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La solidarité européenne nécessite une stratégie, pas une planche à billets.

François-Xavier Bellamy et Manfred Weber

Tribune signée avec Manfred Weber, président du Groupe PPE au Parlement européen, initialement parue dans une version condensée dans Les Échos le lundi 14 septembre 2020.

Si l’Europe semble s’être illustrée par un certain manque de solidarité durant les premiers mois de la crise du coronavirus, c’est d’abord en raison de son impréparation, et de sa dépendance envers des pays tiers dans des secteurs essentiels. Comment en effet apporter à son voisin ce dont on ne dispose pas pour subvenir à ses propres besoins ?

Le plan de relance européen aurait pu redonner du sens au mot solidarité, mais il soulève de nombreuses questions. Devant la crise économique majeure qui nous attend, emprunter peut en effet être un choix rationnel, légitime ; mais que dire d’un emprunt contracté sans aucun accord sur les moyens qui seront mobilisés pour son remboursement, ni feuille de route claire sur le long terme ? La solidarité européenne ne peut se limiter à une distribution de cash : on ne combattra pas les effets d’une crise commune sans réflexion stratégique commune.

Ce n’est pas seulement une approche rationnelle, mais aussi un devoir envers les générations futures

Le plan, dans ses modalités actuelles, ne témoigne pas d’une solidarité européenne ; il aurait d’ailleurs plutôt tendance à la saper à long terme, parce que 90% de ses 750 milliards d’euros sont directement fléchés vers les budgets des États-membres, et qu’à ce jour, personne ne sait précisément comment ils seront alloués. Chaque chef d’Etat rentre donc de Bruxelles avec une belle enveloppe, mais ensuite ? Est-ce que cette période, cruciale pour notre avenir, doit vraiment être celle où l’on rédige un guide pratique de l’inefficacité, en facilitant pour des États en difficulté un endettement dont ils n’auront pas à assumer la responsabilité, pour parvenir à un éparpillement de dépenses sans cohérence ?

Cet éparpillement de projets ne sera d’ailleurs même pas synonyme de subsidiarité. Il signera simplement l’abandon de cette exigence de cohérence pourtant indispensable à l’atteinte d’une autonomie stratégique européenne. La crise amène déjà des réajustements dans l’ordre politico-économique mondial, et l’Europe ne doit pas être en être la victime. Utilisons ce fonds pour des projets structurants, comme nos prédécesseurs l’ont fait avec Airbus ! Au moins un tiers de la somme doit être investi dans ce qui fera notre avenir ; sinon, la bulle bruxelloise se lamentera encore de ce qu’on ne comprenne pas ce qu’elle tente de faire… Ce n’est d’ailleurs pas seulement une approche rationnelle, mais aussi un devoir envers les générations futures. Connectivité sécurisée, batteries, aviation propre, hydrogène… Pourquoi ne pas investir dans des projets structurants auxquels chaque État-membre contribuerait avec une partie de ce qui lui est versé ? Faisons de cet « esprit de solidarité » un moteur pour que l’Europe puisse s’assurer un avenir.

Ne pas laisser de côté les défis déjà identifiés.

En outre, cette crise ne peut être un prétexte pour laisser de côté les défis déjà identifiés. Pour redonner des bases saines à notre économie, protéger les emplois, améliorer nos systèmes de santé, d’immenses efforts seront certes nécessaires, et les ressources politiques devront être au rendez-vous. Mais ces efforts sont d’ores et déjà nécessaires. L’Europe a besoin d’une force de protection aux frontières renforcée : il faut financer le recrutement de 10 000 agents Frontex à court terme. Le cancer touchera à un moment ou à un autre la moitié des Européens : une stratégie offensive pour de meilleurs soins est indispensable. L’Europe s’est fixé pour objectif de consacrer 3% de son PIB à l’innovation, mais prend du retard sur la Chine et l’Asie en la matière : il faut donner un coup d’accélérateur décisif, sans quoi nous hypothéquons notre avenir.

Faire de l’Europe une simple planche à billets ne constitue pas un plan. L’allocation de ces 750 milliards d’euros doit se faire avec discernement, et l’articulation entre fonds de relance et budget européen doit avoir une cohérence : l’Europe doit se placer aux avants-postes de l’innovation, retrouver son autonomie stratégique et réduire sa dépendance vis-à-vis des autres puissances continentales. Ne répétons pas les erreurs des années 70 à 90, qui ont fini par accélérer la crise de la dette actuelle, et respectons le fairplay financier qui s’impose : si l’on emprunte, on doit savoir comment rembourser. Qui envisage sérieusement que nous rembourserons cet emprunt commun sans creuser dans nos propres ressources, et alors que les États-membres s’y refuseront ? Même l’Allemagne n’aura pas les capacités financières pour rembourser les 135 milliards qui doivent lui être alloués. Nous avons besoin d’un plan de remboursement avant 2028 intégrant la barrière carbone aux frontières de l’UE et une fiscalité numérique cohérente – pour mettre fin à cette situation dans laquelle les géants du numérique sont injustement privilégiés. Amazon n’a payé aucun impôt en Europe sur les trois quarts de ses bénéfices ces dernières années. Et au-delà du cas Amazon, les GAFAM – auxquels la crise et la numérisation du continent ont plutôt profité – ne devraient-ils pas contribuer à une juste mesure ?

Parlons enfin d’état de droit, parce que des efforts communs impliquent des règles communes. L’Europe n’est pas une organisation internationale ordinaire. C’est une civilisation dont nous héritons, qui nous a transmis certains principes essentiels. C’est pourquoi l’octroi de fonds sans contrainte relative au respect des principes démocratiques n’est pas envisageable. Partout en Europe, les citoyens attendent de la clarté, et une égalité de traitement : dotons nous d’un organisme indépendant, détaché de la vie politique de nos institutions, qui puisse entreprendre cette mission de contrôle avec des modalités sérieuses et impartiales.

