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La relégation du bac piège les plus déshérités

LE FIGARO. – Après avoir introduit une part importante de contrôle continu au bac, Jean-Michel Blanquer veut supprimer les épreuves communes à tous les lycées au profit de nouvelles modalités d’évaluation propres à chaque établissement, actant ainsi le passage à un « bac local ». Est-ce un moyen d’inciter «chaque élève à s’impliquer toute l’année dans ses apprentissages» comme l’ambitionne le ministère, ou l’ultime coup de grâce porté à cet examen ?

François-Xavier BELLAMY. – C’est un aveu, une manière d’admettre que le baccalauréat n’existe plus. On pouvait déjà le deviner au moment où Jean-Michel Blanquer avait annoncé la réforme du bac en 2018, l’organisation des épreuves communes dites E3C ressemblait à une usine à gaz aberrante qui ne pouvait être qu’une étape vers la suppression de cet examen national.

Une grande part du baccalauréat dépendra désormais uniquement des notes attribuées par les professeurs tout au long de l’année , sans aucune espèce d’anonymat, avec une dimension nécessairement relative à la notoriété des établissements qui accompagnera cette notation. En réalité, il s’agit de transformer le bulletin scolaire en bac.

Cet examen est devenu un mensonge d’État et Jean-Michel Blanquer l’enterre au lieu de tenter de le sauver, achève un malade quand il devrait le réanimer. Le ministre hérite, bien sûr, de la crise durable d’un système scolaire, mais pendant de longues années il y a très largement contribué en tant que directeur général de l’enseignement scolaire puis ministre de l’Éducation nationale pendant de longues années. Il ne peut donc pas être exonéré de sa responsabilité dans la situation actuelle.

Demain, les parents les plus malins, les mieux informés ne risquent-ils pas de déserter encore davantage les établissements moins réputés ? Se dirige-t-on vers un accroissement de l’hétérogénéité entre les lycées et les lycéens ?

Oui. Personne ne nous fera croire que c’est une nouveauté, tous les parents savent déjà que le fait de sortir d’un lycée plus ou moins coté aura une incidence sur l’orientation de leur enfant. Nous avons aujourd’hui le système scolaire le plus inégalitaire de l’OCDE, comme l’indiquent sans discontinuer les enquêtes Pisa publiées depuis 2013 ; dans notre pays, le parcours d’un élève est le plus directement prévisible à partir de son milieu social d’origine. C’est d’autant plus grave que la France s’est construite et vit toujours sur la promesse de la méritocratie, par l’accès universel à l’éducation et au savoir. Derrière cette promesse, il y a un mensonge et le bac est l’un des noms de ce mensonge.

Dans cette situation, Jean-Michel Blanquer avait deux options : tenter de redonner du sens au bac en reconstruisant en amont un système éducatif qui fonctionne et permette à chaque élève d’avoir accès au savoir, ou renoncer à cette ambition et achever de vider cet examen national de sa signification, aggravant ainsi la relégation qui piège les plus déshérités.

En présentant ses «ajustements» pour le bac 2022, le ministre de l’Éducation nationale a évoqué des modifications de coefficients pour les matières mais rien sur le contenu des programmes. Pourtant, toutes les études internationales montrent que le niveau des élèves français chute…

Après les E3C, l’introduction du grand oral et des épreuves de spécialité au bac, Jean-Michel Blanquer veut modifier les coefficients des épreuves. J’observe d’ailleurs une chose : pour pouvoir comprendre le lycée d’aujourd’hui, il faut avoir fait l’ENA ! Tout ceci ne fait que renforcer le fossé qui se creuse entre les personnes armées pour faire face à la complexité de plus en plus aberrante du système, et les autres. On vit l’exacte continuité du quinquennat Hollande et de l’action de Najat Vallaud-Belkacem au ministère de l’Éducation nationale, une époque marquée par une multiplication de dispositifs de cette nature dans la réforme du collège. Aujourd’hui, les parents ne comprennent plus rien à l’école de leurs enfants quand ce ne sont pas les professeurs eux-mêmes qui sont perdus.

Il s’agit d’un contresens total compte tenu de ce dont l’école avait besoin: un retour aux fondamentaux, à la transmission d’une culture générale solide. Au-delà de la réforme du bac, Jean-Michel Blanquer transforme en profondeur le lycée, en imposant le principe d’une spécialisation précoce, ; et cette transformation est d’autant plus violente que, dans un monde en pleine mutation, les élèves ont de plus en plus tard une idée de ce qu’ils vont faire de leur vie.

Jean-Michel Blanquer n’a cessé de dire et d’écrire que l’éducation se joue dans les petites classes et je suis d’accord avec lui. De ce point de vue là, si on ne commence pas par travailler à un système éducatif où tous les élèves apprennent à lire, écrire et compter à l’école primaire, on n’arrivera à rien au moment du bac, ; ce n’est même pas la peine d’essayer de régler un problème par sa conclusion. Le baccalauréat est supposé être l’évaluation de ce qui a été appris lors des quinze années précédentes, et si le dysfonctionnement commence quinze ans plus tôt, le baccalauréat ne peut qu’être le symptôme et le révélateur d’une faillite bien plus profonde.

L’ampleur des fautes d’orthographe choque au premier abord, puis viennent les défaillances en termes de structure logique dans la pensée. Professeur de philosophie, avez-vous constaté un déclin significatif des copies ?

Mon expérience n’est pas assez longue pour avoir observé par moi-même une dégradation progressive ; mais, ayant pourtant corrigé le baccalauréat plusieurs années, je n’ai jamais vu ce que des collègues me racontent aujourd’hui des copies qu’ils ont sous les yeux. France Inter a même fait état de la stupéfaction de nombreux professeurs face à la proportion très importante de « non-copies », des devoirs quasi inexistants, rendus seulement pour faire acte de présence. Des élèves écrivent qu’ils s’excusent de devoir partir vite, ou qu’ils en ont assez de travailler. De fait, avec le contrôle continu, la plupart arrivent en sachant déjà qu’ils ont le bac ; pourquoi se donner du mal ?

On atteint le point où le mensonge est, de toute façon, connu de tous, et les élèves ne se donnent même plus la peine de faire semblant. Une statistique intéressante à surveiller, c’est le temps passé dans la salle d’épreuve. Il est obligatoire de rester une heure sur place pour ne pas être déclaré absent ; cette année, un nombre très substantiel de candidats au bac sont partis dès la première minute de liberté accordée.

La situation a-t-elle une chance de s’améliorer dans les prochaines années ? Comment remédier à ces lacunes profondes chez certains élèves ?

Non seulement nous le pouvons, mais c’est absolument nécessaire pour la survie de notre pays. Le recul de notre système éducatif est sidérant, alors que le modèle français a longtemps été un des plus efficaces du monde et a inspiré de nombreux pays. Désormais il nous faut nous inspirer de ce qui se fait ailleurs pour retrouver la capacité de transmettre ; mais nous devons aussi puiser dans notre tradition pédagogique, et le baccalauréat en est un pilier important. Il représente l’exigence dans l’universalisme, le respect du mérite, de l’effort et du travail quel que soit le parcours de l’élève, son histoire ou son identité. Le baccalauréat fait partie de la culture française ; à l’exact opposé, Jean-Michel Blanquer est en train d’imposer un dérivé médiocre de la culture anglo-saxonne, celle qui choisit la spécialisation au lieu de l’enseignement général, la compétence au lien de la connaissance, la professionnalisation à la place de la formation personnelle et de la construction de la pensée.

Le problème est que nous aurons demain les faiblesses du système américain, sans en avoir les forces. Les Américains ont un tronc commun et une culture générale assez fragiles jusqu’à l’enseignement secondaire, mais leur système universitaire repose sur une spécialisation très avancée, avec une sélection extrêmement exigeante (pour partie intellectuelle mais aussi pour partie censitaire), et des moyens gigantesques dans l’enseignement supérieur. Chez nous, des universités paupérisées sont sommées d’absorber les conséquences de ce mensonge qu’est le bac : elles sont les seules formations obligées de recevoir les dizaines de milliers de lycéens auxquels l’éducation nationale a conféré le « premier grade universitaire » sans jamais leur donner les capacités élémentaires pour poursuivre des études supérieures. Dans les faits, les facultés continuent de leur mentir pendant trois ou quatre ans, le temps d’une licence, voire d’une première année de master.

