Ecologie, institutions, recomposition politique, tensions communautaristes… Entretien au Point.

Photo de François-Xavier BellamyCrédit photo : Le Point / Élodie Grégoire

Entretien au Point paru le 6 juillet 2020. Propos recueillis par Jérôme Cordelier.

Emmanuel Macron a-t-il suffisamment tiré les leçons de la crise ?

L’avenir le dira. De façon générale, et avec Emmanuel Macron en particulier, seuls les actes comptent et les paroles fluctuantes ne permettent pas toujours d’établir des convictions. Le projet du macronisme était d’adapter la France à la mondialisation. A l’inverse, la ligne que nous avons défendue pour l’élection européenne, c’était la nécessité vitale de réorienter la mondialisation, pour réapprendre à produire ce dont nous avions besoin. Ce message a été tragiquement confirmé par la crise sanitaire, qui a révélé combien nous étions démunis. Aujourd’hui, le président qui a cédé Alstom énergie, Technip ou Alcatel, et qui vient de fermer Fessenheim, parle de retrouver notre autonomie nationale : peut-on le croire ? Le « nouveau monde » s’est dissous dans l’épreuve d’une crise qui nous a rappelé brutalement à l’essentiel : comme je l’avais écrit dans Demeure, la première vertu politique n’est pas le rêve de tout changer, mais la prudence, l’effort nécessaire pour préserver ce qui doit l’être, et pour protéger les personnes face aux chocs de l’histoire. Protéger était le mot interdit pour le macronisme 2017 : « le protectionnisme, c’est la guerre », affirmait Emmanuel Macron. Maintenant, il explique que la délocalisation « a été une folie ». Que faut-il croire ? Nous sommes à un moment décisif, et il faudrait un cap enfin clair et courageux pour les deux années qui viennent ; mais il est difficile de l’espérer.

Le nouveau Premier ministre Jean Castex peut-il changer les choses ?

Je lui souhaite bon courage ! Mais tout le monde sait que la politique menée à Matignon ne s’est jamais autant décidée à l’Elysée ; les inconsistances du macronisme ne disparaîtront pas dans l’agitation d’un remaniement, quel qu’il soit.

La France se trouve-t-elle à un moment charnière de son histoire ?

Je fais partie d’une génération qui a découvert le monde à travers le mot de crise : économique, sociale, éducative, écologique… Partout où notre regard se pose, nous trouvons une crise. Le mot « Krisis », en grec, ne veut pas dire « catastrophe », mais « décision ». En ce sens, même si la France a bien sûr connu des moments plus dramatiques, elle a sans doute vécu peu de moments aussi critiques : nous sommes vraiment à un point de bifurcation. Notre pays est en voie de déclassement sur tous les plans. Cette crise a révélé la grande faiblesse de l’État, qui est apparu démuni. L’image que nous avons de la puissance publique est comme la persistance rétinienne d’un pouvoir désormais disparu. Nous touchons du doigt la faiblesse de nos capacités dans le domaine de la santé, de l’industrie, de la défense, de la sécurité, ou encore de l’éducation. Je le dis comme beaucoup de collègues enseignants depuis des années, et cette crise le confirme : malgré l’engagement de bien des professeurs et des élèves, cette improbable session 2020 restera dans notre histoire comme une preuve de ce que nous savions tous déjà, le bac est devenu une immense fiction collective.

Les taux d’abstention record au deux tours des élections municipales sont-ils le signe d’une crise politique structurelle ?

L’abstention est clairement le fait le plus marquant de ce scrutin. Entre les votants du second tour de 2014 et ceux du second tour de 2020, près de cinq millions d’électeurs se sont volatilisés. Il est difficile de comparer les deux scrutins, bien sûr, car il faut le rapporter au nombre de communes concernées par un second tour. Mais entre les deux scrutins, cela représente 20 points d’abstention en plus : c’est considérable. De plus en plus de Français se sentent totalement détachés de ce qui se passe dans la vie politique, jusqu’à l’échelon local qui suscitait encore la confiance des Français. Avec une si faible participation, se sentiront-t-il encore représentés par leurs élus locaux ? La désaffection des urnes est préoccupante. Elle traduit une sécession démocratique. Beaucoup de Français ne croient plus que la politique puisse agir, et leur permettre de maîtriser leur destin. Elle semble simplement devenue un théâtre d’ombres, un jeu de miroirs entre des communicants et des observateurs. Et cet artifice de communication permanente leur paraît n’avoir aucune prise sur le réel. De ce point de vue, les contradictions du « en même temps » macronien, y compris dans la gestion de la crise, auront contribué à abîmer plus que jamais la crédibilité de la parole publique.

Tout le monde a salué votre indulgence, dans une interview à Sud Radio, à l’égard de la porte-parole du gouvernement Sibeth Ndiaye pour des propos qui ont fait polémique, mais qui avait été déformés, ce que vous avez souligné. Avez-vous été surpris par ces réactions ?

Ce n’était pas de l’indulgence, simplement la vérité : je ne soutiens pas Sibeth Ndiaye, mais elle était attaquée pour ce qu’elle n’avait pas dit, même si beaucoup critiquaient de bonne foi ce qu’un extrait tronqué laissait croire. En répondant simplement cela, je n’aurais jamais imaginé susciter autant d’écho. J’ai été touché par les nombreux messages positifs que cela m’a valu, bien sûr, mais en même temps j’en ai été catastrophé. Si l’on y réfléchit bien, ce qui s’est passé est même terrifiant : un responsable politique ne s’engouffre pas dans la brèche d’une polémique infondée, et cela suffit à provoquer une sorte de stupéfaction ! C’est le symptôme d’une situation très inquiétante : la conversation civique s’est transformée en une cascade d’indignations successives, et il semble admis que le débat politique n’a normalement plus de rapport avec la vérité. Des gens dans le métro ou dans la rue m’arrêtent pour me dire : « On vous aime bien parce que vous pensez ce que vous dites. » Mais comment se fait-il que la sincérité apparaisse comme une rareté ? Le principe même de la démocratie suppose que chacun dise ce qu’il pense, sans quoi tout dialogue est par principe impossible. Nous sommes devant le problème décrit par Kant : une action mauvaise n’est pas universalisable. On peut penser une conversation dans laquelle tout le monde dit la vérité ; mais dans une société où tout le monde ment, le mensonge même devient impossible. Le mensonge n’est efficace en effet que s’il est cru. S’il est admis que tout le monde ment, alors mentir n’a plus d’effet. Notre démocratie est aujourd’hui en état de quasi-impossibilité, puisque un politique est réputé mentir. Quand Emmanuel Macron affirme : « Je vais me réinventer », cela ne sert plus à rien : il n’y a plus que les éditorialistes parisiens pour s’y intéresser. Les Français sont devenus indifférents, et cette indifférence est un immense problème.

Je vois qu’au Parlement européen vous n’avez rien perdu de votre candeur…

Il est quand même incroyable qu’affirmer la nécessité de la sincérité soit perçu comme de la candeur. Le fait de croire à ce que vous dites ne vous empêche pas d’ailleurs de vous révéler bon manœuvrier, habile tacticien, de mener des batailles et d’engager des rapports de force. C’est ce que je fais tous les jours à Bruxelles. Il ne s’agit pas d’être un bisounours. Mais pour que l’action politique ait un sens, il faut qu’elle soit orientée par ce que l’on croit vrai et juste. Le divorce de la politique avec la vérité est tel qu’elle y a perdu son essence même.