Si l’Europe souhaite donner corps à cette solidarité, le moment est venu de ne plus se contenter de belles paroles, mais de passer à des actes réfléchis et concrets.

Crédits photos : © European Union 2020 – Source : EP / Michel CHRISTEN / Emilie GOMEZ

Bilan de première année de mandat au Parlement européen (2019-2020)

Retrouvez ci-dessous ou téléchargez le bilan de la première année de mandat de François-Xavier Bellamy au Parlement européen.

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Sur les relations UE-Chine et le respect des droits fondamentaux

Invité de la matinale de RTL le jeudi 30 juillet 2020

« Très longtemps nos pays européens se sont tus car ils étaient dépendants de la Chine – la question de la dette fait partie de cette dépendance. Je crois qu’il est temps de sortir du silence, […] de parler d’une voix forte sur ces sujets majeurs des droits fondamentaux violés face à la minorité ouïghoure, face aux chrétiens, face à Hong-Kong… »


Entretien avec le quotidien La Croix paru le 28 juillet 2020.

Propos recueillis par Dorian Malovic.

La Croix : Comment avez-vous réagi aux déclarations de Jean-Yves le Drian à l’Assemblée nationale, mercredi 21 juillet, condamnant les camps d’internement pour les Ouïgours au Xinjiang ?

François-Xavier Bellamy : J’étais heureux d’entendre les paroles très fortes du ministre français des affaires étrangères sur le sujet, des paroles attendues. Ce que vivent les Ouïgours et les Hongkongais dans une Chine qui foule aux pieds les droits fondamentaux de la personne humaine est un drame, et ces paroles brisent enfin le silence de la diplomatie française. Il faut espérer que la France puisse sortir de sa torpeur et fasse évoluer sa stratégie pour faire entendre sa voix sur la scène mondiale sur ce qui se passe en Chine. Si ce n’est pas trop tard.

Au niveau du parlement européen, nous avons essayé d’y contribuer en décernant le Prix Sakharov pour la liberté d’esprit 2019 à Ilham Tohti, intellectuel ouïgour de 44 ans condamné en 2014 à perpétuité par la Chine pour séparatisme, alors qu’il incarne au contraire le dialogue et l’entente entre les peuples. J’espère que nous ouvrons la voie et que ça n’est pas sans effet sur la Chine.

Comment expliquez-vous ce silence jusqu’ici des puissances occidentales à l’égard de la Chine ?

Depuis cinquante ans, malheureusement, le monde occidental a regardé la Chine avec naïveté, intérêt et complaisance. Il en a fait « l’atelier du monde », qui nous rend dépendant aujourd’hui pour les produits de premières nécessité.

Cela correspond parfaitement à la dialectique du Maître et de l’Esclave de Hegel. Nous avons transféré la production en Chine pour y trouver une main-d’œuvre à bas coût, pour lui faire fabriquer nos biens indispensables, mais aujourd’hui nous sommes devenus totalement dépendants. Il faut aujourd’hui que nous soyons prêts à faire l’effort de produire de nouveau ce dont nous avons besoin. C’est indispensable, mais sommes-nous prêts à en payer le prix ?

Avez-vous jamais pensé que le régime chinois était capable d’évoluer ?

Je n’ai jamais eu de doute sur la nature du régime chinois. Je suis engagé dans la politique européenne depuis 2019, et depuis la campagne européenne j’ai toujours évoqué la nécessité pour l’Europe de changer sa stratégie à l’égard de la Chine.

Il ne s’agit pas de lui déclarer la guerre, la Chine est une civilisation millénaire dont l’art et la philosophie font partie des trésors de l’humanité, mais cette histoire n’est pas représentée par le parti communiste chinois qui ne s’est maintenu au pouvoir qu’au prix de dizaines de millions de morts. La répression sanglante de Tian An Men, en juin 1989, en fut une illustration. Or après les condamnations et l’indignation, nous avons repris des relations normales et actives sur les plans commerciaux, technologiques, industriels… alors que la Chine n’a jamais cessé d’être totalitaire !

L’Union européenne reste très divisée sur l’approche à adopter à l’égard d’une Chine de plus en plus hégémonique. Que proposez-vous ?

Le moment est venu d’attirer l’attention, au Parlement européen, sur les violations des droits de l’Homme perpétrées par la Chine. Nous ne pouvons plus rester silencieux sur le drame des Ouïgours et des Hongkongais. L’Occident est concerné, car la Chine a violé le traité sino-britannique signé en 1984 sur Hong Kong. Il faut que l’Union européenne assume sa responsabilité. L’Europe doit assumer son rôle de point d’équilibre entre les puissances chinoise et américaine, afin d’éviter la confrontation entre deux blocs. Il nous faut retrouver notre autonomie industrielle, technologique, sanitaire et numérique.

Relocalisations, quels pays pour remplacer la Chine ?

C’est la stratégie que je défends au parlement européen, car nous ne pouvons dépendre d’un pays comme la Chine dans nos secteurs stratégiques, sous peine de n’être plus que le substitut d’une puissance étrangère. Enfin il faut mettre un terme à la concurrence déloyale dont nous sommes victimes, et que la Chine pratique les mêmes règles commerciales. C’est un point vital pour l’Union européenne.

Ce plan ne prépare pas l’avenir de l’Europe

« Ce plan ne prépare pas l’avenir de l’Europe, il exploite un moment de panique pour sauver par effraction une idéologie périmée depuis longtemps. »

Tribune sur le projet d’emprunt européen, parue le 26 juillet 2020 dans le JDD.


