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Enquête PISA 2022 : au-delà des scénarios les plus pessimistes


La nouvelle chute du niveau scolaire des élèves français mesurée par la dernière enquête PISA publiée ce matin est au-delà des scénarios les plus pessimistes : l’effondrement s’accélère avec une ampleur encore jamais enregistrée. Les résultats de cette enquête internationale de référence montrent une forte baisse dans de nombreux pays, dont la France, qui se maintient toutefois dans la moyenne de l’OCDE.

Les mesures covid ont eu un impact négatif sur les résultats des élèves dans l’OCDE, de 15 points en moyenne en mathématiques par exemple ; mais l’effet est plus marqué encore en France, avec une baisse de 21 points. A l’inverse, les pays plus efficaces ont continué à progresser. Le domaine le plus inquiétant est la compréhension de l’écrit, résultat le plus bas parmi ceux mesurés par PISA en France, bien en-dessous de la moyenne de l’OCDE. Le déclin est continu depuis 2012, et s’accélère. C’est pourtant la clé essentielle pour la réussite d’un élève. Parmi les facteurs, le manque de discipline est « très préoccupant en France », écrivent les rédacteurs de l’enquête : un élève sur deux explique qu’il y a « du bruit et du désordre dans la plupart ou dans tous les cours », un chiffre très supérieur à la moyenne de l’OCDE.

Face à l’évidence du désastre, Gabriel Attal annonce des mesures qui consistent à corriger une petite partie de ce qu’ont fait au pouvoir les partis qu’il a soutenus depuis 2012. Mieux vaut tard que jamais. Mais il faudra aller beaucoup plus loin. L’avenir du pays est en jeu. L’urgence est de rendre à l’école sa mission : transmettre le savoir, et de tout repenser en vue de ce seul objectif pour que les professeurs puissent de nouveau faire leur métier. Sans cela la France ne peut espérer demain ni prospérité, ni démocratie, ni maîtrise de son destin.

Gabriel Attal annonce des mesures qui consistent à corriger une petite partie de ce qu’ont fait au pouvoir les partis qu’il a soutenus depuis 2012. Mieux vaut tard que jamais. Mais il faudra aller beaucoup plus loin. L’avenir du pays est en jeu.

Relire : La France en état d’urgence éducative – Trente propositions pour sauver l’école (2021)

Résumé des résultats sur le site de l’OCDE : Fiche France 2022

L’espérance est une forme de radicalité

Entretien initialement paru dans la revue Valeurs Actuelles du 9 novembre 2023. Photo : Jean-Baptiste Delerue / PHILIA

Quelle serait aujourd’hui notre raison d’espérer ?

Il faut regarder l’espérance pour ce qu’elle est : un acte de la volonté qui ne se cherche pas d’abord des raisons de se rassurer, mais qui s’impose de se battre comme si une chance existait, même quand toute la réalité semble nous dire qu’il n’y en a plus. Là réside la radicalité de l’espérance. Le courage de l’espérance, d’une certaine façon, c’est le courage désespéré. Comme le dit Bernanos, pour connaître l’espérance, il faut non pas avoir des raisons d’être optimiste, mais au contraire, avoir été au bout du désespoir. Et, ayant affronté le désespoir, se dire que si jamais il existe un chemin, si jamais il y a une chance que tout ce à quoi nous tenons et qui semble disparaître se relève et se ranime, cette seule chance même improbable vaut la peine qu’on engage notre vie entière pour pouvoir la rendre possible.

De quoi les évènements récents sont-ils le nom ?

Du retour du tragique de l’histoire. Derrière l’Arménie aux prises avec l’Azerbaïdjan, ou Israël attaqué par le Hamas, se découvre, en réalité, le même visage, même si chacun de ces conflits est singulier. Mais ce qui me frappe le plus, c’est, face à ce retour du tragique, le sentiment que nous n’avons plus la main, que nous n’avons plus la capacité d’agir et de décider du destin de notre monde et du nôtre.

C’est ce que vivent particulièrement tous ceux qui servent l’État, et qui sont concrètement confrontés à l’impuissance publique. Je pense aux policiers entendant le président de la République dire qu’on n’empêchera jamais le terrorisme. Je pense aux professeurs qui savent très bien que personne ne les protègera quand le premier fou furieux aura décidé de les sacrifier. Je pense aux infirmières qui voient l’hôpital s’effondrer autour d’elles sans pouvoir rien y faire. Tous ceux qui devraient être le bras de la force publique sont aujourd’hui les spectateurs désolés de son impuissance.

De quoi souffre l’Occident dont ne souffrent pas les autres parties du monde ?

De quoi sommes-nous le nom ? Quelle est notre mission dans l’histoire ? Quelle est notre vocation ? Aujourd’hui, il est plus simple pour un Chinois, pour un Saoudien, et même d’une certaine manière pour un Américain, de savoir quelle est la place que chacun occupe dans l’histoire, et le rôle qu’il faut y jouer. Nous, nous avons décidé avec beaucoup de détermination de déconstruire ce qui peut faire le sens même de l’existence de la civilisation que nous recevons en partage. Sur France Info, j’ai entendu un élève de Dominique Bernard témoigner sur le professeur qu’il était : « Il parlait comme un professeur de français en utilisant des mots que personne ne comprend ». Et il prenait pour exemple « aparté », qui lui paraissait un étrange reliquat obsolète d’une langue déjà disparue. La mort de Dominique Bernard est le symptôme de la faillite de l’école. On a laissé derrière nous des jeunes assez décérébrés pour adhérer à l’islamisme qui prospère aujourd’hui sur TikTok et dans les quartiers. Dans sa lettre à un djihadiste, Philippe Muray écrit : « Chevauchant vos éléphants de fer et de feu, vous êtes entrés avec fureur dans notre magasin de porcelaine. Mais c’est un magasin de porcelaine dont les propriétaires, de longue date, ont entrepris de réduire en miettes tout ce qui s’y trouvait entassé. (…) Vous êtes les premiers démolisseurs à s’attaquer à des destructeurs. »

Comment lutter contre cette « décivilisation » ?

La seule et l’unique et l’essentielle urgence pour l’avenir du pays, c’est l’école. Ce qui compte, c’est d’éduquer. Ce qui compte, c’est de professer. Ce qui compte, c’est d’avoir des professeurs. Et il y a urgence, car il s’agit sans doute du seul sujet sur lequel on puisse faire des erreurs irréversibles. Si demain on décidait de remettre un peu de sécurité, d’autorité, il y aurait des résistances, mais on saurait remettre des policiers dans la rue. Si on voulait retrouver un peu de rationalité budgétaire, ce serait difficile, mais on pourrait rétablir nos comptes publics. Tout cela peut se réparer. Mais quand on a cessé de transmettre pendant vingt, trente ou quarante ans, qui demain pourra enseigner le savoir qui n’a pas été transmis ?

Qu’est-ce qu’une bonne école alors ?

Une bonne école, c’est une école qui sait avoir pour seule et unique mission de transmettre – le savoir, la culture, la connaissance. Bien sûr, il faut se garder de toute idéalisation : l’expérience de la pédagogie n’est jamais une évidence ; elle suppose d’affronter la difficulté de la relation humaine que représente toujours le travail éducatif. Comme le disait Alain, la pédagogie est la science des professeurs chahutés. Il n’y a jamais de miracle. Mais le vrai problème aujourd’hui n’est pas la difficulté d’éduquer, ou qu’on n’y parvienne plus ; le problème, c’est qu’on ne veut plus éduquer, que les enseignants se sont vus privés de leur mission. Péguy expliquait déjà en 1907, dans Pour la rentrée, ce qui vaut pour toute situation semblable : « La crise de l’enseignement n’est pas une crise de l’enseignement ; il n’y a jamais eu de crise de l’enseignement ; les crises de l’enseignement sont des crises de vie. […] Quand une société ne peut pas enseigner, ce n’est point qu’elle manque accidentellement d’un appareil ou d’une industrie ; c’est que cette société ne peut pas s’enseigner ; c’est qu’elle a honte, c’est qu’elle a peur de s’enseigner elle-même. »

La seule et l’unique et l’essentielle urgence pour l’avenir du pays, c’est l’école. Ce qui compte, c’est d’éduquer. Ce qui compte, c’est de professer. Ce qui compte, c’est d’avoir des professeurs. Et il y a urgence, car il s’agit sans doute du seul sujet sur lequel on puisse faire des erreurs irréversibles.

Comment jugez-vous les premiers pas de Gabriel Attal ?

Interdire l’abaya ? C’était élémentaire. Je ne dis pas que ce n’était pas courageux, mais c’était la moindre des choses. Maintenant, le premier problème de l’école en France, ce n’est pas l’abaya. Il y a des gamins qui ont passé quinze ans sur les bancs de nos classes et qui finissent en brûlant des écoles. Voilà ce qui s’est passé lors des émeutes de juin dernier.

Un jeune français sur cinq, à 18 ans, ne sait pas lire le français. Nos élèves sont les derniers d’Europe en mathématiques. Nous avons le système scolaire le plus inégalitaire de tout l’OCDE. Est-ce que Gabriel Attal va changer cela ? S’il le fait, j’applaudirai des deux mains. Mais en attendant, comme professeur, il y a quelque chose qui me heurte dans sa nomination : qu’on puisse confier l’Education nationale, le sujet le plus décisif pour l’avenir du pays, à quelqu’un qui a priori n’en connaît rien, qui n’a jamais touché à l’enseignement de près ou de loin. Parce que Gabriel Attal avait envie de ce poste pour exister politiquement, dans un remaniement qui semble avoir été presque improvisé, on lui attribue en dernière minute le ministère le plus complexe et le plus essentiel – 1,2 millions de fonctionnaires, le premier budget de l’État, l’avenir du pays. Il y a là une désinvolture assez improbable.

