ici notre soutien aux policiers et gendarmes, envoyés hier empêcher les plaisanciers de s’asseoir sur les plages, qui ne devaient être fréquentées qu’en “mode dynamique”; et qui partiront demain en mission pour contrôler que personne n’est debout dans les bars…).

Ce nouveau pass ne contribuera pas non plus à la vaccination des plus vulnérables, en particulier des aînés : ils constituent près de 95% des victimes du coronavirus – rappelons que l’âge moyen des personnes décédées est de 82 ans. On mesure là tout le génie de cette mesure : plus on a besoin d’être vacciné, moins on a besoin d’un pass vaccinal… Il est peu probable que les septuagénaires qui n’ont pas été rejoints jusque là par la campagne de vaccination finissent par franchir le pas de peur de ne plus pouvoir sortir en boîte de nuit. Du point de vue de la gestion de l’épidémie, le gouvernement ne peut donc que manquer l’objectif essentiel.

On mesure là tout le génie de cette mesure : plus on a besoin d’être vacciné, moins on a besoin d’un pass vaccinal

Mais tout cela est en fait très logique ; car ce que révèle ce nouveau revirement, c’est que le pass vaccinal, comme le pass sanitaire depuis le début, ne sont pas des mesures sanitaires. Ce que nous disions dès juillet est aujourd’hui rendu incontestable par le fait que le gouvernement refuse désormais de prendre en compte un test négatif pour établir ce pass. Si l’objectif était de limiter la circulation du virus dans des lieux précis, un test négatif est pourtant bien plus efficace pour cela qu’une preuve de vaccination, puisque ni deux, ni trois doses – ni même quatre ou cinq demain… – n’empêchent d’être contaminé et contagieux. Il est donc totalement irrationnel que le Premier ministre ose accuser les Français non vaccinés de “non-assistance à personne en danger”, comme si eux seuls diffusaient le virus… De fait, en réduisant le pass sanitaire au vaccin, le gouvernement ne réduit en rien le risque de contamination là où il est exigé ; il ne fait que contraindre les Français à une vaccination que la loi n’a pourtant jamais rendue obligatoire. Sur ce point, une mention spéciale doit d’ailleurs être réservée au Conseil d’Etat, qui a sombré dans l’indignité en se reniant lui-même avec une servilité littéralement pitoyable. En juillet, il avait admis le principe du pass sanitaire à la condition expresse qu’un test négatif permettrait son obtention – sans quoi, écrivait-il, il ne s’agirait plus d’une mesure de protection, mais d’une incitation vaccinale dissimulée. Ne pas délivrer ce pass à des personnes prouvant pourtant qu’elles sont indemnes du covid constituerait, écrivaient les magistrats, “une atteinte disproportionnée à la liberté d’aller et venir, au droit au respect de la vie privée et familiale”. Quelques mois plus tard, les mêmes magistrats viennent d’approuver la mesure précise qu’ils interdisaient, et de bénir ainsi l’enterrement de ces principes fondamentaux…

…une mention spéciale doit d’ailleurs être réservée au Conseil d’Etat, qui a sombré dans l’indignité en se reniant lui-même avec une servilité littéralement pitoyable.

Ce qui disparaît, c’est une règle essentielle pour l’État de droit, résumée ainsi par notre Constitution : “Nul ne peut être contraint de faire ce que la loi n’ordonne pas.”. Avec le pass vaccinal, le gouvernement tombe dans une contradiction désastreuse pour les libertés publiques, l’égalité en droit, et l’amitié civique. Il s’agit en effet de dire que la vaccination n’est pas obligatoire, mais que ceux qui ne s’y plient pas sont quand même coupables, et qu’il devient par conséquent légitime d’accuser, de blâmer, de brimer, de punir, de priver même de droits absolument fondamentaux, des concitoyens qui ne se sont pourtant soustraits à aucune obligation légale. Le gouvernement pense-t-il pouvoir arrêter l’épidémie par la vaccination généralisée, en dépit des préconisations de l’OMS, des expériences acquises ailleurs dans le monde, et de la survenue de cette cinquième vague dans un pays déjà massivement vacciné ? S’il le pensait, il assumerait de rendre cette vaccination obligatoire par la loi. S’il ne le fait pas, c’est qu’il se contente de désigner des boucs émissaires pour justifier une crise hospitalière dont il est, en réalité, l’un des premiers responsables, avec ses prédécesseurs. La situation ne serait pas si dramatique pour les soignants héroïques qui affrontent cette épidémie, si ce gouvernement n’avait pas fermé des lits et laissé l’hôpital perdre encore de nombreux personnels formés, au milieu même de la crise.

Ce qui disparaît, c’est une règle essentielle pour l’État de droit, résumée ainsi par notre Constitution : “Nul ne peut être contraint de faire ce que la loi n’ordonne pas.”.

En attendant, la transformation du pass sanitaire en pass vaccinal trahit la folie de la logique dans laquelle nous entrons, qui se vérifie à ses conséquences déjà manifestes sur notre droit : alors que le scrupule du droit à la vie privée justifiait jusque là d’interdire aux policiers municipaux tout contrôle d’identité, le serveur d’un bistro demandera maintenant votre passeport pour vous servir une limonade…

Le parlement peut bien se plier, les autorités judiciaires se renier, l’opinion elle-même s’endormir, il faut maintenir ce principe, jusqu’à ce qu’ait lieu une prise de conscience désormais vitale. En démocratie, la souveraineté du peuple s’exprime par la loi qui oblige, non par la contrainte déguisée. Elle garantit que la liberté est la règle, non l’exception ; et elle reconnaît que les droits fondamentaux ne sont pas une concession de l’Etat attribuée pour bonne conduite. Vaccinés ou non, nous avons aujourd’hui tous le devoir de rappeler quelques évidences en danger…

En démocratie, la souveraineté du peuple s’exprime par la loi qui oblige, non par la contrainte déguisée. Elle garantit que la liberté est la règle, non l’exception ; et elle reconnaît que les droits fondamentaux ne sont pas une concession de l’Etat attribuée pour bonne conduite.