On peut chercher la vérité en politique ?

Mais… on ne devrait faire que ça ! Chercher la vérité et la justice, y compris dans les débats que la politique suscite. Je ne suis bien sûr pas seul à percevoir ainsi cet engagement : pendant douze ans comme adjoint au maire dans ma ville, j’ai été frappé de voir l’intégrité et la générosité de tant d’élus locaux qui, avec patience et discrétion, travaillent pour leur collectivité : c’est par leur constance que la France tient debout. Au Parlement européen, je côtoie aussi bien des politiques qui s’engagent avec abnégation et rigueur. En politique, comme dans toute société, et comme en soi-même bien sûr, on rencontre ce qu’il y a de plus médiocre mais aussi de meilleur en l’humain. La configuration du débat politico-médiatique a généralement pour postulat implicite que le politique suit seulement ses intérêts et ceux de sa clientèle. Cette représentation est à la fois fausse, et inquiétante : elle signifie que la délibération collective n’est qu’une fiction, qui ne permet jamais d’échapper réellement à la guerre de tous contre tous.

Le vote écologiste est-il un vote de contestation ou d’adhésion ?

Indéniablement, un peu des deux. La question écologique est majeure. La droite a été fautive de ne pas la travailler plus tôt. Elle a longtemps considéré que c’était une question périphérique ; or elle est centrale : l’un des défis essentiels de la politique est aujourd’hui la préservation des conditions de la vie humaine pour les générations futures – et la préservation de la beauté du monde et de la condition humaine en font d’ailleurs partie. Le mot de conservatisme m’a été souvent attribué, peut-être pour mieux m’y enfermer ; mais l’écologie est un conservatisme. Et dans la tradition intellectuelle et philosophique de la droite, elle aurait dû être une évidence. Pour l’avoir trop longtemps délaissée, nous voyons progresser aujourd’hui une écologie politique qui est à l’inverse l’expression d’un rejet : contestation d’un système économique, de notre capacité à inventer et à produire et, au final, de la place même de l’humain dans la nature. C’est d’ailleurs le talon d’Achille de cette écologie politique : elle peine à dessiner un avenir plutôt qu’à désigner des coupables. En recyclant la vieille passion marxiste pour la révolution, elle refuse la société dont il s’agirait de prendre soin.

Ne trouvez-vous pas curieux qu’Emmanuel Macron se présente à la fois comme un apôtre de la décentralisation et se soit totalement désintéressé des élections municipales ?

Mais Emmanuel Macron n’est pas du tout un apôtre de la décentralisation ! Tout le monde l’a décrit comme un libéral. En réalité, il est très étatiste, jacobin, centralisateur. Pour moi, il incarne moins le libéralisme qu’une forme de technocratie qui rêvait de dépolitisation. La fin des clivages, le « en même temps », c’était une manière de remplacer la politique par la gestion, de dissoudre l’autonomie du politique dans la centralisation bureaucratique. Le rapport d’Emmanuel Macron aux communes est à ce titre très intéressant. La suppression de la taxe d’habitation, par exemple, c’est une rupture historique avec la libre administration des communes, principe qui date de bien avant la révolution française. Cette vision est totalement anti-libérale. Pour ma part, je crois que la renaissance de la France passera par la liberté et la responsabilité. Cela inclut l’Union européenne, bien sûr : si l’on soutient la décentralisation, pour retrouver une décision politique ancrée dans la proximité et la subsidiarité, il est absurde de s’enferrer dans un mythe fédéraliste périmé. C’est pourtant ce que fait Emmanuel Macron quand il parle de souveraineté européenne, et quand il met en œuvre un emprunt commun européen : cet emprunt va conférer une autorité budgétaire inédite à la commission européenne, éloignant encore la décision politique du terrain.

Sur quels combats votre parti, Les Républicains, doit-il fonder son projet politique ?

La question de l’organisation de l’action publique est importante mais elle ne peut être centrale. Nous ne convaincrons pas les Français en leur parlant de réformes institutionnelles, mais des défis politiques concrets qui nous attendent. Il s’agit maintenant de sauver la possibilité de vivre et de bien vivre en France. De rétablir l’autorité de l’Etat, tellement défaillant quand on voit que les bandes rivales maghrébines et tchétchènes qui s’affrontent dans le centre de Dijon signent la paix dans une mosquée sous le regard impuissant des forces de l’ordre – ce qui s’est passé là devrait être un sujet de sidération nationale ! Il faut retrouver notre capacité de produire et de travailler, ce qui veut dire réorienter en profondeur l’Union européenne, pour qu’elle redéfinisse son rapport à la mondialisation, qu’elle sorte de sa naïveté. Un immense travail nous attend pour retrouver notre autonomie dans tous les domaines, pas seulement dans la santé. Prenez, par exemple, la question de l’alimentation : notre balance commerciale en matière agricole est déficitaire, pour la première fois depuis longtemps. La France, malgré sa tradition rurale exceptionnelle, importe désormais plus de produits agricoles qu’elle n’en exporte. C’est le symptôme d’un échec politique majeur, et une vraie menace pour notre souveraineté à l’avenir. Il ne faut pas agir pour éviter la crise passée, mais pour éviter la prochaine… Enfin, et l’essentiel est sans doute dans l’urgence du long terme, si la droite est fidèle à son identité, elle fera tout pour rétablir la transmission entre les générations, pour offrir à nos enfants à la fois la nature et la culture que nous avons reçues et qui sont toutes deux conditions de leur avenir commun.

Dans les polémiques actuelles que charrient les déboulonnages des statuts ou les manifestations « racialistes », voyez-vous un « mémoricide », selon l’expression de Philippe de Villiers ?

C’est une question sur laquelle j’ai tenté d’alerter avec mon livre « Les déshérités », en 2014, soulignant qu’une génération s’était abstenue de transmettre à la suivante ce qu’elle avait reçu. Aujourd’hui, de cette rupture, on paie le prix politiquement. La crise éducative aura un coût démocratique majeur. Etre citoyen suppose de maîtriser la langue commune pour prendre part à la délibération : un Français sur cinq a des difficultés dans la lecture à 18 ans. Etre citoyen nécessite aussi d’avoir des éléments de référence, de comparaison dans le temps, dans l’espace. Je ne sais pas s’il faut parler de « mémoricide », mais il y a une réalité très concrète : les jeunes Français n’ont plus de mémoire, et on voudrait détruire dans leur conscience tout attachement à une mémoire collective, toute capacité à se relier à une histoire qui dure. On veut leur imposer d’être les enfants de personnes. Il ne s’agit pas d’engager une discussion critique sur l’histoire : elle a toujours existé, et c’est une nécessité absolue. Mais des mouvements essaient là de rompre tout lien à une mémoire commune, une mémoire partagée. Quand on met sous cloche la statue de Churchill au cœur de Londres ou que l’on dégrade celle de de Gaulle, c’est que l’on a choisi d’organiser dans les cœurs et dans les esprits une rupture radicale. Et celle-ci prospère sur l’ignorance et ce que cette ignorance produit de pire : une absence totale d’humilité, une arrogance hallucinante à l’égard de l’histoire. Celui qui a appris la complexité de notre passé, celui qui a reçu de ses aînés ne peut pas se comporter avec une telle condescendance et suffisance. On a envie de dire à ceux qui déboulonnent les statues, commencez par donner au monde un peu de ce que ceux que vous attaquez ont su lui offrir. Vous aurez alors conquis le droit de parler.