Sur Twitter, j’ai été marqué par le hashtag #EtudiantsSansMaster . Il s’agit d’étudiants qui se révoltent car ils n’ont pas de place en master. Mais comment en serait-il autrement ? Environ 300 000 bacheliers entrent chaque année à l’université: 60 % d’entre eux ne valident pas leur première année de licence… Beaucoup ont de sérieuses lacunes dans la maîtrise de l’écrit : 20% des jeunes majeurs en France ont des difficultés de lecture. Beaucoup persévèrent pourtant, jusqu’au master. À ce moment-là, nécessairement, une sélection finit par s’opérer, et ces jeunes-là deviennent les dindons de la farce. Pourtant, ils ont fait ce qu’on leur demandait, ils ont joué comme ils le pouvaient le jeu de la promesse qui leur était faite par l’institution, et à la fin ils n’ont malheureusement aucune chance de trouver une place qui corresponde au talent qu’ils avaient certainement en eux mais que notre école ne leur a pas permis d’accomplir.

On n’encadre pas l’injustice, on la combat.

Tribune signée avec Othman Nasrou, vice-président du Conseil régional d’Ile-de-France et élu d’opposition à Trappes, initialement parue dans Marianne.

Pendant que des milliers de policiers et gendarmes tentent de faire respecter la loi contre la puissance mortifère des trafics – le brigadier Eric Masson l’a payé de sa vie le 5 mai face aux dealers à Avignon – des élus irresponsables jouent la transgression adolescente jusque dans l’hémicycle. Il y a quelques jours, un député a sorti un joint en séance à l’Assemblée nationale.

Cette provocation médiocre a de quoi désespérer tous ceux qui, professeurs, éducateurs, médecins et personnels de médecine scolaire, agents des forces de l’ordre et de la justice, font des efforts immenses pour dissuader les jeunes de laisser partir leur avenir en fumée. L’apologie du shit revendiquée par un élu, voilà qui éclaire l’irresponsabilité de certains arguments évoqués parfois en faveur de la légalisation du cannabis. Et la première de ces thèses, entendue mille fois : puisque l’interdiction n’a jamais mis fin à l’usage, autant y renoncer pour pouvoir mieux encadrer les filières d’approvisionnement et les modes de consommation.

Cette analyse est absurde, à plusieurs titres. D’abord parce qu’elle fait l’impasse sur la nocivité intrinsèque du cannabis. Il ne suffira pas de légaliser une substance dangereuse pour qu’elle devienne sûre… Qui pense que mettre un poison en vente libre diminue sa létalité ? En l’occurrence, le cannabis est un poison, en particulier pour les jeunes. Nos expériences d’élu et d’enseignant confirment malheureusement ce que montrent les études médicales : le cannabis a des effets toxiques immédiats sur le cerveau, en particulier dans la phase de son développement ; il provoque des troubles de l’attention et de la mémoire, des phases d’anxiété, une fatigue chronique – il figure d’ailleurs parmi les premières causes d’échec scolaire. Malgré son image festive et sociale, l’addiction qu’il suscite conduit souvent ses victimes à s’isoler, à se refermer sur elles-mêmes, à développer des symptômes dépressifs. Le lien est désormais établi par des nombreuses études entre la consommation de cannabis et des troubles psychotiques, le développement de schizophrénies ou de délires paranoïaques. On accordera que ces conséquences sont d’une particulière gravité – et il y a quelque chose d’étonnant à voir, dans cette période où nous aurons tant sacrifié au risque zéro sanitaire, que certains sont prêts à nier l’évidence du problème majeur de santé publique que représente le cannabis.

Certains répondront que l’alcool et le tabac posent aussi des problèmes de santé, sans être pourtant interdits. Mais la comparaison est absurde : ces produits ne s’accompagnent pas des mêmes pratiques, et n’engendrent pas les mêmes conséquences. L’alcoolisme est un drame absolu ; mais on peut boire de l’alcool sans être du tout alcoolique. En France tout particulièrement, le vin est un élément de la gastronomie : il se goûte, et on le savoure pour lui-même – non pas essentiellement pour ses effets secondaires, que seul un usage excessif peut réellement entraîner. On ne fume un joint en revanche que pour ses effets psychotropes – rien à voir, là aussi, avec le tabac : le cannabis est bien une drogue. A l’évidence, beaucoup d’autres choses que des drogues peuvent être mauvaises pour la santé, parmi lesquelles bien des aliments ordinaires ou des pratiques sportives en elles-mêmes parfaitement saines ; mais il faudrait beaucoup de mauvaise foi pour tout confondre dans un relativisme abscons. La consommation de cannabis ne peut qu’être nocive, comme toute consommation de drogue – et il n’est pas étonnant que les études épidémiologiques démontrent ce lien : pour les consommateurs d’héroïne ou de cocaïne, le cannabis a souvent été un premier pas.

On n’encadre pas l’injustice, on la combat. On ne légalise pas un poison, on combat ceux qui empoisonnent. Légaliser le cannabis serait pour le législateur une abdication démagogique de sa responsabilité première.

Quel bénéfice pourrait-on dès lors espérer de sa légalisation ? Renoncer à l’interdire permettrait de mener des campagnes de prévention, nous dit-on ; mais rien n’interdit de le faire aujourd’hui, et il est temps en effet d’investir massivement dans la pédagogie indispensable pour susciter une prise de conscience. A l’inverse, il serait parfaitement incohérent de prétendre qu’on dissuadera mieux en autorisant… Les expériences connues sont éloquentes sur ce point : l’État du Colorado, après avoir légalisé le cannabis en 2012, a connu une augmentation de 45% de la consommation chez les adultes de plus de 25 ans, un record parmi les États américains. Alors que l’usage du cannabis a tendance à décroître depuis quelques années chez les jeunes français – contrairement à ce que certains de leurs aînés rêveraient de nous faire croire, la légalisation serait un contresens historique. Ceux qui la revendiquent affirment également que cela permettrait d’assécher les trafics. Mais qui peut croire cette fable ? On ne devient pas dealer par passion pour le cannabis – ceux qui le vendent sont souvent les premiers à en connaître assez les méfaits pour ne pas y toucher eux-mêmes. S’ils ont choisi cette activité, c’est parce qu’un business illicite est plus lucratif, et leur permet de financer bien des activités parallèles, qui peuvent aller parfois jusqu’au financement de filières terroristes… Qui peut sérieusement croire que ces réseaux criminels déclareront leurs revenus et paieront la TVA dès que le cannabis sera légal ? Ils se reconvertiront bien sûr dans d’autres trafics illicites. L’exemple de l’Uruguay, ou du Canada, ont montré que les marchés noirs peuvent même augmenter après la légalisation du cannabis… Ceux qui militent pour cela nous demanderont-ils demain de légaliser l’héroïne, au motif que de toute façon la répression ne marche pas ?

En réalité, derrière cette logique, il y a une démission politique absolue. Le législateur doit-il renoncer à interdire quoi que ce soit, au motif que toute interdiction sera un jour violée ? Il y a des milliers d’excès de vitesse chaque jour : on n’abolit pas pour autant le code de la route. Parce qu’il protège nos déplacements, l’État se donne les moyens de le faire respecter. Baisser les bras devant une industrie illégale qui détruit des vies, ce serait renoncer à la responsabilité politique. Personne ne songe à légaliser l’activité des cambrioleurs au motif que, puisque la propriété privée n’est pas toujours respectée, il vaut mieux que leur activité soit encadrée dans de bonnes conditions… On n’encadre pas l’injustice, on la combat. On ne légalise pas un poison, on combat ceux qui empoisonnent. Légaliser le cannabis serait pour le législateur une abdication démagogique de sa responsabilité première. Et cela n’a rien de théorique : quand des milliers de vies sont en jeu, il ne faut jamais renoncer – quoiqu’il en coûte.