Parmi les causes de l’assassinat de Dominique Bernard, vous citiez dans le Figaro, l’immigration incontrôlée. Mais pourquoi n’arrive-t-on pas à la contrôler ? N’est-ce pas parce que nous avons perdu le sens de ce qu’est une cité politique, le bien commun, et le rôle d’un État qui est là pour servir un peuple et une histoire donnés ?

La vie civique commence par la reconnaissance du caractère structurant du sentiment d’appartenance à une communauté politique. Même en cochant les cases de la bonne volonté, tous les gens qui aiment la France n’ont pas pour autant un droit opposable à notre nationalité ; c’est donc a fortiori encore plus vrai de ceux qui ne l’aiment pas. Au fond, la crise de l’école et la crise migratoire n’en sont qu’une : elles sont le révélateur d’un même vide intérieur. Parce que nous ne savons plus qui nous sommes, ni ce que signifie d’être une cité, parce que nous avons oublié que la culture est l’essentiel, nous avons sombré à la fois dans l’effondrement de l’école et dans l’immigration massive. Ces deux faillites procèdent de la même vision anthropologique. Qu’est-ce qui justifie aujourd’hui que Gérald Darmanin propose la régularisation des clandestins dans les métiers en tension ? C’est une vision de l’homme fondée sur sa réduction à l’homo oeconomicus, à l’animal laborans, à l’individu au rôle de rouage utile pour la machine économique, où tout ne serait qu’affaire de calcul. Dans cette perspective, le territoire d’un pays n’est plus en effet qu’un espace géométrique neutre dans lequel des atomes indifférenciés se déplacent comme des particules élémentaires…

Que faire de nos ennemis de l’intérieur, présents sur notre sol en nombre conséquent ?

Il y a, d’une part, la question des étrangers. Pour compliquée qu’elle soit, elle n’a rien d’insoluble. Il est stupéfiant de voir, trois jours après la mort de Dominique Bernard, le président de la République et le ministre de l’Intérieur se réveiller et proclamer soudain : « Il faut expulser avec fermeté les étrangers dangereux ». Pourquoi ne pas l’avoir fait avant ?

La question beaucoup plus difficile concerne ceux qui sont Français et qui participent pourtant à la menace islamiste. Il est impératif d’avoir enfin une vraie stratégie, dans deux directions simultanées. D’abord pour le contre-terrorisme : il serait révoltant de céder à la démission en disant, comme le président de la République il y a quelques jours, que le terrorisme ne peut pas être éradiqué. Ne pas se résigner, c’est se donner les moyens de mener dans la durée un travail déterminé pour améliorer notre capacité de renseignement et de protection. Nous sommes bien sûr capables de mener et de remporter ce combat contre le terrorisme islamiste, d’autant plus que nous parlons ici d’adversaires médiocres, dont les capacités sont rudimentaires. Et la seconde direction, c’est le travail qu’il faut mener pour gagner la bataille idéologique, pour gagner la bataille des cœurs.

Avec quels outils ?

La France n’est pas aimée, alors qu’elle a tout pour l’être. Ce n’est pas très difficile de susciter la passion de la France. Dans l’Education nationale, il suffit qu’on décide de transmettre à nouveau ce que nous avons à offrir, et nous trouverons de nouveau l’enthousiasme pour l’accueillir. Comme beaucoup de collègues, je peux témoigner de cela, sans aucune facilité. Souvenez-vous de l’instituteur de Camus, Monsieur Germain, qui faisait des Français dans son faubourg d’Alger avec ces gamins venus des quartiers les plus pauvres. Le miracle est toujours disponible. Ce sont des adultes, non des enfants, qui ont organisé la rupture de la transmission. Ce ne sont pas nos élèves, même issus de l’immigration, qui ont dit que la France était coupable de crime contre l’humanité. Ce ne sont pas non plus nos élèves qui ont dit qu’il n’y avait pas de culture française. C’est Emmanuel Macron qui a dit cela – et ses propos n’étaient que le symptôme d’une crise collective.

Au-delà de la reconstruction de l’école, nous devons donc retrouver une stratégie pour la bataille culturelle. Sur les réseaux sociaux, il faut apporter un contre-discours, développer notre narratif. Qu’est-ce que la France fait pour que sur TikTok, on aille combattre les discours qui salissent le pays ? Comment y participe notre production audiovisuelle, nos séries ? Aujourd’hui, c’est Netflix qui invente les représentations du monde ; que faisons-nous pour ne pas laisser le monopole de l’imaginaire à une industrie américaine obsédée par la déconstruction de notre héritage ? Cela peut paraître dérisoire, mais je me suis battu au Parlement européen pour interdire les télécommandes qui renvoyaient directement à Netflix, et j’ai obtenu cette interdiction. Rien n’est anecdotique quand il s’agit de sortir du circuit fermé que cette production culturelle voudrait nous imposer. Mais il nous faut maintenant construire une alternative.

Comment sortir du paradoxe d’un état de droit qui nous enchaîne plutôt qu’il ne nous protège ?

En réalité, aujourd’hui, ce que beaucoup appellent l’état de droit est devenu l’état de non-droit. Reprenez le cas de la famille Mogouchkov. Déboutés deux fois du droit d’asile, ils sont toujours sur le sol français parce qu’une obscure circulaire empêche leur expulsion. Le débat sur l’état de droit opposait habituellement la loi à la puissance publique, montrait les tensions possibles entre le droit et la démocratie, entre le droit et l’État. Mais aujourd’hui, il me semble qu’il y a un combat entre le droit et le droit. La lettre et l’esprit de la loi sont désactivés par une montagne de complexité réglementaire et administrative ; la jurisprudence annule les principes fondamentaux du droit. Je ne suis pas pour l’Etat contre le droit ; je suis pour que force revienne enfin à la loi.

Pour retrouver l’état de droit, encore faut-il que les juges acceptent que la loi doit s’imposer. Le fait que le Syndicat de la magistrature organise une rencontre à la Fête de l’Huma sur les « violences policières », ou participe à des manifestations d’extrême gauche contre la police, devrait être pour nous un sujet majeur. Ce syndicat, qui représente un tiers des magistrats, a fondé sa philosophie sur la harangue de Baudot, qui intime aux juges de ne pas être neutres : « La loi dira ce que vous voulez qu’elle dise. Soyez partiaux, pour le voleur contre la police, pour le plaideur contre la justice ».

En introduction de votre livre, vous avez un passage très éclairant sur le pardon, la liberté qu’il confère. Est-ce qu’on ne pourrait pas expliquer en partie le wokisme par l’oubli de cette belle vertu du pardon, parc que le wokisme, c’est considérer le passé de l’Occident comme un crime inexpiable : pour l’Occident, la seule manière de l’expier serait de disparaître, en l’absence de pardon.
Les gens qui se revendiquent le plus du wokisme sont ceux qui auraient le moins de raison d’exiger un pardon quelconque. On n’a jamais été aussi peu victimes et on ne s’est jamais autant sentis en permanence persécutés ; c’est quand même fascinant. Ce sont des gamins qui ont tout reçu, qui ont grandi dans la génération la plus gâtée de l’histoire, et qui se sentent victimes de tout.
Mais ils se sentent victimes aussi par procuration, c’est-à-dire que le bourgeois du XVIᵉ demande à l’Occident d’expier l’esclavage des Noirs aux États-Unis.

Mais ce n’est pas tellement lui qui aurait des raisons d’exiger un pardon, c’est le paradoxe de l’histoire. Ce qui est sûr, c’est que le pardon est un scandale. Comme l’espérance d’ailleurs, le pardon est lui aussi un scandale pour la raison. Il n’y a de pardon que pour ce qui est impardonnable, comme l’espérance n’a son lieu que là où il n’y a pas de raison d’espérer. Si on pardonne ce qui a des raisons d’être pardonné, alors on pardonne ce qui est excusable, et du coup ce n’est pas un pardon. Si j’arrive en retard et que j’ai une bonne excuse, parce que mon train a été annulé par exemple, vous ne faites pas un grand acte de générosité en excusant ce qui est excusable. Mais quand on voit le visage du mal dans les crimes commis contre des Israéliens le 7 octobre, contre des civils, des femmes, des enfants, on ne peut que se demander : « Mais comment un pardon est possible pour cela ? ». C’est là, devant l’inexcusable absolu, que le pardon est évidemment un scandale ; mais c’est sans doute là qu’on peut le mieux voir ce qu’il constitue.

Sur le wokisme, comment expliquez-vous que cette idéologie assez récente et assez minoritaire ait réussi à structurer le débat public à ce point ? Et comment est-ce qu’on en sort ?

Un tel discours n’est possible que sur l’effondrement de la raison. Mais le wokisme a-t-il réellement triomphé aujourd’hui dans le paysage français ? Si dans notre pays la culture commune, la transmission à l’école, l’autorité de l’État, la protection de nos principes les plus fondamentaux, si tout ça n’était menacé que par des gens qui sont vraiment wokistes, honnêtement, tout irait très bien. Jean-Michel Blanquer n’était pas du tout woke, mais il a fait la réforme du bac.

Justement, dans le contexte de la faillite de l’école, est-ce que Netflix n’a pas beaucoup plus de pouvoir sur la structuration des jeunes esprits que l’Éducation nationale ?

Les écrans ont pris le pouvoir, mais ceux qui ont donné le pouvoir aux écrans, y compris dans l’école, ne sont pas eux-mêmes “wokistes”, au sens habituel du terme. Et si, au contraire, l’école assumait d’être ce qu’elle doit être, c’est-à-dire si un ministre de l’Éducation nationale arrivait demain en disant : « À l’école, ce qui doit régner, ce n’est pas l’écran, c’est le livre ; donc plus d’écran, plus de téléphone dans l’école. Notre travail à nous, c’est de vous apprendre à grandir sans écran. Et non seulement on va bannir les écrans des écoles, mais on va travailler avec les parents pour arrêter cette folie qui consiste à mettre un iPhone dans les mains d’un gamin de dix ans. » Si on faisait ce travail-là, on ferait reculer les vecteurs du wokisme. Les gens qui lui offrent tout cet espace, toute cette place, les dirigeants qui ont fini par fragiliser en profondeur le travail de la transmission, n’étaient pas eux- mêmes wokistes. Il y a une forme de lâcheté, de déni, d’abandon, parfois de cynisme, de complaisance avec la déconstruction, qui ne vient pas directement de ce courant de pensée. Le problème, c’est cette haine de soi dont le wokisme n’est qu’une manifestation singulière. L’école a été détruite de l’intérieur, pas depuis que le wokisme existe, mais depuis maintenant des décennies. Le wokisme est une forme d’accouchement monstrueux de la déconstruction qui dure depuis bien longtemps.