Déplacement dans le Rhône

Déplacement de François-Xavier Bellamy dans le Rhône en novembre 2021.

 

La campagne pro-hijab du Conseil de l’Europe n’a rien d’un fait isolé.

Tribune initialement parue dans Le Figaro.

C’est une courte vidéo promotionnelle comme on en voit tant sur les réseaux sociaux. Une jeune femme vous regarde, souriante. Une ligne balaie l’écran de gauche à droite : cette fois, le visage est voilé. L’opération se répète plusieurs fois, avec des visages différents, et un message : « La liberté est dans le hijab ». Ce message publicitaire est relayé sur les réseaux sociaux, accompagné d’un slogan : « Joy in hijab », « la joie dans le hijab ».

Contre toute apparence, cette campagne n’est pas diffusée par une organisation islamique, mais par le Conseil de l’Europe, avec le cofinancement de la Commission européenne. C’est une courte vidéo, qui aura en quelques heures fait couler beaucoup d’encre. Pourtant, elle n’est qu’un symptôme parmi bien d’autres, qui ensemble permettent d’établir le constat d’une dérive de grande ampleur.

Depuis des années, des hauts fonctionnaires, des universitaires, des chercheurs alertent sur les stratégies d’entrisme qu’ils observent de la part d’une nébuleuse islamiste qui, sous couvert d’antiracisme, prend place dans l’environnement des institutions européennes : des associations, des fédérations, des organisations non gouvernementales proposent des projets et obtiennent des financements p européens.

Elles utilisent les mots-clés en vogue : défendre l’inclusion, promouvoir la diversité, contrer les « discours de haine »… Et, au nom de la « lutte contre l’islamophobie », elles parviennent à imposer leurs thèses. Ainsi du projet « dialogue sur la radicalisation et l’égalité » (DARE), financé dans le cadre du programme de recherche européen Horizon 2020, qui a conclu au fait que la « radicalisation » (le mot islamisme n’est jamais cité) s’expliquait par les « discriminations structurelles » en Europe. Improbable retournement : les pays victimes d’une série d’attentats en deviennent soudain les coupables…

Le Parlement européen lui-même ne manque plus une occasion de relayer ce type d’accusation : quelques jours après la mort de George Floyd, il votait une résolution dénonçant « l’oppression et le racisme structurel en Europe », ainsi que « le recours excessif ou létal de la force par la police dans l’Union européenne », sans qu’on voie bien où pouvait se trouver la responsabilité des forces de l’ordre européennes dans la mort d’un citoyen américain au Minnesota.

Un exemple de plus du mélange de naïveté et de complaisance qui explique la vulnérabilité de l’Europe, sommée au nom de ses principes d’ouvrir la voie à l’idéologie qui veut les détruire.

S’indigner d’un racisme « structurel » permet de toute façon d’éviter toute objection : il n’est plus nécessaire de fonder l’accusation sur des faits précis, il suffit d’évoquer une ambiance. Il y a quelques jours seulement, à l’occasion d’un événement réunissant des centaines de jeunes européens à Strasbourg, une jeune fille voilée a pris la parole dans l’hémicycle du Parlement pour dénoncer « l’islamophobie » au sein de nos institutions : son intervention a été soutenue par un courrier signé de nombreux parlementaires, de la gauche à LREM. Or cette jeune fille était présente au titre de l’association Femyso, émanation du réseau des Frères musulmans… Un exemple de plus du mélange de naïveté et de complaisance qui explique la vulnérabilité de l’Europe, sommée au nom de ses principes d’ouvrir la voie à l’idéologie qui veut les détruire.

La campagne du Conseil de l’Europe n’a donc rien d’un fait isolé. La stratégie est constante : entretenir l’accusation d’un « racisme structurel » dans nos pays ; définir ensuite ce racisme comme une « islamophobie », ce qui permet de criminaliser toute critique de cette religion ; pour lutter contre cette critique dénoncée comme « islamophobe », promouvoir positivement cette religion, ses pratiques et ses injonctions. Le même mouvement avait conduit à l’organisation du « Hijab Day » à Sciences Po il y a quelques années, qui consistait à proposer aux étudiantes de se voiler au nom de la « lutte contre l’islamophobie ».

Alors que tant de femmes, dans le monde et dans nos pays mêmes, subissent menaces, pressions et violences pour leur imposer de porter le voile, voir l’Europe affirmer que la liberté est dans le hijab est un reniement désespérant. Et, lorsque ce message est porté par des institutions qui ne cessent de se réclamer d’un progressisme intransigeant, cette contradiction confine à la folie : les mêmes institutions qui reprochent aux pays d’Europe de l’Est d’être réactionnaires au motif qu’ils n’adhèrent pas pleinement à l’agenda de réformes sociétales fixé à l’Ouest publient sans sourciller que « la joie est dans le hijab »…

Une telle dérive appelle des questions, et une réponse.

Des interrogations d’abord : comment une telle campagne a-t-elle pu être mise en œuvre ? Qui a pris la décision de la concevoir, de la diffuser ? Quel budget a-t-elle mobilisé ? En démocratie, nous ne finançons pas les institutions pour qu’elles nous réforment ou nous endoctrinent ; les responsables qui engagent des moyens publics doivent en revanche rendre des comptes devant les citoyens. C’est la raison pour laquelle il faut maintenant que toute la lumière soit faite sur les conditions dans lesquelles cette vidéo a été publiée.

Mais, sans attendre, apportons-lui une réponse. Le véritable racisme est à l’évidence dans l’assignation identitaire que de tels messages relaient. Il y a quelques jours, la même « unité antidiscriminations » du Conseil de l’Europe diffusait la photo d’une femme voilée, avec ce commentaire : « Ce que ce foulard veut dire pour moi : c’est la possibilité d’être moi-même, sans avoir à me cacher ni à faire semblant d’être ce que je ne suis pas ». Paradoxe absolu : on se cacherait en se dévoilant, on se montre en se dissimulant. Aucune femme ne se définit par le fait que, derrière un voile, elle montre ce qu’elle est.

