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Déplacement au Liban et Noël en Irak

Long déplacement, si nécessaire pour mieux comprendre la situation de ces pays du Moyen-Orient. Nous sommes attachés à eux, non seulement par l’histoire, mais aussi par l’avenir : le destin de notre continent sera toujours relié à ce qu’ils deviendront.

Rendre aux Libanais la maîtrise de leur destin : entretien à Nida’ al Watan

Entretien initialement paru en arabe dans le quotidien libanais Nida’ al Watan, propos recueillis par Aline Boustani. Photo : devant le port de Beyrouth, le 22 décembre 2022.

 

Aline Boustani : Monsieur Bellamy, il s’agit de votre première visite au Liban, mais vous vous y êtes déjà beaucoup intéressé ; comment avez-vous trouvé le pays ?

François-Xavier Bellamy : Il s’agit en effet de ma première visite, mais ce n’est bien sûr pas la première fois que je m’intéresse à ce que vit le Liban. Comme beaucoup de Français, je suis avec une attention toute particulière l’actualité du pays. Nous avons tous le Liban au cœur ; et pour ma part, je repars surtout avec le cœur serré de voir ce peuple si profondément inquiet pour son avenir.

Quel message souhaitez-vous porter aux responsables et au peuple Libanais, à l’issue de votre déplacement ?

Je ne voudrais pas faire comme si je connaissais tout du Liban – ce pays a connu trop de responsables politiques venus d’ailleurs, et notamment de France, qui prétendaient lui dire ce qu’il devait faire, et tout savoir sur son avenir… Je suis d’abord venu pour écouter et pour comprendre.

Qu’avez-vous entendu ?

Le peuple libanais demande la justice et la responsabilité. Il est aujourd’hui pris en otage par des dirigeants irresponsables, qui refusent de faire fonctionner normalement les institutions du pays, qui refusent que le Parlement joue son rôle… Comment qualifier des parlementaires qui quittent l’hémicycle pour ne pas avoir à voter, au moment où ils doivent élire le président de la République ? Comment admettre que, dans un tel moment de crise, le Liban ne puisse pas compter sur un président pour discuter avec le monde, et sur un gouvernement exécutif capable d’agir ? Ceux qui bloquent l’élection présidentielle se rendent coupables de l’enlisement terrible que les Libanais subissent tous ; ces élus agissent pour servir des intérêts qui ne sont pas ceux du Liban.

L’autre institution qui doit aujourd’hui fonctionner absolument – et l’Europe doit l’exiger, et en faire immédiatement une condition de son soutien au Liban, c’est la justice. L’Union européenne parle beaucoup d’état de droit : le premier élément de l’état de droit, c’est une justice qui permette d’identifier et de condamner les responsables quand une faute ou un crime a été commis.

L’explosion du port de Beyrouth, c’est un crime sans précédent envers le peuple libanais, envers ces 230 victimes, ces milliers de blessés, ces dizaines de milliers de familles touchées. Comment est-il possible que ce crime ait tant de victimes, mais qu’il n’ait aucun coupable ? L’effondrement du système financier est lui aussi un crime : il a fait et continue de faire des morts. Et il laisse aujourd’hui dans l’impasse des millions de Libanais qui ont travaillé dur pendant longtemps, et qui se sont fait voler le travail de toute leur vie. Comment un tel crime peut-il ne pas avoir de coupable ? La première des mesures à prendre pour que le Liban retrouve confiance en son avenir, c’est la fin de cette irresponsabilité générale.

L’enquête est bloquée, et une enquête internationale est demandée. Est-ce que vous soutenez cette demande ?

Il est normal qu’on ait souhaité faire confiance à la justice libanaise dans un premier temps. Je ne suis favorable à aucune espèce d’ingérence : le Liban a une Constitution démocratique – c’est un miracle dans cette région – et il aurait été évidemment préférable que ses institutions fonctionnent normalement.

Mais puisqu’aujourd’hui, manifestement, rien n’avance, qu’aucun responsable n’a été identifié, et que dans un pays dont la justice est défaillante ou bloquée les phénomènes de corruption les plus complets peuvent se développer, c’est toute la communauté internationale qui doit prendre sa responsabilité. Nos pays sont aussi concernés par cette explosion, dans un port international toujours en activité. Je crois qu’il est aujourd’hui nécessaire que soit au moins conduite une mission internationale pour établir les faits. De ce point de vue-là, encore une fois, l’Europe a le devoir de réagir. Nous parlons souvent de défendre l’état de droit : quand des dirigeants – et nous les connaissons – ne se rendent pas aux convocations d’un juge, ils font entrave à la justice. Il est temps que l’Union européenne prenne des sanctions explicites contre ces gens qui détruisent de l’intérieur la Constitution démocratique du Liban et le fonctionnement de ses institutions. Il se n’agit pas de faire ingérence dans le système libanais ; les Libanais souffrent justement de l’ingérence d’une milice armée, financée et pilotée par une puissance étrangère, qui prétend remplacer leur État. Nous n’avons pas à ajouter une ingérence de plus, mais au contraire à agir concrètement pour aider le Liban à s’en libérer.

Quelles sont les pistes pour aider le Liban à résoudre ses problèmes ?

Il faut d’abord prendre des sanctions ciblées à l’encontre de ceux qui bloquent ces enquêtes, qui menacent les juges, ou qui tentent de les contourner. Des sanctions efficaces permettraient de libérer le Liban d’un système parallèle qui l’asphyxie.

Début décembre, l’Association des déposants au Liban et le groupe Accountability Now ont soumis une pétition au Conseil de l’Union européenne, exigeant l’imposition de sanctions aux politiciens libanais. Quel regard portez-vous sur ce message ?

J’ai eu l’occasion de prendre connaissance de cette pétition et j’échangerai bientôt avec les représentants d’Accountability Now. Je partage totalement leur sentiment : il faut des sanctions claires, explicites et fortes contre les politiciens libanais qui minent de l’intérieur leur démocratie. Bien sûr, l’état de droit, c’est aussi le fait que les parlementaires ne sont pas juges : je ne vais pas faire une liste de noms moi-même ; mais nous pouvons au moins nous donner un cadre : tous ceux qui ne se présentent pas à une convocation de justice – et tous les Libanais connaissent leurs noms – doivent être ciblés par des sanctions, de même que ceux qui empêchent aujourd’hui l’élection d’un président de la République en quittant la Chambre quand il faudrait voter, ou en empêchant le Parlement de fonctionner, alors même qu’on en est le président – je pense que c’est assez clair…

En parlant de l’élection présidentielle, est-ce qu’il y a un candidat en particulier que la France soutient ?

Le rôle de la France n’est pas de dicter au peuple libanais le nom de son prochain président, mais de l’aider à faire en sorte que la démocratie libanaise puisse réellement fonctionner. Cela suppose de ne pas se cantonner à une prétendue neutralité, qui revient en fait à confondre le problème et la solution. Comme vous le savez, je ne suis pas dans la majorité du président de la République [française] ; je ne suis pas venu ici faire de la politique intérieure française, mais il est vrai que j’ai parfois du mal à comprendre que notre président n’ait pas une vision claire à partager avec les Libanais pour leur avenir, non pas au sens où il faudrait que la France impose des candidats – encore une fois, ce n’est pas son rôle –, mais au sens où la France devrait avoir une véritable stratégie politique dans son lien avec le Liban. Nous ne pouvons pas venir uniquement pour faire de la communication, et dire que nous « parlons avec tout le monde » – ce qui signifie parler avec les coupables autant qu’avec les victimes, et mettre sur le même plan ceux qui bloquent, et ceux qui voudraient avancer… La réalité, c’est que toutes les puissances régionales, et certaines puissances mondiales, ne se privent pas d’avoir une vision politique très affirmée quant à l’avenir du Liban, quand la France et l’Europe sont peut-être les acteurs qui s’interdisent le plus d’avoir une stratégie forte pour que la démocratie reste vivante dans ce pays.

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La semaine dernière, le sud du Liban a été témoin d’un douloureux incident, qui a entraîné la mort d’un soldat irlandais. Êtes-vous préoccupé par la sécurité des personnels de la FINUL au Liban ?

Il est impossible aujourd’hui de faire une déclaration certaine sur l’origine de ce crime. J’espère que la FINUL avancera rapidement dans son investigation, pour établir les responsabilités. Ce qui est sûr, c’est que nous entendons de plus en plus un discours hostile à la FINUL, notamment de la part du Hezbollah. Ce discours-là ne peut que conduire à des tensions de plus en plus fortes. Cette situation montre le danger majeur que représente pour le Liban le fait d’avoir non pas un État, mais des États dans l’État – et en l’occurrence de ne pas avoir une armée, mais une armée et une milice parallèle, qui prétend faire la loi et contrôler le pays.

Allez-vous exiger de modifier les prérogatives de la FINUL, ou de raccourcir son mandat après cet incident ?

Non, il ne faudrait surtout pas céder à ceux qui voudraient écourter cette mission, et qui sont prêts à l’imposer par la violence. Ce serait donner raison aux criminels que de tirer un telle conclusion de cette attaque.