Dans votre livre, vous expliquez qu’aujourd’hui, les gens n’arrivent plus à comprendre que la violence fait partie de l’existence. Et, paradoxe, cette violence, pour autant, elle est partout, y compris dans la vie politique qui est de plus en plus hystérisée. Comment lutter justement contre cette hystérisation de la vie politique ?

Je crois qu’il y a une manière de pratiquer l’exercice politique qui correspond à cet objectif. Si on s’inquiète de la décivilisation, de l’ensauvagement, alors il faut peut-être commencer par s’imposer à soi-même une exigence de civilité. Ce n’est pas seulement dans le discours, mais aussi dans la méthode qu’on doit être à la hauteur de ce qu’on prétend avoir à défendre. Cela ne veut pas dire qu’il faille oublier la violence à laquelle la politique sera toujours confrontée. Il est nécessaire de sortir du déni constant aujourd’hui sur ce sujet : juste après l’attentat d’Arras, Brigitte Macron promet « des cours de bienveillance »… Et le président remercie tout le monde, les policiers, les pompiers, les soignants, le chauffeur de l’ambulance, comme si on était à une cérémonie des Césars. Il faut bien sûr dire notre reconnaissance à tous ceux qui sont en première ligne ; mais se contenter de remerciements après un attentat, c’est faire comme si tout était normal, comme si rien n’avait raté… Cela contribue à faire croire que ce genre d’attentat, ça arrivera quand ça arrive – le rôle des politiques étant alors seulement de faire en sorte que l’hôpital du coin arrive assez vite pour faire un garrot… Oui, la mission essentielle de la politique, c’est de faire reculer la violence ; et pour cela, elle doit combattre par les moyens de la force publique. Ultima ratio regum : cette force est le dernier argument du prince. A la fin, la politique est inéluctablement une rencontre avec la violence. C’est l’un des grands impensés du monde contemporain.

Vous n’ignorez pas que souvent, les gens disent « Bellamy, il est formidable, il élève le débat, mais il est trop poli, il faudrait qu’il apprenne à renverser la table ». Est-ce que justement, cette pratique bienveillante et polie de la politique que vous essayez d’avoir ne minore pas sa dimension violente ? Est-ce qu’elle n’est pas un peu ingénue ?

Je crois vraiment que dans un monde de brutalisation, d’ensauvagement, qu’on l’appelle comme on voudra, il importe de ne pas se laisser gagner par ce qu’on combat ; vouloir défendre une idée de la civilisation implique de renoncer à la brutalité dans l’exercice même de la vie publique. Non, ce n’est pas être tiède que de croire à la possibilité d’une vie civique qui soit civile, authentiquement civilisée. Et s’imposer cette exigence même quand tout semble consacrer la victoire de l’excès, de la caricature, du faux, c’est le seul choix qui soit assez courageux pour aller vraiment à contre-courant, et la seule manière de parvenir à la fin à « renverser la table » pour de bon. J’espère d’ailleurs que ceux qui me disent trop poli dans mon expression reconnaîtront que cela ne m’a jamais empêché d’être clair dans mes convictions. Il y a des fermetés paisibles et des incohérences bruyantes… On peut chercher à être sensé sans vouloir être consensuel. Je crois à la nécessité du clivage, et j’ai toujours assumé mes engagements ; peut-être à la différence d’autres, qui même chez ceux qui prétendent incarner une forme de radicalité, sont souvent prompts à changer de cap au gré des derniers calculs tactiques. Pour ma part, je pense qu’on peut être efficace sans être opportuniste, et courageux sans être outrancier.

Mais comment être plus efficace tout en restant soi-même ?

D’abord, la politique trouve sa noblesse dans le fait de chercher autre chose que la seule efficacité électorale. Ça ne veut pas dire qu’il ne faille pas chercher des succès électoraux, mais il ne faut pas se renier au motif que le succès serait un but absolu, à tout prix. Je ne suis pas une machine à éléments de langage, et je ne le deviendrai pas. L’efficacité électorale doit être au service d’une vision politique, pas l’inverse. Si je dois mener cette campagne européenne pour les Républicains, mon but sera de revenir au Parlement européen plus nombreux et plus forts pour peser dans les choix essentiels qui s’annoncent. La campagne sera l’occasion de démontrer, avec le bilan de ces cinq ans de mandat, que nous savons comment mener des batailles, et comment les gagner. Je crois avoir démontré au cours des dernières années la pertinence de ce choix, qui n’est pas évident, de rentrer dans le cœur du travail des institutions. C’est la ligne de crête sur laquelle il faut avancer. Beaucoup de gens me disent « Qu’est-ce que vous faites chez LR ? Qu’est-ce que vous faites au Parlement européen ? » Je suis précisément là où je crois que nous devrions tous pouvoir nous sentir représentés. Il n’y a pas de raison de déserter la formation politique qui est supposée représenter nos idées. Il n’y a pas de raison de déserter les institutions où nous devons pouvoir exister. Il n’y a pas de raison d’abandonner le terrain à ceux qui représentent le contraire de nos aspirations. J’espère avoir fait la démonstration que c’était non seulement un pari possible, mais même un pari qui réussit.

Parce que c’est en allant à l’intérieur de ce travail, sans renoncer à rien, qu’on peut réussir à faire avancer les choses. Je pourrais citer beaucoup d’exemples, comme la réforme du marché de l’énergie pour sortir du délire européen qui a fragilisé le nucléaire français : nous allons aboutir à une réforme qui rendra à la France la possibilité de fixer des prix de l’électricité à partir de ses coûts de production, donc de rendre aux Français des factures d’électricité qui ne varieront pas avec le prix du gaz – donc de réindustrialiser le pays, et de lui rendre sa souveraineté. Sur la question de la protection du marché européen avec la barrière écologique qu’on avait promise ; sur l’interdiction de la GPA qui, dans quelques semaines peut-être, sera une réalité en Europe grâce à l’amendement que j’ai déposé ; sur la lutte contre l’entrisme islamiste, en ayant interdit à la Commission européenne de financer les campagnes qui disent que « la joie est dans le hijab »… Évidemment il y a un côté désespérant à être continuellement aux prises avec tout ce qui dysfonctionne, avec tout ce qui contredit nos efforts. Mais avec de l’endurance, du courage, de l’audace, on peut gagner ces batailles.

Mais le paradoxe, c’est que vous êtes dans le lieu de la technocratie tout en étant la quintessence de l’homme politique qui procède plus par vision que par détails techniques. Est-ce qu’il y a un grand écart entre les soirées de la philo et la négociation sur la pêche ?

Un équilibre plus qu’un écart ! J’ai la chance d’avoir la respiration des Soirées de la philo pour garder le contact avec les textes, avec les auteurs. C’est aussi une manière de garder le sens de l’action quotidienne. La vie politique touche aussi au plus fondamental – à une vision de la personne, de la dignité humaine. Si dans quelques semaines, la GPA est considérée dans toute l’Union européenne comme relevant de la traite d’êtres humains et à ce titre interdite, je me dirais que j’aurai eu le privilège de rendre concrets les principes essentiels que nous défendons. Ça ne fait pas tout bien sûr ; ce n’est pas encore la grande refondation que nous espérons pour l’avenir. Mais malgré tout, ne serait-ce que poser des digues, qui permettent de faire la preuve qu’il n’y a pas un sens de l’histoire écrit d’avance, que nous ne sommes pas condamnés à subir l’inéluctable recul des principes qui nous tiennent et auxquels nous tenons, ce n’est pas rien non plus. Et cela, je le dis sans aucun esprit polémique, est directement lié à ce pari de rentrer dans la mêlée, au cœur du travail politique. Moi aussi, je pourrais faire de la politique avec la colère, parce qu’on ne manque pas de colères, et elles sont bien souvent légitimes. Mais que produisent-elles à la fin ?

Je sais que je suis sur une ligne de crête, mais ce qu’on peut apporter à un monde devenu vide, c’est la proposition qu’il attend. Parce que j’ai passé mon temps à râler sur le fait que notre groupe parlementaire ne parlait pas assez de vision et d’idées, notre président de groupe à Strasbourg m’a demandé d’écrire notre nouvelle charte commune : quelle doit être l’identité politique de la droite en Europe aujourd’hui ? J’y ai travaillé avec dix collègues, on a écrit un texte, discuté avec tous les parlementaires du groupe, et finalement adopté… Nous nous plaignons souvent de ne pas être entendus, mais sommes-nous assez capables de parler, de proposer ?

Comment expliquez-vous que ce qui a opéré pour diaboliser l’extrême droite il y a 30 ans n’opère pas du tout avec la France insoumise ?

Si, ça opère. L’Assemblée nationale a rédigé un texte pour exclure les députés de la France insoumise d’une délégation qui part en Israël bientôt. Thomas Portes, le député insoumis qui avait posé avec le pied posé sur un ballon où figurait la photo d’un ministre, a été sanctionné par le bureau de l’Assemblée nationale alors que théoriquement, le bureau de l’Assemblée n’a pas le droit de sanctionner quelqu’un pour ce qui se passe en dehors de l’Assemblée. Au Parlement européen, on avait un texte sur Israël, il y avait des amendements qui venaient de tous les groupes, déposés, par exemple, par le groupe ID auquel appartient le RN et des amendements qui étaient déposés par le groupe The Left auquel appartient LFI. La doctrine de notre groupe, c’est de ne pas pratiquer le cordon sanitaire : s’il y a un amendement du RN qui est bon, on vote pour, ça ne nous pose aucun problème. On a donc voté des amendements d’ID, comme on le fait d’habitude. En revanche, pour la première fois depuis le début du mandat, le groupe a décidé par principe de ne voter aucun amendement venant de l’extrême gauche.