Au terme d’une longue négociation sur le plan de relance européen, les 27 ont accepté de créer le premier emprunt commun en réponse à la crise. Un problème, une dette : la France aura donc réussi à exporter à Bruxelles ses pires réflexes ; et l’Europe est sans doute aujourd’hui le seul endroit où l’on considère comme une victoire politique le fait d’encombrer l’avenir d’un emprunt supplémentaire. Bien sûr, toute crise suppose de dépenser, et toute relance d’investir ; mais les Etats européens ont déjà grâce à la politique de la BCE un accès facile aux marchés avec des taux historiquement bas. Conduire la commission européenne à emprunter à leur place, malgré une base légale très faible et des perspectives incertaines (comme l’a récemment montré le Brexit), c’est se tromper de problème. En réalité, cet emprunt commun n’est pas tant une réponse à la crise économique qui vient, qu’une manière d’utiliser cette crise pour faire avancer un agenda politique : cette nouvelle solidarité budgétaire signe le retour à la vieille illusion d’une « Europe toujours plus intégrée ». Elle offre une résurrection inattendue aux tenants du fédéralisme européen, auxquels les citoyens ont dit non depuis longtemps, mais qui s’offrent l’éphémère ivresse du « moment hamiltonien ».

Le retour au réel sera rude. Le succès apparent que représente cet accord repose sur une somme de malentendus, et il est particulièrement irresponsable de laisser l’ardoise à la génération future, au nom de laquelle cet emprunt est pourtant ironiquement contracté. Pourquoi ne dit-on rien des contreparties en termes de réformes imposées par Bruxelles aux Etats bénéficiaires des fonds, au contrôle budgétaire renforcé qui est nécessairement attaché à cette solidarité financière ? Comment a-t-on pu valider cet emprunt sans arbitrer sur les modalités de son remboursement, en se fondant simplement sur l’hypothétique création de ressources propres – sujet que chacun sait si controversé que le Conseil s’est bien gardé d’en débattre, même s’il était directement lié à l’emprunt qu’il confirmait ? Pourtant, il faudra bien rembourser. « Il n’y a pas d’argent magique », affirmait Emmanuel Macron, et cette formule n’a rien perdu de sa pertinence : pour 37 milliards d’euros, c’est-à-dire une somme très faible eu égard à son poids en terme d’économie comme de population, insignifiante aussi au regard de l’ampleur des moyens nécessaires pour faire face à la crise (le déficit public français sera de 220 milliards d’euros pour la seule année 2020), la France aura donc accepté une tutelle budgétaire renforcée et des engagements financiers disproportionnés pour l’avenir, au risque d’aggraver de façon irréversible le malaise démocratique profond qui touche déjà l’Union européenne.

Le paradoxe de cette triste histoire, c’est que pour arracher un accord sur l’emprunt européen, il a fallu sacrifier au passage l’Europe dont nous avions réellement besoin. Le budget pluriannuel de l’UE sort essoré par les coupes et les rabais concédés pour obtenir le totem de la mutualisation des dettes. Politique agricole, Fonds européen de défense, programmes de recherche et même investissement dans la santé sortiront durablement fragilisés, parfois supprimés ou presque, de ce compromis aberrant. Ce plan ne prépare pas l’avenir de l’Europe, il exploite un moment de panique pour sauver par effraction une idéologie périmée depuis longtemps. Le Parlement européen s’est montré très sévère dans son vote sur cet accord ; il nous reste quelques semaines maintenant pour tenter de remettre où nous le pourrons un peu de raison dans sa mise en oeuvre, au service d’un vrai effort de relance.


Un vrai accord historique aurait consisté, au lieu de s’enthousiasmer parce que nous avons réussi à creuser encore nos…

Publiée par François-Xavier Bellamy sur Jeudi 23 juillet 2020

Rapprochement Alstom-Bombardier et règles de concurrence

Alstom se rapproche de Bombardier, entreprise en grande difficulté : mais pour se conformer aux règles européennes, le…

Publiée par François-Xavier Bellamy sur Samedi 11 juillet 2020

 

Sur le rapprochement Alstom-Bombardier et l’application des règles de la concurrence européennes

« Je voudrais revenir sur un sujet qui me paraît emblématique des aberrations du droit de la concurrence en Europe.

Aujourd’hui, Alstom, grande entreprise française qui fabrique des trains – qui avait été empêchée l’an dernier de se rapprocher de Siemens par une décision de la direction générale de la concurrence de la Commission européenne – cherche à se rapprocher de Bombardier, une autre entreprise sur le même secteur qui est en très grande difficulté.

Évidemment cette fusion est soumise à l’examen de la même direction générale de la concurrence. Pour éviter qu’Alstom ne se retrouve dans une position dominante en France sur ce secteur, il lui a été vivement recommandé de se séparer de l’une de ses usines qui se trouvent en Alsace à Reichshoffen. Ce droit de la concurrence est fondé sur un principe simple : le but est d’éviter qu’une entreprise ne puisse avoir un monopole sur le marché d’un pays, car toute situation de monopole pourrait conduire à augmenter les prix en direction des clients.

Simplement cette analyse paraît être mal fondée, parce qu’en l’occurrence il est parfaitement possible de vendre des trains en France sans disposer d’une usine en France. Et d’ailleurs la meilleure preuve de cela est que les concurrents ne se bousculent pas pour reprendre ce site industriel de Reichshoffen, en estimant qu’en effet ils n’ont pas de problème d’accès au marché français. Par ailleurs, les principaux clients d’Alstom – et notamment la SNCF, la RATP – ne se plaignent pas du tout de ce rapprochement avec Bombardier. Si les clients ne voient pas de difficulté, si les concurrents ne voient pas non plus de problème, pourquoi la Commission européenne persisterait-elle à appliquer une règle de concurrence dogmatique sans aucune considération pour les effets de ses décisions ?