La France, l’Europe et beaucoup de pays ont toujours exprimé leur volonté d’aider le Liban à sortir de sa crise actuelle, à condition qu’il commence des réformes. Mais à la lumière de sa crise économique, est-il encore en mesure de mettre en œuvre des réformes ?

Non seulement la crise économique n’empêche pas de faire des réformes, mais elle l’impose. C’est plutôt la crise politique qui rend les réformes difficiles. Et cette crise politique, elle n’a pas d’autre responsable que les responsables politiques eux-mêmes. C’est à eux de sortir de cette impasse. Les réformes sont indispensables. L’Union européenne n’a pas à dicter au peuple libanais ce qu’il doit faire ; mais puisque la communauté internationale apporte une aide importante, la moindre des choses est d’avoir autour de la table des responsables politiques dignes de ce nom, et de pouvoir échanger avec des interlocuteurs capables de rendre au Liban sa crédibilité, et la confiance de ses partenaires internationaux. L’aide internationale ne peut pas servir continuellement de palliatif à une classe politique qui ne veut pas faire de réformes, et qui se repose à bon compte sur le fait que la crise sera toujours atténuée par l’argent qui vient de l’étranger – de la diaspora, ou de l’UE et des ONG… Ce serait évidemment une folie, et ce serait trahir le peuple libanais, que d’offrir à l’État un répit qui lui évite d’avoir à affronter sa responsabilité.

Vous avez parlé, au début de votre visite, de la crise des réfugiés syriens au Liban. Certains demandent qu’ils retournent dans des zones sûres dans leur pays. Soutenez-vous cette demande ?

C’est un grand tort de la communauté internationale, notamment à travers les Nations unies, d’avoir financé la crise au lieu de la résoudre ; la place des réfugiés syriens au Liban est évidemment un immense enjeu pour le peuple libanais aujourd’hui, à cause de la manière dont cette population très nombreuse pèse sur les ressources pourtant limitées du pays en électricité, en alimentation… Tout cela ne peut que nourrir des tensions très graves. Mais c’est surtout un immense problème pour demain. Parce que l’architecture si fragile, si singulière, si riche de la société libanaise, cet équilibre de confessions et de communautés qui fait la diversité du Liban, sera déstabilisée de manière irrémédiable par le maintien sur son sol d’un tel nombre de réfugiés syriens. Je crois qu’il faut que nos Etats le mesurent enfin avec lucidité : aucun pays au monde n’accueille une proportion aussi importante de réfugiés sur son propre sol. La communauté internationale, en maintenant des financements qui incitent ces réfugiés à rester au Liban, bloque aujourd’hui une situation qui déstabilisera tout le pays demain.

Lors de votre rencontre avec le patriarche maronite, vous avez parlé de l’importance de la présence chrétienne. Craignez-vous pour le sort des chrétiens dans ce pays et au Moyen-Orient ?

Je crains pour la diversité libanaise. Je crains pour cet équilibre magnifique qui est consubstantiel à l’identité du Liban. Si les chrétiens, demain, sont empêchés de rester au Liban et se retrouvent contraints de se tourner vers l’émigration pour pouvoir survivre et donner une chance à leurs enfants, l’Europe sera fortement responsable de cet échec. Le Liban perdrait ce qui fait la clé de son modèle millénaire : il perdrait une part de son âme, de sa culture, de son essence – mais aussi, très concrètement, toute une population dont le rôle est majeur pour la vie du pays et de toutes ses communautés. J’ai eu la chance de visiter un hôpital tenu par une congrégation à Beyrouth, qui a été directement touché par l’explosion ; j’ai visité plusieurs écoles chrétiennes… Ces hôpitaux, ces écoles, accueillent tous les Libanais, chrétiens, druzes, musulmans chiites ou sunnites. J’ai visité la Cuisine de Marie, fondée par un prêtre, qui distribue plus de mille repas gratuits par jour, à tous ceux qui en ont besoin, sans leur demander leur identité, leur confession, leur origine. Je crois que tous les Libanais, quelle que soit leur communauté, sont conscients que si les chrétiens quittent le Liban, ce dernier y perdra ce qui fait son équilibre, la richesse de son tissu social, et une part importante de ce qui le fait vivre aujourd’hui.

En septembre 2020, un mois après l’attentat du port de Beyrouth, vous avez appelé à la nécessité de « libérer le Liban des milices, sanctionner la corruption qui brade sa souveraineté, et soutenir la neutralité qui lui rendra la paix ». Pensez-vous toujours que ces trois points soient la priorité pour la stabilité du pays ?

Je n’ai pas changé d’avis, et je crois qu’il est vraiment fondamental de rendre aux Libanais leur souveraineté, de leur rendre la maîtrise de leur destin, de faire en sorte qu’ils ne soient plus les jouets de puissances étrangères qui voudraient leur imposer un avenir écrit pour eux. Il est temps que les Libanais soient enfin respectés par leurs propres institutions, par leurs voisins, par les autres pays du monde. Les Libanais veulent retrouver les moyens de survivre, ils veulent retrouver la possibilité d’accéder à leurs propres économies, ils veulent retrouver la liberté de travailler et la possibilité de vivre dignement du produit de leur travail, ils veulent retrouver une monnaie stable, ils veulent retrouver des institutions fonctionnelles. Mais au cœur de cette crise économique et sociale majeure, il y a aussi, je crois, une crise démocratique, une crise politique, qui est aussi une crise morale et spirituelle. Il faut rendre aux Libanais leur fierté, le respect qui leur est dû.

Certains Libanais ont perdu l’espoir de résoudre tous ces problèmes. Gardez-vous espoir ?

L’optimisme vient quand on a des bonnes raisons de penser que tout ira bien. C’est quand on n’a pas de raison d’être optimiste qu’il faut montrer de l’espérance. Ce n’est pas quand on est en bonne santé et quand on est riche qu’on a besoin d’espérance, c’est quand on est au contraire confronté à d’immenses épreuves ; et de ce point de vue-là, le Liban est aujourd’hui le pays de l’espérance… Il y a peu de raisons d’être optimiste aujourd’hui, en effet, mais je serais prêt à faire malgré tout le pari de l’espérance avec le peuple libanais, qui, lui, d’ailleurs, montre ce courage incroyable.

Si j’ai une raison d’espérer, je la trouve en particulier dans l’éducation. Je suis professeur de philosophie de métier ; c’était important pour moi de passer du temps dans les écoles, au contact du monde éducatif. Au Liban, je suis allé visiter des écoles dans des endroits très différents : à Beyrouth, une école très connue et très ancienne de la ville, mais aussi une autre à Tripoli, à Bab el-Tebbaneh, dans un quartier très pauvre qui a été marqué jusqu’à une période très récente par un affrontement armé entre communautés sunnite et alaouite. J’ai été vraiment impressionné par la joie, la vitalité, l’intelligence de la jeunesse libanaise, par l’élan magnifique qui se prépare dans ces écoles. J’ai été très marqué par ce que j’ai pu percevoir de la qualité de l’enseignement, et notamment celui de la langue française qui nous est commune. Nous sommes à la veille de Noël, cette fête qui nous rappelle que c’est au milieu de la nuit la plus noire que peut survenir la bonne nouvelle… C’est sans doute le bon moment pour se dire que oui, le Liban a des raisons d’espérer.

Qu’allez-vous dire au Parlement européen à propos de cette visite ?

Fort des échanges que j’ai pu avoir ici, je rappellerai l’urgence de changer complètement d’approche dans la crise des réfugiés syriens, pour que l’on cesse d’inciter les gens à vivre indéfiniment du statut de réfugié, car ce serait enkyster dangereusement le problème. L’urgence d’aider les Libanais à retrouver l’accès à leurs propres économies – et il y a des moyens juridiques pour le faire. C’est quand même le seul pays au monde où les gens sont tentés d’aller voler leur propre argent à la banque ! La justice de nos pays doit pouvoir y contribuer. La décision récente de la justice américaine est à ce titre importante.

Je crois qu’il y a aussi beaucoup à faire pour aider le secteur privé à se relever, en l’aidant à accéder à des financements. Aujourd’hui le secteur bancaire libanais est détruit, et il est difficile pour des entrepreneurs de financer leurs projets, alors que le Liban a des atouts économiques considérables. Et avant même que les institutions ne soient réformées, et que le pays n’avance sur le plan politique, il est déjà possible d’aider le secteur privé à se reconstruire – ce qui permettra aussi de recréer de l’activité et de l’emploi pour les jeunes, de leur permettre de rester, de faire venir des devises, et par là de donner de l’oxygène à la société libanaise. Pour cela, il faut faciliter l’accès au crédit ; on peut certainement travailler là-dessus sur le plan juridique et technique. Le Liban est confronté à tant de problèmes : la meilleure manière de les aborder est peut-être de traiter chacun de ces problèmes les uns après les autres, d’apporter des solutions concrètes, plutôt que d’attendre une solution globale éternellement, laquelle est évidemment nécessaire mais n’est pas dans nos cordes aujourd’hui.