En tout cas, Yael Braun-Pivet s’est porté partie civile pour l’Assemblée contre les propos du député RN Grégoire de Fournas : « que ce bateau retourne en Afrique »… Et on ne l’a pas vue demander une action administrative, même de l’Assemblée, pour sanctionner Danièle Obono après qu’elle a qualifié le Hamas de mouvement de résistance…

Moi, je ne le voudrais pas. On a suffisamment dénoncé la judiciarisation des désaccords pour ne pas tomber à notre tour dans cette impasse. On ne doit pas répondre à une idéologie par une autre idéologie, mais par l’exigence de la vérité, la rigueur intellectuelle, l’intelligence dans le combat culturel. Mais ce combat, nous avons les moyens de le mener avec des arguments, des idées, des faits. Je suis révolté quand Mme Obono dit que le Hamas est un mouvement de résistance, je suis prêt à affronter ce délire autant qu’il le faudra sur le terrain politique, mais je ne demanderai pas aux tribunaux d’assumer ce combat politique à ma place.

Est-ce que cette complaisance de LFI pour le terrorisme, pour les émeutiers, n’illustre pas parfaitement ce que vous dites dans votre chapitre sur le progrès : finalement, pour les gens qui croient au progrès, peu importent violences et destructions du moment que ça fait avancer l’humanité ?

C’est ce que veut dire aussi l’expression de « résistance » : la cause est grande, et c’est juste dommage pour les victimes collatérales. Je me suis beaucoup battu contre nos collègues de LFI qui refusent de parler de terrorisme, mais qui parlent de « crimes de guerre ». Mais crime de guerre, ça veut dire quoi ? Ça veut dire que le Hamas est une armée régulière qui a des objectifs militaires et qui fait, en passant, des victimes collatérales. Mais pire encore que l’idée hégélienne qui voudrait que « tant pis pour les petites fleurs innocentes sur le chemin des grands hommes », il y a la stratégie mélenchonienne : « tout pour arriver au pouvoir », y compris les calculs les plus clientélistes. Qu’est-ce qui est moralement le plus grave ? Est-ce d’être convaincu que le mal est nécessaire ou est-ce de pactiser avec lui par intérêt électoral ? Dans tous les cas, c’est terrifiant.

Dans votre livre vous dites qu’il n’y a pas de progrès en soi, qu’on ne peut juger qu’une chose est un progrès que par rapport au but que l’on s’est fixé. Or l’euthanasie et la GPA, qui nous paraissent d’épouvantables régressions, correspondent pour une partie de nos contemporains, exactement au sens de l’existence qu’ils se sont fixés, c’est-à-dire être de plus en plus maîtres de leur existence. Est-ce qu’aujourd’hui, il n’y a pas sur ces questions-là un affrontement entre deux visions du monde et de la vie, deux anthropologies totalement irréconciliables ?

On pourrait faire une autre hypothèse : c’est qu’en réalité, on trouve dans ces faux progrès de mauvaises réponses à des aspirations légitimes. Être maître de sa vie, par exemple, ne pas subir indéfiniment une souffrance superflue, ce sont des aspirations légitimes. La réponse politique que la société apporte à ces demandes pourrait passer par un surcroît de solidarité, de soins accordés aux plus vulnérables. En réalité, l’euthanasie, c’est pour les politiques la réponse de la paresse.
Dans tous les cas, l’euthanasie est une expérience de dépendance ! Si on demande l’euthanasie, c’est que par définition, on reçoit de l’autre la mort. La vraie question est donc : « Veut-on recevoir de l’autre le soin, ou recevoir de l’autre la mort ? » Une société qui ne sait pas promettre le soin ne peut que proposer la mort. La question que vous posez est importante, et elle n’est pas dépourvue d’incidence concrète dans la discussion politique, parce que le sujet est sans doute aussi de réussir à formuler ce qu’on veut dire. C’est la grande question de Saint-Exupéry : que faut-il dire aux hommes ? Ne devons-nous pas formuler ce que nous voulons promettre à nos contemporains dans le langage de leurs aspirations légitimes, pour montrer que la vraie réponse ne se trouve pas là où on la leur propose aujourd’hui ?

En fait la politique est d’autant plus un dialogue de sourds qu’on s’interdit de poser la question du sens.

C’est la grande question du débat entre Platon et Aristote. Platon regarde la cité comme une masse irrationnelle, la foule étant nécessairement gouvernée par les passions, l’instinct, l’archaïsme de la pulsion. Et il faudrait que cette foule folle soit gouvernée par la petite élite de sages qui savent mieux que les fous quel est leur bien ; il faudrait donc réussir à contrer la folie du peuple pour imposer à sa tête la sagesse du petit nombre. Aristote pense, lui, et je ne serais pas loin d’être aristotélicien sur ce point, que l’esprit humain est tourné vers le vrai comme le tournesol vers le soleil et que, si le grand nombre pense quelque chose, il y a de grandes chances que le grand nombre ait raison – dans certaines conditions, et la condition absolue, c’est notamment l’éducation. Dans ces conditions, le peuple partage ce que l’on peut appeler le bon sens, ou le sens commun. Et quand on pense avoir raison seul contre tous, dit Aristote, il faut toujours commencer par s’inquiéter de soi-même, parce qu’il est rare d’avoir vu tout seul une vérité que personne n’aurait perçue. Donc, le sujet est plutôt de réussir à montrer comment ce que nous avons à offrir correspond aux aspirations du plus grand nombre, plutôt que de dire au plus grand nombre que ses aspirations sont mauvaises.

Vous parliez des batailles qu’on peut gagner de manière inattendue.. En fait, pour vous, le plus grand ennemi, c’est la résignation ?

Il y a une grande lâcheté, en tous les cas, dans la résignation. Bernanos fustige les optimistes, ce qui m’a toujours plu parce que je suis allergique à l’optimisme béat ; mais il fustige aussi les pessimistes. Le vote macroniste, aux dernières élections, réunissait des électeurs qui se disaient optimistes. Pour nous, nous avons peut-être par contraste une tendance au pessimisme. Or, le pessimisme est aussi une manière de se défaire de sa responsabilité. Parce que si nous concluons toutes nos conversations par le fait que de toute façon, tout va finir par s’effondrer, alors pourquoi agir ? On vit sans doute une des périodes les plus critiques de l’histoire de notre pays, au sens étymologique de la crise, qui veut dire la croisée des chemins. C’est de ce que nous déciderons dans les années qui viendront que dépendra l’avenir à long terme de la France, et sa survie même. Si nous regardons l’histoire de notre pays, de notre civilisation, nous verrons qu’ils ont survécu à des moments plus sombres que ceux que l’on traverse aujourd’hui, par des actes d’espérance, qui ont toujours été des sursauts suscités par le courage de quelques-uns.

On vit sans doute une des périodes les plus critiques de l’histoire de notre pays, au sens étymologique de la crise, qui veut dire la croisée des chemins. C’est de ce que nous déciderons dans les années qui viendront que dépendra l’avenir à long terme de la France, et sa survie même.

Certes, mais là, on a vraiment l’impression de vivre quelque chose d’unique et de sans précédent, c’est-à-dire que d’être dans un monde qui ne sait plus du tout quels sont ses fondements et qui ne croit plus à rien. Certes, l’espérance est un exercice de la volonté, mais si la volonté ne trouve pas des raisons concrètes sur lesquelles s’appuyer, elle risque de s’épuiser…

Mais une fois qu’on fait cet acte d’espérance, les raisons apparaissent sous nos yeux. Depuis le début du mandat, je vais un peu partout dans le pays, une ou deux fois par semaine, et j’y rencontre partout des Français exceptionnels. Il y a dans ce pays, quels que soient leur profession, leur milieu social, leur horizon, chez ceux qui travaillent, qui font que la France tient debout, qui restent encore fidèles malgré toutes les difficultés, un potentiel magnifique qui n’attend que d’être enfin libéré.

Une autre raison d’espérer, c’est ce qui se passe sur le terrain des idées. Oui, la gauche garde de grands bastions culturels. Oui, les multinationales du numérique diffusent une vision du monde qui contribue à la déconstruction. Mais aujourd’hui, le débat est quand même bien plus ouvert qu’il ne l’a été dans le passé. La discussion reste bien plus libre en France que dans d’autres régions du monde. Et sur le terrain médiatique, votre travail, je le dis sans facilité, est aussi une raison d’y croire encore. Sans rien occulter de ce que nous avons dit de la gravité de la situation, il y a des expériences auxquelles accrocher notre espérance – celle que j’ai vécue il y a quelques jours à l’occasion des dix ans des Soirées de la Philo : devant 2 000 personnes, dont énormément de jeunes, venues écouter du Plotin sur la scène de l’Olympia, on ne peut que se dire : « Ce n’est pas complètement mort ». Rien n’est gagné d’avance, bien sûr ; mais au fil des rencontres que je vis partout en France, je vois dans bien des regards assez d’énergie, d’intelligence et de volonté pour mener les combats qui viendront. Marc Aurèle écrit, dans Les pensées pour moi-même : « Les batailles que je n’ai pas livrées, je me console trop facilement dans la certitude qu’elles étaient perdues d’avance. »


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Refuser l’irresponsabilité générale : non, cet attentat n’avait rien d’inéluctable.

Fabien Clairefond - François-Xavier Bellamy au sujet de Pap Ndiaye et de sa demande de répartir les efforts de mixité socialeTexte initialement paru dans Le Figaro du 16 octobre 2023.