Sauver notre pays de la fracturation définitive qui le menace.

Tribune parue dans Le Figaro le 15 juin 2020.

Les récentes manifestations « antiracistes » sont un symptôme supplémentaire du mal profond qui traverse la société française. Ce mal est mortel. La tâche essentielle de la politique, dans les trente années à venir, sera de sauver notre pays de la fracturation définitive qui le menace ; le reste est presque accessoire. Peut-être est-il déjà trop tard ; mais dans l’incertitude, nous n’avons pas d’autre choix que de nous engager de toutes nos forces, avec l’espoir qu’il nous reste une chance, et assez de temps pour la saisir.

La France devient une juxtaposition de communautés sans plus rien qui nous attache, une collection de rancoeurs et de ressentiments, une conjugaison de conflits : blancs contre racisés, hommes contre femmes, urbains mondialisés contre exclus déphasés – coupables contre victimes… Chacun est réputé agir et parler pour ses intérêts. Peut-il encore exister entre nous la conscience d’un bien commun ?

Peut-être est-il déjà trop tard ; mais dans l’incertitude, nous n’avons pas d’autre choix que de nous engager de toutes nos forces, avec l’espoir qu’il nous reste une chance, et assez de temps pour la saisir.

La French theory des années soixante-dix a expédié aux Etats-Unis une nouvelle version de la lutte des classes, qui nous revient aujourd’hui en boomerang. Le principe est simple : la société occidentale se définit comme une somme de violences qui opposent des coupables absolus à des victimes ontologiques. Nous ne sommes plus une assemblée de citoyens délibérant sur notre avenir commun, nous sommes des salauds ou des cibles – quelle que soit notre intention : le racisé est racisé même s’il ne se pense pas victime. Le blanc est coupable d’user d’un privilège indu même s’il ne l’a jamais voulu. Le racisme n’est plus la propriété d’un fait précis qu’il s’agirait de qualifier, c’est un « système » qui explique la société. Et qui explique même le fait que certains osent contester cette explication – ils la nient car ils sont racistes.

Cette impasse idéologique autorise tous les raccourcis. George Floyd, un homme noir, meurt à Minneapolis au cours d’une interpellation ; une semaine plus tard, on défile à Paris pour condamner les policiers français. « Flics, violeurs, assassins ». Quand il s’agit de policiers, l’amalgame est autorisé ; tout le monde se serait indigné, et à raison, si une telle généralisation visait n’importe quel autre groupe social suite à un meurtre à l’autre bout du monde… Ici, la culpabilité collective n’a même pas besoin de faits. Au besoin, on les inventera, comme cette chanteuse qui affirmait sans ciller sur le plateau de France 2 que « des hommes et des femmes se font massacrer par la police quotidiennement en France, pour nulle autre raison que leur couleur de peau ». Le réel n’existe plus : seul compte le ressentiment. Et peu importe que chaque année des policiers et gendarmes donnent leur vie en mission pour leur pays : leur mémoire ne pèse pas lourd dans l’esprit d’une génération bloquée depuis des années dans sa crise d’adolescence collective, qui se croit courageuse de scander que « tout le monde déteste la police ». Insultes puériles et affligeantes, mais suivies de violences bien réelles : samedi, un policier et sa compagne ont été agressés chez eux aux cris de « Sales flics ». On attend encore l’indignation collective…

Le réel n’existe plus : seul compte le ressentiment. Et peu importe que chaque année des policiers et gendarmes donnent leur vie en mission pour leur pays : leur mémoire ne pèse pas lourd dans l’esprit d’une génération bloquée depuis des années dans sa crise d’adolescence collective, qui se croit courageuse de scander que « tout le monde déteste la police ».

Si des injustices sont commises, dans la police comme ailleurs, elles doivent être condamnées, et c’est à la justice d’agir. C’est le principe même de l’état de droit. Mais il n’y a pas d’« injustice systémique », et toute présomption de culpabilité est une faute grave (à cet égard, le concept de « soupçon avéré de racisme » brandi par Christophe Castaner contre ses propres fonctionnaires est profondément inquiétant). Le premier devoir du gouvernement est de garantir ce principe fondamental. Cela suppose de donner à notre justice, oubliée chronique de nos politiques publiques, les moyens de mener à bien sa mission de façon digne, réactive, efficace, humaine : une justice impuissante ou discréditée laisse place à la violence, et nous le constatons quotidiennement désormais. Il faut ensuite refuser de céder d’un pouce à ceux qui voudraient que la colère puisse avoir le dernier mot sur les institutions. En la matière, le pouvoir aura fait exactement ce qu’il ne fallait pas : il aura suffi d’une manifestation interdite pour que la ministre de la Justice, à la demande de l’Elysée, se propose d’intervenir dans une affaire en cours, contrairement à toutes les règles. En affirmant peu après que l’interdiction de manifester restait de droit, mais qu’elle ne serait pas appliquée, le ministre de l’Intérieur lui-même a retiré toute force à la loi, au motif que « l’émotion » lui serait supérieure. On ne peut imaginer une formule plus claire pour abandonner l’état de droit.

Il peut sembler rassurant qu’Emmanuel Macron ait nommé le danger, en désignant le « séparatisme » qui voudrait fracturer la France. Mais pourquoi alors lui avoir offert un tel boulevard ? Et pourquoi continuer d’agir en relayant le vocabulaire des « décoloniaux » ? Le ministre Julien Denormandie affirmait ce dimanche dans un interview qu’il fallait imposer des formations obligatoires à l’antiracisme tous les trois ans pour certains professionnels, validant le soupçon de « racisme systémique », ou encore organiser la diversité dans le milieu audiovisuel – c’est-à-dire imposer des quotas par couleurs de peau… Quelle différence avec Aïssa Maïga qui disait « compter les noirs dans la salle » en montant sur scène lors de la dernière cérémonie des Césars ? Ils compteront jusqu’à ce que le talent, la générosité, l’engagement, la liberté aient été écrasés derrière l’assignation identitaire. Jusqu’à ce que plus aucune personne de couleur ne puisse réussir son chemin sans être regardée comme un quota à remplir. Jusqu’à ce que l’épidémie de ressentiment ait fini de dissoudre la France en communautés concurrentes dans la surenchère victimaire. Décompte sans issue, dernier inventaire avant liquidation.

La France n’est pas à la disposition des vivants, nous la recevons de l’effort des générations précédentes, qu’il nous appartient de transmettre. C’est ce que nous a fait oublier notre faillite éducative, que nous paierons longtemps encore.