Nous le savons très bien, en effet : notre marché européen est ouvert à des entreprises qui ne respectent pas les règles de la concurrence. En matière ferroviaire, on peut penser en particulier au chinois CRRC qui n’est pas encore vraiment présent sur le marché européen mais qui a déjà commencé de signer des marchés avec des États-membres et qui demain pourrait parfaitement venir vendre des trains en France. CRRC est une entreprise qui dispose d’un monopole absolu en Chine, qui est soutenue par son État, et qui de fait dispose ainsi d’une forme d’avantage concurrentiel créé simplement par nos propres règles, et par leur application aveugle.

Nous sommes à la veille d’une rentrée extraordinairement difficile sur le front social : la crise du coronavirus et le confinement menacent aujourd’hui de faire chuter le PIB de nos pays d’une manière historique, telle qu’on ne l’a jamais vu, et ceci va bien sûr créer du chômage de manière massive. Comment imaginer que la Commission européenne pourrait aller jusqu’au bout de cette logique de concurrence et menacer ainsi d’une manière aberrante et artificielle des dizaines d’emplois dans une usine qui, si elle est cédée à un repreneur, sera évidemment et nécessairement l’objet d’une restructuration, et donc de licenciements. Cela ne correspond à aucune logique économique ; cela ne correspond à aucune stratégie industrielle ; cela ne correspond même pas un problème de concurrence, puisqu’à l’intérieur du marché européen d’autres acteurs du ferroviaire peuvent vendre des trains en France. Il y a donc là une espèce d’aberration qui démontre en réalité que l’application dogmatique des règles de la concurrence européennes – sans prendre en considération l’impact social, sans se préoccuper de la réalité de la concurrence mondiale – conduit l’Europe et nos pays à se tirer des balles dans le pied, et à détruire des emplois, accélérant la désindustrialisation contre laquelle, au contraire, nous devrions lutter.

Je commence aujourd’hui à travailler sur cette question. J’ai eu l’occasion d’échanger avec les principaux responsables du dossier : nous allons faire circuler dès maintenant au Parlement européen un texte pour appeler la Commission européenne à revenir sur cette analyse, et à corriger la manière dont elles envisagent ce dossier. J’espère que nous pourrons sauver l’usine de Reichshoffen, et cette bataille importante ne fait que commencer. »

Sur le projet de plan de relance de la Commission européenne

Projet de plan de relance de la commission européenne

…pour les générations futures ?

« Bonjour à tous, heureux de vous retrouver depuis Bruxelles à la fin de cette semaine particulièrement importante, car elle a été l’occasion de discuter du plan de relance proposé par la Commission européenne.

Ce plan de relance correspond à une nécessité car, bien sûr, l’Europe doit agir face à la crise économique devant laquelle nous sommes placés. Mais il me semble pourtant que ce plan pose un problème majeur. Il est fondé sur le fait que, pour la première fois, l’Union européenne va s’endetter en notre nom à tous. Et cela pose au moins deux grandes questions.

La première, c’est : qui va rembourser cette dette ? Personne de sérieux ne pense qu’on peut créer de l’argent gratuitement. Ce qui est emprunté aujourd’hui doit être remboursé demain. Or l’Union européenne n’a pas, dans son budget, les moyens de rembourser cet emprunt. On nous explique que ce remboursement commencera en 2028 et qu’il s’achèvera probablement autour de 2060, mais sans nous expliquer comment. C’est tellement facile d’obliger ceux qui nous suivrons à payer nos propres problèmes… L’ironie de l’histoire, c’est que ce plan de relance s’appelle « Next Generation EU » : pour « l’Europe de la nouvelle génération ». Mais pour moi, c’est très clair : applaudir – comme beaucoup le font – que l’on vote une dette sans même savoir comment elle sera remboursée, c’est évidemment trahir les générations futures, et je ne veux pas m’en rendre complice.

C’est encore plus vrai si l’Union européenne n’assume pas de sortir de sa naïveté dans la mondialisation, et de changer enfin les règles du jeu. Aujourd’hui nous le voyons bien : nous fixons des règles très exigeantes à nos entreprises européennes sans imposer les mêmes règles à celles qui viennent sur le marché européen en important. Si nous investissons à travers cette dette commune pour pouvoir financer notre activité d’aujourd’hui sans changer ce rapport à la mondialisation, alors il est parfaitement clair qu’en réalité, nous financerons avec cette dette la relance de l’activité chinoise ou de l’activité de pays asiatiques à moindre coût. Et c’est ce qui est en train de se passer dans la nouvelle étape de la tragédie qui frappe par exemple Renault, et qui touche notre industrie depuis tellement longtemps maintenant.

Le deuxième problème que pose ce plan de relance à travers cet endettement commun, c’est que, qui dit endettement commun dit aussi responsabilité budgétaire commune. Aujourd’hui, le budget de l’Union européenne est construit à partir de la contribution des États : chacun apporte les moyens qui correspondent à ses ressources à cette action collective. SI demain l’Union européenne, pour la première fois, va sur les marchés pour s’endetter, cela veut dire qu’elle assume une responsabilité budgétaire qui nous lie les uns aux autres d’une manière beaucoup plus forte que ce n’est le cas aujourd’hui. Et je crois que nous ne sommes pas légitimes pour, à la faveur d’une crise majeure qui préoccupe nos concitoyens, imposer une nouvelle étape de l’intégration vers une responsabilité budgétaire qui ne correspond pas à un véritable échelon de la responsabilité démocratique.

Il me semble qu’il est catastrophique que certains profitent de cet épisode pour faire avancer un agenda qui ne dit pas son nom. Et je crois qu’il y a là, évidemment, probablement un potentiel de désamour encore plus fort pour l’Union européenne dans les années qui viendront, lorsqu’elle nous demandera, au nom de cette responsabilité budgétaire commune, de faire des réformes ou de changer nos attributions budgétaires à l’intérieur de nos pays. Non parce que ce serait bon pour nos pays ou parce que nous l’aurions décidé, mais parce que ce serait nécessaire du point de vue de cette responsabilité budgétaire que constituerait cet emprunt. Il y a là donc un débat fondamental. Nous allons nous y impliquer évidemment avec beaucoup d’énergie et je reviendrai vers vous très bientôt pour vous donner plus de nouvelles. Merci beaucoup. »

Pour aller plus loin

Responsabilité budgétaire et souveraineté

Débat avec la secrétaire d’État aux affaires européennes

 

Il est vital aujourd’hui de reconstruire une alternative crédible.