Il y a quelque chose de pire que l’horreur : c’est la répétition de l’horreur. Quelque chose de pire que la terreur : c’est l’habitude. Un professeur a été tué, dans son lycée, au cri de Allah Akbar. Et le rituel reprend, déjà familier : indignations politiques, condamnations de circonstance, « crime odieux », « valeurs de la République », micros tendus, la détresse des collègues, les yeux rougis des élèves, détails de l’enquête, déplacement des autorités, « dire le soutien de la Nation », « restons unis et debout », marches blanches, minutes de silence… Combien de fois faudra-t-il subir cette répétition ?

La liste est trop longue déjà. Au point qu’elle risque de susciter, après la révolte, une forme de résignation. Nous étions quatre millions à descendre dans la rue pour les morts de Charlie. Avons-nous fini par admettre une nouvelle normalité ? Vendredi, quelques heures après l’attentat, un expert expliquait sur une radio du service public que même si la prévention du terrorisme est « relativement bien » assurée en France, il est fatalement « impossible de surveiller tout le territoire », et que par conséquent « il y a des moments où il faut se dire que la violence fait partie de la société ». Puisqu’il existe toujours un « risque du passage à l’acte violent », le spécialiste en tirait cette conclusion : « C’est dur à entendre, mais ça fait partie de la vie ». Des professeurs tués dans leur lycée par des islamistes : trois ans après la mort de Samuel Paty, c’est donc cela, la « vie » à laquelle il va falloir s’habituer ?

Il y a quelque chose de pire que l’horreur : c’est la répétition de l’horreur. Quelque chose de pire que la terreur : c’est l’habitude.

C’est finalement, à sa manière, le message qu’envoyait au même moment le président de la République, en consacrant ses cinq minutes d’intervention au lycée Gambetta à remercier tout le monde : les professeurs et les élèves, les policiers félicités pour leur rapidité, tout comme les magistrats, les élus qui font bloc, et les soignants si réactifs. On ne peut que s’associer à la reconnaissance du pays pour ceux qui aujourd’hui se retrouvent en première ligne… Mais en s’arrêtant à ces mots, le président donnait l’étrange impression que tout s’était finalement aussi bien passé que possible, et que rien n’avait failli. Une autre manière de signifier qu’on ne pourrait faire mieux pour empêcher l’inéluctable violence de frapper à nouveau, et que l’essentiel serait, la prochaine fois comme aujourd’hui, de rester « unis, groupés et debout ».

Mais nous ne voulons plus de ces mots. Nous n’en pouvons plus. Il faut enfin sortir du déni de réalité. L’unité nationale, oui ; mais pas au prix du regard pudiquement détourné sur les années de faillite qui ont laissé l’horreur s’imposer. Car cet attentat, comme ceux qui l’ont précédé, n’avait rien d’inéluctable : nommer lucidement les fautes multiples qui ont rendu possible le pire, c’est la condition pour s’en sortir enfin.

Cette tragédie frappe l’institution scolaire, première victime de ce long échec collectif, fragilisée par des décennies de « réformes » toujours inspirées par la même idéologie : toujours moins transmettre, moins enseigner, moins assumer l’héritage – quitte à laisser toujours plus de déshérités. Le criminel d’Arras, comme ceux qui en juillet ont brûlé des dizaines d’écoles, avait passé des années sur les bancs de nos salles de classe : comment avons-nous pu laisser des esprits à ce points vides, décérébrés et incultes, qu’ils soient si facilement séduits par l’islamisme stupide des réseaux et des quartiers ? Comment notre école a-t-elle pu taire ou dénoncer la culture qu’elle devait enseigner, au point que ses propres élèves se sentent le droit de la mépriser jusqu’à vouloir la détruire ? Alors que nous consacrons à l’Education nationale le premier budget de l’État, un jeune sur cinq arrive à ses dix-huit ans sans savoir lire correctement le français. Beaucoup de mes collègues professeurs l’ont dit comme moi depuis longtemps : là où la culture n’est plus apprise, il ne faut pas s’étonner de voir surgir la barbarie. Cet effondrement silencieux de l’école, à coups de lâcheté politique, de réformes absurdes, de « pas de vagues » imposé, aura volé aux professeurs leur métier, et aux élèves leur chance de recevoir ce que nous avions à leur enseigner : le résultat est sous nos yeux. Mais il n’y a aucune fatalité à ce naufrage éducatif, si nous sortons enfin du déni de réalité pour concentrer l’effort de tout le pays au relèvement de notre école, avec pour seule mission de transmettre.

La seconde tâche essentielle, c’est celle de reconstruire nos frontières. Là encore, la faillite est évidente. Dominique Bernard est mort parce que l’État s’est désarmé face à l’immigration illégale. Le criminel est un tchétchène – comme le meurtrier de Samuel Paty, qui avait lui aussi été d’abord débouté du droit d’asile ; sa dérive islamiste avait été signalée par l’Éducation nationale ; son frère est en prison pour avoir soutenu un projet d’attentat et relayé la propagande de Daech, et lui-même était fiché S. Cette famille aurait dû être expulsée depuis longtemps, avant qu’un collectif d’associations et de militants de gauche ne s’y opposent en invoquant une circulaire : comme dans tant d’autres cas, l’illégalité avait trouvé secours dans la toile de conventions, de jurisprudence et de bureaucratie qui paralyse l’État. Ceux qui s’enlisent dans le déni – les mêmes qui dénoncent le couteau pour ne pas nommer le djihad, et qui prefèrent fuir les micros que d’avoir à reconnaître le terrorisme du Hamas – ceux-là refuseront encore de voir le lien entre ce crime et la faillite migratoire. Mais l’évidence est là : si nous avions fait respecter nos lois, nos principes et nos frontières, Dominique Bernard, comme Samuel Paty et tant d’autres, serait en vie aujourd’hui. Prétendre que nous vivons les drames inévitables d’une société normale, c’est s’exonérer trop vite de toute responsabilité. À nous de remettre le droit à l’endroit pour sortir de cette folie – et c’est possible, pourvu que l’on aille, comme nous l’avons proposé, jusqu’à utiliser le levier de la Constitution pour rendre sa force à la loi.

Il n’y a aucune fatalité à ce naufrage éducatif, si nous sortons enfin du déni de réalité pour concentrer l’effort de tout le pays au relèvement de notre école, avec pour seule mission de transmettre. La seconde tâche essentielle, c’est celle de reconstruire nos frontières.

Un professeur a été tué dans son lycée au cri de Allah Akbar. Devant la somme des aberrations, des échecs, des dénis qui ont rendu possible une telle folie, tout dirigeant digne de ce nom devrait dire : j’ai échoué. Tout un pays bouleversé devrait dire : nous avons échoué. Au lendemain de la grande défaite de 40, Saint-Exupéry écrivait que la France se relèverait en retrouvant le sens de la responsabilité. « Il importe d’abord de prendre en charge. Chacun est responsable de tous. » Nous devons à Dominique Bernard, et à tous ses collègues qui reprendront les cours lundi, de ne pas faire comme si personne n’y pouvait rien, comme si tout était normal – de ne jamais nous habituer. C’est la condition nécessaire pour un renouveau politique qui nous permette enfin de sortir de l’impuissance. « Nous entrerons demain dans la nuit. Que mon pays soit encore quand reviendra le jour ! »

Arras : cet attentat n’était pas une fatalité.

François-Xavier Bellamy était à l’antenne de France Inter le vendredi 13 octobre à 18h40 (replay à ce lien à 1h39’22 »).

Vous qui êtes professeur de philosophie – vous êtes aussi eurodéputé, mais c’était votre premier métier. Quelle est votre réaction ?

Je pense à tous les professeurs de France qui sont aujourd’hui en première ligne. Ce métier est devenu dangereux, et je pense à ceux qui demain iront la peur au ventre au travail, en se demandant d’où peut venir la menace. Mais si ce métier est dangereux, ce n’est pas une fatalité. Et moi je suis assez révolté d’entendre ce que disait monsieur Crettiez à l’instant, qui nous expliquait que la violence, finalement, existait toujours…

C’est vrai, mais ce n’est pas une fatalité ! Si nos écoles sont devenues aujourd’hui des lieux dangereux, ça n’a pas toujours été le cas. Pourquoi en sommes-nous arrivés là ? C’est très simple : parce que quelqu’un qui a été débouté de sa demande d’asile, qui est rentré illégalement sur le territoire français, qui est suivi depuis des années à cause de la radicalisation de lui-même et de son entourage, est encore dans notre pays, et encore susceptible de nuire. Voilà la réalité : c’est l’impuissance de l’État, organisée depuis des années avec les meilleures intentions du monde, qui a fait que nos écoles sont devenues des lieux où les professeurs peuvent mourir parce qu’ils incarnent la République. Ce criminel, ce terroriste islamiste est entré et il voulait tuer un professeur d’histoire. C’est l’un de ses collègues qui a raconté cet épisode glaçant : il voulait tuer un professeur, parce que les professeurs sont là pour transmettre le savoir, et que cette transmission du savoir est combattue aujourd’hui par le fanatisme islamiste. Mais ce n’est pas une fatalité : on n’a pas le droit de faire croire aux gens que c’est normal, et que ce sera toujours comme ça.

C’est l’impuissance de l’État, organisée depuis des années avec les meilleures intentions du monde, qui a fait que nos écoles sont devenues des lieux où les professeurs peuvent mourir.

Que faut-il faire lundi, pour le troisième anniversaire de la mort de Samuel Paty ? On a demandé aux enseignants de préparer un hommage. Vous, vous seriez devant des élèves en tant que professeur de philosophie, qu’est-ce que vous leur diriez ?

Je crois qu’il faut effectivement rendre hommage à Samuel Paty, et rendre hommage à Dominique Bernard qui est mort aujourd’hui. Mais je pense à tous les professeurs de France qui aujourd’hui sont confrontés à des situations dans lesquelles leur sécurité est en danger s’ils osent parler de ces questions.

On a fait comme si de rien n’était quand pendant la minute de silence après l’attentat de Charlie Hebdo, des dizaines d’établissements n’ont pas pu commémorer ce qui venait de se passer.