La survie de la France impose de refuser cette dérive. De retrouver d’abord le sens de ce que nous lui devons, et non de ce qu’elle nous doit. De rétablir la possibilité d’un authentique débat en refusant le délire racialiste qui sépare, et en retrouvant les exigences rationnelles et factuelles qui sont la condition d’une démocratie saine. Et de refuser qu’on prétende régler ses comptes avec notre histoire, notre culture, notre modèle de société, notre manière de vivre, notre civilisation : la France n’est pas à la disposition des vivants, nous la recevons de l’effort des générations précédentes, qu’il nous appartient de transmettre. C’est ce que nous a fait oublier notre faillite éducative, que nous paierons longtemps encore : face à la crise sociale comme à la crise écologique, dans le double déséquilibre de la nature et de la culture, nous avons fait naître une génération privée d’une langue structurée, condition de toute pensée rationnelle et de toute sensibilité nuancée, une génération démunie de recul historique, qui n’éprouve pas de gratitude et se regarde d’abord comme victime irresponsable dans un manichéisme absolu. Pour éviter que la France ne sombre dans le conflit communautaire, l’urgence absolue est de reconstruire une éducation qui transmette à chacun, quelque soit son origine, un héritage commun et le sens de la responsabilité partagée qu’il nous impose envers l’avenir. Là encore, la tâche est immense, et tout est encore à faire. Espérons que l’histoire nous laissera assez de temps pour cela.

Photo : EP / DAINA LE LARDIC


Intervention en séance plénière le 17 juin 2020, à l’occasion d’un débat sur l’anti-racisme en Europe, en vue de l’examen d’une résolution portée par des députés du Parlement européen :

Pour reconstruire, sortir du mensonge.

Tribune écrite avec Bruno Retailleau et Damien Abad, parue* dans Le Figaro le 6 juin 2020.


Avec la fin du confinement, vient le moment de reconstruire. La France n’est pas sortie de l’épreuve, au contraire. Et comme souvent dans notre histoire, cette épreuve est d’abord une épreuve de vérité. Ce n’est pas tant le virus qui nous a terrassés, que le poids des mensonges accumulés depuis tant d’années. Nous ne surmonterons pas cette crise sans regarder la réalité en face.

La première vérité, c’est que dans la crise sanitaire, ce sont les derniers de cordée qui ont tenu le pays à bout de bras. Le « vieux monde » a permis à la France de tenir. De la caissière au médecin généraliste, de l’agriculteur au gendarme ou au policier, du chauffeur routier au maire rural, ils étaient les oubliés et parfois les réprouvés du macronisme : pas assez mobiles, disruptifs, pas assez “start-up nation”… Ces oubliés sont pourtant ceux qui ont assuré l’essentiel dans l’épreuve, quand tout semblait menacé.

La seconde vérité, c’est que l’Etat a failli. Malgré les énergies et les efforts exceptionnels déployés sur le terrain, il n’a pas su garantir les masques et les tests en quantité suffisante pour endiguer l’épidémie. Nos aînés dans les maisons de retraite sont morts, de la maladie, dans la solitude, et parfois même de la solitude elle-même à laquelle cette pénurie les a contraints. Alors que d’autres pays européens avaient déjà repris une vie normale, notre économie est longtemps restée figée – et chaque jour de cette glaciation va se payer en précarité, en chômage, en faillites. L’Etat s’est révélé incapable d’anticiper, de réagir, d’organiser, bref : de faire ce qu’on attend d’un Etat. L’hypertrophie administrative a asphyxié depuis trop longtemps les priorités régaliennes.

La vérité enfin, c’est que notre nation s’est affaiblie. Pour le malheur des Français, on leur a longtemps expliqué que la mondialisation était forcément heureuse. Qu’on pouvait se passer de fabriquer des médicaments chez nous, puisqu’il y en avait en Chine. Qu’il n’y avait plus besoin de frontières pour nous protéger. Que le progrès perpétuel et la technologie sans frein nous dispensaient de prendre nous-mêmes notre destin en main. Les Français ont été bercés d’illusions, et ces illusions nous ont entraînés sur la pente du déclin.

L’hypertrophie administrative a asphyxié depuis trop longtemps les priorités régaliennes.

Maintenant, il nous faut réagir. Nous avons besoin d’un sursaut national. Car notre salut ne dépendra que de nous.
Quel parent, quel professeur, quel chef oserait dire qu’on peut sortir d’une épreuve par la facilité ? Jamais un peuple n’a surmonté une crise sans un surcroît d’effort.

Ces efforts, c’est d’abord d’en haut qu’ils doivent venir. Nous pouvons faire le constat de faillite de ce millefeuille administratif qui a dispersé les moyens tout en compliquant la décision et en décourageant l’initiative. Notre Etat, qui prélève plus sur le travail des Français qu’aucun autre au monde, n’a même plus les moyens d’assumer ses missions élémentaires. Il est urgent que la puissance publique arrête de compliquer le quotidien des Français, et se concentre enfin sur l’essentiel. L’essentiel, c’est retrouver notre capacité d’agir, au lieu de subir une compétition perpétuellement déséquilibrée avec le reste du monde ; c’est construire une stratégie de long terme au lieu de céder continuellement aux calculs tactiques du moment. C’est reconquérir notre souveraineté. C’est pourquoi notre famille politique devra imposer un profond changement des règles européennes sur la concurrence, mais aussi des réformes audacieuses sur la simplification administrative et la fiscalité. Il faudra enfin redonner aux Français la liberté et la responsabilité sans lesquelles il n’est pas de grand peuple. Toute cette crise l’a démontré : l’Etat doit fixer la stratégie et veiller à l’équité, mais il doit aussi encourager, déléguer, libérer. Il faudra un nouvel acte de décentralisation vers la société civile et vers les collectivités. Désormais, nous ne ferons plus confiance à l’Etat qu’à la mesure de la confiance qu’il nous accordera.

Ceux qui parlent de relocalisations et de réindustrialisation parlent dans le vent s’ils ne disent pas clairement aux Français que cela implique de remettre le travail au cœur de notre société.

Ce sursaut dépend aussi de chacun d’entre nous. Ceux qui parlent de relocalisations et de réindustrialisation parlent dans le vent s’ils ne disent pas clairement aux Français que cela implique de remettre le travail au cœur de notre société. Depuis longtemps, notre pays consomme plus qu’il ne produit et s’offre l’illusion d’un maintien de son niveau de vie au prix d’un déficit chronique qui pèsera sur nos enfants. Nous devons rompre avec ce modèle, qui nous a laissés si démunis face à la crise. Mais cela ne se fera pas sans effort. Il ne peut y avoir de modèle plus solidaire, plus écologique, plus durable, sans retrouver notre capacité de produire ce dont nous avons besoin, et donc sans renouer avec le travail que cela implique. Rappeler cette vérité est plus exigeant que de proclamer de grands principes bavards et consensuels pour le rêve d’après ou de signer des chèques en blanc sur l’avenir. Mais nous prenons le pari que les Français attendent ce sursaut. Ils voient bien que toutes les fictions s’effondrent. Que nous sommes toujours moins prospères et moins heureux, dans un pays qui décroche et s’efface toujours plus.

Nous devons faire de cette crise l’occasion de sortir du mensonge pour sortir de la léthargie.