François-Xavier Bellamy au Parlement européen

Entretien paru dans Le Figaro le 27 mai 2020. Propos recueillis par Emmanuel Galiero.

LE FIGARO – Au terme de votre première année de mandat, le PPE vous a désigné pour conduire une réflexion sur la droite. De quoi s’agit-il ?

François-Xavier BELLAMY – Dans un paysage politique de plus en plus fragmenté, la droite n’a plus la vision, la stratégie d’ensemble qui lui permettraient d’être audible. Elle doit se remettre à travailler sur le fond pour retrouver une parole claire. En échangeant avec des élus d’autres pays européens, je vois à quel point la décomposition politique que nous connaissons en France se vérifie ailleurs, en Italie, en Espagne, en Allemagne même : partout on observe le développement de partis contestataires qui concentrent une colère impuissante, la poussée d’un mouvement “vert” qui semble souvent servir une idéologie plus qu’une véritable écologie, ou d’un progressisme totalement déconnecté des aspirations populaires, qui n’arrive qu’à accroître encore les tensions sociales. Dans ce contexte, les partis politiques de droite ne peuvent survivre si leur vision reste incertaine, ambiguë, paresseuse. Beaucoup de nos alliés européens font face comme nous à de vraies difficultés. Après un long débat sur le sujet avec les chefs des délégations nationales du PPE, notre président, Manfred Weber, m’a demandé de conduire un travail de fond pour redéfinir l’identité de la droite en Europe, et notre groupe m’a élu pour mener à bien cette mission. Avec une équipe de députés européens, auquel nous associerons des parlementaires nationaux, nous allons maintenant travailler méthodiquement pour affronter toutes les questions auxquelles la droite n’a pas toujours su faire face. Le but est de produire un texte de fond qui doit être discuté et adopté en novembre, avec l’ambition de contribuer à un nouveau départ, et de parler largement au grand public en Europe. Cela sera un signal fort envoyé à tous ceux qui ont perdu confiance en notre famille politique parce qu’elle semblait incapable de se remettre en question : il est vital aujourd’hui de reconstruire une alternative crédible qui puisse redonner espoir.

Dans ce contexte, les partis politiques de droite ne peuvent survivre si leur vision reste incertaine, ambiguë, paresseuse. Beaucoup de nos alliés européens font face comme nous à de vraies difficultés. Manfred Weber, m’a demandé de conduire un travail de fond pour redéfinir l’identité de la droite en Europe.

Chez Les Républicains, la définition du libéralisme fait débat. Qu’en pensez-vous ?

Il y a en effet un problème de définition. Mais il est difficile d’admettre que notre pays, champion des normes et des prélèvements obligatoires, souffre d’être trop “libéral”. Prétendre que la défaillance de l’Etat dans ses missions régaliennes pourrait être réglée en augmentant la dépense publique, alors que nous sommes déjà les premiers au monde en la matière, relève d’une forme de paresse intellectuelle… En vérité, malgré le dévouement des acteurs de terrain, nous subissons surtout les effets d’une incroyable désorganisation de l’Etat, d’une hyper-administration contre-productive, de la complexité du millefeuille territorial, qui asphyxient l’initiative et déresponsabilisent les corps intermédiaires. Nous devons avoir ce débat sans céder à la démagogie ou au simplisme, mais en osant regarder la vérité en face.

Beaucoup pensent que la droite retrouvera une voix en France quand elle aura trouvé son candidat pour 2022. Quel est votre avis ?

La première urgence, qui concerne le travail de fond, afin de retrouver une ligne claire et solide à proposer demain à la France. Christian Jacob a réuni des équipes thématiques pour avancer sur chaque sujet : sur les questions européennes par exemple, nous échangeons régulièrement avec nos collègues de l’Assemblée et du Sénat, avec des experts… C’est la priorité aujourd’hui. La question de l’incarnation sera bien sûr déterminante, et elle devra évidemment être tranchée le moment venu ; mais ce n’est pas la priorité aujourd’hui.

Que pouvez-vous dire sur le fonctionnement de l’Union européenne aujourd’hui ?

Au bout d’un an de mandat, j’observe que toutes les grandes intuitions de notre campagne se sont vérifiées : nous voulions d’une Europe qui ne se contente plus de créer des normes et des règles de concurrence, mais qui respecte une véritable subsidiarité, tout en retrouvant une vision stratégique dans la mondialisation. Cette perspective est plus urgente que jamais ! Mais je mesure l’ampleur du changement qu’il faut réussir à imposer… Au milieu d’une crise qui a montré que notre autonomie alimentaire était un enjeu crucial, c’est à Greta Thunberg que la Commission demande des conseils pour réformer la politique agricole commune. Et au moment où il apparaît plus nécessaire que jamais de protéger notre marché européen pour retrouver une capacité de produire, le commissaire au commerce extérieur parle de nouveaux accords de libre-échange avec les Etats-Unis ou le Mercosur… L’Union européenne est encore piégée par une vision idéalisée et naïve de la mondialisation : certains nous expliquent que, pour ne plus manquer de masques à l’avenir, il n’est pas nécessaire de retrouver les moyens d’en fabriquer, mais simplement s’assurer d’avoir plusieurs fournisseurs. Au lieu de ne plus dépendre enfin d’autres acteurs, on nous propose de multiplier cette dépendance, comme si les chocs globaux et les rapports de force n’existaient plus ! Les dirigeants européens peinent à prendre conscience que l’histoire est de retour, et qu’il faut se préparer pour ne pas subir les crises futures et la puissance croissante des autres acteurs. L’épidémie actuelle est un avertissement clair : l’avenir de l’Europe dépend des leçons qu’elle saura en tirer.