On a fait comme si de rien n’était quand on a vu dans nos salles de classe des professeurs obligés de s’autocensurer. Un professeur sur deux en France déclare qu’il s’est déjà imposé le silence par peur pour sa propre sécurité devant des élèves qui refusent d’entendre ce qu’ils ont à leur transmettre. Eh bien je veux vous dire : je suis pour l’unité nationale, bien sûr. Je suis pour le recueillement, bien sûr. Je suis pour l’hommage, bien sûr.

Mais ça suffit. On ne se laissera pas imposer le silence au motif de l’unité. Aujourd’hui, oui, c’est vrai, la France est désarmée, et malgré le travail extraordinaire des forces de police et de sécurité, malgré le courage incroyable des professeurs, on ne peut pas se contenter de leur rendre hommage.

On doit enfin redonner aux professeurs les moyens de leur mission, comme à ceux qui assurent la sécurité du pays. Il faut – et il est sûr que ce ne sera pas facile, que ça prendra du temps – : il faut reconstruire l’école à partir du point de départ, il faut redonner à l’école sa mission.

Et ensuite il faut reconstruire nos frontières. Parce que si on n’a pas la capacité de dire qui a le droit de rester sur notre sol et qui n’a pas le droit d’y rester, si on continue de devoir garder en France des milliers de fichés S qui ne sont pas français et qui pourtant, par leur radicalisation islamiste, constituent des menaces pour les Français, si on est obligé de les garder chez nous alors qu’ils ont été déboutés du droit d’asile à plusieurs reprises, alors il n’y aura pas de sécurité pour les Français. Je veux bien l’union, mais désormais on ne nous imposera pas le silence au motif de cette unité qui, si elle est effectivement un devoir, doit se faire dans la vérité, et dans une réponse efficace et lucide au défi qui est devant nous.


ChatGPT : opportunité ou péril pour l’humanité ?

François-Xavier Bellamy, Laurent Alexandre et Mathieu Michel ont débattu sur la révolution que constitue ChatGPT, lors d’une soirée organisé à Bruxelles par L’Institut Thomas More en partenariat avec le magazine L’Eventail.

 

 

Retrouvez l’analyse de la soirée par La Libre.

Le phénomène lié à cette crise d’intégration, c’est la faillite de l’école

Entretien dans Marianne

Débat initialement paru dans le magazine Marianne. Propos recueillis par Soazig Quemener et Louis Nadau.

Marianne : Il y a un mois, la France était secouée par une vague de violences et de pillages… Comment qualifieriez-vous ce qui nous est arrivé ?

François-Xavier Bellamy : On ne peut pas ne pas voir que la population qui s’est soulevée est une population très majoritairement liée au phénomène migratoire à une, deux ou trois générations. Trois générations dont, dans le contexte de faillite massive de l’intégration que notre pays connaît, beaucoup restent à distance d’une identité française qu’ils n’ont pas rejointe. Le deuxième phénomène qui est lié à cette crise d’intégration, c’est l’échec profond, la faillite de l’école.

Emmanuel Maurel : Dire qu’il y a un problème d’intégration dans ce pays, c’est évident, mais c’est aussi pour des raisons très claires. Si les politiques publiques et de logement consistent à parquer tous les mêmes gens précaires dans le même endroit, forcément… En revanche, je ne suis pas d’accord avec le lien entre émeutes et immigration. Pourquoi ? Parce que qu’on parle de gosses de quatorze ou treize ans qui sont Français, dont les parents sont Français et dont les grands parents parfois sont Français. Les enfants de treize ou quatorze ans qui ont foutu le bordel et qui se sont livrés à des actes de violence, ce sont les enfants des travailleurs qui étaient en première ligne pendant le Covid.

Un gigantesque acte d’accusation contre les faillites de l’école

François-Xavier Bellamy : Je ne dis pas que les gamins qui ont fait ça ne sont pas Français, mais le fait est que la plupart d’entre eux ne se définissent pas comme tels. C’est là qu’il y a une faillite que je ne leur impute pas, – ce qui sans doute, me rendrait suspect aux yeux de gens qui reprocheront immédiatement l’excuse sociale au premier qui essaye de ne pas dessiner un monde en blanc et noir. Ce qui s’est passé est un gigantesque acte d’accusation contre les faillites de l’école, qui ont créé le terreau de la fracturation communautariste. Mais si on continue avec de tels flux migratoires, avec autant de nouveaux arrivants tous les ans, il n’y a aucune chance qu’on arrive à recréer la conscience d’appartenir à une nation commune.

Emmanuel Maurel : Je suis comme vous, je souffre quand je vois des enfants qui ne se sentent pas Français. Mais parfois, on a quand même tendance à oublier l’élément déclencheur de ce qui s’est passé : la mort d’un jeune homme à l’occasion d’un contrôle policier. Ces gosses dont on parle se réinventent une identité parce qu’ils se sentent rejetés, parce qu’ils se sentent discriminés. Quoi qu’il en soit, je pars du principe que la République doit aimer tous ses enfants. Même ceux qui disent « nique la France ». D’ailleurs, face au rapport à la France, si j’étais un peu taquin, je dirais que le riche qui planque son pognon dans les paradis fiscaux, il n’aime pas plus la France que les émeutiers.

François-Xavier Bellamy : Je suis absolument d’accord…

« Je ne dis pas que les gamins qui ont fait ça ne sont pas Français, mais le fait est que la plupart d’entre eux ne se définissent pas comme tels. C’est là qu’il y a une faillite que je ne leur impute pas – ce qui sans doute, me rendrait suspect aux yeux de gens qui reprocheront immédiatement l’excuse sociale au premier qui essaye de ne pas dessiner un monde en blanc et noir. Ce qui s’est passé est un gigantesque acte d’accusation contre les faillites de l’école, qui ont créé le terreau de la fracturation communautariste. Mais si on continue avec de tels flux migratoires, avec autant de nouveaux arrivants tous les ans, il n’y a aucune chance qu’on arrive à recréer la conscience d’appartenir à une nation commune. » François-Xavier Bellamy

Emmanuel Maurel : Donc, ce patriotisme, tout le monde devrait contribuer à le renforcer, pas seulement les pauvres de banlieues d’origine étrangère. La faillite de l’intégration, le communautarisme qui est incontestable, c’est aussi le résultat direct du néolibéralisme et de la mondialisation libérale qui cassent les repères, qui cassent l’État social, qui fragmentent les services publics et qui font que les gens, à un moment, se retrouvent seuls face aux difficultés. Assez naturellement, ces populations se réinventent autour d’identités qui sont parfois fantasmées. Parce que le petit gosse qui dit « je suis Marocain », il n’a pas du tout envie d’aller vivre au Maroc.

Marianne : Le gouvernement a réclamé le retour de l’autorité parentale…

Emmanuel Maurel : Il y a une crise éducative globale qui ne se limite pas à l’autorité parentale. La réponse du gouvernement est très insuffisante : le problème, ce n’est pas juste que les parents ne savent pas tenir leurs gosses. C’est que l’école n’est plus un sanctuaire, mais un lieu où les contradictions de la société, la violence de la société, s’invitent. Quand on rajoute à ça le fait que le métier d’enseignant est dévalorisé, mal payé, de plus en plus difficile… Je ne ferai jamais le procès aux instits, aux enseignants, au personnel de l’Éducation nationale, des gens qui sont payés 1 500 balles, qui ont en face d’eux tous les problèmes de la société, et à qui on ose dire : « Réglez le problème. »

Je reviens sur quelque chose qui est beaucoup plus grave : la sécession des riches à l’école. C’est symptomatique d’un dysfonctionnement total dans les élites dirigeantes. Les mêmes qui vont disserter sur les problèmes d’autorité parentale et la crise de l’école sont ceux qui, de toute façon, ont mis leurs enfants à l’abri. Donc, évidemment qu’il y a des impératifs de mixité, qu’il faut revoir complètement, et une politique éducative à refonder. Tout ça mériterait des états généraux de l’éducation nationale où on met tout à plat, où on n’occulte rien.

Ce qui a cassé l’école, c’est une idéologie qui condamnait l’héritage et l’idée même de l’appartenance à la nation.

François-Xavier Bellamy : Oui, l’école ne resterait pas une minute dans l’état où elle est, si les enfants de ministres, de parlementaires, de chefs d’entreprise et de journalistes n’avaient pas d’échappatoires pour scolariser leurs enfants. Je ne leur reproche pas de vouloir que leurs enfants puissent bénéficier de la meilleure éducation possible ; mais le problème, c’est d’accepter que les enfants des autres en soient privés… En revanche, si la mondialisation a en effet eu des effets dévastateurs, ce n’est pas elle qui a cassé l’école. C’est une idéologie qui condamnait l’héritage et l’idée même de l’appartenance à la nation, au motif qu’elle empêchait l’émancipation de l’individu. Qui condamnait la transmission parce qu’elle engendrait de la ségrégation. Je ne blâme pas les professeurs, à qui on a volé leur métier : on leur a expliqué que l’élève doit produire ses propres représentations du monde, qu’il faut qu’il écrive son histoire, sa vie, qu’il n’y a aucune raison d’imposer à quelqu’un un carcan culturel. C’est cette dérive qui est en cause.

Marianne : Pourquoi vos familles politiques respectives ont-elles du mal à produire un discours qui prenne en compte l’ensemble des causalités de ces émeutes ?

Emmanuel Maurel : C’est normal qu’en tant qu’homme de gauche, je n’aie pas forcément la même lecture de la société qu’un homme de droite, même si on a en commun l’idée de sortir le pays du marasme dans lequel il est. Après, en tant qu’homme de gauche, je vois les tenants économiques, sociaux, géographiques et territoriaux de la crise. Je vois aussi la nécessité de mettre de l’ordre, et les problèmes rencontrés par l’intégration.

Marianne : La nécessité de mettre de l’ordre, ce n’est pas exactement le discours qui a été celui de la force majoritaire à gauche, la France Insoumise.