Et pourtant, nous voyons partout des trésors d’énergie et d’inventivité qui ne demandent qu’à jaillir. Qui ne demandent qu’à être mobilisés. Nous devons faire de cette crise l’occasion de sortir du mensonge pour sortir de la léthargie. Retrouver par notre travail l’espoir de vivre mieux, et de transmettre un pays plus solide aux enfants qui nous relaieront demain. Une plus grande sécurité matérielle, mais aussi et surtout le sentiment d’une confiance, d’une fierté retrouvée. Le sentiment d’être un peuple, qui a encore de grandes choses à faire en commun ! C’est donc maintenant qu’il faut choisir entre le déclin et le renouveau. Si nous savons être courageux et être unis – si nous savons être Français, alors nous saurons reconstruire.


* dans une version condensée | Photo : CC0 Public Domain / G.Hodan (modifiée)

« Tenez bon, tenez ferme, soyez fidèles »

« Tenez bon, tenez ferme, soyez fidèles. »
Il y a un an, au Palais des Congrès. Le message est toujours d’actualité.

Conclusion du discours de François-Xavier Bellamy en clôture du meeting tenu au Palais des congrès de Paris, le 15 mai 2019, à l’occasion de la campagne pour l’élection européenne. Voir le discours en intégralité ici.

Loi Avia et applications de traçage

« Quelles que soient les circonstances, jamais notre pays ne devrait renoncer aux garanties fondamentales qui protègent nos libertés. Des applications de traçage à la loi Avia adoptée aujourd’hui, l’actualité montre qu’il est vital de défendre notre démocratie qui cède en silence sur des principes essentiels. Nous devons lutter contre ce qui menace notre santé, mais aussi contre ce qui endort nos consciences. »

L’État s’est occupé de tout, sauf de ses missions régaliennes.

François-Xavier Bellamy au Parlement européen « L’Etat est aujourd’hui partout, dans les plus petits détails de notre vie, mais il est absent de ses missions régaliennes ».

Entretien initialement paru dans L’Express le 22 avril 2020, disponible à ce lien. Propos recueillis par Camille Vigogne-Le Coat.


L’Express : Vous êtes professeur de philosophie. Seriez-vous prêt à reprendre les cours le 11 mai devant une classe ?

François-Xavier Bellamy : Il faut évidemment s’y préparer pour que cette reprise puisse arriver le plus rapidement possible. Pour les Français les plus défavorisés, le fait de devoir suivre les cours à distance constitue une difficulté supplémentaire. Le système français est le plus inégalitaire de l’OCDE, et laisse beaucoup de décrocheurs au bord du chemin. Dans ces conditions, le confinement, bien que nécessaire, a aussi des conséquences dramatiques.

J’ai plus de mal à comprendre la cacophonie, 24 heures seulement après l’intervention du Président de la République, avec un ministre de l’Éducation nationale qui a déjà eu l’occasion de le désavouer en affirmant qu’il n’était pas question de reprendre le 11 mai. Nous comprenons tous que la situation est compliquée, mais nous avons besoin que ceux qui nous dirigent aient des messages clairs et cohérents. Cette confusion ne peut que créer de l’anxiété.

Emmanuel Macron n’agit-il pas trop en solitaire en fixant ce début de déconfinement ?

Ce qui est stupéfiant, c’est d’avoir l’impression que les acteurs du sujet découvrent ses messages en même temps que les Français. Plus on est plongé dans ce que les militaires appellent ‘le brouillard de la guerre‘ et plus on a besoin de capitaines capables de parler d’une voix claire et cohérente. Le sentiment que les ministres et acteurs de la chaîne gouvernementale sont peu informés des décisions du chef de l’Etat ne peut pas contribuer à apporter la sérénité nécessaire dans ce moment chaotique.

« Dans les prochaines semaines, avec toutes les composantes de notre nation, je tâcherai de dessiner [le] chemin », a déclaré le chef de l’Etat. Êtes-vous prêt à participer à une union nationale ?

Je ne crois absolument pas à un gouvernement qui rassemblerait des gens venus de partout, comme si pour faire face à la crise il fallait renoncer à la vie démocratique. L’union nationale est une nécessité. Mais dans une démocratie l’union ne signifie pas l’uniformité.

Cela nous ramène au tout début du macronisme, et à la promesse du ‘en même temps‘. Je n’ai jamais cru à la fin des clivages. La démocratie suppose une diversité de visions qui reflète le pluralisme de la société. C’est important – y compris dans un moment comme celui-ci – qu’il y ait un exécutif qui gouverne, mais c’est aussi important qu’il y ait une opposition démocratique qui s’exprime.

Avec trois ans de recul, on peut tirer le bilan du ‘en même temps‘ : à la place de la fin des clivages, nous avons un pays divisé, fracturé, où les tensions sont plus vives que jamais. C’est à cause de cette confusion démocratique que les colères s’expriment désormais dans la rue. Les Gilets jaunes sont l’exact corollaire de l’illusion de cette promesse initiale.

Quelle est la principale leçon politique que l’on peut d’ores et déjà tirer de l’épreuve que nous vivons ?

Celle de l’incroyable fragilité de l’Etat, du dénuement de la puissance publique face à une crise comme celle-ci. De façon générale, nous observons aussi la vulnérabilité du monde occidental, qui pendant quelques décennies s’est offert le luxe d’oublier que l’histoire est faite de risques, de menaces et de chocs. Je suis inquiet de ce que serait notre capacité de réaction si nous étions réellement en guerre. Nous n’avons même pas les éléments indispensables à notre propre survie, que nous devons mendier en Chine. Et ce n’est ‘qu’une’ pandémie, qui ne remet pas en cause l’existence de notre nation. Dans un contexte de conflit, combien de temps tiendrions-nous ? Il ne faut pas seulement réorienter l’Etat, il faut le reconstruire.

Faut-il faire le procès du libéralisme ?

Incriminer le libéralisme dans l’impuissance de l’Etat serait une aberration. D’abord, parce que la France n’est pas un pays libéral au sens économique du terme. Nous sommes l’un des pays du monde où les taux de prélèvement obligatoires sont les plus importants ; nous consacrons 56 % de notre PIB à la dépense publique. Et pourtant nous n’avons pas de quoi donner des masques à nos infirmières ! Où est passé l’Etat ? Il n’a pas disparu : il s’est dispersé, dans un millefeuille administratif qui a paralysé les décideurs et les acteurs de terrain, dans l’empilement de dispositifs sociaux compliqués, qui sans réussir à sortir les plus modestes de la précarité, ont réduit notre capacité à agir et produire. L’Etat est aujourd’hui partout, dans les plus petits détails de notre vie, mais il est absent de ses missions régaliennes.

Faire croire que le libéralisme est la cause de nos échecs, c’est entretenir les problèmes qui nous ont conduit dans l’impasse. Il faut redonner à l’Etat les moyens d’une action efficace sur les sujets régaliens, sur les questions d’éducation, de santé, de justice. Et cela implique simultanément de sortir de cette hyperadministration qui paralyse la France.

Et la mondialisation, faut-il la remettre en cause ?