La France doit dire ce qu’elle est

Entretien initialement paru dans L’Incorrect du mois de mars 2021.

Le projet de loi actuellement en discussion devait porter sur l’islamisme. Il prétend maintenant veiller au « respect des principes de la République » par toutes les religions, de peur de « stigmatiser » l’islam. Qu’en pensez-vous ?

Ce projet de loi est totalement décalé par rapport à l’enjeu. J’ai du mal à comprendre l’erreur de diagnostic et de solutions. Il y a une erreur de fond dans le fait de croire que le problème serait lié aux religions : le sujet, c’est la rencontre à haut risque de de l’islam avec la culture française et la civilisation européenne. De ce point de vue, la réponse ne peut d’ailleurs pas se trouver contenue dans une simple loi.

Le problème fondamental est intellectuel, spirituel, civilisationnel. Il consiste à savoir si nous voulons encore défendre, préserver et transmettre notre héritage. Cet héritage inclut une certaine manière de vivre, de voir le monde, une certaine conception de la relation entre l’homme et la femme, une certaine idée de la raison, une certaine organisation politique, et en elle l’idée de la laïcité, qui est en réalité une idée européenne, parce qu’elle est une idée chrétienne — le mot même de laïcité vient de la théologie chrétienne.

Vouloir s’en prendre de manière équivalente à toutes les religions, ou vouloir revenir aux débats internes à l’esprit européen quand il s’agissait de limiter l’emprise de la religion sur le pouvoir temporel, c’est commettre une erreur majeure. Aujourd’hui, le sujet n’est plus la distinction entre le temporel et le spirituel dans un monde chrétien ; c’est la préservation du modèle hérité de la tradition judéo-chrétienne face à la montée de la culture musulmane, elle-même liée à l’immigration massive. Il peut y avoir une évolution de la loi pour améliorer notre réponse sécuritaire ou judiciaire à court terme ; mais le point central, c’est de savoir comment nous serons capables de transmettre de nouveau la France à tous ceux qui grandissent dans notre pays, et dont beaucoup ne se reconnaissent pas de cet héritage.

Ne pourrait-on pas imaginer quelque chose sur le modèle de la convocation du Grand Sanhédrin par Napoléon en 1806 ?

L’État ne réformera pas l’islam. L’État n’organisera pas l’islam. Projeter cela, ce serait se méprendre sur la nature de cette religion, qui ne connaît pas une structuration semblable à celle de l’Eglise par exemple. Par ailleurs, il y aurait un abus de pouvoir dans l’idée que l’on va intervenir de l’extérieur dans le culte musulman : nous n’avons pas à dire ce qu’un musulman a le droit de croire ou de ne pas croire, ce qu’il doit penser ou ne pas penser. Sans compter que cet abus de pouvoir ne fonctionnera pas. Je l’ai vécu comme prof et comme élu local : la montée de la radicalité chez beaucoup de jeunes musulmans fait que les responsables qui s’accordent avec les institutions se trouvent de facto discrédités. Une immense majorité des croyants refuseront logiquement d’adhérer à des dogmes négociés avec l’Etat… Nous n’avons rien à gagner à entrer dans cette logique.

Ce serait aussi décalé que, par exemple, de vouloir proscrire la kippa dans l’espace public, comme le propose depuis longtemps Marine Le Pen. Il y a depuis quinze ans une montée de la pression islamiste dont les Français de confession juive sont directement les victimes, et à la fin, quand il faut y répondre, on dit : qu’ils enlèvent leur kippa ! C’est absurde !

Alors que doit-on faire ?

La seule chose que doit faire la France, c’est de dire ce qu’elle est et ce qu’elle ne négociera jamais. À partir de là, à chacun de juger s’il veut vivre dans notre pays. Oui, la France est le pays de la liberté de conscience, donc en France on a le droit d’être musulman – c’est une grande chance parce que dans les pays musulmans, on n’a pas toujours le droit d’être chrétien… Cela implique que la France est un pays où la parole est libre, avec les excès que cela peut entraîner. En France, il peut vous arriver de croiser une caricature qui heurte votre foi – je le dis comme un catholique à qui il est arrivé de se sentir parfois blessé par une caricature –, mais c‘est comme ça, c’est la France. À ceux qui trouvent ça trop pénible, à ceux qui sont trop fragiles pour le supporter, je dis qu’il y a des tas de pays dans lesquels ils seront sûrs de ne jamais voir une caricature du prophète, et qu’ils peuvent parfaitement choisir d’y vivre. Je ne peux le leur reprocher : choisissez un autre pays, une autre manière de vivre, et restons bons amis ! Mais si vous voulez vivre en France, vous devez épouser ce modèle.

Vous pensez qu’une majorité de jeunes musulmans est prête à l’accepter ?

Dans notre histoire, beaucoup de musulmans sont morts pour la France ; il n’y a aucune raison pour qu’un citoyen musulman se sente étranger à la France. Je crois profondément que beaucoup de jeunes issus de l’immigration sont prêts à estimer un pays qui s’estimerait lui-même. C’est pour cela que le vrai sujet est politique, au sens le plus fort du terme – non pas seulement sécuritaire, ou institutionnel… Au fond, il renvoie notre pays à sa propre incapacité à s’assumer et à se transmettre. Quand on élit un président de la République qui nous a dit qu’il n’y avait pas de culture française, il est évident que ça ne peut pas marcher. Vous ne pouvez pas intégrer et vous ne pouvez pas assimiler si vous partez du principe que votre pays n’a rien à proposer, qu’il n’a pas une culture à recevoir et à rejoindre.

L’islamisme des cités est d’ailleurs un adversaire idéologique d’une fragilité insigne. Il faut bien avoir conscience que la médiocrité et la superficialité de son discours ne se propagent qu’à proportion du vide que nous laissons derrière nous, quand nous refusons d’assumer ce que nous sommes et de le transmettre.

Vous dites : « On ne peut pas intégrer, on ne peut pas assimiler. » Ce n’est pas la même chose. Vous souhaitez intégrer ou assimiler ?

J’assume parfaitement l’idée de l’assimilation, un projet d’une immense générosité et qui est particulièrement français, parce que la France a toujours eu une relation particulière avec l’universel. La singularité paradoxale de la France est d’avoir toujours cru qu’elle pouvait s’adresser à tous. Le projet de l’assimilation est très français en ce sens qu’il signifie que d’où que vous veniez, quelle que soit votre histoire personnelle, si vous habitez en France, et a fortiori si vous souhaitez partager la nationalité française, vous pouvez être pleinement participant de cette histoire qui se prolonge à travers nous tous. On a fait de l’assimilation une sorte de tabou : Emmanuel Macron a récemment expliqué, dans l’Express, qu’il fallait supprimer du code civil la nécessité de “justifier de son assimilation à la communauté française” pour pouvoir être naturalisé. En réalité, comme l’a récemment montré Raphaël Doan, l’assimilation est l’exigence la plus antiraciste qui soit. Elle consiste à dire : vous n’avez pas besoin d’avoir les gênes d’une ethnie particulière pour être assimilé à la communauté de destin qui s’appelle la France. Évidemment, aujourd’hui, réussir le défi de l’assimilation suppose un préalable : mettre fin, de manière urgente, aux flux migratoires massifs qui rendent impossible la reconstitution de l’unité de la nation. Mais je crois malgré tout que le projet de l’assimilation, que la France a réussi dans son passé, comme le montrent ces Français qui le sont devenus “non par le sang reçu mais par le sang versé”, est plus nécessaire que jamais. On n’échappera pas à l’« archipellisation » de la France sans renouer avec ce projet.

Pour paraphraser de Gaulle, on peut assimiler des individus : pensez-vous que l’on puisse assimiler des peuples, et n’est-il pas déjà trop tard ? Et vous parlez de stopper les flux migratoires : est-ce qu’il faut simplement les stopper ou est-ce qu’il faut les inverser ?