Le véritable racisme est à l’évidence dans l’assignation identitaire que de tels messages relaient.

En Europe, la liberté de conscience est effectivement respectée – et c’est une chance, car très peu de pays musulmans se montrent aussi tolérants à l’égard des chrétiens ou des incroyants… Mais, si cette liberté est permise, il doit être clair pour tous les enfants de la civilisation européenne, d’héritage ou d’adoption, que personne ne se définit par le fait de se voiler. Le Conseil de l’Europe manque à l’idée même de l’Europe quand il fait croire le contraire.

Ce vide où l’islamisme trouve l’espace pour prospérer

Tribune initialement publiée dans Le Figaro.

Mourir d’avoir enseigné. Qui aurait cru cela possible, qui aurait cru cela pensable. Et pourtant c’est arrivé – et cela devait arriver ; car la liste désormais longue des victimes de l’islamisme montre combien leur arrêt de mort ne devait rien au hasard. Les bourreaux sont décérébrés, mais l’idéologie qui les a suscités est d’une lucidité très sûre dans sa haine de ce que nous sommes. Comment ne pas voir qu’il s’agit bien d’une guerre totale ? Il suffit de relier les crimes pour voir combien ils dessinent le visage même de la France : un concert et des terrasses de café, des soldats, policiers et gendarmes, une fête du 14 juillet, la rédaction d’un journal, une école juive, un vieux prêtre, et un jeune professeur… Retracer le chemin de la mort ouvert à Toulouse il y a bientôt dix ans, c’est comprendre qu’il cible sans relâche ce qui a constitué ce pays au fil des siècles – la liberté de son peuple, la force de son État, le goût des choses de l’esprit, nos anciennes querelles même, une douceur de vivre et un courage rebelle, tous ces traits qui font la France. Si nous étions tentés de céder au déni de nous-mêmes, d’oublier ce que notre pays incarne de singulier, la litanie de nos deuils saurait nous le rappeler. Dans sa répétition du massacre des innocents, l’islamisme a dessiné en lettres de sang le portrait d’une nation qu’il est fermement décidé à éteindre par la terreur. Comment aurait-il pu ne pas s’en prendre à son école ?

Mourir d’avoir enseigné, pour réduire au silence tous les professeurs de France. La mort de Samuel Paty ne révèle pas seulement le projet de l’islamisme, mais aussi la faiblesse de notre réponse. Faiblesse de l’Etat, empêché d’appliquer ses propres décisions en matière migratoire : alors que la famille du terroriste avait été déboutée du droit d’asile en Pologne, puis de nouveau en France par l’OFPRA, la décision de la Cour nationale du droit d’asile avait empêché son expulsion, symbole de ce maquis administratif et judiciaire paralysant toute possibilité de maîtrise de nos frontières. De Paris à Nice en passant par Conflans-Sainte-Honorine, combien de fois l’impuissance de l’Etat face à l’immigration illégale aura-t-elle servi le terrorisme islamiste ?

Toute la crise de notre école se condense dans la mort de Samuel Paty.

Faiblesse de la société française ensuite, désarmée intellectuellement et moralement par des décennies de déconstruction. Les idéologies ne sont pas un jeu de l’esprit, elles sont les causes les plus fortes des glissements de terrain très réels qui transforment un pays. Quand Samuel Paty est désigné comme cible par les milieux islamistes, c’est avec des arguments qui lui sont servis par les courants glacés de la mauvaise conscience occidentale : la liberté est offensante, la laïcité est discriminatoire, critiquer l’islamisme est raciste, transmettre la France est colonial. Ces accusations, patiemment instillées, expliquent l’incroyable inhibition d’un pays d’esprits libres face au totalitarisme qui l’attaque ; c’est avec les mots de ce renoncement que certains collègues ont critiqué Samuel Paty quand il était menacé, et que, même après sa mort, l’inspection générale lui reproche une « maladresse ». C’est avec ces mots que l’une des plus grandes fédérations de parents d’élèves a laissé entendre que le cours de ce professeur, que l’école de la République, étaient responsables du meurtre, n’ayant pas permis « des échanges pacifiés dans la communauté éducative ». Comment ne pas voir que, si l’école a souvent été un lieu de débats conflictuels, seul l’islamisme décide de décapiter le professeur qui lui tient tête ? Il aura fallu des décennies de renoncements progressifs pour en venir à lâcher un professeur à son bourreau.

Faiblesse de l’école, enfin et surtout, qui résulte de toutes les autres. Faiblesse connue, documentée depuis des années, la plus dangereuse pour notre avenir, et qui semble pourtant depuis longtemps presque indifférente à nos élites, dont les enfants sont scolarisés bien loin de ces territoires perdus de la République sur lesquels alertaient des collègues il y plus de vingt ans déjà. Toute la crise de notre école se condense dans la mort de Samuel Paty. Le mensonge d’une élève y pèse plus que la parole d’un professeur. L’aberration des accusations qui le visent, symptôme d’un effondrement de la rationalité, montre combien notre incapacité à transmettre les savoirs les plus fondamentaux a laissé dans les esprits un vide atterrant, où l’islamisme et bien d’autres délires encore trouvent l’espace pour prospérer. La violence atroce, que fait naître chez les plus jeunes ce désert intérieur absolu causé par l’effacement de la culture, se lit dans ce détail sordide du crime de Conflans, la complicité vénale de quelques collégiens prêts à guetter la sortie de leur professeur, pour le désigner à un évident projet d’agression, en échange de quelques billets…

Comment ne pas comprendre la peur et le sentiment d’abandon qui touchent tant d’enseignants ? La moitié d’entre eux, indique une étude de la Fondation Jean Jaurès, dit s’être déjà auto-censurée pour éviter un conflit dans leur cours. Tant d’entre eux voient monter la multiplication des interdits religieux, des revendications constantes, de la surenchère victimaire. Tous connaissent l’injonction que leur opposera l’administration en cas de problème, même grave. « Pas de vagues ». L’intimidation que subissent les professeurs, la violence qui les atteint trop souvent, nous ne les connaissons que quand leurs auteurs ou leurs complices nous les montrent… Qui aurait entendu parler de cette professeur de collège, violemment frappée il y a quelques jours par un de ses élèves, si la scène n’avait pas été filmée par un collégien amusé ? Aperçu brutal de l’une de ces situations que redoutent tant de professeurs : « Eh le Coran, poussez-vous madame », enjoint l’élève décidé à sortir au milieu du cours. A quoi l’enseignante, qui ne s’efface pas, fait cette belle réponse : « Yassine, vous êtes à l’école ». Il y a malheureusement bien longtemps que l’école n’est plus un sanctuaire : l’élève la projette à terre.