Il faut faire le procès de notre passivité dans la mondialisation, sans aucun doute. Pendant trop longtemps nous avons laissé faire une mondialisation déséquilibrée et dérégulée, construite uniquement à coups de calculs économiques de court terme. Il y a 30 ans, on fabriquait 80 % des principes actifs de médicaments, aujourd’hui on en importe 80 %. Pourquoi ? Parce qu’on a construit notre rapport à la mondialisation à partir de la seule figure du consommateur, pour lui apporter le produit le moins coûteux quelles que soient les conséquences.

Faut-il refonder l’Union européenne comme dit Emmanuel Macron ?

C’était exactement notre slogan de campagne pendant les élections européennes, ‘refonder l’Europe. Nous ne partagions pas le déni de réalité macronien sur ce sujet. L’Europe a bien besoin d’une refondation, en effet. Elle s’est construite dans un monde où le tragique était oublié. La doctrine de la concurrence a été au cœur de la matrice européenne, comme si la consommation était notre horizon essentiel. Aujourd’hui, il est urgent d’affirmer que l’Europe ne peut pas être simplement un marché. Elle n’aura de sens que si elle contribue à nous donner une capacité d’agir dans la mondialisation, plutôt que de subir notre destin.

Concrètement ?

Concrètement, il faudra, sur le plan industriel, identifier des chaînes de valeurs stratégiques sur lesquelles on accepte d’investir, ce que l’Union Européenne a longtemps écarté. Assumer de défendre nos intérêts, par exemple dans le domaine de la santé. Mais surtout, ne nous contentons pas de ce sujet, il ne sert à rien de préparer les crises passées ! Demain, la crise sera peut-être sécuritaire, alimentaire… Il faut une politique agricole qui permette de produire ce que nous consommons. Enfin, il faut accepter le modèle de société qui va avec. Produire nous-mêmes des masques veut dire les payer un peu plus cher. Cela suppose de remettre le travail au cœur de la société. Ne plus se contenter d’acheter au moindre coût, et donc repenser notre modèle social.

Qui est le plus démuni face à cette crise ? Le politique ou le philosophe ?

C’est beaucoup plus inquiétant pour le politique que pour le philosophe ! Le philosophe a l’habitude d’être démuni, le vertige de la page blanche fait partie de l’expérience philosophique à part entière.

En revanche, le grand défi pour le politique est d’agir dans une situation d’incertitude essentielle. La parole publique est attendue comme jamais, comme le montrent les records d’audience pour écouter le président ; et en même temps elle est sujette à un discrédit qui créé une immense vulnérabilité collective.

D’où la nécessité d’avoir de la constance et de la précision dans l’expression. Le manque de clarté, de vérité parfois dans la communication du gouvernement, met en danger la confiance envers notre démocratie elle-même. Il est urgent de revenir à une parole prudente et maîtrisée !

Avec André Bercoff et les auditeurs de Sud Radio

Entretien avec André Bercoff

Accéder à l’intégrale (dont les questions-réponses avec les auditeurs)


Réponses aux auditeurs de Sud Radio

François-Xavier Bellamy répond à André Bercoff et aux auditeurs de Sud Radio

🎙️ Invité hier de Sud Radio, pour répondre aux questions d'André Bercoff et des auditeurs.

Publiée par François-Xavier Bellamy sur Jeudi 16 avril 2020

 

Cette crise peut nous rapprocher, ou achever de nous séparer.

Cette crise peut nous rapprocher ou achever de nous séparer

Texte initialement paru dans le journal La Croix du 7 avril 2020, disponible ici.


Méditer sur le confinement : belle occasion que nous offrent vos pages. Mais cette réflexion est d’abord l’expression d’un privilège… Impossible de ne pas penser à tous ceux à qui cette période n’offrira pas la quiétude nécessaire pour méditer. Les soignants en premier lieu, engagés dans une longue et éprouvante bataille : nous avons retrouvé du temps, quand eux en manquent cruellement, dans la course contre la montre qu’ils mènent pour sauver des vies. Mais aussi les parents qui doivent poursuivre leur travail tout en s’improvisant enseignants, sans un instant de répit ; les enfants inquiets de ces ruptures difficiles à comprendre. Les personnes auxquelles ce confinement fera subir le poids écrasant de leur solitude. Les familles privées de visiter un proche en maison de retraite, ou à l’hôpital. Oui, pour beaucoup, il n’est pas du tout évident que ce confinement soit une occasion paisible pour lire, méditer et revenir à l’essentiel, comme nous l’avons tant entendu…

Notre vie publique doit faire une place à cette part d’épreuve. Il serait dévastateur que les médias, les intellectuels, les politiques parlent seulement de ce moment comme un temps de retraite heureux, philosophique et citoyen. J’ai lu avec stupeur, comme beaucoup, les « récits de confinement » publiés récemment dans plusieurs titres, sous la plume de personnalités connues. L’une raconte son « exode » dans une maison au pays basque, et l’épreuve de devoir aller faire ses courses car le supermarché ne livre plus. L’autre, envoyant de splendides photos d’un lever de soleil en Normandie, a le sentiment de vivre une de ces « histoires qu’on invente à Hollywood ». Une troisième, dans sa maison du XIème arrondissement, a assez de pinceaux pour « s’amuser pendant un mois », et conclut : « Ce confinement est une merveille. ».

Le danger du ressentiment

Des années de hausse des prix de l’immobilier ont contraint des millions de Français à vivre, avec pourtant un ou deux salaires, dans des logements de plus en plus restreints ; et soudain, pour beaucoup, ce qui n’était plus qu’un point de passage dans nos vies mobiles devient le seul espace disponible. Tout le monde n’a pas une vie de rechange. Dans un tel moment, une conscience élémentaire de notre appartenance à un pays, à un corps social durement éprouvé, devrait appeler un peu de décence commune.

Cette crise peut nous rapprocher, car l’épidémie nous réveille concrètement au fait que nos vies sont liées par une solidarité de fait. Elle peut aussi achever de nous séparer, si s’impose l’indifférence décomplexée. Ce qui caractérise ce moment, c’est que nous retrouvons brutalement l’expérience de la rareté des ressources – expérience que toute notre société de consommation, fondée sur une illusion d’abondance infinie, tentait de nous faire oublier. Le principe de l’économie n’est pas la richesse des nations, mais leur pauvreté. Ce retour au réel sera brutal. Si nos élites cherchent à faire durer l’illusion, à s’épargner le choc que la société va vivre, elles la feront exploser. Il suffira de peu de contre-exemples pour conduire la maladie politique qui ronge la France à sa phase terminale. Face au risque sanitaire, nous le savons, chacun de nous peut, par son comportement, protéger ou menacer la société ; c’est aussi le cas pour éviter la contagion du ressentiment, peut-être plus dangereuse encore, qui peut naître de cette crise. Refuser d’être testé, quand ce n’est pas nécessaire, si tant d’autres ne le peuvent pas. S’abstenir de tout passe-droit. Prendre sa part de l’effort commun. Ne pas mettre en scène un bonheur privé dans une telle épreuve publique.