La dernière chose que je dirai, en revenant en Europe, c’est que nous avons le devoir de nous tenir aux côtés du peuple libanais, pour l’aider de toutes nos forces, mais aussi pour nous laisser aider par lui. Je suis vraiment venu écouter – je ne veux pas ajouter mon nom à la liste déjà longue des hommes politiques venus d’Europe pour donner des leçons aux Libanais. Il nous faut d’abord écouter les leçons de courage, d’énergie, de lucidité que les Libanais nous donnent, parce que tous les problèmes qu’ils affrontent aujourd’hui sont aussi en germe dans nos pays européens. Nous ne sommes en rien supérieurs au Liban : au regard de la succession de mensonges que les Libanais ont subi sur les questions migratoires, économiques, budgétaires, monétaires, nous ne pouvons que constater que nous ne sommes pas davantage immunisés contre ces illusions dangereuses. Nous devons d’abord écouter les Libanais nous parler de la nécessité de faire face à ces défis, avant qu’il ne soit trop tard.

Allez-vous revenir au Liban ?

Bien sûr ! Aucun résultat ne s’obtient en un seul jour. C’est dans la durée que nous devons travailler ensemble.

Message à la veille de l’élection du président des Républicains

Nous voilà arrivés à la veille de cette élection pour la présidence des Républicains. Ces semaines de campagne auront été intenses : au milieu d’une activité parlementaire toujours soutenue à Strasbourg et à Bruxelles, nous avons parcouru la France, pour rencontrer les électeurs de droite, ceux qui croient encore à ce parti et ceux, nombreux, qui n’y croient plus. Partout, je vous ai entendu partager les mêmes déceptions, les mêmes doutes. Comment ne pas vous comprendre ? Et pourtant, nous avons encore des raisons d’y croire.

La raison d’être de notre parti, c’est de réunir tous les Français de droite, ceux qui croient à la transmission, à la liberté, à l’autorité de l’Etat, à la dignité de la personne. Ils n’ont jamais été aussi nombreux à partager nos convictions, nos aspirations, nos inquiétudes ; ils n’ont jamais été aussi peu nombreux à voter pour le parti qui devrait les représenter. Ce discrédit profond est au cœur de la crise démocratique que traverse notre pays. Nous n’en sortirons pas sans que ce parti ne se remette en question, et ne soit enfin solidement refondé. Pour cela il faudra d’abord revenir aux idées, et retrouver l’essentiel – l’exigence dans la vision, la clarté dans les convictions, la fidélité dans les combats. Il faudra reconstruire un parti travailleur, inventif, méthodique, uni. Et pour commencer, il faudra vous redonner la parole, parce que tout cela n’existe que pour relayer votre voix ; et parce que, pour le dire simplement, vous aurez toujours le courage et la lucidité qui ont souvent fait défaut à ceux qui parlent en votre nom.

C’est ce renouvellement profond que propose Bruno Retailleau – non pas depuis quelques mois, mais depuis des années. En faisant campagne avec lui, avec Julien, Othman, Laurence, Antoine, Pierre, et tant d’autres, j’ai pu mesurer chaque jour encore plus la force de conviction qui l’anime, la liberté et la ténacité avec lesquelles il s’est engagé dans cette bataille. Et sa certitude profonde que ce qui compte d’abord, ce n’est pas de maintenir notre parti, mais de relever notre pays, qui a tant besoin d’une alternative politique crédible, cohérente, enthousiasmante, pour rompre enfin avec la spirale du déclin.

Les statistiques, écrivait Vaclav Havel dans son premier discours présidentiel, sont souvent utiles pour mesurer la gravité d’une crise. Mais, ajoutait-il, nos résultats inquiétants ne sont pas le plus grave : « Le principal, c’est que nous traversons une crise intérieure, car nous nous sommes habitués à dire une chose tout en pensant autrement. » Avec Bruno et toute son équipe, mais aussi avec vous tous, quel qu’ait été votre choix au premier tour, nous avons devant nous la tâche immense de redonner tout son sens à la parole et à l’action de notre parti, pour réunir demain une majorité de Français et reconstruire notre pays. « Il est permis d’espérer », écrivait encore Havel. C’est pour ce renouvellement et cette espérance que je voterai pour Bruno Retailleau demain.

François-Xavier Bellamy

Promotion de l’activisme d’extrême-gauche et du voile : lettre ouverte à la présidente du Conseil économique et social européen

 

Mme la Présidente du Comité économique et social européen
Christa Schweng

Copie : Mme la Présidente du Parlement européen
Roberta Metsola

 

Strasbourg, le 21 novembre 2022

Madame la Présidente,

Une campagne de communication est actuellement diffusée en ligne par le Conseil économique et social européen pour conclure l’Année européenne de la jeunesse. Accompagnée du hashtag #ThankYOUth, elle est composée de plusieurs vidéos visant à « remercier » les mouvements de jeunesse pour leur implication dans la vie citoyenne des pays européens.

Sur fond de slogans lénifiants et de musique commerciale, le tout exclusivement en anglais, ces vidéos assument en réalité un biais politique absolument inacceptable. Car en fait de mouvements de jeunesse, ceux que vous remerciez sont d’abord, et à sens unique, des militants liés à des organisations de gauche ou d’ultra-gauche, ainsi qu’à l’islam politique.

Un exemple parmi d’autres, la dernière vidéo en date, publiée ce lundi 21 novembre, qui s’ouvre sur ce message : « Nous remercions la jeunesse pour… » ; l’image qui l’accompagne est une manifestation d’Extinction Rebellion à Paris… De quel droit les services de communication que vous supervisez peuvent-ils mettre des moyens publics au service d’un mouvement politique, qui se caractérise, qui plus est, par l’usage de la violence ? Blocages de voies de communication ou de moyens de transport aux conséquences parfois dramatiques, dégradations de bâtiments ou de biens publics, occupations illégales de lieux publics ou privés… : ces délits répétés partout dans les pays européens sont la caractéristique de ce mouvement, qui revendique son choix de mener des actions illégales, et son refus de reconnaître la légitimité des élections et les règles du débat démocratique. De telles dérives méritent des sanctions fermes, non les « remerciements » de nos institutions.

En tout état de cause, il est injustifiable qu’une institution publique comme celle que vous dirigez assume ainsi de promouvoir, par sa communication officielle, des causes idéologiques ou militantes. Mettre des moyens publics au service d’un combat politique partisan est absolument contraire à l’état de droit. Cette situation est d’autant plus révoltante que ces engagements manquent singulièrement de pluralisme : dans d’autres vidéos sont mis en valeur l’organisation Greenpeace, l’activisme trans, le militantisme intersectionnel, ou encore le voile islamique – qui apparaît au moins cinq fois dans une seule vidéo publiée le 25 octobre dernier, alors même qu’aucune autre image ne montre pourtant le moindre signe confessionnel évoquant la religion chrétienne, ou juive… Est-ce volontaire ? Aucune image ne met en scène les mouvements de jeunesse, pourtant nombreux, engagés pour d’autres causes, ou tout simplement pour une autre manière de défendre l’écologie, l’unité de nos pays, ou la dignité humaine.

Votre institution, Madame la Présidente, est financée exclusivement par les moyens publics que vous confient les citoyens de nos pays, qui attendent que vous les représentiez. Vous n’avez pas le droit de laisser leur contribution être détournée au profit d’activistes dans lesquels bien peu se reconnaîtraient. Si vous tenez à « remercier » les promoteurs de l’illégalité, de l’obsession communautariste, de l’islam politique, faites-le si vous voulez ; mais pas en notre nom ! Et pas avec les moyens de communication d’une institution publique, qui n’appartient qu’aux citoyens, ne vit que du résultat de leur travail, et ne devrait en retour travailler que pour le bien commun.

Depuis des années, nos institutions se sont manifestement liées à des organisations politiques radicales, qui veulent les mettre au service d’une propagande bien peu respectueuse des règles élémentaires de la démocratie – et surtout bien peu fidèle aux principes qui ont fondé l’Europe, comme le respect du droit, l’attachement à la démocratie, ou encore l’égalité entre les femmes et les hommes. Il est temps de mettre fin à cette dérive coupable. Vous savez sans doute que le Parlement européen a voté un amendement imposant à la Commission européenne de ne plus jamais financer de campagne de promotion du hijab. Cette règle devrait valoir, bien sûr, pour toutes les institutions européennes, et pour toute communication contraire à l’esprit européen. J’espère que vous ferez retirer rapidement cette campagne si préoccupante à cet égard.

Naturellement, je me tiens à votre disposition si vous le souhaitez pour échanger avec vous sur ce sujet ; je serais très heureux de vous rencontrer en particulier pour mieux comprendre comment ces campagnes de communication sont conçues. Nous avons beaucoup de progrès à faire pour la transparence des décisions prises par nos institutions en la matière.

Je vous prie de croire, Madame la Présidente, en l’assurance de mon entier dévouement.