Pour la première question, oui, on se demande s’il n’est pas déjà trop tard. Je l’assume sans difficulté. Cela étant dit, j’ai trente-cinq ans, je ne compte pas baisser les bras. Comme le dit Marc Aurèle : « Les batailles que je n’ai pas livrées, je me console trop facilement dans la certitude qu’elles étaient déjà perdues ». Je ne veux pas me résigner à la fracturation de la France dans une juxtaposition de communautés qui ne se connaissent plus de lien. Il me semble que la puissance de notre héritage peut encore susciter l’enthousiasme et l’adhésion.

J’ai enseigné dans des zones urbaines sensibles où il y avait 90% ou 95% de jeunes issus de l’immigration. Je n’ai jamais eu un élève qui m’ait dit : « Je ne veux pas de votre philosophie ethnocentriste, occidentale et néocoloniale ». Ça, c’étaient mes formateurs à l’IUFM qui me le disaient ! Mes élèves, quand je leur parlais de Platon et d’Aristote, étaient capables de s’y reconnaître. Quand vous arrivez devant des jeunes gens en leur disant que vous avez quelque chose à leur offrir qui vaut la peine d’être reçu, vous retrouvez en eux la soif infinie d’apprendre, et de rejoindre quelque chose de plus grand que nous qui mérite d’être partagé. Je ne nie pas qu’il y a une sorte de pari. Je ne suis pas optimiste de nature, mais je ne peux pas me résigner. Et je crois qu’il y a dans l’identité française quelque chose d’assez grand pour pouvoir surmonter la crise existentielle que nous traversons.

Pour réussir ce défi, et c’est votre deuxième question, commençons par mettre un terme aux flux migratoires qui continuent. Rappelons quand même que depuis quarante ans, on n’a jamais délivré autant de titres de séjour que depuis 2017. Je ne cesse de l’expliquer à bien des gens qui affirment qu’Emmanuel Macron mène une politique de droite. En 2019, c’est l’équivalent de la ville de Nantes qui s’est installé légalement en France, essentiellement d’ailleurs en provenance des pays du Maghreb et de la Turquie. Et je ne parle même pas de l’immigration illégale… C’est évidemment intenable.

Lorsque la région Île-de-France, durant le premier confinement, a mis en place un outil pour apprendre une langue étrangère en ligne, elle a eu la surprise de voir que la première langue demandée était le français, et de loin ! On ne peut pas continuer à accueillir quand on vit un tel échec de l’assimilation.

Votre famille politique, notamment sous le mandat de Nicolas Sarkozy, a accueilli elle aussi beaucoup de gens. Il y a même eu une explosion du nombre d’entrées. Il y a une prise de conscience au sein de LR ?

Je ne me suis pas engagé en politique parce que tout allait bien, et je ne me suis pas engagé à droite parce que la droite avait tout réussi. Je me suis engagé justement parce que je crois qu’il est nécessaire que cette prise de conscience puisse avoir lieu à l’intérieur de la droite. La grande fragilité de la droite aujourd’hui, sa fragilité politique et électorale, vient de la profonde déception de beaucoup d’électeurs qui lui reprochent de ne pas avoir tenu ses promesses. Pendant toute la campagne des élections européennes, j’ai entendu des gens me dire : « Ce que vous dites est très bien, mais on ne se fera pas avoir une nouvelle fois ». Il y a une corrélation très claire entre le fait que la droite, lorsqu’elle était au pouvoir, n’a pas été à la hauteur des engagements qu’elle avait pris, et le discrédit qu’elle subit aujourd’hui. Cela étant dit, on ne peut pas être complètement relativiste : en matière d’immigration par exemple, la politique menée n’a pas été la même sous la droite que sous la gauche ; et Emmanuel Macron va plus loin que la gauche, en termes d’entrées légales sur le territoire national.

Y a-t-il un consensus sur ce sujet au sein de LR ? On sait à peu près ce que pense chacune de ses personnalités, mais concernant la ligne du parti, c’est nettement plus flou…

Sur les questions migratoires, la ligne de notre famille politique est parfaitement claire. Nous l’avons exposée lors des élections européennes : nous pensons qu’il faut une stratégie globale, à la fois européenne et nationale. C’est ce que nous avons appelé la« double frontière ». Je suis allé sur l’île de Lesbos, pour voir le gigantesque camp de migrants qui s’y trouve. Vu de ces îles, situées à quelques kilomètres seulement des côtes turques, il est évident que la Grèce ne pourra pas défendre toute seule ses frontières face à la pression migratoire. De plus, les gens qui entrent en Grèce ne veulent pas y rester. Ils veulent se rendre en France, en Allemagne, en Grande-Bretagne : il est donc nécessaire et légitime que nous soyons aux côtés des pays de première entrée, en renforçant Frontex notamment, pour maîtriser ensemble les frontières extérieures de l’Europe. Jusque-là, ça n’a pas été fait, c’est sur cette priorité que nous travaillons. Au Parlement européen, nous sommes engagés dans une bataille politique rude pour défendre une doctrine d’emploi assumée pour Frontex : une agence de garde-frontières n’est pas là pour accueillir les gens qui entrent illégalement, mais pour les refouler. Ce travail commun est indispensable : il est vain de prétendre que l’on maîtrisera nos frontières face à la pression migratoire si les pays européens n’y travaillent pas ensemble. La position du RN sur ce sujet, qui a sans cesse voté contre tout renforcement de Frontex, est purement idéologique et me semble irresponsable. Si demain la Grèce est envahie, ça ne peut pas ne pas avoir de conséquences sur nous. Il faut donc agir ensemble, pour permettre que chaque pays garde la maîtrise de sa politique migratoire. C’est parce que nous tenons à garder à chaque Etat sa souveraineté en la matière que nous parlons de « double frontière ».

Le parti européen au sein duquel vous siégez, le Parti populaire européen (PPE), est-il en phase avec ça ? Il ne nous a pas donné l’impression de vouloir « refouler » les migrants.

Durant le précédent mandat, et particulièrement lorsque l’Allemagne a ouvert grand les frontières à l’été 2015, le PPE s’est littéralement fracturé sur la question migratoire. Deux lignes complètement opposées s’y sont affrontées : d’un côté il y avait celle d’Angela Merkel, de l’autre celle de Viktor Orbán. Or cinq ans et demi plus tard, que constate-t-on ? Que sur le fond, tout le groupe s’est rallié à la position de Viktor Orbán ! Aujourd’hui, plus personne dans le PPE ne défend l’idée d’un accueil inconditionnel des migrants. Angela Merkel elle-même ne referait plus ce qu’elle a fait en 2015… Même au-delà du PPE, les États européens se sont ralliés à la ligne de protection des frontières défendue par le Premier ministre hongrois. Ce qui est tout à fait paradoxal car Viktor Orban continue à être victime d’une forme de procès permanent, alors même que sur les questions migratoires, tout le monde parle désormais comme lui.

Concrètement, la doctrine qui prévalait jusque-là, et qui était d’ailleurs soutenue par Emmanuel Macron, était celle dite de la « relocalisation » des migrants : des gens entrent dans l’UE de façon illégale, au nom de la “solidarité” entre pays européens, on se les répartit et on oblige chaque Etat-membre à accepter son quota de migrants. C’était cela que Viktor Orbán refusait. Or la Commission européenne vient de présenter son nouveau “pacte migratoire”, et le point majeur est qu’elle renonce à la relocalisation des migrants. La solidarité européenne face à la question migratoire voudra dire que les Etats devront, selon leur choix, à à contribuer à la maîtrise des frontières ou aux reconduites hors de l’Europe des migrants illégaux C’est un changement complet de paradigme. La gauche est ulcérée, et il faut la comprendre : dans ce débat, Viktor Orbán a gagné !