En ce jour d’hommage national, il faut dire notre estime et notre reconnaissance à tous les professeurs qui, comme Samuel Paty, n’ont pas baissé les bras, malgré les difficultés. À tous ceux qui hier, parmi ses collègues et les personnels de direction, l’ont soutenu dans la tempête. À ceux qui prolongent aujourd’hui son engagement, en ayant pourtant parfois tant de mal à y croire encore. L’école ne tient plus qu’au fil ténu de ceux qui, parce qu’ils tiennent à ce qu’ils ont à transmettre, continuent de faire leur métier, en manquant tellement de soutien. Rendre hommage à Samuel Paty, c’est dire à travers lui ce que la France doit à ses professeurs. Il y a un an, en apprenant avec stupeur qu’un homme était mort d’avoir enseigné, bien des Français ont compris que le front du combat le plus vital pour la survie de notre pays se trouve dans les salles de classe, pour les élèves, pour notre avenir, et pour l’avenir de la liberté.

Ce qui s’est passé dans ce collège du Bois d’Aulne, et qui se joue dans tant de salles de classe en France, cela nous concerne tous. Il y a un siècle déjà, Péguy avertissait : « Les crises de l’enseignement ne sont pas des crises de l’enseignement ; elles sont des crises de vie ; les crises de vie sociales s’aggravent, se ramassent, culminent en crises de l’enseignement, qui en réalité sont totales. Quand une société ne peut pas enseigner, c’est que cette société ne peut pas s’enseigner ; c’est qu’elle a honte, c’est qu’elle a peur de s’enseigner elle-même ; pour toute humanité, enseigner, au fond, c’est s’enseigner ».

Si la France et l’Europe veulent pouvoir compter dans le monde de demain…

Nouvelle terrible pour notre industrie, pour Naval Group et ses sous-traitants, pour notre balance commerciale dont le déficit s’aggrave encore, pour les emplois et le savoir-faire français. Mais s’indigner ne suffit pas… Il faut en tirer les leçons.

  1. Ceux qui, en Europe, croyaient au retour d’un multilatéralisme rassurant, doivent ouvrir enfin les yeux : les États-Unis défendent leurs intérêts, comme toute puissance. Être leurs alliés ne nous dispense pas de l’effort nécessaire pour nous donner les moyens de nos objectifs. Si nous ne sommes pas capables d’assumer des rapports de force, même la signature d’un État, même l’engagement d’un pays ami, ne constituent pas une garantie. On peut le déplorer, bien sûr ; mais c’est un fait : à nous d’en tirer les conséquences. Dans ce cas, comme pour le Rafale écarté par la Suisse, l’excellence industrielle n’est pas en cause ; l’échec est donc politique. Il faudra analyser ce qui a manqué dans le suivi des contrats. Comme le dit le président, dans le haut niveau, on n’excuse pas un résultat décevant…
  2. Ce choix montre combien l’évolution de la Chine devient le paramètre majeur pour bien des États. Que valent nos garanties face à une puissance qui construit tous les quatre ans l’équivalent de notre marine ? Les pays européens n’ont pas encore conscience de l’ampleur du défi. Dans un moment crucial pour nos pays et le modèle démocratique, cette accélération montre combien les débats européens sont décalés, lents, indécis. Le fonds défense est un pas en avant ; mais il a fallu des années pour investir 8 milliards d’euros, rabotés en dernière minute… Au lieu d’entretenir le vieux rêve fédéraliste d’une « armée européenne », il faut maintenant se donner les moyens sérieux qui seront nécessaires pour que notre industrie de défense garantisse à nos démocraties leur autonomie stratégique. Personne ne nous y aidera ; à nous d’agir…
Aucune alliance ne nous exonère du travail indispensable pour retrouver les moyens de ne pas subir.
Si la France et l’Europe veulent pouvoir compter dans le monde de demain, nous allons devoir faire beaucoup plus, sur le plan militaire, industriel, diplomatique, intellectuel. Aucune alliance ne nous exonère du travail indispensable pour retrouver les moyens de ne pas subir.

La France en état d’urgence éducative

30 propositions pour sauver l’école, priorité absolue pour l’avenir

Cliquez ici pour accéder directement aux mesures

 

La catastrophe éducative très grave qui touche aujourd’hui la France est désormais largement reconnue. Les enquêtes internationales ne cessent de confirmer, dans tous les domaines, la situation désespérée dans laquelle se trouve aujourd’hui notre pays : son système scolaire, qui fut pourtant l’un des meilleurs au monde, échoue à transmettre les savoirs les plus fondamentaux. Dernier pays en Europe pour l’apprentissage des mathématiques, laissant un jeune majeur sur cinq en très grande difficulté de lecture, la France garde sans discontinuer depuis 2013 le record du système scolaire le plus inégalitaire socialement, au mépris de la promesse républicaine : en France, les enfants des familles modestes, qui paient le prix fort de notre échec collectif, sont condamnés à la relégation comme jamais auparavant.

A la veille de cette année politique décisive pour la France, il n’existe aucun sujet plus urgent que le relèvement de notre éducation.