 

François-Xavier Bellamy

Député au Parlement européen
Président de la délégation française du PPE

Ocean Viking : au bout des bons sentiments, la mort.

Texte initialement paru dans Le Figaro.

La décision d’accueillir l’Ocean Viking et ses 234 passagers à Toulon a été déterminée et défendue au nom de principes humanitaires. Elle constitue pourtant un choix infiniment dangereux, du point de vue de ces mêmes principes. On pourrait parler du risque qui découlerait pour la société française d’une logique d’accueil non contrôlée, dans un pays qui hérite déjà d’une longue irresponsabilité en matière de politique migratoire, et d’une faillite massive de l’intégration. Mais faisons même abstraction de ces questions ; le plus grave, c’est que cette décision est absolument contraire à l’impératif absolu qui la justifie pourtant, celui de sauver des vies.

D’abord, à l’usage de ceux qui font semblant de ne pas comprendre, rappelons un fait évident : personne de sensé n’a jamais demandé qu’on laisse qui que ce soit mourir en mer. Le devoir de porter assistance à une personne humaine en danger est bien sûr inconditionnel ; et en mer, l’obligation de secourir les passagers d’un navire qui fait naufrage est consacrée par plusieurs conventions internationales. Il ne saurait être question de remettre en question cet impératif moral et juridique absolu. Mais qu’une personne ait été secourue à quelques milles des côtes du continent africain, ne saurait la conduire à débarquer sur le sol européen. Comment ne pas voir les conséquences qu’aurait un tel principe ?

À partir du 20 octobre, l’Ocean Viking effectue plusieurs sauvetages en Méditerranée. Il passe alors à 60 milles de Sfax, le deuxième port de Tunisie – il n’arrivera en Sicile qu’après une navigation de plus de 800 milles, et naviguera encore 700 milles jusqu’à Toulon. Ce qui est en cause ici, ce n’est donc pas le principe du sauvetage en mer, ni même le principe de l’asile : Sfax dispose de bureaux du Haut Commissariat aux Réfugiés (HCR) des Nations-Unies, avec des équipes habilitées à enregistrer des demandes d’asile… Si l’Ocean Viking ne s’y est pas arrêté, comme les conventions internationales auraient dû l’y conduire, et malgré la situation très difficile que vivaient les passagers à son bord, c’est pour une seule raison : SOS Méditerranée ne veut pas seulement sauver des vies, mais aider des migrants à entrer en Europe. Ce faisant, elle concourt au trafic des passeurs, comme d’autres ONG qui échangent même avec ces réseaux criminels pour pouvoir récupérer des embarcations. De nombreuses enquêtes ont documenté ces pratiques, et Frontex a publié des vidéos montrant les passeurs transbordant des migrants en mer à proximité du navire de « sauvetage » prêt à les embarquer.

Jusque là, jamais la France n’avait cédé à ce chantage. Les élus de la majorité, qui s’indignent aujourd’hui de la moindre critique, se souviennent-ils qu’Emmanuel Macron avait refusé d’accueillir l’Aquarius, alors arrivé devant Marseille – et qu’il avait fustigé « le cynisme absolu » des ONG qui « font le jeu des passeurs » ? Le seul réflexe constant de nos dirigeants semble être d’insulter copieusement l’Italie lorsqu’une telle situation survient. Ce pays, où 90 000 migrants sont arrivés par la mer depuis le début de l’année, tient pourtant la seule position responsable. Oui, le secours en mer est un devoir ; mais l’Ocean Viking ne risquait pas le naufrage lorsqu’il est entré dans nos eaux territoriales : il était possible de faire monter des équipes médicales à bord, d’apporter l’avitaillement nécessaire, d’extraire les malades en situation d’urgence, sans autoriser pour autant le débarquement sur le sol français.

Ce précédent gagné par SOS Méditerranée aura un large écho. M. Darmanin a assuré que cette décision était prise « à titre exceptionnel » ; mais pourquoi le serait-elle, si le porte-parole du gouvernement assure que « la France ne serait pas la France » si elle n’accueillait pas ce bateau ? Cette réaction se répètera donc à chaque arrivée similaire. Dans un monde connecté, nul doute que l’information circulera largement ; et elle constituera une publicité supplémentaire pour la promesse des passeurs – qui, rappelons-le, ne s’adressent pas d’abord à ceux qui sont dans la misère et la détresse absolue, mais à ceux qui peuvent recueillir assez de moyens pour payer le prix élevé qu’ils exigent en échange de leur route d’exil et de mort.

Il n’y a qu’un seul moyen d’assurer que demain, plus un seul être humain ne trouve la mort en Méditerranée pour avoir cherché à atteindre l’Europe : c’est de garantir enfin ce principe simple, qu’il doit être impossible de s’établir en Europe si on a cherché à y entrer illégalement. Dans toute autre situation qu’une crise majeure dans un pays limitrophe, la demande d’entrée en Europe doit pouvoir être instruite hors de nos frontières. Un réfugié afghan ou iranien, menacé dans son pays, n’arrive jamais directement en Europe ; il passe par des États sûrs et stables, d’où il doit pouvoir effectuer une demande d’asile. Par notre incapacité manifeste à faire respecter nos frontières, nous conduisons des étrangers, dont l’immense majorité n’est pas éligible à l’asile, à risquer leur vie dans les mains des passeurs – et, paradoxe terrible, nous refusons trop souvent d’accueillir ceux qui auraient légitimement droit à notre solidarité.

Il n’y a qu’un seul moyen d’assurer que demain, plus un seul être humain ne trouve la mort en Méditerranée pour avoir cherché à atteindre l’Europe : c’est de garantir enfin ce principe simple, qu’il doit être impossible de s’établir en Europe si on a cherché à y entrer illégalement.

Il est facile de combattre le mal quand il apparaît pour lui-même : comment ne pas haïr la violence et le crime quand ils s’assument explicitement ? Mais autrement plus difficile est de refuser le mal quand il se présente sous les apparences du bien. Peu d’esprits sont assez fous pour vouloir l’enfer ; mais beaucoup sont assez inconséquents pour proclamer ces bonnes intentions qui en pavent souvent le chemin. On peut semer la détresse et la mort tout en se disant généreux – et même, sans doute, en se croyant généreux. L’histoire demandera des comptes à ceux qui s’enivrent aujourd’hui de leur propre supériorité morale en proclamant les fausses évidences qui causent de vrais drames. À ceux qui font la leçon tout en se dégageant eux-mêmes de l’inquiétude des conséquences. À ceux, en particulier, qui prétendent exercer une responsabilité politique, mais restent confortablement à la surface des questions les plus difficiles, même quand elles engagent la vie ou la mort d’innocents. Si nous nous contentons longtemps encore d’habiller notre impuissance de beaux sentiments, nous aurons à répondre des tragédies qu’elle continuera d’entraîner. La crise migratoire est largement devant nous ; il est temps que la France et l’Europe se donnent enfin les moyens de leur responsabilité.

L’histoire demandera des comptes à ceux qui s’enivrent aujourd’hui de leur propre supériorité morale en proclamant les fausses évidences qui causent de vrais drames. À ceux qui font la leçon tout en se dégageant eux-mêmes de l’inquiétude des conséquences. À ceux, en particulier, qui prétendent exercer une responsabilité politique, mais restent confortablement à la surface des questions les plus difficiles, même quand elles engagent la vie ou la mort d’innocents.

Un travail de vérité sur notre héritage, et de clarté sur notre ligne

Tribune co-signée avec Bruno Retailleau et Julien Aubert (texte initialement paru dans L’Express).

Si la droite est en passe de disparaître de l’échiquier politique, c’est parce qu’elle a perdu depuis longtemps la confiance des Français. Nous ne nous résignons pas à la fatalité ; mais un changement de nom ou de slogans ne suffira pas à enrayer notre déclin. Aux électeurs de droite, qui vont devoir désigner le prochain président des Républicains, nous disons ceci : il est temps de mener enfin, en vous rendant la parole, un travail de vérité sur notre héritage, et de clarté sur notre ligne.

Cela exige d’abord de considérer enfin lucidement le passé. Reconnaissons clairement l’évidence : la crise que traverse notre pays n’a pas commencé en 2017, ni en 2012. Ni même en 2007… Certes, Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy ont chacun apporté à la France. Dans les crises, ils ont su maintenir son rang : le Président Chirac en refusant la guerre en Irak, le Président Sarkozy en agissant face à la crise financière de 2008. L’humanité du premier et l’énergie du second ont incontestablement marqué les Français. Et pourtant, comment ne pas le reconnaître : si la droite avait été, au pouvoir, vraiment à la hauteur de ses promesses, et de sa responsabilité, la France irait mieux aujourd’hui. Et la droite aussi…

Si la droite avait été, au pouvoir, vraiment à la hauteur de ses promesses, et de sa responsabilité, la France irait mieux aujourd’hui. Et la droite aussi…

Faire un travail d’inventaire sérieux et paisible, ce n’est ni sombrer dans une repentance stérile, ni manquer de respect à ceux qui nous ont précédés ; c’est garder toutes les leçons qui s’imposent, pour retrouver la confiance des Français.