Il y a encore beaucoup de travail, bien sûr, mais le débat progresse enfin. J’ai été chargé par le groupe du PPE d’écrire un texte sur l’identité de la droite en Europe : le passage sur l’immigration, qui fixe pour priorité la maîtrise de nos frontières, a été adopté par le groupe dans son ensemble après un travail d’amendements. Aujourd’hui, je pense que les choses peuvent être réorientées dans le bon sens. Avec certes toutes les pesanteurs de ces institutions – ça prend du temps, c’est lent, c’est compliqué… – mais globalement, dans la matrice européenne, quasiment plus personne ne dit, à l’exception de la Commissaire européenne aux Affaires intérieures, la social-démocrate suédoise Ylva Johansson, que les migrants sont une chance pour nos usines et pour compenser la baisse de la natalité de l’Europe…

En 2018 sur France Culture, lors d’une émission d’Alain Finkielkraut et alors que vous n’aviez pas encore été désigné tête de liste aux élections européennes mais que le JDD venait de faire état de cette probabilité, Sylvain Tesson vous avait imploré de « ne pas rentrer dans ce débat qui risque lui-même d’être un mouvement qui vous perdra ». Vous ne regrettez pas de ne pas l’avoir écouté ?

C’est une bonne question. Je ne suis pas entré en politique parce que ça m’amusait. C’est une expérience passionnante et je ne me plains pas de ce que je vis, mais si j’avais eu le sentiment que la France allait bien, je serais resté prof de philo. J’ai adoré mon métier, c’était ma vocation professionnelle, il reste mon élément naturel et j’espère le retrouver. Je suis entré en politique parce que tout ce à quoi je tiens est menacé. Je n’étais pas adhérent des Républicains, mais je me suis toujours senti de droite ; cette famille politique est venue me chercher : si j’avais décliné, je me serais senti illégitime de continuer à écrire des livres pour expliquer ce qui ne va pas.

La politique est un combat. Si vous croyez au sérieux de ce qui s’y joue, vous ne pouvez pas demeurer spectateur, ni même commentateur. Il faut entrer sur le champ de bataille.

Et vous pensez que de LR peut sortir un candidat qui ne fasse pas simplement de la figuration ?

Je crois que la droite a la responsabilité d’incarner une alternative, parce que le Rassemblement national fait objectivement partie de l’équation qui sauve Emmanuel Macron – je dis cela sans aucun jugement moral, ne détestant rien tant que tous ceux qui transforment les désaccords politiques en condamnations condescendantes. Je sais que la politique suppose des discernements difficiles dans le clair-obscur du réel, comme l’expliquait Aristote..Mais c’est un fait que la seule chose que redoute Emmanuel Macron, ce serait une droite enfin sortie de sa torpeur. Lors de l’élection européenne, j’ai espéré commencer une alternative, et nous n’y sommes pas arrivés. Notamment parce que dix jours avant le scrutin, Emmanuel Macron a brandi le risque de voir la liste du RN triompher, que Marine Le Pen lui a répondu, ce qui est normal, et que les médias se sont focalisés sur ce duel en forme de tandem. Pendant dix jours, les Français ont suivi à la télévision le troisième tour de l’élection présidentielle, et ils se sont prononcés par rapport à cette mise en scène. La politique, c’est aussi ça. On a eu beau faire une belle campagne, en tout cas une campagne que je ne renie pas sur la forme ni sur le fond, la construction de l’opinion passe encore par les journaux télévisés, qui nous ont largement ignorés.

Durant toute cette campagne, Emmanuel Macron n’a eu qu’une obsession : éviter que la droite ne se reconstruise à l’occasion de ce scrutin. Il y est parvenu. Nathalie Loiseau a refusé tous les débats que les médias lui proposaient avec moi. Et elle n’a accepté de discuter qu’avec Jordan Bardella. Il suffit de bien vouloir ouvrir les yeux pour voir que le macronisme a besoin du RN, qui pour bien des raisons reste très éloigné d’une victoire à l’élection présidentielle – bien des gens autour de Marine Le Pen le savent parfaitement, d’ailleurs… Le parti au pouvoir n’aurait aucune chance de s’y maintenir si nous étions dans une configuration politique normale. C’est la raison pour laquelle la vraie inquiétude pour Emmanuel Macron, c’était qu’un nouvel élan reprenne à droite et que les électeurs se remettent à y croire.

Parmi les faiblesses de la droite, ne pensez-vous qu’il lui manque d’avoir une ligne claire sur l’écologie ? Elle est globalement considérée comme libérale, donc comme anti-écologiste.

La droite s’est occupée d’écologie quand elle était au pouvoir et qu’on en parlait infiniment moins que maintenant, mais il est vrai qu’elle n’a pas de discours construit sur les sujets écologiques. Le travail à faire est d’autant plus important qu’il est urgent de proposer une écologie qui ne porte pas atteinte à nos libertés fondamentales.

Je suis inquiet quand j’entends Barbara Pompili nous dire que ce qui compte maintenant, ce n’est pas de changer notre manière de consommer, mais de changer notre manière de vivre et même, de changer notre civilisation ! Là, il y a une véritable idéologie, qui se préoccupe d’ailleurs assez peu de l’environnement – je le vois au Parlement par exemple sur le sujet de l’éolien, à terre ou en mer, qui est défendu par ces militants malgré son impact écologique désastreux. . Cette écologie a simplement trouvé une occasion de recycler un vieux fonds totalitaire hérité du marxisme et de l’antilibéralisme de gauche. Si la politique est faite pour sauver ce qui doit l’être, et je crois que c’est ce qui définit la droite, cela suppose évidemment de se préoccuper de transmettre, à la fois notre culture, et une nature qui permette que le monde reste vivable. C’est à cette cohérence qu’il faut travailler.

Vous voulez sauver et transmettre ce qui doit l’être, et, « en même temps », vous avez parlé d’« épuisement du modèle dont nous héritons ». Qu’est-ce qui reste à sauver ? Est-ce qu’on n’en est pas au stade de la décadence de l’Empire romain ?

Vous posez la question la plus difficile qui soit, savoir si la politique peut quelque chose à une forme de crise intérieure. Au fond, est-ce que la politique peut sauver un pays si ce pays ne veut plus se sauver lui-même – si ce pays a perdu le goût de continuer à exister ? Je dirais qu’on n’a pas le droit de se résigner. Aujourd’hui, comme dans certaines périodes de l’histoire, le levier de l’engagement politique pourrait être : « Et si jamais… » Et si jamais il y a une chance, même infime, que la France retrouve le goût d’exister, alors cette chance vaut la peine qu’on engage sa vie là-dessus.

J’imagine que quand Hans et Sophie Scholl ont créé La Rose blanche, en 1942, ils ne devaient pas avoir beaucoup d’espoir que la situation s’améliore. Et pourtant ! J’ai été profondément bouleversé par le dernier film de Terrence Malick, Une vie cachée, sur ce paysan autrichien, Franz Jägerstätter, qui avait refusé de prêter le serment de loyauté à Hitler. D’une certaine manière, ça ne servait à rien, la partie était perdue. Jägerstätter a donné sa vie sans voir la victoire à laquelle il espérait pourtant contribuer de manière presque infime. Et pourtant, ça valait la peine. Même si nous ne sommes pas dans une situation aussi dramatique, la question se pose de savoir si l’on peut quelque chose à un processus qui donne le sentiment d’être intérieur et donc irréversible, en tout cas par des moyens politiques. Mais si jamais il y a encore une chance, elle vaut la peine d’être vécue.

Cette chance, on la tente comment ?

La réponse politique la plus importante, qui devrait être la seule et unique priorité de la droite si elle parvenait à retrouver la confiance des Français, c’est l’éducation. Tout se joue dans l’éducation, tout, et il y a urgence. Un pays qui n’a pas transmis sa culture est un pays qui se perd de manière définitive. Beaucoup d’erreurs politiques sont rattrapables : vous pouvez avoir été laxiste en matière de sécurité avant de vous rendre compte que c’est devenu le désordre et de remettre des policiers dans les rues ; vous pouvez avoir été trop dépensier et avoir accumulé de la dette, et un jour décider qu’il faut remettre les finances d’équerre. Mais si vous manquez la transmission de la culture, alors où trouverez-vous ceux qui, demain, deviendront les professeurs qui l’enseigneront à nouveau ?

C’est pour cela qu’il y a une urgence éducative absolue. C’est quasiment le seul sujet politique dont on devrait s’occuper, parce que si on ne se transmet plus, nous perdrons jusqu’à la conscience des trésors qui se seront dissipés. Ceux qui n’auront pas reçu notre culture ne pourront même pas mesurer la valeur de ce qu’ils auront perdu.