« Selon que vous serez puissants ou misérables… » Ce vers si connu de la Fontaine est la morale des Animaux malades de la peste, et ce n’est pas pour rien. L’épidémie agit comme un révélateur. Une artiste citée plus haut trouve ce moment « extrêmement joyeux ». Pendant ce temps, le livreur qui lui apporte ses courses travaille sans protection pour ne pas perdre son SMIC – alors qu’il ne pourra pas voir ses propres parents s’ils sont hospitalisés. Révélateur brutal : avons-nous encore conscience d’être liés ? La vacuité du « vivre ensemble » se révèle quand il est question de souffrir ensemble. Cette déliaison, cette distance, est comme le point d’aboutissement de la « sécession des riches », analysée par Jérôme Fourquet il y a deux ans [1]. Bien sûr, expliquait-il, il y a toujours eu des milieux sociaux plus ou moins favorisés ; la nouveauté tient à ce que l’évolution de l’urbanisme, de l’école, du travail, la suppression du service national, tout cela fait que les membres des classes favorisées non seulement ne se mélangent pas avec les personnes de milieux populaires, « mais, souvent, n’ont même plus l’occasion ou la nécessité de les côtoyer ou de les croiser ». Pour clamer sa joie dans un moment d’épidémie, il faut être convaincu que rien ne va vous arriver ; et ne même plus avoir conscience que cette chance n’est pas partagée…

Il n’y a pas de « startup nation »

L’épidémie révèle l’éloignement de ces milieux sociaux confinés sur eux-mêmes qui forment l’archipel français. Mais elle doit nous rappeler aussi à leur interdépendance. Ceux qui peuvent travailler de chez eux éprouvent en même temps l’impossibilité de l’autarcie individuelle. Vous restez chez vous, grâce à ceux qui continuent de sortir. Le travail à distance coupe la société en deux. Mais ce sera, espérons-le, l’occasion pour bien des cols blancs de redécouvrir les cols bleus. La mondialisation, la digitalisation, la financiarisation de l’économie, avaient rendu « le travail invisible », pour reprendre les mots de l’économiste Pierre-Yves Gomez.

Aujourd’hui nous faisons l’expérience que le monde virtuel ne suffit pas, que nous ne survivons pas sans agriculteurs, sans pêcheurs, sans ceux qui transforment leurs produits et les apportent jusqu’à nous – sans les travailleurs qui doivent sortir encore jour et nuit, pas ou peu protégés, pour maintenir l’ordre public, enseigner aux enfants des soignants, accompagner nos aînés, garantir les biens essentiels. « Ceux qui réussissent » réalisent qu’ils ne sont rien sans « les gens qui ne sont rien ». Il n’y a pas de « startup nation ». Les cadres sup en télétravail ont besoin du courage des caissières. Ce sont les derniers de cordée qui nous tirent. Quand le château de cartes financier s’écroule, quand l’océan des marchés se replie, on voit réapparaître les piliers fondamentaux de l’économie réelle. Et l’on prend conscience que les « personnels essentiels » sont aussi, bien souvent, ceux qui sont en bas de l’échelle et touchent de petits salaires – à commencer par ceux qui chaque jour sauvent des vies à l’hôpital, et qui depuis un an maintenant soignaient tout en faisant grève pour dénoncer leurs conditions de travail…

Bien sûr, la crise est profonde, et elle remonte à loin. L’important n’est pas de dénoncer, mais de repenser pour demain notre modèle de société, à la lumière de cette expérience. Et en attendant, d’éviter de provoquer par inconscience une lutte de classes face au virus, qui finirait de défaire l’unité française. Cette crise peut nous rapprocher, ou nous détruire ; et cela dépend de nous maintenant.

[1] 1985-2017 : Quand les classes favorisées ont fait sécession, Fondation Jean Jaurès, 2018 (télécharger)
Crédit photo : Capture d’écran, AP-HP

L’épidémie doit être l’occasion d’une prise de conscience.

Entretien avec Alexandre Devecchio, pour Le Figaro Magazine, disponible à ce lien.

LE FIGARO MAGAZINE – Votre dernier essai, paru il y a un an, s’intitulait Demeure, comme une invitation à échapper à l’ère du mouvement perpétuel. Pouviez-vous imaginer alors la France confinée?

Notre monde en mouvement avait pour vertus cardinales l’agilité, la vitesse, la rupture ; et soudain notre seul impératif devient : restez chez vous ! Je pourrais dire en souriant que nous sommes passés bien vite d’En marche à Demeure. Bien sûr, il est impossible de se réjouir d’une assignation à résidence généralisée, nécessaire pour éviter la propagation du virus, mais éprouvante pour beaucoup, et qui aura des conséquences économiques et sociales si graves…

La demeure n’implique pas le confinement, au contraire. Elle est le point de départ. Mais s’il faut tirer d’un mal un bien, il est vrai que cette période d’immobilité forcée peut nous offrir l’occasion d’échapper à l’agitation de nos vies : pour ceux d’entre nous que leur travail ne place pas en première ligne dans cette crise, ce temps suspendu permet d’habiter de nouveau, au lieu de passer sans cesse. Pour reprendre le titre d’un éditorial dans vos pages : Bienvenue chez vous !

Comment trouver un équilibre entre la nécessité d’aller de l’avant, l’impératif de croissance et le besoin de permanence et de protection ?

En écrivant Demeure, je voulais rappeler que la première mission du politique n’est pas de changer le monde, mais de le préserver – de protéger ce qui doit demeurer, ce que nous avons reçu d’essentiel et qui mérite d’être transmis : la vie humaine a pour condition des équilibres à la fois naturels et culturels fragiles et complexes. Dans leur obsession de changement, nos dirigeants rêvaient de remplacer l’Ancien Monde par un nouveau, comme si ce que nous avons reçu ne valait rien, comme si l’avenir ne pouvait être qu’un progrès.

De ce fait, nous avons ignoré que l’optimisme ne garantit rien, que la vie est essentiellement fragile, et que la première responsabilité politique n’est pas d’abord d’apporter du nouveau, mais de préserver l’essentiel – de garantir « que l’humanité soit », comme l’écrivait Hans Jonas. Je l’écrivais aussi dans Demeure : nous ne devrions pas juger nos responsables politiques sur ce qu’ils auront changé, mais d’abord sur ce qu’ils auront sauvé. Pour cela, il importe moins de rêver de ruptures que de « prendre soin »  de nos attachements – le mot nous est devenu familier dans ce moment où nous nous sentons de nouveau vulnérables: « Prenez soin de vous ! ».

Et le fantasme brutal de « transformer la société » montre alors sa vacuité. Quand il faut prendre soin les uns des autres, ce sont les liens sociaux les plus ancrés, les structures ancestrales – les liens familiaux, les solidarités locales, toutes les proximités tournées en dérision par le « Nouveau Monde » postmoderne et globalisé – ce sont ces liens qui servent de refuge, et retrouvent leur signification essentielle.

Nous ne devrions pas juger nos responsables politiques sur ce qu’ils auront changé, mais d’abord sur ce qu’ils auront sauvé.

Cette crise révèle-t-elle les limites du logiciel idéologique d’Emmanuel Macron, comme de la majorité des dirigeants occidentaux aujourd’hui ?

Il y a toujours eu des épidémies : en faire le reproche à Emmanuel Macron, ou au monde occidental, serait précisément tomber dans l’idéologie. Nos limites se trahissent plutôt dans notre incapacité à réagir face à une telle crise : d’abord parce que nos dirigeants ont oublié que l’histoire est faite de menaces. Nous avons cru à la fin de l’histoire, comme l’écrivait Fukuyama.