Pendant les douze années de Jacques Chirac à l’Elysée, la droite aura manqué du courage qu’il fallait pour affronter des risques devenus depuis, à force de lâchetés accumulées, des dangers existentiels – le défi migratoire, le déclin éducatif, la déconstruction culturelle… Trop de dénis, trop d’abandons l’ont éloignée des classes populaires, comme le redoutait déjà Philippe Seguin. La fracture de Maastricht n’a pas été refermée, ni même considérée, au point que la famille gaulliste a donné l’impression d’abandonner la cause de la souveraineté nationale. Pour répondre à la montée des inquiétudes, il ne pouvait suffire de théoriser le front républicain : la vraie réponse à la défiance ne consiste pas à construire des barrages, mais à se remettre en question.

L’espoir qui s’est levé après la campagne exaltante de Nicolas Sarkozy, en 2007, a été lui aussi déçu. Beaucoup a été fait durant ces cinq années, mais rien n’a vraiment été assumé jusqu’au bout : la droite a défiscalisé les heures supplémentaires, mais elle n’a pas mis fin aux 35 heures. Elle a instauré des peines planchers, mais supprimé la double peine. Elle a diminué le nombre de fonctionnaires, tout en augmentant la bureaucratie, en créant par exemple les ARS qui ont embolisé le système de soins. La droite avait promis la rupture, elle a fait la demi-mesure. Au renoncement s’est ajouté le reniement quand avec le Traité de Lisbonne, le « non » souverain de 2005 a été contourné. La crise démocratique qui, nous en sommes convaincus, s’est cristallisée à ce moment-là ne sera pas résolue par des « conventions citoyennes » ou des « conseils de la refondation« , mais en redonnant la parole au peuple par référendum, sur l’immigration notamment, et en retrouvant le respect absolu qui est dû à cette parole.

Ces faiblesses, l’UMP devenue LR les a masquées par une communication répétitive, par des éléments de langage épuisés d’avoir été répétés depuis quinze ans. Nous refusons ce marketing médiocre qui consiste à aligner de supposés « marqueurs« . Il ne suffit plus de se payer de mots. Inventons de vraies solutions, plutôt que de répéter de vieux slogans. Puisque nous parlons sans cesse de la valeur travail, remettons-nous à travailler, sur nos idées, notre vision du monde, nos ambitions pour la France de demain, mais aussi notre manière de les proposer aux Français, nos méthodes et nos modes d’action, notre place dans un débat public qui a tellement changé, la formation des jeunes qui nous rejoindront, et surtout la démocratie dans notre formation politique.

Pour point de départ de ce travail, nous proposons une ligne reposant sur trois piliers.

Pour point de départ de ce travail, nous proposons une ligne reposant sur trois piliers. La dignité humaine d’abord. Vivre dignement, c’est vivre de son travail, et non de l’assistanat. C’est vivre du mérite et de l’effort, qui doivent redevenir les valeurs cardinales de notre école. C’est vivre en sécurité, avec la certitude que l’ordre sera assuré, que les peines seront exécutées, qu’aucune impunité ne peut être tolérée. Vivre dignement, c’est enfin vivre librement, sans la tutelle infantilisante d’un Etat qui réglemente tout et surtranspose les normes européennes ; sans l’ingérence grandissante de l’idéologie dans la vie et la conscience de nos enfants. Que l’Etat s’occupe des affaires de la France, les Français s’occuperont très bien des leurs !

Deuxième pilier : la souveraineté de la Nation. Réindustrialiser, refaire une grande filière nucléaire, protéger notre agriculture contre les accords de libre-échange, réaffirmer notre souveraineté juridique face aux juges européens : c’est tout cela qu’exige le combat pour la souveraineté. Celle-ci ne sera pas complète sans la maîtrise de nos finances publiques, car une nation qui ne tient pas ses comptes ne tient pas son rang.

Enfin, les valeurs de notre civilisation judéo-chrétienne doivent redevenir l’âme de notre combat politique, pour faire échec à l’islamisme ou au wokisme, et leur opposer la générosité exigeante de l’assimilation et de la transmission. Seule une politique de civilisation peut refaire la France ; seule la reconnaissance de ses racines peut redonner sens à l’Europe : ses héritages ont fait sa grandeur, son amnésie ferait son malheur. C’est sur les singularités et les démocraties nationales que les Européens pourront trouver l’unité authentique dont nous avons besoin pour faire valoir, dans un monde instable, nos principes et nos intérêts.

Faire enfin l’inventaire, parler enfin clair : telle est notre ligne, la refondation que nous proposons. Non, rien n’est perdu pour la droite. Mais tout est à reconstruire. À nous de prouver aux Français que demain, nous pourrons être dignes de leur confiance.

Promotion du hijab : lettre ouverte aux coprésidents de la Conférence sur l’avenir de l’Europe

Mme la Vice-présidente Dubravka Šuica
Commission européenne

M. le Secrétaire d’État Clément Beaune
Présidence française du Conseil de l’Union européenne

M. le Député Guy Verhofstadt
Parlement européen

 

Bruxelles, le 14 février 2022

Madame la Vice-présidente,
Monsieur le Secrétaire d’État,
Monsieur le Député,

Une campagne actuellement diffusée par les institutions européennes pour promouvoir la participation à la Conférence sur l’avenir de l’Europe est accompagnée de visuels divers dont un en particulier me paraît poser un problème majeur.

Il met en scène une jeune femme portant un hijab, qu’accompagne le message « Faites entendre votre voix, l’avenir est entre vos mains ». En tant que co-présidents de la Conférence sur l’avenir de l’Europe, vous avez la responsabilité éditoriale de la communication qu’elle produit. À ce titre, il me semble nécessaire de vous poser plusieurs questions précises.

1) Souhaitez-vous que la Conférence sur l’avenir de l’Europe soit l’occasion d’une nouvelle étape dans la promotion du voile islamique par les institutions européennes ? Après le co-financement par la Commission européenne d’une campagne indiquant que « la joie est dans le hijab », ce nouveau visuel concourt à la légitimation institutionnelle, par des instances officielles, au moyen de financements publics, d’une norme religieuse prescrite aux femmes par des autorités musulmanes. Sur cette photographie, le hijab apparaît d’ailleurs porté conformément aux exigences rigoristes de l’islam radical, de manière à ne pas laisser apparaître une seule mèche de cheveux. Comment ne pas voir là une absolue confusion des genres ?

2) La présidence de la Conférence sur l’avenir de l’Europe est-elle indifférente aux problèmes graves posés par ce symbole ? Contre le principe, fondamental dans notre civilisation, de l’égalité de l’homme et de la femme, le port du voile est aujourd’hui imposé, y compris par la contrainte et la violence, dans bien des pays musulmans, et trop souvent hélas dans de nombreux territoires au sein même de nos pays européens. La revendication de « liberté » qui sert de prétexte à la banalisation du voile ne peut masquer cette réalité : des femmes sont agressées, menacées, condamnées parfois aux peines les plus lourdes, pour avoir osé retirer le voile. Citons seulement le cas de l’iranienne Nasrin Sotoudeh, lauréate du Prix Sakharov, qui a été une nouvelle fois condamnée en 2019 à douze ans de prison et 148 coups de fouet pour être apparue tête nue, et pour avoir défendu des femmes refusant de porter le hijab – ce même hijab que mettent ensuite en valeur nos institutions européennes… Comme co-présidents de cette Conférence, considérez-vous que votre responsabilité soit de normaliser ce qui reste un signe d’oppression pour des millions de femmes dans le monde ?

3) La Conférence sur l’avenir de l’Europe souhaite-t-elle mobiliser spécifiquement la participation d’une communauté religieuse, en lui promettant que « l’avenir est entre ses mains » ? Avec quels partenaires un tel visuel a-t-il été conçu ? Des universitaires et chercheurs reconnus ont mis au jour, au cours des dernières années, les stratégies déployées par des organisations islamistes comme les Frères musulmans pour bénéficier de fonds européens, orienter des programmes de recherche, agir sur les institutions et leur communication – à l’instar de l’association Femyso ou de différents comités nationaux « contre l’islamophobie », porteurs d’un agenda politico-religieux clairement identifié. Des organisations de ce type touchent-elles des subventions dans le cadre de la Conférence sur l’avenir de l’Europe, ou de la part d’institutions européennes ? Il est clair qu’un tel processus peut être instrumentalisé par des groupes de pression d’horizons variés ; la présidence de la Conférence s’est-elle donné les moyens de se prémunir notamment de l’entrisme d’organisations islamistes, dans le contexte du combat actuel à travers toute l’Europe pour la sécurité de nos pays, la défense de nos principes et la préservation du mode de vie européen ? Existe-t-il des lignes rouges qui disqualifient certaines organisations dans le cadre de ce débat ?

Compte tenu de la gravité de ce sujet, une dernière question se pose enfin : dans quel délai cette affiche sera-t-elle retirée ?