  • Il détermine l’avenir de notre prospérité économique et de notre modèle social, qui ne pourra reposer que sur notre excellence en matière scientifique, technologique, culturelle, dans un monde de plus en plus gouverné par l’innovation et la recherche.
  • Il conditionne notre victoire contre l’archipélisation de la société française, la montée de la violence, et la lutte contre l’islamisme en particulier : aucune politique sécuritaire, aucun renforcement de l’arsenal judiciaire, ne pourront pallier un échec éducatif global. Nous ne reconstruirons une civilité partagée qu’en transmettant de nouveau une culture commune, qui puisse susciter l’aspiration de tous les jeunes Français.
  • Enfin, il constitue une urgence vitale du point de vue démocratique : aucun débat public n’est possible, aucune liberté véritable n’est permise, sans les fondements de raison et de culture qui permettent à un citoyen de participer pleinement à la vie civique.

La catastrophe éducative que nous traversons ne date pas d’hier : toutes les familles politiques qui ont gouverné dans les dernières décennies y ont leur part de responsabilité, et le quinquennat qui s’achève n’échappe pas à la règle… Tout est à reconstruire aujourd’hui. Ce constat est trop grave pour être utilisé comme une occasion de querelle politicienne ; il ne doit conduire qu’à une prise de conscience collective. C’est dans cet esprit que, après avoir tenté, parmi bien d’autres, de lancer l’alerte sur la gravité de la situation, j’ai voulu formuler des propositions concrètes, non exhaustives mais indispensables, en parallèle du travail déjà effectué par notre famille politique. L’éducation doit devenir le sujet majeur pour tous les Français, en cette année présidentielle ; de lui dépend en effet la survie de notre pays.

François-Xavier Bellamy

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Pass sanitaire : une remise en cause profonde et inédite de notre modèle de société

François-Xavier Bellamy - pass sanitaire

Tribune publiée dans Le Figaro du 15 juillet 2021 avec Loïc Hervé, sénateur de la Haute-Savoie et vice-président du parti Les Centristes. Photo : François BOUCHON/Le Figaro

Les libertés fondamentales, l’égalité des droits, l’amitié civique, ne sont pas des privilèges pour temps calmes : c’est un héritage qui nous oblige.

Depuis l’apparition du coronavirus, nous sommes passés par bien des expériences inédites, et nous avons vu vaciller, de confinements en couvre-feu, la rassurante et illusoire évidence de nos libertés publiques. Mais il ne faut pas se méprendre : la vraie rupture historique pour notre modèle de société date de lundi dernier, avec les mesures annoncées par le président de la République. Si nous nous sommes opposés, il y a plusieurs mois déjà, à la création du « pass sanitaire » par le Parlement européen et le Parlement français, c’est parce que nous refusons absolument le monde qui se dessine sous nos yeux.

S’opposer au pass sanitaire n’est pas être « anti-vaccin ».

Une précision d’abord, dans la confusion et les caricatures du moment : s’opposer au pass sanitaire n’est pas être « anti-vaccin ». La vaccination est un progrès scientifique prodigieux, et l’une des plus belles pages de l’histoire de notre pays est sans doute d’y avoir largement contribué à travers l’œuvre de Pasteur. Mais comment comprendre que cette tradition scientifique aboutisse à la déraison que nous constatons aujourd’hui ? Avec dix-huit mois de recul, nous connaissons désormais le coronavirus : nous savons chez quels sujets il provoque des formes graves, et lesquels il laisse indemne. 93% des victimes du coronavirus en France avaient plus de 65 ans ; 65% avaient un facteur de comorbidité. En-dessous de 40 ans, sans facteur de comorbidité, le risque de mourir du coronavirus est quasi inexistant. Pourquoi alors ne pas adopter la même stratégie de vaccination que celle qui a lieu chaque année face à la grippe saisonnière ? Rappelons que, sans susciter aucune opposition, plus de 10 millions de vaccins ont été administrés l’an dernier contre cette épidémie, majoritairement pour les personnes vulnérables, âgées ou présentant une fragilité particulière. Le nombre de morts est ainsi contenu chaque année, sans qu’il soit jamais question de vacciner toute la population tous les ans au motif qu’il faudrait éviter la circulation du virus. On ne traite pas les plus jeunes d’irresponsables égoïstes parce qu’ils ne se font pas vacciner contre la grippe ! Ce débat doit être mené sans simplisme et sans leçons de morale : oui, on peut être favorable aux vaccins, y compris à une campagne très large pour vacciner les personnes vulnérables face à cette épidémie, et affirmer que la stratégie de masse actuellement choisie semble hors de toute mesure : pourquoi faudrait-il vacciner un adolescent, qui ne risque absolument rien du coronavirus, au motif qu’il faut protéger les personnes âgées, si celles-ci sont vaccinées ? C’est faire complètement l’impasse sur le nécessaire arbitrage entre bénéfice et risque, y compris du point de vue collectif.

Mais là n’est même pas le problème essentiel, en un sens. Ce que nous n’accepterons jamais, c’est la transformation de nos vies quotidiennes, de nos relations humaines, de notre modèle de société, qui s’accomplira de manière certaine et probablement irréversible par la mise en œuvre du « pass sanitaire ». Pour la première fois dans notre histoire, il faudra présenter un document de santé pour effectuer les actes les plus simples du quotidien – prendre un train, entrer dans un magasin, aller au théâtre… L’accès à un espace public sera différencié selon vos données de santé. Comment une telle révolution peut-elle s’opérer avec une justification si faible , sans débats approfondis, en caricaturant tous ceux qui osent s’en inquiéter ? Rappelons pourtant combien ces contraintes inédites paraissaient inimaginables il y a encore quelques mois : lorsque certains s’inquiétaient que le vaccin puisse devenir le critère d’une existence à deux vitesses, on les traitait de complotistes. Lorsque le pass sanitaire a été créé, le gouvernement jurait que jamais, jamais il ne conditionnerait l’accès à des actes quotidiens – seulement à des événements exceptionnels réunissant des milliers de personnes. C’est d’ailleurs à cette condition explicite qu’un tel dispositif avait été accepté par les autorités administratives compétentes pour la protection des libertés ou des données privées. Le fait que l’État méprise à ce point la parole donnée, sur des sujets aussi graves et en un temps aussi court, a de quoi inquiéter n’importe quel Français sur l’avenir de la liberté.