L’Union européenne est encore piégée par une vision idéalisée et naïve de la mondialisation. Les dirigeants européens peinent à prendre conscience que l’histoire est de retour, et qu’il faut se préparer pour ne pas subir les crises futures et la puissance croissante des autres acteurs.

Ces « dogmes » sont-ils les moteurs de l’élargissement défendu par certains ?

Oui, et c’est d’ailleurs un autre exemple de cette absence de lucidité… En plein milieu de la crise du Coronavirus, Emmanuel Macron a accepté le processus d’élargissement pour l’Albanie et la Macédoine du Nord. Après avoir promis de s’y opposer pendant toute la campagne européenne… C’est un pas de plus dans l’impasse qui a condamné l’Union à tant de paralysie et de dangereuses tensions, notamment sur le plan migratoire, économique, ou même démocratique !

Comment la complexité des institutions européennes s’illustre-t-elle ?

Le Parlement négocie en permanence avec la Commission et le Conseil des chefs d’Etat et de gouvernement, pour déterminer la législation. Dans cette mécanique institutionnelle, il faut vraiment être un combattant si l’on veut obtenir des avancées. Avec notre délégation, nous avons parfois emporté la décision, par exemple avec la désignation de Thierry Breton au sein de la Commission : malgré les critiques d’Emmanuel Macron, nous avons rendu un vrai service à la crédibilité de la France, qui aurait été fortement atteinte si la commissaire que le Président avait désignée avait été confirmée. Mais dans l’effet d’inertie de cet univers complexe, toute bataille remportée suppose un engagement total.

Malgré ses pesanteurs, l’Union européenne vous semble-t-elle prête à se réformer ?

C’est la grande question. Soit l’Europe changera, soit elle disparaîtra. Si les Européens ne prennent pas toute la mesure de leur vulnérabilité aujourd’hui, ils sortiront de l’histoire. Une Europe obligée d’aller quémander en Chine les produits nécessaires à sa survie, ou dépendante technologiquement des plateformes numériques américaines est une Europe sans avenir, parce qu’elle se rend otage de puissances extérieures qui décideront de son destin.

Avec 500 milliards d’emprunt, le plan de relance franco-allemand vous semble-t-il à la hauteur des enjeux ?

En réalité, ce plan est issu d’un projet que la commission construisait depuis plusieurs semaines. Ce que l’on a beaucoup évoqué, c’est un accord entre la France et l’Allemagne sur ce projet ; mais mettre en scène une discussion à deux ne suffit pas à convaincre les 25 autres… Et quand j’entends Nathalie Loiseau faire la leçon aux pays qui osent s’inquiéter d’un dérapage budgétaire incontrôlé, de la part d’un Etat qui n’a pas su faire un budget à l’équilibre depuis près de cinquante ans, je me dis que décidément LREM n’est pas près d’aider les Français à passer enfin pour moins arrogants, ni plus crédibles… Concernant ce projet d’emprunt européen, je suis très réticent : qui dit emprunt dit responsabilité budgétaire ! Nous rêvons d’asseoir notre endettement sur les excédents de l’Allemagne et des pays nordiques. Mais si nous créons cette solidarité budgétaire, cela impliquera de soumettre nos politiques nationales à un contrôle encore plus étroit de l’échelon européen. La fourmi ne prêtera pas à la cigale sans vérifier qu’elle va arrêter de chanter. Quand on voit le rejet que suscite la règle des 3%, imposée par la simple solidarité monétaire, on comprend qu’Emmanuel Macron n’ait pas parlé aux Français des conditions déjà exigées par l’Allemagne à ce plan de relance… Or s’il nous faut faire des réformes, ce doit être à notre initiative et pour préparer notre avenir, et non sous l’injonction d’une autorité extérieure. La décision budgétaire est l’expression la plus concrète de la responsabilité démocratique : elle ne peut pas être transférée sans une atteinte absolue à la souveraineté d’un pays. Ceux qui voient ici l’occasion de ressusciter le vieux rêve fédéraliste en créant un contrôle de fait des Etats à travers un endettement commun, courent le risque de constituer une nouvelle pomme de discorde, susceptible à terme de faire exploser l’Union européenne. Je crois à une Europe qui renforce nos pays, et non qui les remplace ; de ce point de vue, je le dis depuis plusieurs semaines, il me semble infiniment préférable de mobiliser rapidement le budget européen avec un effet de levier pour que les Etats et les entreprises financent des besoins concrets et urgents, plutôt que de provoquer de longs débats et des tensions profondes sur un endettement commun.

La décision budgétaire est l’expression la plus concrète de la responsabilité démocratique : elle ne peut pas être transférée sans une atteinte absolue à la souveraineté d’un pays. Ceux qui voient ici l’occasion de ressusciter le vieux rêve fédéraliste en créant un contrôle de fait des Etats à travers un endettement commun, courent le risque de constituer une nouvelle pomme de discorde

Comment avez-vous vécu l’épisode du Brexit en janvier ?

Pour la première fois, un Etat membre a choisi de quitter l’Union européenne. On a trop vite oublié ce que cela signifiait. Beaucoup se sont rassurés en affirmant que le Brexit avait gagné grâce à des “fake news”; il y en a eu, comme dans bien des campagnes hélas, et sans doute dans chaque camp. Mais si une majorité de Britanniques a voté pour sortir de l’Union, c’est qu’elle considérait qu’appartenir à l’Union européenne fragilisait leur pays au lieu de le renforcer. Si les Européens ne comprennent pas cela, il y aura d’autres Brexit.