Emmanuel Maurel : D’accord, mais les électeurs de gauche et de nombreux partis de gauche étaient pour qu’on appelle au calme. Les principales personnes qui sont pénalisées par le désordre, ce sont les gens qui vivent dans des quartiers en question. Il est totalement possible de faire une analyse plurifactorielle. Ce qui compte, c’est de tracer une perspective progressiste, c’est à dire comment on fait pour remettre du service public ? Comment on fait pour réformer la police ? Comment on fait pour répondre à la crise éducative globale ? Comment on fait pour casser des ghettos ? C’est ça qui est intéressant. Et pour l’instant, le gouvernement n’a rien dit du tout là-dessus.

Marianne : Il faut réformer à la police ?

François-Xavier Bellamy : Il faut améliorer tout ce qui doit l’être dans la police. Il y a certainement des choses qui dysfonctionnent, mais je suis révolté de voir que des élus sont capables de reprendre à leur compte des slogans aussi lamentables que « Tout le monde déteste la police » ou bien « La police tue, la police assassine. » Il n’y a pas un policier de France qui se lève le matin en disant : « Je vais aller tuer un jeune aujourd’hui pour le plaisir. » Et s’il y avait du racisme structurel dans la police, honnêtement, le pays ne serait pas dans l’état où il est aujourd’hui.
Le sujet, c’est aussi la justice. On est l’un des pays d’Europe qui sous-financent le plus sa justice. L’état de la justice contribue à ce que des policiers, et je ne les excuse pas pour autant, soient amenés à considérer qu’ils sont les agents d’une sorte de justice immanente, parce que les gens qu’ils arrêtent, finalement, ne seront pas réellement sanctionnés. Je regrette par ailleurs que certains à droite pensent qu’on s’en sortira en mettant de la police partout, des caméras vidéo de surveillance, en rentrant dans une vraie société policière. On ne mettra pas un policier derrière l’épaule de chaque Français. À la fin, la clé est donc toujours éducative.

Ces gamins-là subissent une discrimination majeure qui est qu’ils sont ceux qui payent le prix fort de l’échec de l’école. Aujourd’hui, la France est un pays rempli d’opportunités, si on ne veut pas vivre dans la misère, on n’y est pas condamné à condition d’avoir reçu, et c’est là où je reviens à la question scolaire, des connaissances fondamentales et une culture en héritage. Cela a été la grande folie de nos dirigeants de considérer que l’école devait d’abord donner des compétences professionnelles aux enfants.

« L’état de la justice contribue à ce que des policiers, et je ne les excuse pas pour autant, soient amenés à considérer qu’ils sont les agents d’une sorte de justice immanente, parce que les gens qu’ils arrêtent, finalement, ne seront pas réellement sanctionnés. » François-Xavier Bellamy

Emmanuel Maurel : Ce que vous dites est à rebours de tout le discours de la droite depuis 30 ans.

François-Xavier Bellamy : De la gauche aussi. Mais je suis d’accord, la droite n’a pas été à la hauteur sur le sujet. La clé, c’est de donner aux enfants une culture générale essentielle qui leur permette ensuite de trouver leur place dans la vie de la société, y compris, mais pas seulement, dans la vie économique. C’est le seul sujet qui devrait compter aujourd’hui.

Les deux causes profondes de cette éruption

déni de réalité migratoire

Entretien initialement paru dans le Figaro. Propos recueillis par Emmanuel Galiero.

Quel bilan faites-vous des émeutes ?

François-Xavier BELLAMY. – Ces violences sont une partie visible du prix que paient les Français pour des années d’irresponsabilité politique. Le déni de réalité migratoire et l’effondrement éducatif sont les deux causes profondes de cette éruption. Rien ne serait pire que de se laisser endormir par les communiqués officiels qui rêvent d’une situation apaisée. Cet épisode n’était que l’émergence d’une lame de fond qu’il faut enfin affronter maintenant, si nous refusons qu’elle menace la survie même de la France.

Que vous inspire la réponse du ministre de l’Intérieur quand il refuse d’établir un lien entre ces événements et l’immigration ?

Le ministre de l’Intérieur tente encore de nous aveugler… Comme la gauche l’a fait longtemps, il s’abrite derrière des naturalisations récentes pour affirmer que les « émeutiers » sont français. Mais naturalisation ne veut pas dire assimilation, et cet épisode le prouve encore. Quand ces délinquants crient leur haine de la France et brûlent son drapeau, quand les quartiers qui font sécession sont ceux qui concentrent le plus de population d’origine immigrée, quand l’Algérie ou la Turquie demandent ironiquement que leurs ressortissants soient protégés des policiers français, comment Gérald Darmanin peut-il refuser de voir l’évidence ?

Comment les autorités françaises devraient-elles répondre aux critiques de l’ONU sur « les profonds problèmes de racisme et de discrimination parmi les forces de l’ordre » en France ?

Ce communiqué est révoltant. Les policiers et les gendarmes risquent leur vie chaque jour pour protéger tous les Français ; en attaquant les forces de l’ordre, l’ONU, comme LFI et certains médias, encouragent un chaos dont les plus vulnérables sont les premières victimes. Si ce Haut-Commissariat s’intéresse vraiment aux droits de l’homme, qu’il s’inquiète d’abord de l’enfer subi chaque jour par les habitants des quartiers soumis à l’emprise des islamistes et des trafiquants.

Quel sera l’impact de ces émeutes sur le texte immigration ?

Pourquoi attendre la rentrée ? Il n’y a pas une minute à perdre pour fermer les vannes d’une immigration hors de contrôle qui déstabilise en profondeur notre société. Les Républicains ont une proposition législative claire et complète pour y parvenir tout de suite. Avec Éric Ciotti, Olivier Marleix et Bruno Retailleau, nous avons demandé une rencontre avec le président de la République pour pouvoir la mettre à l’agenda le plus rapidement possible : il n’a jamais répondu. Alors que les enquêtes montrent que plus de 70 % des Français soutiennent nos propositions, il est révoltant que ce soient le président et sa majorité qui empêchent le pays d’avancer.

Avez-vous le sentiment que le chef de l’État répondra à ces urgences ?

Je ne peux que l’espérer pour mon pays mais je constate que le déni prime toujours. Au Parlement européen, les députés macronistes ont mené une croisade contre nous parce que nous avons obtenu que l’Europe finance les infrastructures protégeant nos pays des flux migratoires illégaux. La majorité ne veut pas affronter ce sujet, peut-être aussi pour échapper à sa responsabilité… Sous la présidence d’Emmanuel Macron, la France a délivré plus de titres de séjour que jamais auparavant : près de 500 000 personnes sont arrivées l’an dernier. Impossible de ne pas faire le lien avec les récentes émeutes… Il suffit d’écouter les maires des villes saccagées pour mesurer le problème. L’un d’entre eux me confiait que des dégradations avaient été commises par des mineurs isolés placés dans sa commune où ils ne cessent d’arriver chaque semaine. Comment ces quartiers pourraient-ils échapper à une déstabilisation très profonde ? Tout le monde voit qu’il est urgent d’agir, sauf la gauche et le gouvernement, unis pour empêcher toute reprise de contrôle…

Ces violences ne sont que l’émergence d’une lame de fond qu’il faut enfin affronter maintenant, si nous refusons qu’elle menace la survie même de la France.

Comprenez-vous la déception de nombreux maires après leur réception à l’Élysée ?

Tous ces maires ont passé des jours et des nuits sans dormir, avec les forces de l’ordre et les pompiers, pour protéger leurs villes et tenter d’éviter le pire. J’ai été impressionné, en retrouvant plusieurs d’entre eux, par leur courage malgré l’épreuve immense qu’ils ont traversée. Ils sont les héros discrets et fidèles d’une France qui tient grâce à eux, cette fois encore. Mais ils ont été écœurés de cette rencontre : le président les a fait parler sans jamais rien leur répondre… Cette réunion de pure communication, c’était la mise en scène de l’abandon des élus désormais seuls en première ligne.

Vous aviez pointé l’importance du problème de l’éducation comme moteur des violences, quelle est la solution ?

Je tente d’alerter depuis plus de dix ans, parmi bien d’autres professeurs ; mais rien ne change. Nos dirigeants savent tout, et ne font rien. D’après les statistiques publiques, un jeune sur cinq à 18 ans lit difficilement le français. Des millions de jeunes grandissent dans ce pays sans apprendre à le connaître, sans maîtriser les savoirs les plus fondamentaux. Comment cela pouvait-il aboutir à une autre conséquence que cette désintégration absolue ?

Tant que l’obsession du gouvernement sera la dispersion des savoirs fondamentaux, l’éducation sexuelle et l’éco-certification des élèves, nous perdrons un temps vital.

Maintenant, l’essentiel n’est pas seulement de reconstruire les dizaines d’écoles brûlées, mais de leur rendre leur mission : transmettre à tous les enfants les éléments essentiels de la culture, de la connaissance, des repères moraux nécessaires pour une vie civilisée et une participation utile à la vie de la société. Il faudra du courage, de la lucidité, de la persévérance, mais cette urgence du long terme est seule primordiale. Tant que l’obsession du gouvernement sera la dispersion des savoirs fondamentaux, l’éducation sexuelle et l’éco-certification des élèves, nous perdrons un temps vital.

Des réseaux sociaux aux cagnottes, l’influence grandissante des plateformes numériques inquiète. Comment gérer ces évolutions ?

Là aussi, c’est un sujet d’éducation. Le monde de l’immédiateté a pris la place du travail de la transmission. L’écran remplace le livre. Et un moment comme celui-ci montre le potentiel de violence que déchaîne cette déculturation, l’abrutissement et la brutalisation qui naissent de cette fascination pour l’immédiat. Ce serait une erreur d’accuser l’outil au lieu de voir qu’il n’est que le symptôme d’un effondrement éducatif. Lutter contre l’asservissement de l’attention des jeunes aux écrans suppose de comprendre qu’il est le résultat du vide intérieur que l’échec de l’école a laissé prospérer.