Le fait que l’État méprise à ce point la parole donnée, sur des sujets aussi graves et en un temps aussi court, a de quoi inquiéter n’importe quel Français sur l’avenir de la liberté.

Car c’est bien tout notre modèle de société qui est aujourd’hui menacé. Si le gouvernement a la certitude que la vaccination générale est absolument indispensable, alors il devrait en tirer toutes les conséquences, et la rendre obligatoire. Nous ne pensons pas cela ; mais ce serait au moins, du point de vue démocratique, une décision plus loyale que l’hypocrisie de cette contrainte déguisée. Ce serait surtout éviter de basculer dans ce nouveau monde où l’État contraindra chaque citoyen à contrôler son prochain pour savoir s’il faut l’exclure. Le serveur d’un bistrot sera sommé de vérifier la vaccination et la pièce d’identité d’un client pour pouvoir servir un café ; les mariés devront demander un QR code à leurs invités avant de les laisser entrer ; le patron licenciera un employé s’il n’a pas de pass sanitaire. Et la police viendra sanctionner ceux qui n’auront pas participé efficacement à ce contrôle permanent. Qui peut prétendre qu’un tel dispositif permet de « retrouver la liberté » ? Ne pensez pas que, parce que vous êtes vacciné, vous aurez « une vie normale » : quand on doit présenter dix fois par jour son carnet de santé et sa carte d’identité, pour acheter une baguette ou faire du sport, on n’a pas retrouvé la liberté. Quand chacun doit devenir le surveillant de tous les autres, on n’a pas « une vie normale ».

Quand chacun doit devenir le surveillant de tous les autres, on n’a pas « une vie normale »

On nous dira qu’il faut choisir entre le pass sanitaire et le confinement généralisé : ce chantage est absurde. Dès lors que les plus vulnérables sont vaccinés, il n’y a aucune raison de revenir au confinement, aucune raison en particulier de fermer les amphis et d’enfermer les adolescents. Nous n’avons pas à choisir entre deux manières inutiles d’abandonner la liberté. Ce combat n’est pas individualiste, au contraire : c’est se sentir vraiment responsables d’un bien commun essentiel que de défendre cette liberté aujourd’hui gravement menacée. Il y a là un défi de civilisation : face aux modèles autoritaires qui triomphent ailleurs dans le monde, l’Europe et la France doivent montrer qu’une action publique efficace, même en temps de crise, n’impliquera jamais d’abandonner nos principes. Les libertés fondamentales, l’égalité des droits, l’amitié civique, ne sont pas des privilèges pour temps calmes : c’est un héritage qui nous oblige.


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La relégation du bac piège les plus déshérités

LE FIGARO. – Après avoir introduit une part importante de contrôle continu au bac, Jean-Michel Blanquer veut supprimer les épreuves communes à tous les lycées au profit de nouvelles modalités d’évaluation propres à chaque établissement, actant ainsi le passage à un « bac local ». Est-ce un moyen d’inciter «chaque élève à s’impliquer toute l’année dans ses apprentissages» comme l’ambitionne le ministère, ou l’ultime coup de grâce porté à cet examen ?

François-Xavier BELLAMY. – C’est un aveu, une manière d’admettre que le baccalauréat n’existe plus. On pouvait déjà le deviner au moment où Jean-Michel Blanquer avait annoncé la réforme du bac en 2018, l’organisation des épreuves communes dites E3C ressemblait à une usine à gaz aberrante qui ne pouvait être qu’une étape vers la suppression de cet examen national.

Une grande part du baccalauréat dépendra désormais uniquement des notes attribuées par les professeurs tout au long de l’année , sans aucune espèce d’anonymat, avec une dimension nécessairement relative à la notoriété des établissements qui accompagnera cette notation. En réalité, il s’agit de transformer le bulletin scolaire en bac.

Cet examen est devenu un mensonge d’État et Jean-Michel Blanquer l’enterre au lieu de tenter de le sauver, achève un malade quand il devrait le réanimer. Le ministre hérite, bien sûr, de la crise durable d’un système scolaire, mais pendant de longues années il y a très largement contribué en tant que directeur général de l’enseignement scolaire puis ministre de l’Éducation nationale pendant de longues années. Il ne peut donc pas être exonéré de sa responsabilité dans la situation actuelle.

Demain, les parents les plus malins, les mieux informés ne risquent-ils pas de déserter encore davantage les établissements moins réputés ? Se dirige-t-on vers un accroissement de l’hétérogénéité entre les lycées et les lycéens ?

Oui. Personne ne nous fera croire que c’est une nouveauté, tous les parents savent déjà que le fait de sortir d’un lycée plus ou moins coté aura une incidence sur l’orientation de leur enfant. Nous avons aujourd’hui le système scolaire le plus inégalitaire de l’OCDE, comme l’indiquent sans discontinuer les enquêtes Pisa publiées depuis 2013 ; dans notre pays, le parcours d’un élève est le plus directement prévisible à partir de son milieu social d’origine. C’est d’autant plus grave que la France s’est construite et vit toujours sur la promesse de la méritocratie, par l’accès universel à l’éducation et au savoir. Derrière cette promesse, il y a un mensonge et le bac est l’un des noms de ce mensonge.

Dans cette situation, Jean-Michel Blanquer avait deux options : tenter de redonner du sens au bac en reconstruisant en amont un système éducatif qui fonctionne et permette à chaque élève d’avoir accès au savoir, ou renoncer à cette ambition et achever de vider cet examen national de sa signification, aggravant ainsi la relégation qui piège les plus déshérités.