Quelle réflexion vous inspirent Emmanuel Macron et Bruno Le Maire quand ils parlent de « souveraineté nationale » ?

Quelle incroyable contradiction avec ce qui était au coeur même de la vision d’En Marche ! Durant les élections européennes, le responsable du pôle Idées de LREM, Aurélien Taché expliquait que le projet de son mouvement était de transférer la souveraineté française à l’échelle européenne. Un an plus tard, on nous explique qu’il faut repenser la souveraineté nationale. Emmanuel Macron déclarait en 2017 que « le protectionnisme, c’est la guerre » ; maintenant il affirme que délocaliser a été une folie… Il voudrait nous faire croire qu’il se réinvente. En réalité, il me fait l’effet d’un comédien changeant de texte après avoir constaté que la pièce d’avant ne marchait pas. Malheureusement, personne ne peut croire ces revirements. Et la principale victime de ces zigzags idéologiques, c’est la clarté du débat démocratique… Je le répète depuis l’apparition d’En Marche : l’inconsistance du “en même temps” rend impossible une conversation civique claire, qui puisse servir le discernement des Français et exprimer la réalité des clivages qui traversent la société. En adoptant, pour tout projet politique, de médiocres stratégies de communication qui se succèdent dans une incohérence absolue, Emmanuel Macron a profondément dévitalisé notre démocratie, et alimente ainsi les colères qui menacent désormais de la déborder.

Emmanuel Macron voudrait nous faire croire qu’il se réinvente. En réalité, il me fait l’effet d’un comédien changeant de texte après avoir constaté que la pièce d’avant ne marchait pas.

Il vous reste quatre années de mandat européen. Quelles sont vos ambitions ?

Notre boussole est le projet que nous avons défendu pendant la campagne, qui est plus que jamais d’actualité : une Union européenne qui se concentre enfin sur ses missions fondamentales, qui créé les conditions d’une vraie autonomie stratégique pour nos pays dans les secteurs essentiels, restaurant ainsi la capacité de l’Europe à agir face aux crises futures et aux autres puissances mondiales. Pour ne plus subir ce qui lui arrive, comme nous le vivons aujourd’hui, l’Europe doit se souvenir qu’elle n’est pas un projet pour cogérer le déclin, mais une civilisation millénaire indispensable à l’équilibre du monde de demain. Je le crois plus que jamais.

Loi Avia et applications de traçage

« Quelles que soient les circonstances, jamais notre pays ne devrait renoncer aux garanties fondamentales qui protègent nos libertés. Des applications de traçage à la loi Avia adoptée aujourd’hui, l’actualité montre qu’il est vital de défendre notre démocratie qui cède en silence sur des principes essentiels. Nous devons lutter contre ce qui menace notre santé, mais aussi contre ce qui endort nos consciences. »

Europe : changer de paradigme

Tribune écrite avec Sven Simon et cosignée par une quinzaine députés du Parlement. Le texte est paru dans L’Opinion le 9 mai 2020. Voir les signataires

Le 9 mai 1950 à Paris, Robert Schuman, ministre français des Affaires étrangères, proclamait une nouvelle vision pour l’Europe : l’Allemagne et la France devaient partager leur production de charbon et d’acier en créant une autorité commune. Ce n’est pas un hasard si Schuman voulait placer sous cette supervision mutuelle les industries qui étaient considérées comme les armureries des nations européennes. Il était conscient que l’Europe ne pouvait pas être créée « d’un coup » ni « dans une construction d’ensemble ». Elle serait liée « par des réalisations concrètes créant d’abord une solidarité de fait. »

Devant les nombreuses crises de l’intégration européenne, et le mécontentement généralisé que suscite le fonctionnement des institutions européennes, ce 70ème anniversaire est l’occasion de réfléchir à nouveau sur la Déclaration Schuman. Dans le contexte de 1950, préserver la paix et renouer avec la prospérité étaient les principaux défis politiques auxquels étaient confrontés les responsables politiques allemands et français. La vision que Schuman proposait de l’Europe ne se réduisait pas à des slogans systémiques abstraits, comme c’est si souvent le cas aujourd’hui entre « État fédéral » et « Europe des nations ». Il a plutôt défini les compétences de la nouvelle communauté en fonction des exigences concrètes de son époque.

À quoi ressemblent ces exigences en 2020 ? Aujourd’hui, les Européens doivent combattre pour leur futur rôle dans la mondialisation. L’Union européenne est toujours le plus grand marché unique, et cela n’est pas sans poids politique. Nos valeurs de liberté, d’État de droit et de démocratie attirent toujours, mais notre modèle n’est plus incontesté. Les nouvelles puissances émergentes revendiquent une influence économique et politique, et la Chine en particulier est en concurrence avec l’Occident dans sa promesse de prospérité. En même temps, les processus complexes de négociation pour une fédération d’États, l’incapacité des institutions européennes à se concentrer sur l’essentiel, un lien faible avec la volonté des électeurs et, enfin et surtout, la difficulté de modifier le droit de l’Union ont donné à de nombreux citoyens le sentiment d’un échec de l’Europe. Cela a sapé la légitimité de l’Union européenne, et conduit à une menace existentielle pour une Europe unie.

Les processus complexes de négociation pour une fédération d’États, l’incapacité des institutions européennes à se concentrer sur l’essentiel, un lien faible avec la volonté des électeurs et, enfin et surtout, la difficulté de modifier le droit de l’Union ont donné à de nombreux citoyens le sentiment d’un échec de l’Europe.