D’où, par exemple, le fait que nous ayons cessé d’entretenir un stock stratégique de matériels de protection. Où en serions-nous si, au lieu d’une épidémie, nous devions faire face à une guerre ? Nous sommes totalement dépendants des acteurs étrangers qui fournissent les produits dont nous avons besoin pour survivre… Et c’est surtout là que l’aveuglement de l’Occident se manifeste: pendant quelques décennies, nous avons ajusté nos décisions politiques à des calculs économiques.

Parce que l’Asie fabriquait moins cher, nous lui avons transféré le travail. La rentabilité immédiate a remplacé la stratégie de long terme. Et soudainement, dans ce moment de crise aiguë, nous prenons conscience des conséquences… Il nous arrive ce que Hegel avait décrit, dans la dialectique du maître et de l’esclave : le plus puissant fait travailler le plus faible à sa place. Il s’offre ainsi un loisir confortable, mais dangereux : car le maître dépend de ce que produit l’esclave.

Où en serions-nous si, au lieu d’une épidémie, nous devions faire face à une guerre ? […] La rentabilité immédiate a remplacé la stratégie de long terme.

Un jour, le maître devient l’esclave de l’esclave, et l’esclave est alors le maître du maître. La mondialisation a consisté à exploiter le différentiel de développement pour nous offrir pour moins cher le luxe d’une vie d’abondance. Aujourd’hui, les petites mains de l’atelier du monde en deviennent les nouveaux maîtres, et les avions chinois mettent leurs drapeaux aux fenêtres pour nous apporter les masques dont nous avons besoin pour survivre.

Vous êtes également député européen. L’Union européenne est beaucoup critiquée depuis le début de cette crise. Est-ce injuste?

Non. L’Union européenne s’est préoccupée pendant longtemps de construire un marché unique et d’y faire appliquer la concurrence la plus ouverte possible. En mettant nos entreprises, qui se voyaient imposer des normes de plus en plus complexes, en compétition avec des acteurs étrangers qui ne respectaient pas nos règles sociales, environnementales ou même concurrentielles, elle a contribué à cette mondialisation déséquilibrée.

L’Union européenne n’est pas seule responsable de notre déclin […]. Mais si nous sommes démunis pour faire face à cette épidémie, c’est en partie du fait d’un certain aveuglement européen.

Le dogme de la concurrence a empêché le développement de stratégies industrielles fortes dans des secteurs essentiels. L’Union européenne n’est pas seule responsable de notre déclin – d’autres pays européens proches de nous sont capables de continuer à produire et à exporter. Mais si nous sommes démunis pour faire face à cette épidémie, c’est en partie du fait d’un certain aveuglement européen. Et l’impuissance à laquelle nous nous sommes condamnés rend ensuite presque impossible une solidarité effective entre nos pays devant l’épidémie, exactement comme face à la crise migratoire, par exemple…

Que pensez-vous de la décision, prise par les chefs d’État et de gouvernement, d’ouvrir les négociations d’adhésion à l’UE pour l’Albanie et la Macédoine du Nord?

Cette décision prise en pleine crise du coronavirus montre une impressionnante surdité des dirigeants européens: au moment où la crise devrait nous inquiéter sur notre impuissance et l’impasse stratégique qui nous y a conduits, nous nous préoccupons de poursuivre l’élargissement ! C’est aussi le résultat d’un reniement incroyable de la part d’Emmanuel Macron, qui a soutenu cette décision.

Pendant toute la campagne des élections européennes, Nathalie Loiseau proclamait : « L’Albanie et la Macédoine du Nord, c’est non ! » Il ne leur aura pas fallu un an pour renier la parole donnée… Le gouvernement prétexte avoir obtenu des ajustements de procédure ; mais cela ne change rien au fond: malgré ce « non » promis, notre président valide la candidature de ces deux pays, au moment où les Français ont l’esprit occupé par une épidémie majeure. Même si l’heure n’est pas à ces débats, difficile de dissimuler son écœurement devant ce cynisme affligeant.

L’Union européenne peut-elle se refonder, ou est-elle condamnée à disparaître?

Il serait terrible que le discrédit actuel de l’Union européenne nous condamne à terme à une fragmentation qui serait la dernière étape de notre déclin. Je sais que l’idée même d’une refondation a déjà suscité bien des déceptions, et semblera illusoire. Mais dans le monde qui se dessine, nous avons besoin d’un lien fort entre les pays européens. Pour pouvoir peser et ainsi ne pas subir la suite de l’histoire, bien sûr. Mais aussi parce que nous sommes unis par une civilisation commune dont l’héritage est plus que jamais d’actualité pour protéger une certaine idée de l’homme, que le monde qui se dessine met sans doute en danger.

C’est le cœur du projet que j’ai défendu pour l’élection européenne : il faut construire une Europe qui nous renforce dans la mondialisation, là où elle nous donne trop souvent aujourd’hui le sentiment de nous fragiliser. Cela suppose qu’elle se refonde sur des principes clairs. Retrouver la subsidiarité, pour garder à l’échelle européenne ce que chaque pays ferait moins efficacement. Reconstruire une stratégie économique qui ne considère pas seulement le consommateur, mais aussi le travailleur, et le citoyen. Sortir de la naïveté, et assumer de défendre nos principes et nos intérêts dans le monde qui nous entoure. Si l’Europe retrouve ces fondations, elle sera un atout majeur pour nos démocraties et pour les peuples européens face aux défis difficiles qui nous attendent.

Vous êtes professeur de philosophie. Quelles lectures conseillerez-vous à vos élèves pour comprendre cette crise?

Peut-être un auteur que j’évoquais plus tôt : Le Principe Responsabilité, de Hans Jonas. Cet ouvrage, qui date de 1979, annonce déjà qu’il nous faut renoncer à l’illusion de notre toute-puissance sur la nature. C’est un appel à replacer au cœur de la politique une éthique de la prudence, inspirée par l’attachement à la vie dont la splendeur fragile doit être préservée pour les générations à venir.

Le coronavirus peut être synonyme de souffrance et de deuil pour certaines familles. En quoi la philosophie peut-elle aider?

Cette épidémie a déjà causé bien des deuils… Et puis, je pense aux familles qui ne peuvent visiter leurs proches en maison de retraite ou à l’hôpital. À ceux qui partiront sans avoir pu vivre le moment de l’adieu. Aux proches empêchés de participer à un enterrement. Quelle immense épreuve… Que dire devant de telles situations ? À titre personnel, je n’ai jamais cru que la philosophie pouvait être une méthode thérapeutique pour résoudre tous les problèmes.

Sans doute ne peut-elle pas toujours nous « aider ». Il n’y a pas de remède pour tout ; mais il faut sans doute renouer avec ce que Boèce décrivait, au VIe siècle, dans Consolation de philosophie : condamné à mort injustement, il médite depuis sa prison sur l’expérience difficile de la consolation. Consoler, ou se laisser consoler, n’est pas se défaire de la souffrance, au contraire: plus la souffrance est profonde, et plus elle appelle la consolation. Mais par elle nous sortons de la solitude. Espérons que notre société saura vivre, dans les temps qui viennent, cette nécessaire consolation.