En vous remerciant par avance pour l’attention que vous porterez à ces questions, et sûr que vous aurez, en tant que co-présidents de la Conférence sur l’avenir de l’Europe, un message à adresser à toutes les femmes pour qui retirer le voile consiste à risquer sa liberté, sa sécurité ou sa vie, je vous prie d’agréer, Madame la Vice-Présidente, Monsieur le Secrétaire d’État, Monsieur le Député, l’expression de ma haute considération.

François-Xavier Bellamy

Député au Parlement européen
Président de la délégation française du PPE

 


Débat avec Emmanuel Macron au Parlement européen

 

Monsieur le Président de la République,

Vous venez d’ouvrir cette présidence avec de grandes promesses, mais il faut vous dire la vérité : personne ici n’y croit vraiment. Non seulement parce que le calendrier que vous avez cautionné servira plus votre campagne présidentielle que l’action européenne, mais surtout parce que vous vous êtes tellement contredit, vous avez tellement joué, en détournant jusqu’au sens des mots les plus importants… Vous avez – pardon de le dire – souvent menti. Comment vous croire ?

Vous dites vouloir maîtriser les frontières de l’Europe, mais hier vous dénonciez comme une « lèpre nationaliste » les pays qui appelaient à l’aide pour protéger leurs frontières face à la crise migratoire. Vous parlez d’environnement et d’autonomie stratégique, mais la France importe aujourd’hui du gaz et du charbon parce que vous avez fermé Fessenheim et miné notre industrie. Vous parlez aujourd’hui d’appartenance européenne tout en déclarant que les racines de l’Europe n’importent pas. Mais où puiser alors la sève pour irriguer notre avenir ? Vous promettiez la fin des clivages, et vous laisserez la France comme l’Europe fracturées comme jamais.

Ici aussi, nous savons que votre « en même temps » n’est qu’un artifice rhétorique pour dissimuler des incohérences calculées. Comme l’écrit Pierre Manent, la contradiction « entre les ambitions – ou les prétentions – de l’Europe, et sa réalité, est devenue un fait politique majeur ». Cette contradiction, vous l’incarnez aujourd’hui. Et nous, nous devons la résoudre.

Bien sûr, avec notre groupe, notre délégation, nous ferons tout pour rendre ces six mois aussi utiles que possible pour nos pays. Mais en vérité, Monsieur le président, l’essentiel n’est déjà plus là. L’essentiel est de dire à vous tous, Français, Européens, qui nous regardez : une autre politique est possible.

Ici aussi, nous savons que votre « en même temps » n’est qu’un artifice rhétorique pour dissimuler des incohérences calculées. 

Une politique qui vous prenne au sérieux, qui préfère la sobriété de l’action à l’obsession de la communication. Une politique qui ne prétende pas renforcer l’Europe en affaiblissant les États qui la constituent ; qui ne croit pas que la solidarité européenne consiste à vous surendetter ; qui ne prétende pas défendre l’état de droit en marchandant votre liberté et votre souveraineté ; qui ne vous méprise pas au premier désaccord venu ; qui vous respecte et se donne les moyens de vous faire respecter par les grandes puissances du monde. Vous ne demandez pas trop si vous espérez tout cela. Et nous avons le devoir de préparer ensemble le relèvement de nos pays, de l’Europe, de préparer la relève à laquelle vous avez droit. Merci beaucoup.

L’essentiel est de dire à vous tous, Français, Européens, qui nous regardez : une autre politique est possible. Une politique qui vous prenne au sérieux, qui préfère la sobriété de l’action à l’obsession de la communication. Nous avons le devoir de préparer ensemble la relève à laquelle vous avez le droit. 

Entretien à l’Osservatore Romano

Entretien initialement paru dans L’Osservatore Romano. Propos reccueillis par Alessandro Vergni, traduction française par Ottavia Bettoni Pojaghi.

Monsieur Bellamy, vous expliquez dans votre livre Demeure qu’une conception anthropologique s’impose aujourd’hui. Cette conception soutiendrait que l’homme n’a d’autre action possible que le mouvement. Depuis la sortie de ce livre et jusqu’à aujourd’hui, le monde a été touché par une pandémie. Nous avons tous été forcés de rester dans nos maisons pendant de nombreux mois. Quel effet cet immobilisme a-t-il eu sur les gens ?

Le confinement est arrivé comme une expérience assez étonnante pour moi. D’un seul coup nous avons tous été « assignés à demeure » et, d’une certaine manière, le mouvement perpétuel s’est arrêté. Certains ont espéré un monde « d’après », un monde dans lequel nous serions enfin moins séduits par l’activisme, un monde où nous aurions plus le temps de vivre, et que nous pourrions habiter ; d’autres ont vécu ce confinement comme une véritable épreuve. Ce qui est incontestable, je pense, c’est que cette expérience a révélé le « caractère superflu » de nombreuses de nos agitations ; sans doute ne reviendrons-nous jamais vraiment à notre vie d’avant.

Peut-être que le malaise que nous avons ressenti est lié à l’expérience d’un vide existentiel ultime ?

Le « divertissement pascalien » reste une tentation éternelle, celle de « se fuir soi-même » ; mais il me semble que la modernité ajoute une dimension supplémentaire, dans la mesure où le mouvement devient un « but en soi », une valeur – ce qui implique que l’endroit où nous sommes est nécessairement moins bon que l’endroit où nous pourrions être. En ce sens, la pire des fuites du présent est peut-être ce que nous appelons l’optimisme – cela semblera paradoxal. Je fais référence à cet optimisme général qui consiste à dire que « demain sera nécessairement meilleur qu’aujourd’hui » : il y a là un nœud du progressisme, qui ne décrit pas la volonté de faire des progrès, mais l’idée que tout changement serait forcément un progrès.

Cette recherche de la nouveauté, cette projection vers l’avenir, cette aspiration au mouvement perpétuel révèle une forme d’incapacité à aimer le monde. Derrière l’optimisme, il y a l’immense dépression collective de la modernité.

Je pense à ce texte exceptionnel qu’est Le Voyage de Baudelaire, qui décrit parfaitement cette « fuite en avant » : « Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu’importe ? Au fond de l’Inconnu pour trouver du nouveau ! ». Là est la grande intuition de la modernité. Eh bien, il me semble que cette recherche de la nouveauté, cette projection vers l’avenir, cette aspiration au mouvement perpétuel révèle en fait une forme d’incapacité à aimer le monde. Derrière l’optimisme, il y a l’immense dépression collective de la modernité – qui est toujours, structurellement, en révolte contre le réel, qui ne veut pas l’habiter, et qui croit que, quel que soit ce qui advient, le réel ne peut qu’en être amélioré. Quand on pense que les choses ne peuvent être que mieux, c’est que l’on tient pour vraiment rien ce que l’on a dans ses mains.

Le débat entre mouvement et stase remonte à l’époque des philosophes grecs. Quelque chose s’est brisé, ensuite ?

Vous avez tout à fait raison, c’est une question de toujours. Au fond, le grand débat de Parménide et Héraclite ne cesse de se continuer. Ce débat avait été résolu par l’équilibre créé par la solution aristotélicienne : la magnifique et élégante solution métaphysique de la puissance et de l’acte, l’idée que le devenir est l’accomplissement de quelque chose qui attend de se réaliser – et cette solution aristotélicienne est restée le paradigme incontesté jusqu’à la fin de l’âge classique. La modernité est une nouvelle configuration de la pensée qui donne au mouvement sa valeur absolue. La grande question est : qu’est-ce qui a entraîné ce basculement dans la modernité ?

Une réponse simple serait la science, et donc Galileo Galilei. Galilée a non seulement découvert que le soleil est le centre du système solaire, mais aussi que la Terre tourne et que, précisément parce qu’elle tourne, tout ce que nous croyons être immobile est en fait également en mouvement. Galilée transforme l’idée de « repos » : « le repos », dit Galilée, « n’est que du mouvement annulé par un effet de perspective ». Ce qui me frappe cependant, c’est que plus d’un siècle avant la découverte de Galilée, un autre penseur italien est déjà le porte-parole du monde du mouvement perpétuel : Machiavel est le premier penseur politique moderne, dans le sens où la politique ne consiste plus pour lui à réaliser un bien, à accomplir ce qui existe déjà en puissance dans le réel, à suivre des règles immuables – mais à s’ajuster aux mouvements de la fortune.

Machiavel est le premier penseur politique moderne, dans le sens où la politique ne consiste plus pour lui à réaliser un bien, à suivre des règles immuables – mais à s’ajuster aux mouvements de la fortune.

En ce sens, Machiavel est incroyablement moderne, à tel point que nous pourrions nous demander : est-ce que Galilée est le père de la modernité, ou est-ce que Galilée et Machiavel sont les fils d’une rupture qui, en réalité, les précédait déjà dans le silence de la pensée ? C’est une très belle question, dont je ne prétends pas avoir la réponse… En tous les cas, je crois que la solution est très italienne !