En présentant ses «ajustements» pour le bac 2022, le ministre de l’Éducation nationale a évoqué des modifications de coefficients pour les matières mais rien sur le contenu des programmes. Pourtant, toutes les études internationales montrent que le niveau des élèves français chute…

Après les E3C, l’introduction du grand oral et des épreuves de spécialité au bac, Jean-Michel Blanquer veut modifier les coefficients des épreuves. J’observe d’ailleurs une chose : pour pouvoir comprendre le lycée d’aujourd’hui, il faut avoir fait l’ENA ! Tout ceci ne fait que renforcer le fossé qui se creuse entre les personnes armées pour faire face à la complexité de plus en plus aberrante du système, et les autres. On vit l’exacte continuité du quinquennat Hollande et de l’action de Najat Vallaud-Belkacem au ministère de l’Éducation nationale, une époque marquée par une multiplication de dispositifs de cette nature dans la réforme du collège. Aujourd’hui, les parents ne comprennent plus rien à l’école de leurs enfants quand ce ne sont pas les professeurs eux-mêmes qui sont perdus.

Il s’agit d’un contresens total compte tenu de ce dont l’école avait besoin: un retour aux fondamentaux, à la transmission d’une culture générale solide. Au-delà de la réforme du bac, Jean-Michel Blanquer transforme en profondeur le lycée, en imposant le principe d’une spécialisation précoce, ; et cette transformation est d’autant plus violente que, dans un monde en pleine mutation, les élèves ont de plus en plus tard une idée de ce qu’ils vont faire de leur vie.

Jean-Michel Blanquer n’a cessé de dire et d’écrire que l’éducation se joue dans les petites classes et je suis d’accord avec lui. De ce point de vue là, si on ne commence pas par travailler à un système éducatif où tous les élèves apprennent à lire, écrire et compter à l’école primaire, on n’arrivera à rien au moment du bac, ; ce n’est même pas la peine d’essayer de régler un problème par sa conclusion. Le baccalauréat est supposé être l’évaluation de ce qui a été appris lors des quinze années précédentes, et si le dysfonctionnement commence quinze ans plus tôt, le baccalauréat ne peut qu’être le symptôme et le révélateur d’une faillite bien plus profonde.

L’ampleur des fautes d’orthographe choque au premier abord, puis viennent les défaillances en termes de structure logique dans la pensée. Professeur de philosophie, avez-vous constaté un déclin significatif des copies ?

Mon expérience n’est pas assez longue pour avoir observé par moi-même une dégradation progressive ; mais, ayant pourtant corrigé le baccalauréat plusieurs années, je n’ai jamais vu ce que des collègues me racontent aujourd’hui des copies qu’ils ont sous les yeux. France Inter a même fait état de la stupéfaction de nombreux professeurs face à la proportion très importante de « non-copies », des devoirs quasi inexistants, rendus seulement pour faire acte de présence. Des élèves écrivent qu’ils s’excusent de devoir partir vite, ou qu’ils en ont assez de travailler. De fait, avec le contrôle continu, la plupart arrivent en sachant déjà qu’ils ont le bac ; pourquoi se donner du mal ?

On atteint le point où le mensonge est, de toute façon, connu de tous, et les élèves ne se donnent même plus la peine de faire semblant. Une statistique intéressante à surveiller, c’est le temps passé dans la salle d’épreuve. Il est obligatoire de rester une heure sur place pour ne pas être déclaré absent ; cette année, un nombre très substantiel de candidats au bac sont partis dès la première minute de liberté accordée.

La situation a-t-elle une chance de s’améliorer dans les prochaines années ? Comment remédier à ces lacunes profondes chez certains élèves ?

Non seulement nous le pouvons, mais c’est absolument nécessaire pour la survie de notre pays. Le recul de notre système éducatif est sidérant, alors que le modèle français a longtemps été un des plus efficaces du monde et a inspiré de nombreux pays. Désormais il nous faut nous inspirer de ce qui se fait ailleurs pour retrouver la capacité de transmettre ; mais nous devons aussi puiser dans notre tradition pédagogique, et le baccalauréat en est un pilier important. Il représente l’exigence dans l’universalisme, le respect du mérite, de l’effort et du travail quel que soit le parcours de l’élève, son histoire ou son identité. Le baccalauréat fait partie de la culture française ; à l’exact opposé, Jean-Michel Blanquer est en train d’imposer un dérivé médiocre de la culture anglo-saxonne, celle qui choisit la spécialisation au lieu de l’enseignement général, la compétence au lien de la connaissance, la professionnalisation à la place de la formation personnelle et de la construction de la pensée.

Le problème est que nous aurons demain les faiblesses du système américain, sans en avoir les forces. Les Américains ont un tronc commun et une culture générale assez fragiles jusqu’à l’enseignement secondaire, mais leur système universitaire repose sur une spécialisation très avancée, avec une sélection extrêmement exigeante (pour partie intellectuelle mais aussi pour partie censitaire), et des moyens gigantesques dans l’enseignement supérieur. Chez nous, des universités paupérisées sont sommées d’absorber les conséquences de ce mensonge qu’est le bac : elles sont les seules formations obligées de recevoir les dizaines de milliers de lycéens auxquels l’éducation nationale a conféré le « premier grade universitaire » sans jamais leur donner les capacités élémentaires pour poursuivre des études supérieures. Dans les faits, les facultés continuent de leur mentir pendant trois ou quatre ans, le temps d’une licence, voire d’une première année de master.

Sur Twitter, j’ai été marqué par le hashtag #EtudiantsSansMaster . Il s’agit d’étudiants qui se révoltent car ils n’ont pas de place en master. Mais comment en serait-il autrement ? Environ 300 000 bacheliers entrent chaque année à l’université: 60 % d’entre eux ne valident pas leur première année de licence… Beaucoup ont de sérieuses lacunes dans la maîtrise de l’écrit : 20% des jeunes majeurs en France ont des difficultés de lecture. Beaucoup persévèrent pourtant, jusqu’au master. À ce moment-là, nécessairement, une sélection finit par s’opérer, et ces jeunes-là deviennent les dindons de la farce. Pourtant, ils ont fait ce qu’on leur demandait, ils ont joué comme ils le pouvaient le jeu de la promesse qui leur était faite par l’institution, et à la fin ils n’ont malheureusement aucune chance de trouver une place qui corresponde au talent qu’ils avaient certainement en eux mais que notre école ne leur a pas permis d’accomplir.