Contrairement à l’État-nation, l’Union européenne n’est pas une fin en soi pour la plupart de nos contemporains. Elle est en débat, elle doit prouver sa raison d’être et devra faire ses preuves encore et toujours pour se poursuivre. Elle se mesure en fonction de ses coûts et de ses avantages. La mise en balance de ces facteurs n’est pas nécessairement rationnelle, mais elle s’impose. C’est pourquoi le sujet n’est absolument pas « plus ou moins d’Europe », encore moins les vieilles idées d’un ordre fédéral ou d’une constitution de l’Europe ; la seule question est de savoir à quoi peut servir l’Union européenne pour les européens du XXIème siècle. Elle doit leur permettre de s’affirmer dans un monde de superpuissances agissant unilatéralement, avec lesquelles aucun État européen ne peut rivaliser seul. Par rapport à l’époque de Schuman, nous sommes donc confrontés aujourd’hui à un changement de paradigme : l’Union ne doit pas s’imposer aux pays européens, mais leur donner le poids dont ils ont besoin dans le monde (Kielmansegg). Au lieu de « créer une Union toujours plus étroite », nous avons besoin d’une Union concentrée sur des projets, et qui retrouve une vision stratégique dans la mondialisation.

Le sujet n’est absolument pas « plus ou moins d’Europe », encore moins les vieilles idées d’un ordre fédéral ou d’une constitution de l’Europe ; la seule question est de savoir à quoi peut servir l’Union européenne pour les européens du XXIème siècle.

C’est la raison pour laquelle, en cette Journée de l’Europe 2020, nous demandons que l’Europe se concentre sur le cœur de ce qui fera la concurrence globale entre les systèmes géopolitiques de demain, et que ses compétences soient beaucoup plus clairement délimitées, pour que les européens soient capables demain d’agir à l’échelle mondiale.

Pour l’essentiel, les défis de notre époque sont l’évolution du commerce mondial et les politiques d’investissement, la révolution numérique, la sécurité intérieure et extérieure, l’harmonisation de notre modèle énergétique, la conversion d’une économie sociale de marché vers une transition écologique et durable, le défi migratoire, et la stratégie pour l’Afrique.

Dans ces domaines, qui doivent être définis plus en détail, une approche européenne commune a indéniablement du sens, et sa valeur ajoutée peut être rendue concrètement visible, conformément à l’intuition de Schuman. Toutefois, pour que cette « solidarité d’action » se concrétise, l’Union Européenne doit se concentrer sur ces domaines et être capable de résoudre des problèmes. Sa structure institutionnelle doit être réformée pour cela.

Toutefois, pour que cette « solidarité d’action » se concrétise, l’Union Européenne doit se concentrer sur ces domaines et être capable de résoudre des problèmes. Sa structure institutionnelle doit être réformée pour cela.

Concrètement, cela implique de restructurer la Commission européenne pour en faire une structure efficace, liée à une majorité stable au Parlement Européen, articulée à une opposition visible. Pour être pris au sérieux, le Parlement doit se concentrer beaucoup plus sur les tâches pour lesquelles il a une compétence législative et des fonctions de contrôle. Il doit mûrir dans son fonctionnement, et développer une culture du débat digne d’un Parlement. Cela ne réussira pas sans un échange sérieux et approfondi d’arguments en plénière. Tant que le Parlement Européen ne deviendra pas un lieu d’échange d’idées dans la sphère publique européenne, tant que les orateurs ne seront pas engagés dans l’action mais parleront chacun de leur siège, tant qu’ils ne se considèreront pas et n’auront pas de relations entre eux, la décision au niveau européen restera difficile à accepter.

Pour réaliser cette vision d’une Europe unie par sa capacité d’action, nous avons besoin d’un nouveau départ, d’une impulsion comme celle donnée par la Déclaration du 9 mai il y a soixante-dix ans. Robert Schuman a fait preuve d’un courage déterminé lorsqu’il a tendu la main de la réconciliation à l’Allemagne, au sortir d’une guerre mondiale avec cet ennemi héréditaire, sur les ruines des villes européennes. La crise actuelle nous appelle à ouvrir un nouveau chapitre de l’histoire de l’Europe, avec la même clairvoyance. Contrairement aux États-Unis d’Amérique, l’Union Européenne ne veut pas faire de plusieurs, un – e pluribus unum – mais être « unie dans la diversité ». Si nous reconnaissons la fécondité de cette diversité, si nous la mettons en œuvre par la coopération de nos Etats, en utilisant pleinement les économies d’échelle qu’elle permet, alors nous avons toutes les chances que l’Europe récupère le retard qu’elle accuse désormais sur bien des terrains, pour continuer d’être le continent où il vaut le mieux vivre à l’avenir.

Les signataires sont tous membres du Groupe PPE au Parlement européen :

  • Sven SIMON, député de la délégation allemande du Groupe PPE
  • François-Xavier BELLAMY, président de la délégation française du Groupe PPE
  • Eva MAYDELL (délégation bulgare), présidente du Réseau des jeunes membres du PPE
  • Sara SKYTTEDAL (délégation suédoise), présidente de la Délégation pour les relations avec l’Irak
  • Isabel BENJUMEA (délégation espagnole), vice-présidente de la Commission du Développement régional
  • Tom BERENDSEN (délégation néerlandaise)
  • Lena DÜPONT (délégation allemande)
  • Arba KOKALARI (délégation suédoise)
  • Stelios KYMPOUROPOULOS (délégation grecque)
  • Jeroen LENAERS (délégation néerlandaise), vice-président de la Délégation pour les Relations avec les pays du Machrek
  • Lidia PEREIRA (délégation portugaise), vice-présidente du Réseau des jeunes membres du PPE
  • Karlo RESSLER (délégation croate)
  • Sven SCHULZE (délégation allemande), vice-président de la Commission des Transports et du Tourisme
  • Tomislav SOKOL (délégation croate)
  • Barbara THALER (délégation autrichienne)
  • Maria WALSH (délégation irlandaise)
  • Tomáš ZDECHOVSKÝ (délégation tchèque), vice-président de la Commission de l’Emploi et des Affaires sociales