Les découvertes de Galilée ont mené à toute une série de conséquences qui ont elles-mêmes conduit à la perte progressive de points de repère jusqu’alors intouchables. Mais Galileo Galilei avait raison. Alors, quelle était l’erreur ?

Jusqu’alors, pendant des siècles, les mathématiques étaient un exercice intellectuel totalement décorrélé de la réalité physique. Soudain, Galilée découvre que les calculs de Copernic – qui reposent sur l’hypothèse que le soleil est le centre du système solaire – sont non seulement plus efficaces pour prédire la position des étoiles, mais qu’ils disent aussi la vérité sur l’Univers, à savoir que celui-ci est écrit en chiffres – que les chiffres sont, en quelque sorte, le langage de Dieu. C’est cette perspective qui accompagne Descartes : le projet de la « mathesis universalis » annonce le projet contemporain du « big data » et de l’intelligence artificielle, c’est-à-dire le projet de transformer toute la réalité en nombres, et, à partir des nombres, de transformer tout ce savoir en pouvoir.

Nous avons perdu l’humilité nécessaire pour reconnaître que la science ne dit pas tout de la réalité, que l’univers physique est certes en mouvement, mais que nous habitons un univers spirituel, qui, lui, est constitué de points de repère qui demeurent.

La promesse de Steve Jobs est que « pour tout, il y a une application », basée sur des algorithmes – pour voyager, pour s’amuser, pour l’amitié, pour l’amour ; cette promesse découle directement de la découverte de Galilée. « L’Univers est écrit en langage mathématique », écrit-il dans Il Saggiatore. D’un point de vue scientifique, c’est tout à fait vrai ; mais nous avons seulement perdu l’humilité nécessaire pour reconnaître que la science ne dit pas tout de la réalité, que l’univers physique est certes en mouvement, mais que nous habitons un univers spirituel, qui, lui, est constitué de points de repère qui demeurent.

Vous êtes également un homme politique. La politique, vous le dites, est désormais réduite à une « simple gestion du changement ». Comment dès lors est-il possible de retrouver le sens véritable et profond de sa mission ?

Ce qui me frappe au Parlement européen – et je n’en étais pas membre lorsque j’ai écrit le livre – c’est précisément ceci : il n’y a pas de débat sur les finalités. Toute la question est de gérer ce qui est toujours décrit comme « inéluctable ». Il me semble qu’il y a là deux problèmes : d’abord, c’est le signe d’une fragilisation de nos sociétés – nous pensons que l’avenir est écrit et qu’il faut nous y adapter, qu’il faut avancer parce que le monde avance, qu’il faut se mettre au rythme qu’il nous impose. Or la santé, écrivait Canguilhem, ne consiste pas à s’adapter au monde, mais à adapter le monde aux finalités auxquelles nous aspirons.  Le deuxième problème que je vois est que, s’il n’y a pas d’alternative, il n’y a plus de vrai dialogue possible. La politique est nécessaire parce qu’il y a un choix à faire, parce que la direction à suivre n’est pas évidente.

La question que nous devrions nous poser n’est pas de savoir si nous devons avancer ou non, mais vers où aller, quel est notre but. La politique commence là.

On ne devrait pas défendre une réforme parce qu’elle s’impose, mais on devrait défendre une réforme parce qu’elle est juste, parce qu’elle est bonne, parce qu’elle sert une idée de l’homme, de son bonheur, de son bien. Or ce type de conversation n’a plus lieu d’être aujourd’hui. La question que nous devrions nous poser n’est pas de savoir si nous devons avancer ou non, mais vers où aller, quel est notre but. La politique commence là.

Le mot « résilience » semble être le nouveau mot à la mode. La résilience risque-t-elle d’empêcher l’expérience d’un savoir critique ? 

Tout d’abord, je crois que quand un mot devient omniprésent dans le vocabulaire c’est qu’il est le symptôme d’un manque : on n’a jamais autant parlé de résilience parce que sans doute on n’a jamais eu aussi peu de résilience, en réalité. L’épidémie qui vient d’avoir lieu nous a révélé que, face au risque de la mort, nous étions prêts à tout arrêter – je ne le critique pas, c’est un fait. Nous faisons désormais partie d’un monde qui a si peu de résilience que nous éprouvons une sorte de panique face au risque de la mort. Il est incontestable que la vie humaine a une valeur absolue ; elle fait partie des finalités que nous devons servir, et c’est l’honneur d’une société que de tout faire pour la préserver.

Mais il reste quand même un problème posé à notre résilience, justement : dans quelle mesure la liberté est-elle restée pour nous une fin, un bien non négociable ? Alors que nous parlions des applications de traçage, un collègue parlementaire me disait : « Je préfère vivre encadré que de mourir libre ». Et je pensais en moi-même que toute l’aventure de la civilisation européenne est pourtant liée à des personnes qui ont préféré sacrifier leur vie pour quelque chose de plus grand qu’elle, comme la liberté, par exemple. Cela a marqué, jusqu’au XXe siècle, l’Histoire de l’Europe, tant à l’Ouest qu’à l’Est ! Les totalitarismes du XXe siècle ne se seraient pas effondrés si des êtres humains ne s’étaient pas dit que leur vie « valait cet engagement ».

Toute l’aventure de la civilisation européenne est liée à des personnes qui ont préféré sacrifier leur vie pour quelque chose de plus grand qu’elle.

La question qui nous est posée est donc : qu’est-ce qui constitue une fin, qu’est-ce qui est pour nous une finalité ? Qu’est ce qui implique le risque que l’on ne peut pas négocier ? Est-ce que nous tenons seulement à ce qu’on pourrait appeler la vie nue, la vie organique, la vie biologique – au point que tout le reste disparaît, et c’est ce qu’on appelle la résilience ; ou bien est-ce que nous sommes capables d’accepter l’aventure d’une vie donnée à quelque chose de plus grand qu’elle-même ? Si je devais trouver une raison très humaine, très ancrée dans l’expérience, d’une vérité de l’Évangile, elle se situerait dans la formule du Christ qui dit : « Qui voudra sauver sa vie la perdra ». À bien y réfléchir, il y a peut-être aussi un lien avec la question de la demeure : qu’est-ce qui doit « demeurer », même si ma propre vie devait être engagée pour cela ? Si nous sommes à ce point obsédés par l’angoisse de la mort, peut-être est-ce parce que nous ne croyons pas que quelque chose puisse demeurer, ou qu’il soit juste que quelque chose de plus grand que ma vie demeure, même au prix de ma propre vie s’il le faut…

Le dernier grand défi semble rester celui de la mort. Ce n’est donc pas un hasard si, dans votre livre Demeure, vous faites référence au concept de substitution plutôt qu’à celui de guérison. Qu’est-ce que cela signifierait pour la société si nous ne devions plus mourir ?

Cela signifierait d’abord que plus personne ne doit naître ! Sinon, il y aurait très vite un problème… Vous avez raison, la volonté de tout transformer atteint aujourd’hui sa dernière frontière : l’homme lui-même. Si rien ne nous convient dans le réel, l’homme lui-même doit être transformé. Le rêve du transhumanisme n’est rien d’autre que le projet de ce changement appliqué à l’auteur du changement lui-même : il s’agit de vaincre les frontières qui limitent son mouvement, d’éliminer les rigidités, les pesanteurs de la vie humaine. Les deux grandes limites que nous tentons de dépasser sont celles que les humains ont expérimentées, et qui les ont éprouvés, depuis la nuit des temps : le sexe, et la mort. La première frontière est le sexe, parce que l’altérité sexuelle fait que je ne peux pas être le « tout » de l’humanité, que je ne peux pas donner la vie seul. Et la seconde est la mort – il ne s’agit plus de la repousser par la médecine, mais d’abolir définitivement la mort organique, la mort du corps.

Il me semble pourtant que le transhumanisme est d’abord une détestation de l’humain : vouloir tout changer, c’est haïr ce que nous sommes, ce que nous avons reçu. Cet espoir d’un progrès n’est en réalité que le symptôme du mépris que nous exprimons envers l’être humain – si un humain 2.0 est nécessaire, c’est parce que l’humain 1.0 n’est pas assez bon. Et la promesse de ce mouvement devenu vraiment perpétuel, par la mort de la mort, écarte sans doute la perspective de la vraie victoire sur la mort, qui tient plutôt dans ce que la demeure et la nostalgie suggèrent de l’éternité. Celle-ci n’est pas un mouvement perpétuel vers un avenir toujours meilleur, mais l’éternelle actualité d’un présent véritablement vécu, si intensément vécu qu’il n’y a plus ni de passé, ni d’avenir – une vie qui, toute entière, demeure présente, est présence.

Le transhumanisme est d’abord une détestation de l’humain : vouloir tout changer, c’est haïr ce que nous sommes, ce que nous avons reçu. 