Face à la situation sanitaire, les Français demandent semble-t-il toujours plus de sécurité et de restriction de leurs libertés.

Ce qui m’inquiète profondément, c’est le risque de ne plus sortir de la situation que nous vivons aujourd’hui. Emmanuel Macron disait récemment que le principe de la réponse sanitaire est que rien n’est plus important que de sauver une vie humaine. En un sens, je partage son point de vue : la vie humaine a une valeur absolue et ce principe mériterait d’être rappelé sur le terrain des questions de bioéthique… Le problème de cette affirmation, c’est que si elle est valable éthiquement dans l’appréciation que l’on fait de l’action de chaque personne, elle ne peut pas servir de fondement à une conception politique. Sinon, il faut tout de suite interdire la circulation en voiture, parce qu’il y a des accidents de la route et que certains sont mortels. Et même, il est impératif de confiner les gens de façon définitive parce que c‘est le plus sûr moyen qu’il ne leur arrive rien en marchant dans la rue ou en rencontrant d’autres personnes…

Encore que les accidents domestiques sont une cause importante de mortalité…

[rires] On voit bien que la société du risque zéro est une société invivable. Si notre seul et unique objectif est d’éviter la mort, alors nous n’arriverons qu’à empêcher la vie. C’est la vie que nous perdons en la construisant seulement pour éviter de mourir. C’est exactement le monde auquel il faut tenter d’échapper. De ce point de vue, il y a un problème majeur dans notre rapport à la liberté. C’est pourquoi je crois que notre famille politique doit embrasser de nouveau la cause de la liberté. Je suis très inquiet de voir que parce que nous nous élevons,, à raison, contre la folie de la mondialisation néolibérale, certains en viennent à jeter la liberté avec l’eau du bain néolibéral. Rien n’est plus nécessaire que de défendre la cause de la liberté.

Lors d’un débat au Parlement européen sur les applications de traçage, je me suis opposé à celles-ci, au nom de la liberté. J’étais quasiment le seul dans ce cas. Dans le débat qui nous a opposés, un de mes collègues parlementaires a dit littéralement : « Je préfère vivre encadré plutôt que mourir libre ». La formule est incroyable ! Je lui ai répondu: « Je te conseille d’aller faire un tour sur le plateau des Glières. » « Vivre libre ou mourir », c’est ce qui a structuré notre civilisation.

Dans Zarathoustra, Nietzsche écrit : « Formule de mon bonheur : un oui, un non, une ligne droite, un but. » Bellamy, quel but ?

Cette formule est magnifique. Je l’ai souvent citée à mes étudiants…

Si un seul mot pouvait définir l’engagement, ce serait sans aucun doute servir. Je pense que ce qui compte le plus dans une existence, c’est qu’elle puisse être engagée au service de quelque chose de plus grand qu’elle. Je me sentirais heureux si, la veille de ma mort, je pouvais me dire que j’ai pu servir à quelque chose de plus grand que moi. Et, en particulier, que j’aie pu servir à la transmission de cet héritage qui a fait de moi ce que je suis, auquel je dois tout, et qui, j’en suis sûr, peut encore être une promesse de vie et de liberté pour d’autres que moi à l’avenir.

Que voulons-nous encore défendre ?

Conférence à l’École de guerre donnée le jeudi 21 janvier 2021.

États généraux de l’effondrement

Photo : AP/SIPA – Alexandre GROTHENDIECK

Tribune initialement publiée sur le site du magazine Marianne.

Nous apprenons cette semaine que la France arrive désormais à la dernière place parmi les pays européens pour l’apprentissage des mathématiques. La dernière. Et ce n’est qu’un indice de la situation dans les autres disciplines… Si nous avions encore un peu de lucidité sur l’ordre de priorité des urgences dans notre pays, ce résultat de l’enquête internationale TIMMS, publiée mardi, devrait occuper la totalité de l’attention des médias et de l’opinion publique. Mais non… À peine quelques titres noyés dans les priorités du moment, très loin derrière le covid qui menace nos réveillons et l’annonce par le gouvernement d’un grand « Beauvau de la sécurité »…

À ce rythme-là, nous avons surtout devant nous bien des « Grenelle du déclin », des « Ségur de l’impasse » ou des « États généraux de l’effondrement » : si la France ne se remet pas d’urgence à transmettre à ses enfants les savoirs fondamentaux indispensables à leur avenir, la seule ambition des prochains gouvernements sera d’administrer un déclassement aussi concerté, paisible et convivial que possible. Après tout, notre pays a connu des généraux qui excellaient dans l’art d’organiser la retraite : ce n’est pas rien que de savoir se replier en bon ordre, de sombrer tout en veillant à la bonne application des protocoles. Gérer la débâcle : c’est le but que semble avoir choisi le ministère de l’Éducation nationale. Emblématique de l’impuissance de l’action publique aujourd’hui, il est devenu plus qu’aucun autre le ministère de l’étrange défaite, dans l’ambiance de délitement tranquille et de mensonge généralisé qui a fini par nous conduire à cette dernière place aujourd’hui.

La dernière place. Il faudrait l’écrire en majuscule, tant ce résultat est stupéfiant, et décisif pour notre avenir. Nos élèves sont aujourd’hui, non par leur faute mais par la nôtre, les moins bien formés d’Europe. La France se classe même derrière l’Albanie, le Kazakhstan, l’Azerbaïdjan. Dix points seulement au-dessus de la Macédoine ou de la Géorgie ; mais cent points en-dessous du Japon, de l’Irlande, de la Russie. Inutile d’être bon en calcul pour comprendre que le pays de Descartes, Pascal et Fermat, le pays de Grothendieck, Lafforgue ou Villani, a perdu le sens de la réussite. Il s’agit là d’un classement officiel, publié sur le site du ministère de l’Éducation nationale – il convient au passage de féliciter cette administration qui tient à jour l’inventaire méticuleux de ses reculs successifs.

La dernière place. Il faudrait l’écrire en majuscule, tant ce résultat est stupéfiant, et décisif pour notre avenir.

Mais comment un tel résultat ne produit-il pas un immense coup de tonnerre ? Comment, avec le septième PIB mondial, le plus grand ratio de dépenses publiques par habitant, et le premier budget de l’État consacré à l’éducation, avons-nous pu arriver à cette dernière place ? Dans un pays normal, les pouvoirs publics devraient s’expliquer, le gouvernement aurait à rendre des comptes, les principaux cadres seraient remplacés – dans le public comme dans le privé. Bien sûr, le temps de l’éducation est un temps long, et cette dernière place est le résultat de politiques menées par les gouvernements successifs depuis des années maintenant, gauche et droite confondues, ancien et nouveau monde. Il serait trop facile d’en tirer prétexte pour conclure à l’irresponsabilité générale. Une faillite d’une telle ampleur devrait conduire ceux qui assument le commandement à présenter leur démission – surtout lorsqu’ils occupent les plus hautes fonctions de ce ministère depuis bien longtemps, comme notre ministre actuel… Quand on participe au pilotage de l’éducation nationale depuis quinze ans, comment peut-on ne pas se sentir comptable d’un échec aussi absolu ?

Seulement voilà : nous ne sommes pas dans un pays normal. La seule chose qui compte vraiment, dans la France de 2020, c’est que ça ne fasse « pas de vagues ». Le silence feutré qui a accueilli ces résultats n’est qu’un avatar de plus de cette injonction désormais bien connue, renvoyée depuis trop longtemps aux professeurs qui sur le terrain osaient tirer le signal d’alarme. L’Éducation nationale est passée maître dans l’art d’étouffer les problèmes : les enquêtes internationales qui se suivent montrent toutes l’effondrement du niveau de nos élèves, mais le taux de réussite et de mentions au bac n’a jamais été aussi important. Faute de sauver les enfants, on sauve au moins les apparences. Faute de sauver les professeurs aussi : l’Inspection générale publiait cette semaine son rapport sur l’attentat islamiste contre Samuel Paty. Le rapport s’intitule, euphémisme administratif irréel, « Enquête sur les évènements survenus au collège du Bois d’Aulne ». Les auteurs ont sans doute voulu éviter de pousser jusqu’à « incidents » ou « problèmes » : « évènements » devait suffire. Quant au nom du professeur assassiné, il a été oublié. Au même moment, le ministère publiait une annonce pour recruter un professeur d’histoire dans ce collège… sur le site de Pôle Emploi. Compétence requise : « gestion du stress ». Il ne faudrait pas faire de vagues.