Comment ces troubles français sont-ils perçus chez nos voisins européens ?

Avec une vraie et grande inquiétude. Ces violences auront, une fois de plus, beaucoup coûté à l’image de notre pays, à son économie, à son attractivité ; et je pense aux commerçants, aux entrepreneurs, aux travailleurs qui paient cet affaiblissement au prix fort.


À La Verrière, dégoût et colère.

Dégoût et colère. J’étais à la Verrière aujourd’hui, une commune qui comme tant d’autres a subi la violence inouïe des dernières nuits, avec le maire Nicolas Dainville qui se démène sans compter, les soignants dont l’hôpital a été attaqué, les enseignants qui ont vu leur école brûler…

Dégoût devant la lâcheté de ces « émeutiers », devant ce déferlement stupide et destructeur. Qu’est-ce qui peut excuser qu’on brûle une école ? Un jeune a été tué, l’auteur du tir est en prison – ça n’arrive pas si souvent. Rien ne justifie qu’on ajoute de la violence à ce drame.

Colère devant l’injustice absolue infligée à des enfants privés d’école, à des familles traumatisées, à des commerçants pillés, à ceux qui tiennent les services publics essentiels envers et contre tout, aux élus qui voient détruits en un instant des années d’efforts patients…

Colère d’entendre des élus s’acheter une clientèle en attisant le pire, et des commentateurs qui s’obstinent à raconter que ce délire a quelque chose à voir avec la mort de Nahel. On porte le deuil en volant des baskets et en tronçonnant des distributeurs de billets, vraiment ?

Dégoût et colère devant les années de folie migratoire et de faillite éducative qui ont conduit à cette impasse. Parmi les jeunes qui ont brûlé ces bancs, certains y sont resté assis des années. Comment avons-nous laissé mépriser et haïr à ce point ce qui devait y être transmis ?

Sidération enfin de voir nos dirigeants tergiverser face à ce défi lancé à l’Etat. Comptent-ils abandonner longtemps les policiers, gendarmes, pompiers devant la violence qui promet de se répéter chaque nuit ? Qu’attendent-ils exactement pour déclarer l’état d’urgence ? Combien de blessés chez les forces de l’ordre, combien d’écoles, de mairies, de magasins détruits avant que les mesures soient prises pour empêcher enfin que la brutalité s’organise ? Le président fait appel à la responsabilité des parents ; il faut aussi qu’il assume la sienne.


Revoir l’intervention de François-Xavier Bellamy au lendemain du drame de Nanterre

Lutter contre l’exposition des mineurs à la pornographie, désormais massive

Les professionnels de l’enfance alertent sur l’exposition des mineurs à la pornographie, désormais massive, et la gravité de ses conséquences. Les plateformes qui contournent la loi peuvent être contraintes à l’échelle européenne. François-Xavier Bellamy propose au parlement un texte pour y parvenir. Explications.


Répartir l’échec ou reconstruire enfin l’école ?

Fabien Clairefond - François-Xavier Bellamy au sujet des annonces de Pap Ndiaye pour répondre à « l'évitement scolaire »

Tribune parue dans Le Figaro le 16 avril 2023

Rien n’est plus dangereux pour un patient que le médecin qui tenterait de supprimer le symptôme plutôt que la maladie. Pap Ndiaye se souvient-il de cet avertissement de Georges Canguilhem ? Il s’y prend en tous les cas à rebours pour traiter ce grand corps malade qu’est devenue l’Éducation nationale, en annonçant, dans un entretien au Figaro, qu’il se prépare à imposer des ratios de mixité sociale dans les établissements privés. Même si le ministre est trop pudique pour nommer clairement la contrainte, trouvant que « le terme de quota est un peu rigide », c’est bien de cela qu’il s’agit…

Le système scolaire français est devenu l’un des plus inégalitaires au monde

Le mal est en effet profond. Les indicateurs effarants se succèdent sur l’effondrement de notre école. D’après le ministère lui-même, à peine la moitié des élèves de sixième a le niveau de lecture requis pour le collège, et un tiers est en grande difficulté. Sur les matières scientifiques, alors que la France se classait dans le premier tiers de l’OCDE en 2000 selon le Programme international pour le suivi des acquis des élèves (Pisa), elle a reculé derrière la plupart des pays européens – très loin des pays asiatiques.

Mais cette faillite collective n’est pas payée au même prix par toute la société française. Les données convergent pour montrer que le système scolaire français est devenu l’un des plus inégalitaires au monde. En 2013, l’enquête Pisa révélait que « l’école française est aujourd’hui celle des pays de l’OCDE où l’origine sociale des enfants pèse le plus lourd dans les résultats scolaires ». Cette trahison absolue de la promesse du mérite, qui constituait pourtant en France le cœur même de l’aspiration démocratique, n’a cessé de s’aggraver depuis.

Punir, sous couvert de grands principes, ceux qui reçoivent encore un enseignement de qualité, c’est avouer qu’on a renoncé à enrayer le déclin de l’enseignement public.

Un jeune majeur sur cinq en grande difficulté de lecture

Il me semble d’ailleurs évident que cette distribution inégalitaire des conséquences de l’effondrement scolaire explique largement l’étrange inertie qu’il suscite. Les milieux dirigeants sachant leurs enfants globalement protégés du naufrage éducatif – voire avantagés par le fait que les élèves issus des milieux défavorisés, et même de la classe moyenne, n’ont plus les moyens de leur contester les places dans les filières les plus valorisées de l’enseignement supérieur. Comment ne sombreraient-ils pas dans un confortable déni ? Combien de ministres, d’élus, de patrons, de journalistes, ont crié au scandale quand, en 2020, l’enquête TIMMS a classé nos élèves derniers d’Europe en mathématiques ?

Ces chiffres, parmi tant d’autres, auraient dû provoquer un électrochoc national. S’il n’en a rien été, c’est parce que nos décideurs ne se représentent pas ce qu’ils veulent dire concrètement pour tant de Français, qui voient leurs enfants condamnés à la relégation scolaire. Toutes nos statistiques en matière d’éducation doivent être lues avec ce prisme : quand le ministère compte chaque année un jeune majeur sur cinq en grande difficulté de lecture, il faut comprendre qu’ils sont en réalité majoritaires dans certains établissements, et totalement absents dans d’autres.

Évitement scolaire : les contraindre ou les comprendre ?

Pap Ndiaye ne peut éviter ce problème, mais il le prend à l’envers. Il dénonce « l’évitement scolaire » qui conduit ceux qui le peuvent à rejoindre l’enseignement privé. Mais plutôt que de les contraindre, l’urgence serait de les comprendre – d’avoir enfin le courage de reconnaître ce qui fait que tant de Français sont prêts à tout pour « éviter » à leurs enfants l’enseignement public. Monsieur le Ministre, cela ne devrait pas être trop difficile pour vous, qui scolarisez vos propres enfants dans l’établissement sans doute le plus sélectif et le plus élitaire qui soit dans l’enseignement privé parisien… Inutile de chercher trop loin : dans le collège de vos enfants, le latin est par exemple obligatoire en cinquième – vous savez, cette langue ancienne qui a été supprimée de l’enseignement public par la gauche dont vous vous revendiquez. Un exemple parmi bien d’autres.

L’enseignement privé est devenu un refuge

Ironie de l’histoire, l’un des rares soutiens qu’avait reçu la réforme de Mme Vallaud Belkacem qui décidait cette suppression, ainsi que la diminution des cours par discipline au profit d’« enseignements pratiques » incertains, avait été l’enseignement catholique – quand toutes les organisations éducatives et les syndicats enseignants combattaient ce nouveau recul. Si l’enseignement privé est devenu un refuge, ce n’est pas parce qu’il cultiverait par lui-même une vision bien plus solide. L’engagement des équipes éducatives y est tout aussi méritoire que dans l’enseignement public, mais les structures n’y sont pas moins défaillantes, et la formation des professeurs y est souvent plus désastreuse encore.

Le privé tire profit de son statut d’oasis scolaire essentiellement parce qu’il réunit majoritairement des foyers plus aisés, plus familiers de la culture scolaire, plus attentifs et exigeants, plus susceptibles de donner un cadre de travail favorable à leurs enfants et de financer les cours de soutien garantissant leur maintien à flot. La France est d’ailleurs, on le comprendra aisément, championne d’Europe de ce business. C’est d’abord pour cette raison qu’il reste plus de chances qu’un enfant y reçoive des connaissances que l’on devrait pouvoir apprendre dans toutes les écoles de France.

Imposer à tous de prendre part au naufrage ? 

Car là est le vrai choix à faire, une fois posé l’aveu d’échec absolu qu’est le constat de « l’évitement scolaire » : décider s’il faut imposer à tous de prendre part au naufrage, ou s’il faut refonder l’enseignement public pour que plus personne ne cherche à le fuir. Bourdieu avait attaqué le principe même de la transmission exigeante d’une culture commune comme moyen offert aux élèves de s’élever au-delà de leur milieu social. Mais par son oeuvre et sa réception presque unanime, il a produit exactement l’école qu’il dénonçait, la plus injuste de toutes. En condamnant l’héritage, l’Éducation nationale a fait tant de déshérités – et notre classe dirigeante s’est si longtemps accommodée de ce scandale moral absolu.

Pap Ndiaye poursuit exactement dans cette voie, en s’attaquant à ceux qui reçoivent encore le plus au lieu de s’inquiéter de ceux qui n’ont plus rien.

Le quinquennat précédent avait déjà vu reculer comme jamais le principe de la liberté scolaire ; celui-ci prend donc le chemin d’une coercition supplémentaire. Avec une telle logique, il faudra finir de détruire tout ce qui tient encore debout pour faire semblant de ne plus voir que l’enseignement public est à terre. Mais de cet effondrement auquel personne ne veut enfin faire face, c’est l’avenir de la France qui ne se relèvera pas.

 

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