J’ajouterais que la guerre de l’homme contre l’humain qu’est le transhumanisme est vouée à l’échec, car elle ne s’arrêtera jamais. Si nous n’avons plus précisément un but à atteindre, nous ne pourrons qu’être structurellement insatisfaits du point où nous sommes arrivés – après l’humain 2.0, nous aurons l’humain 3.0, tout comme nous avons eu la première version de l’iPhone, avec lequel on était admiré de tous il y a quinze ans, et qui nous rendrait aujourd’hui ridicules. La technologie remplace constamment ses propres produits et crée ainsi une insatisfaction structurelle ; il en sera de même pour l’humain. Nous n’en aurons jamais assez, nous ne serons jamais comblés, et nous ne serons plus capables d’habiter l’expérience qui nous a été donnée. La grande question politique des décennies à venir n’est rien d’autre que la plus grande question spirituelle que l’homme ait eue à résoudre : acceptons-nous que quelque chose nous précède, où voulons-nous être les auteurs de tout ce qui est ? Voulons-nous imposer à la réalité notre volonté de puissance, et tenter toujours de tout transformer par une frustration continuelle qui ne sera jamais comblée ; ou accepterons-nous de recevoir d’une source qui nous précède ce qui vaut d’être transmis, ce qui mérite de demeurer, et qui appelle notre émerveillement ?

Voulons-nous imposer à la réalité notre volonté de puissance, et tenter toujours de tout transformer par une frustration continuelle qui ne sera jamais comblée ; ou accepterons-nous de recevoir d’une source qui nous précède ce qui vaut d’être transmis, ce qui mérite de demeurer, et qui appelle notre émerveillement ?

 

La logique immémoriale du bouc émissaire

Les propos d’Emmanuel Macron sur les non-vaccinés ont marqué une nouvelle étape dans la déraison générale entourant la gestion de cette crise. L’accusation qui leur est faite est en effet à la fois absurde et incohérente. Incohérente, car si les non-vaccinés étaient réellement coupables de « mise en danger de la vie d’autrui », comme l’affirme Jean Castex, il faudrait faire du refus du vaccin un délit pénal, en rendant la vaccination obligatoire, et l’assortir de sanctions lourdes. Ce n’est évidemment pas le cas ; le vaccin peut certes avoir une utilité pour prévenir les formes graves du virus, et il est donc très raisonnable qu’en bénéficient des personnes vulnérables, mais c’est un fait que cette vaccination n’a toujours aucun caractère obligatoire, et que, du point de vue de la loi, chaque citoyen français est absolument libre de se faire vacciner ou non. Accuser ceux qui ne le font pas de menacer la vie des autres, c’est, pour un chef de gouvernement, admettre qu’il laisse aux citoyens le choix de tuer librement ! Quel pouvoir peut croire sérieusement qu’un comportement constitue une « mise en danger de la vie d’autrui », et ne pas prendre les mesures adéquates pour l’interdire ?

Une telle incohérence trahit l’absence de fondement de ces accusations, pourtant infiniment graves, lancées si légèrement par nos dirigeants contre leurs propres concitoyens. Le Premier ministre avait affirmé catégoriquement, sur le plateau d’un journal télévisé, qu’une personne vaccinée ne pourrait être ni contaminée ni contagieuse. Il est manifeste que cette affirmation est fausse ; le nombre de contaminations n’a d’ailleurs jamais atteint de tels niveaux, alors qu’une immense majorité de la population est vaccinée… Prétendre qu’un « passe vaccinal» permettra de créer des espaces protégés du virus, comme l’assurait encore Olivier Véran il y a quelques jours, est un non-sens ; en se pliant aux tests exigés d’eux pour l’obtention d’un « passe sanitaire », les Français non vaccinés étaient même les seuls à pouvoir garantir qu’ils ne contamineraient personne… Par conséquent, laisser entendre que le virus ne circule désormais que par leur faute est évidemment une aberration totale.

La focalisation sur la figure du « non-vacciné », rendu coupable de ces maux imaginaires, a pourtant atteint une démesure impressionnante… Le président de la République affirme que, par leur « irresponsabilité », ils ne sont « plus des citoyens ». Le porte-parole du gouvernement explique que, « depuis deux ans » (quand ni le vaccin ni même le Covid n’existaient), les non-vaccinés « gâchent la vie des soignants ». Le Journal du dimanche publie une tribune d’un professeur de médecine demandant que ceux qui revendiquent leur liberté choisissent de ce fait « la liberté de ne pas être réanimés »; et dans la foulée, un institut de sondage très sérieux demande aux Français s’il faut soigner les non-vaccinés – et recueille une majorité d’opinions favorables… Pas un institut de sondage n’aurait osé demander s’il fallait soigner des terroristes islamistes blessés après un attentat ou sur le champ de bataille. Aucun médecin n’hésiterait à réanimer un chauffard qui aurait causé un accident mortel en transgressant la loi. Comment avons-nous pu en arriver si vite à de tels débats s’agissant de citoyens français qui, encore une fois, n’ont pas enfreint la moindre règle ?

Une telle incohérence trahit l’absence de fondement de ces accusations, pourtant infiniment graves, lancées si légèrement par nos dirigeants contre leurs propres concitoyens.

Comment expliquer que des accusations si infondées sur le plan scientifique puissent susciter une adhésion dans l’opinion ? La réponse est malheureusement assez simple : c’est qu’elles réactivent, avec une efficacité désolante mais prévisible, la logique immémoriale du bouc émissaire. Étudiée par James Frazer dans Le Rameau d’or, une enquête approfondie des mythologies primitives et antiques, la logique du bouc émissaire consiste à désigner un individu ou un groupe comme responsable de tous les maux qui affectent la communauté. La raison de cette désignation tiendra en une différence facilement identifiable, qui le met à l’écart de la collectivité (le bouc « émissaire » étant en réalité l’animal « échappé »  du troupeau – ce que l’on retrouve dans l’anglais scapegoat). Une violence progressive sera ensuite exercée à l’encontre de cet individu ou de ce groupe, jusqu’à l’expulsion, par laquelle la communauté espère exorciser le mal qui la traverse en même temps qu’elle sacrifie celui qui est supposé la causer.

Ces accusations réactivent, avec une efficacité désolante mais prévisible, la logique immémoriale du bouc émissaire.

C’est bien de violence qu’il s’agit dans cette affaire, toute civilisée qu’elle paraisse. « Enfin un peu de sang sur les murs », s’enthousiasme un « ténor » macroniste dans Le Point, après les déclarations du président. Bien sûr, à cette métaphore glaçante, il faut répondre avec un surcroît de calme et de recul. Cela étant dit, quand les propositions du ministre de la Santé se trouvent résumées par la volonté de « surveiller et punir les non-vaccinés » (Le JDD, 1er janvier 2022), comment ne pas voir que derrière la méthode apparemment avenante du « nudge », l’incitation comportementale revendiquée par le gouvernement, se cache en réalité une brutalité très concrète ? Le modèle démocratique imposait l’égalité en droit, la loi obligeant chacun quand le bien commun l’exige, et protégeant par défaut la liberté en tout le reste. Le nouveau modèle qui se dessine contourne la loi, ne constituant pas d’obligation explicite, mais évalue en permanence les individus selon qu’ils adoptent plus ou moins les comportements normés par le pouvoir, et leur accorde des droits différenciés pour rétribuer leurs choix. Quand une personne se voit empêchée d’accéder aux lieux de sociabilité communs, d’utiliser des services publics qu’elle finance par ses impôts, de se déplacer librement, et finit par se voir dénier jusqu’à son appartenance à la cité, pour avoir seulement fait usage d’une liberté que la loi lui reconnaît pourtant, n’est-ce pas de violence qu’il s’agit ?

Le nouveau modèle qui se dessine contourne la loi, ne constituant pas d’obligation explicite, mais évalue en permanence les individus selon qu’ils adoptent plus ou moins les comportements normés par le pouvoir, et leur accorde des droits différenciés pour rétribuer leurs choix.

Il est urgent de dénoncer le basculement inédit qui est en train de se jouer. La civilisation européenne avait constitué une rupture anthropologique décisive, en dénonçant précisément le schéma du bouc émissaire. René Girard, le plus grand penseur sur cette question décisive, a montré dans toute son œuvre comment, par leurs racines chrétiennes, les sociétés occidentales ont appris à démasquer progressivement la folie de cette violence : dans la figure d’un Dieu crucifié, elles ont reconnu que la victime sacrifiée est innocente, que le pauvre n’est pas coupable de sa misère, ni le malade de la maladie. Elles ont appris à s’affranchir de la déraison qui cherche des responsables, pour trouver des réponses rationnelles aux crises que nous traversons. Elles ont appris à prendre soin de chacun, de manière inconditionnelle. Laisserons-nous cet héritage se disloquer, sous le seul effet de la peur ? Nous sommes pourtant largement capables de maîtriser cette épidémie, par une stratégie sanitaire sereine et méthodique. Ne laissons pas la faillite de nos politiques de santé se doubler de la régression morale inouïe qui consiste à désigner des coupables imaginaires.

Nous sommes largement capables de maîtriser cette épidémie, par une stratégie sanitaire sereine et méthodique. Ne laissons pas la faillite de nos politiques de santé se doubler de la régression morale inouïe qui consiste à désigner des coupables imaginaires.