Ce qui se joue, derrière l’effondrement de notre système éducatif, ce sont des vies empêchées, des talents privés des conditions de leur accomplissement, plusieurs générations déshéritées de l’essentiel […]. Et c’est la société que l’on condamne à la déraison commune, les aveuglements d’aujourd’hui préparant les violences de demain. Sur l’inculture prospèrent toutes les formes de barbarie – de celles qui font de dangereuses vagues…

On pourrait énumérer très longtemps les symptômes de ce délitement général ; tellement de faits – qui pour certains feraient presque sourire, tant ils confinent à l’absurde, s’ils n’étaient si graves, au fond. Car ce qui se joue, derrière l’effondrement de notre système éducatif, ce sont des vies empêchées, des talents privés des conditions de leur accomplissement, plusieurs générations déshéritées de l’essentiel ; c’est Fermat qu’on assassine, bien des talents pourtant prêts à prolonger la science autant que la littérature mais qui, privés du savoir indispensable à leur éclosion, ignoreront toute leur vie jusqu’à leurs propres capacités. C’est notre pays démuni des savants, des inventeurs, des découvreurs du futur. Et c’est la société que l’on condamne à la déraison commune, les aveuglements d’aujourd’hui préparant les violences de demain. Sur l’inculture prospèrent toutes les formes de barbarie – de celles qui font de dangereuses vagues… Il est temps de réagir, si nous ne voulons pas sombrer.

 

 

La liberté d’expression est-elle en recul en France ?

« Présent à la Sorbonne pour l’hommage national à Samuel Paty : l’unité de notre pays est nécessaire pour faire face à l’islamisme. Mais elle ne peut signifier le silence devant les reniements qui nous ont rendus vulnérables. »

Extrait d’un entretien initialement paru sur lepoint.fr, propos recueillis par Jérôme Cordelier.

[…]

En tant que professeur, avez-vous eu à subir du terrorisme communautaire face à vos enseignements ?

J’ai eu l’occasion d’enseigner dans des quartiers où la population musulmane était majoritaire. e n’ai jamais eu l’occasion de me sentir en insécurité ; mais il est vrai que j’enseigne en terminale, et que les difficultés se situent essentiellement à l’échelle du collège, du fait de l’obligation scolaire. Comme beaucoup de collègues, j’ai cependant constaté comment une forme de conditionnement religieux pouvait organiser chez des élèves une défiance de principe à l’égard de l’école de la République. Cette attitude est manifeste quand on aborde l’histoire, la biologie et la philosophie.

Le professeur de philosophie est réputé susceptible de chercher à propager l’athéisme. En abordant des points d’enseignements qui peuvent paraître anodins, vous voyez surgir chez vos élèves des réflexes conditionnés. Dans un sondage récent de l’Ifop, 40 % des professeurs déclarent qu’ils s’autocensurent. Ils savent que, s’ils sont accusés d’islamophobie, l’institution ne les soutiendra pas. La consigne du « pas de vague » fait des ravages. L’idée « d’islamophobie » a fait son œuvre. Beaucoup de professeurs préfèrent baisser les yeux face aux intimidations religieuses.

La liberté d’expression est-elle en recul en France ?

Indéniablement, elle l’est, et elle le sera de plus en plus par la peur qu’installent ces attentats répétés. On ne pensait pas qu’un jour quelqu’un puisse mourir en enseignant. Mais le plus inquiétant est que cette liberté d’expression recule aussi à cause de nos propres règles et lois. Anastasia Colosimo l’a très bien démontré dans son livre Les Bûchers de la liberté en soulignant comment nous avions déstabilisé la belle architecture de la loi de 1881 sur la liberté de la presse.

Depuis 1972, étape par étape, une succession de textes, comme la loi Taubira sur la mémoire de l’esclavage, a démantelé cette liberté. Au motif de la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et le négationnisme, on a multiplié les corsets et les restrictions. Aujourd’hui, ces belles intentions se retournent contre nous. L’accusation d’islamophobie est une manière de rétablir le délit de blasphème. L’université al-Azhar, autorité suprême de l’islam sunnite, juste après la mort de Samuel Paty, tout en feignant de regretter cet attentat, rappelle son souhait de voir s’instaurer une régulation mondiale afin « d’incriminer la diffamation des religions ». L’islamisme reprend le vocabulaire de l’antiracisme pour s’en prendre à notre liberté ! Je suis sidéré, le mot est faible, que l’on veuille ressusciter en France la loi Avia dite contre la haine, qui voulait pénaliser explicitement les propos islamophobes. Le cours de Samuel Paty aurait pu tomber sous le coup de cette loi ! Elle aurait été utilisée pour instruire les accusations contre lui.

Comment proposer comme remède une loi qui restreint la liberté d’expression et n’est rien d’autre qu’un acte de complaisance à la censure que l’islamisme essaie de nous imposer ? Cette loi Avia a été censurée par le Conseil constitutionnel au motif qu’elle enfreignait la liberté d’expression, et certains beaux esprits maintenant proposent de modifier la Constitution pour mettre en place ce nouveau carcan ! Cela reviendrait à pénaliser la jeune Mila, Zineb El Rhazoui, Samuel Paty… Critiquer une religion n’a rien à voir avec le racisme. Mettre le doigt dans cet engrenage, c’est renoncer à notre liberté de penser.

Vous qui ne faites pas mystère de votre foi catholique, craignez-vous une stigmatisation des croyants ?

C’est un risque et une inquiétude, en effet. On ferait une erreur en parlant des religions de façon générale, comme si elles posaient un problème global. Le concept de laïcité est né du christianisme, et on ne pourra lui donner sa pleine validité qu’en reconnaissant nos racines chrétiennes. En réalité, notre problème, c’est la rencontre de l’islam avec un monde pétri de christianisme. Notre défi majeur est de lutter contre l’islamisme en associant à ce combat une grande partie des musulmans paisibles qui cherchent à vivre leur foi en étant respectueux de nos lois. C’est pour cela qu’il faut respecter notre liberté d’expression.

Sur l’interdiction de l’instruction à domicile (IEF)

Sur France Inter le 11 octobre 2020

Au sujet de la perspective d’interdiction de l’enseignement à domicile (IEF : instruction en famille).

« Parce que l’État n’arrive pas à remplir son rôle, il voudrait aujourd’hui rogner les libertés fondamentales des Français [dont l’IEF] pour pouvoir éviter la catastrophe qu’il ne parvient pas à gérer. Que l’État remplisse son rôle ! Qu’il contrôle les résultats de l’instruction, c’est déjà une règle aujourd’hui. »

IEF, Covid-10, « séparatisme », immigration, plan de relance européen, etc. : pour voir l’émission complète avec tous les sujets abordés, rendez-vous à ce lien.

Sauver notre pays de la fracturation définitive qui le menace.

Tribune parue dans Le Figaro le 15 juin 2020.

Les récentes manifestations « antiracistes » sont un symptôme supplémentaire du mal profond qui traverse la société française. Ce mal est mortel. La tâche essentielle de la politique, dans les trente années à venir, sera de sauver notre pays de la fracturation définitive qui le menace ; le reste est presque accessoire. Peut-être est-il déjà trop tard ; mais dans l’incertitude, nous n’avons pas d’autre choix que de nous engager de toutes nos forces, avec l’espoir qu’il nous reste une chance, et assez de temps pour la saisir.

La France devient une juxtaposition de communautés sans plus rien qui nous attache, une collection de rancoeurs et de ressentiments, une conjugaison de conflits : blancs contre racisés, hommes contre femmes, urbains mondialisés contre exclus déphasés – coupables contre victimes… Chacun est réputé agir et parler pour ses intérêts. Peut-il encore exister entre nous la conscience d’un bien commun ?