Bioéthique : la gravité de ce qui se joue aujourd’hui reste sous-estimée.

Texte écrit avec Pierre Manent et Elisabeth Geffroy, initialement paru dans Le Monde le lundi 28 juin 2021.

Le projet de loi bioéthique revient en lecture définitive à l’Assemblée nationale. Malgré trois ans de discussions, son contenu est encore très largement méconnu des Français, la mesure phare qu’est l’ouverture de la PMA aux femmes seules et aux couples de femmes ayant monopolisé l’attention. Qui, même au sein des médias, sait réellement ce qui se prépare à travers les évolutions nombreuses et majeures que ce texte autorisera ? L’ignorance est telle que lorsque, en octobre 2019, les chroniqueurs de l’émission Quotidien avaient relayé une intervention sur ce projet de loi, ils l’avaient spontanément analysée comme un tissu de désinformation complotiste ; il s’agissait en fait d’une description factuelle des « avancées » proposées par les députés de la majorité. L’autorisation de créer des embryons chimériques mêlant des cellules humaines et animales avait, par exemple, paru trop improbable aux journalistes pour qu’ils vérifient de quoi il retournait : elle a pourtant bien été votée de nouveau en commission au début du mois de juin.

Le faible intérêt pour les considérations éthiques qui s’attachent à des actes très techniques explique sans doute que les manipulations génétiques, pourtant bien présentes dans le projet de loi, aient été si peu évoquées dans le débat public. Sur des questions aussi décisives, la controverse n’a jamais cessé, mais la gravité de ce qui se joue aujourd’hui reste essentiellement sous-estimée : c’est pourquoi il nous semble indispensable de revenir ici sur les enjeux humains majeurs de ce texte.

Chimères, embryons transgéniques, ciseaux génétiques CRISPR-Cas9, bébés-médicaments, auto-conservation des ovocytes sans motif médical, gamètes artificiels… : ces techniques touchent, à la fois physiquement et ontologiquement, à ce qui constitue le cœur de notre condition humaine. D’abord parce qu’elles menacent l’intégrité et la protection de notre identité génétique : via la technique du ciseau moléculaire, on fabriquera désormais des embryons transgéniques, par suppression et remplacement de morceaux d’ADN créant des modifications génétiques transmissibles à la descendance – sans que personne ne maîtrise les mutations ultérieures… Ensuite parce qu’elles sont une violation de la frontière entre les espèces, permettant, avec la création de chimères, l’implantation de cellules humaines dans des embryons animaux, pour fabriquer demain des cochons, des souris ou des singes dotés d’organes humains. Enfin parce qu’elles sont une renonciation supplémentaire au principe du respect de la personne comme fin en soi, une objectivation des êtres humains utilisés comme moyens : les « bébés-médicaments » seront conçus par FIV et sélectionnés pour être immuno-compatibles avec leur frère ou leur sœur atteint de maladie génétique, et ainsi transformés en êtres dont l’existence a pour seules origine et fin de servir d’instrument de guérison à un autre qu’eux – soit la définition même d’une réduction au rang de pur moyen.

Dans le choix politique d’autoriser de tels actes, se décide la place que nous donnons collectivement à la vie humaine. Car les principes qui sous-tendent ces choix sont très clairs : ce texte abat les garde-fous que la loi avait maintenus, encourageant et facilitant la manipulation de la vie humaine, malgré tous les risques avoués ou encore inconnus, le tout avec pour seule raison que ce qui est techniquement possible doit finir par être permis. Autant dire que la France, dont le modèle bioéthique constituait une référence dans le monde démocratique, consent d’avance à toutes les mutations que la science permettra, et renonce au principe même de la responsabilité politique, qui est de décider de la règle commune. Seule compte désormais la rentabilité : l’utilisation de cellules-souches d’un embryon humain pour la recherche, par exemple, n’était autorisée que si aucune autre technique n’était possible eu égard à la finalité poursuivie ; cette condition est abandonnée. Pourquoi abandonner cette exigence minimale, au moment précis où des méthodes alternatives aux manipulations de cellules embryonnaires se développent ? L’explication semble hélas simple : ces méthodes alternatives sont plus coûteuses… Derrière la mise en scène du « progressisme » en marche, la logique du marché gagne des pans de la vie humaine qui lui restaient encore indisponibles.

Toute nouveauté n’est pas nécessairement bonne en soi. Il nous appartient comme citoyens de décider des contours du monde humain dans lequel nous désirons vivre, au lieu de laisser la technique arbitrer et agir à notre place. La prise de conscience écologique a consisté à découvrir précisément cela, un peu tard : l’étendue inédite de notre capacité technique, loin de nous rendre maîtres de notre destin, nous oblige aujourd’hui à un immense effort pour reprendre le pouvoir sur notre propre pouvoir. A l’inverse, s’obliger à un vrai discernement moral et politique ne fait pas de nous des timorés incapables de progrès, mais des agents libres qui se reconnaissent le devoir de se dominer eux-mêmes avant de prétendre dominer le monde et la nature. Etrange paradoxe que cette tendance à déréguler les manipulations et expérimentations menées sur l’homme, au moment où nous réapprenons envers l’environnement le sens de la mesure, la nécessité d’une auto-limitation, l’obligation d’anticiper les conséquences des mutations que nous imposons à des équilibres vulnérables et nécessaires à la vie… Pourquoi oublier soudainement le principe de précaution, surtout lorsque sont concernés les ressorts les plus profonds, intimes et fragiles de l’être humain ? Tenons-nous à ce point à faire du corps humain le prochain objet de notre démesure technique, et reproduire sur lui des erreurs déjà commises contre la nature ? N’avons-nous vraiment rien appris ?