Peut-être est-il déjà trop tard ; mais dans l’incertitude, nous n’avons pas d’autre choix que de nous engager de toutes nos forces, avec l’espoir qu’il nous reste une chance, et assez de temps pour la saisir.

La French theory des années soixante-dix a expédié aux Etats-Unis une nouvelle version de la lutte des classes, qui nous revient aujourd’hui en boomerang. Le principe est simple : la société occidentale se définit comme une somme de violences qui opposent des coupables absolus à des victimes ontologiques. Nous ne sommes plus une assemblée de citoyens délibérant sur notre avenir commun, nous sommes des salauds ou des cibles – quelle que soit notre intention : le racisé est racisé même s’il ne se pense pas victime. Le blanc est coupable d’user d’un privilège indu même s’il ne l’a jamais voulu. Le racisme n’est plus la propriété d’un fait précis qu’il s’agirait de qualifier, c’est un « système » qui explique la société. Et qui explique même le fait que certains osent contester cette explication – ils la nient car ils sont racistes.

Cette impasse idéologique autorise tous les raccourcis. George Floyd, un homme noir, meurt à Minneapolis au cours d’une interpellation ; une semaine plus tard, on défile à Paris pour condamner les policiers français. « Flics, violeurs, assassins ». Quand il s’agit de policiers, l’amalgame est autorisé ; tout le monde se serait indigné, et à raison, si une telle généralisation visait n’importe quel autre groupe social suite à un meurtre à l’autre bout du monde… Ici, la culpabilité collective n’a même pas besoin de faits. Au besoin, on les inventera, comme cette chanteuse qui affirmait sans ciller sur le plateau de France 2 que « des hommes et des femmes se font massacrer par la police quotidiennement en France, pour nulle autre raison que leur couleur de peau ». Le réel n’existe plus : seul compte le ressentiment. Et peu importe que chaque année des policiers et gendarmes donnent leur vie en mission pour leur pays : leur mémoire ne pèse pas lourd dans l’esprit d’une génération bloquée depuis des années dans sa crise d’adolescence collective, qui se croit courageuse de scander que « tout le monde déteste la police ». Insultes puériles et affligeantes, mais suivies de violences bien réelles : samedi, un policier et sa compagne ont été agressés chez eux aux cris de « Sales flics ». On attend encore l’indignation collective…

Le réel n’existe plus : seul compte le ressentiment. Et peu importe que chaque année des policiers et gendarmes donnent leur vie en mission pour leur pays : leur mémoire ne pèse pas lourd dans l’esprit d’une génération bloquée depuis des années dans sa crise d’adolescence collective, qui se croit courageuse de scander que « tout le monde déteste la police ».

Si des injustices sont commises, dans la police comme ailleurs, elles doivent être condamnées, et c’est à la justice d’agir. C’est le principe même de l’état de droit. Mais il n’y a pas d’« injustice systémique », et toute présomption de culpabilité est une faute grave (à cet égard, le concept de « soupçon avéré de racisme » brandi par Christophe Castaner contre ses propres fonctionnaires est profondément inquiétant). Le premier devoir du gouvernement est de garantir ce principe fondamental. Cela suppose de donner à notre justice, oubliée chronique de nos politiques publiques, les moyens de mener à bien sa mission de façon digne, réactive, efficace, humaine : une justice impuissante ou discréditée laisse place à la violence, et nous le constatons quotidiennement désormais. Il faut ensuite refuser de céder d’un pouce à ceux qui voudraient que la colère puisse avoir le dernier mot sur les institutions. En la matière, le pouvoir aura fait exactement ce qu’il ne fallait pas : il aura suffi d’une manifestation interdite pour que la ministre de la Justice, à la demande de l’Elysée, se propose d’intervenir dans une affaire en cours, contrairement à toutes les règles. En affirmant peu après que l’interdiction de manifester restait de droit, mais qu’elle ne serait pas appliquée, le ministre de l’Intérieur lui-même a retiré toute force à la loi, au motif que « l’émotion » lui serait supérieure. On ne peut imaginer une formule plus claire pour abandonner l’état de droit.

Il peut sembler rassurant qu’Emmanuel Macron ait nommé le danger, en désignant le « séparatisme » qui voudrait fracturer la France. Mais pourquoi alors lui avoir offert un tel boulevard ? Et pourquoi continuer d’agir en relayant le vocabulaire des « décoloniaux » ? Le ministre Julien Denormandie affirmait ce dimanche dans un interview qu’il fallait imposer des formations obligatoires à l’antiracisme tous les trois ans pour certains professionnels, validant le soupçon de « racisme systémique », ou encore organiser la diversité dans le milieu audiovisuel – c’est-à-dire imposer des quotas par couleurs de peau… Quelle différence avec Aïssa Maïga qui disait « compter les noirs dans la salle » en montant sur scène lors de la dernière cérémonie des Césars ? Ils compteront jusqu’à ce que le talent, la générosité, l’engagement, la liberté aient été écrasés derrière l’assignation identitaire. Jusqu’à ce que plus aucune personne de couleur ne puisse réussir son chemin sans être regardée comme un quota à remplir. Jusqu’à ce que l’épidémie de ressentiment ait fini de dissoudre la France en communautés concurrentes dans la surenchère victimaire. Décompte sans issue, dernier inventaire avant liquidation.

La France n’est pas à la disposition des vivants, nous la recevons de l’effort des générations précédentes, qu’il nous appartient de transmettre. C’est ce que nous a fait oublier notre faillite éducative, que nous paierons longtemps encore.

La survie de la France impose de refuser cette dérive. De retrouver d’abord le sens de ce que nous lui devons, et non de ce qu’elle nous doit. De rétablir la possibilité d’un authentique débat en refusant le délire racialiste qui sépare, et en retrouvant les exigences rationnelles et factuelles qui sont la condition d’une démocratie saine. Et de refuser qu’on prétende régler ses comptes avec notre histoire, notre culture, notre modèle de société, notre manière de vivre, notre civilisation : la France n’est pas à la disposition des vivants, nous la recevons de l’effort des générations précédentes, qu’il nous appartient de transmettre. C’est ce que nous a fait oublier notre faillite éducative, que nous paierons longtemps encore : face à la crise sociale comme à la crise écologique, dans le double déséquilibre de la nature et de la culture, nous avons fait naître une génération privée d’une langue structurée, condition de toute pensée rationnelle et de toute sensibilité nuancée, une génération démunie de recul historique, qui n’éprouve pas de gratitude et se regarde d’abord comme victime irresponsable dans un manichéisme absolu. Pour éviter que la France ne sombre dans le conflit communautaire, l’urgence absolue est de reconstruire une éducation qui transmette à chacun, quelque soit son origine, un héritage commun et le sens de la responsabilité partagée qu’il nous impose envers l’avenir. Là encore, la tâche est immense, et tout est encore à faire. Espérons que l’histoire nous laissera assez de temps pour cela.

Photo : EP / DAINA LE LARDIC


Intervention en séance plénière le 17 juin 2020, à l’occasion d’un débat sur l’anti-racisme en Europe, en vue de l’examen d’une résolution portée par des députés du Parlement européen :

« Tenez bon, tenez ferme, soyez fidèles »

« Tenez bon, tenez ferme, soyez fidèles. »
Il y a un an, au Palais des Congrès. Le message est toujours d’actualité.

Conclusion du discours de François-Xavier Bellamy en clôture du meeting tenu au Palais des congrès de Paris, le 15 mai 2019, à l’occasion de la campagne pour l’élection européenne. Voir le discours en intégralité ici.

Classement PISA, systèmes scolaires en Europe, réforme du bac

Émission Europe Hebdo sur Public Sénat présentée par Marie Brémeau, à revoir sur https://www.publicsenat.fr/espace-replay

Interventions de François-Xavier Bellamy durant le débat en plateau :

Voir aussi :

Public Sénat – Baccalauréat : l’Allemagne prend un chemin « exactement inverse » à la France pour François-Xavier Bellamy