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Audition des commissaires-désignés, action de la délégation française au Parlement européen : entretien avec l’Opinion

Entretien initialement paru dans l’Opinion du lundi 7 octobre 2019, en ligne ici. Propos recueillis par Isabelle Marchais.

Le Parlement européen peut-il refuser de valider la candidature de Sylvie Goulard à la Commission ?

C’est une possibilité, même si notre intention n’est pas d’en arriver là quoiqu’il arrive. Le portefeuille dont elle hériterait est absolument décisif : il concerne la stratégie industrielle, le marché intérieur, le numérique, la défense, l’espace… L’Union européenne ne peut pas se permettre d’avoir, pour s’en occuper, une commissaire qui aurait à gérer, simultanément, la suite d’une enquête de l’OLAF, une procédure judiciaire en France, et des soupçons liés à un potentiel conflit d’intérêts. Ce serait une fragilité importante ; si Mme Goulard considérait que le fait d’être sous le coup d’une enquête constituait un risque pour l’exercice de sa fonction comme ministre de la Défense, je ne vois pas en quoi ce risque a disparu pour gérer cette responsabilité de commissaire. Par ailleurs, le risque de conflit d’intérêt est réel. Elle a été rémunérée 350 000 euros par le think tank d’un financier américain : comment peut-elle se contenter de répondre en invoquant la « liberté d’entreprendre » ?

Est-ce un sentiment largement partagé ?

Tous les groupes politiques, à l’exception naturellement de Renew, sont sortis déçus de son audition. Pourtant nous l’abordions avec l’idée de poser les questions que tout le monde se pose, et de lui offrir une occasion de répondre, de façon concrète et personnelle. En réalité, nous n’avons pas eu de réponses. Cela crée un malaise profond. C’est d’autant plus problématique après ce qui s’est passé la semaine dernière : le candidat hongrois Laszlo Trocsanyi, qui n’a jamais fait l’objet d’aucune enquête ni a fortiori d’aucune condamnation, a été rejeté avant même d’avoir pu s’expliquer en audition, notamment par les mêmes députés Renew qui disent aujourd’hui qu’il n’y a pas de problème avec Sylvie Goulard. Cela a contribué à tendre les choses. Personne ne souhaite entrer dans un conflit politicien, nous prenons ces questions trop au sérieux ; mais simplement, le « deux poids deux mesures » qu’on voudrait nous imposer est totalement injustifiable, et cela suscite beaucoup d’incompréhension, notamment chez nos collègues élus d’Europe de l’Est.

Que faites-vous de la présomption d’innocence ?

Je respecte bien sûr totalement la présomption d’innocence, et je l’ai rappelé au début de l’audition. Je n’ai pas cherché des arguments épouvantables pour attaquer Mme Goulard : j’ai simplement rappelé ses propres mots ! Au moment de sa démission en France, elle expliquait que l’exemplarité comptait plus que tout, et qu’elle voulait s’appliquer les règles en vigueur dans les autres pays européens. Ce n’est quand même pas indigne que de lui demander ce qui explique le décalage, entre la décision qu’elle avait prise et sa position d’aujourd’hui. Amélie de Montchalin croit-elle qu’elle va défendre Mme Goulard en expliquant que poser cette simple question, c’est faire le jeu de l’extrême droite ? Est-ce que demander un minimum de transparence est désormais coupable ? Nous ne cherchons pas à attaquer qui que ce soit, nous cherchons simplement la vérité ; et je ne compte pas plier devant cette stratégie d’intimidation. Le procès en extrémisme que subissent tous ceux qui osent ne pas être entièrement d’accord avec les choix de M. Macron est inepte.

Le travail de Sylvie Goulard comme consultante était déclaré et légal. Et selon une enquête de Transparency international, deux tiers des eurodéputés exercent une activité rémunérée…

Personne ne prétend qu’il n’était pas déclaré ; et, même si j’ai du mal personnellement à voir comment on peut trouver du temps pour cela, ce n’est pas le fait d’exercer une activité rémunérée en parallèle d’un mandat qui pose problème. Quand on est député européen, exercer comme enseignant ou comme médecin ne pose pas le même type de questions que d’être rémunéré par un investisseur étranger actif sur des secteurs industriels stratégiques… Le problème, c’est que Mme Goulard ne peut nous dire précisément ce qu’elle a fait pour une somme si importante. On peut supposer que M. Berggruen a une stratégie d’influence, et qu’il s’en donne les moyens. Mais quand vous allez gérer la mise en place du Fonds européen de défense par exemple, qui heurte de manière manifeste la vision et les intérêts américains, ce n’est quand même pas neutre de commencer avec cette espèce de tache aveugle, avec ce lien dont on ne sait rien.

Sylvie Goulard va devoir répondre à de nouvelles questions écrites. Qu’en attendez-vous ?

De nombreuses questions écrites lui ont été adressées. Nos collègues n’avaient pas seulement besoin d’éclaircissements sur ces sujets de transparence, mais aussi sur les sujets de fond, sur le contenu des politiques qu’elle souhaite mener, et sur lesquelles beaucoup de réponses ont semblé évasives. Il me semble qu’une seconde audition sera sans doute nécessaire.

Faut-il y voir un règlement de comptes contre Emmanuel Macron ?

Non, ce n’est vraiment pas ce qui a déterminé nos décisions concernant Sylvie Goulard. Encore une fois, tous les groupes sauf Renew ont réagi de la même manière. Au PPE, personne n’a abordé l’audition en se préparant à l’écarter ; nous avons des collègues francophiles, francophones, qui n’ont pas du tout envie qu’un fossé se creuse avec la France. Ce qui est vrai en revanche, c’est que son audition a été perçue comme symptomatique d’une arrogance souvent reprochée malheureusement aux Français. On l’a déjà vu avec l’installation difficile d’En Marche au sein du groupe libéral : il y a une manière d’arriver bardé de certitudes, avec la conviction d’une évidente supériorité, qui passe très mal ici.

Vous-même n’êtes pas arrivé en position de force…

Bien sûr, nous avons été déçus du résultat de l’élection. Mais au moins je n’ai pas honte de la campagne que nous avons menée, et je la préfère à des victoires gagnées par des tactiques inconséquentes. Aussi bien La République en Marche que le Rassemblement national ont organisé toute leur campagne sur des fictions, qui se sont dissipées en deux semaines… La République en Marche nous a promis qu’elle allait être le grand groupe qui allait changer l’Europe de l’intérieur ; en réalité, non seulement ils rejoignent un groupe minoritaire, mais eux-mêmes se sont marginalisés au sein de Renew Europe, dont ils n’ont pas pu prendre la présidence. Le Rassemblement national disait avoir préparé une grande alliance qui allait prendre le pouvoir ; mais il n’y a eu aucune alliance, et leur groupe reste complètement à la marge. Pour nous, de manière peut-être plus humble et plus concrète, nous n’avons pas menti sur la réalité des enjeux, nous avons pris les Français au sérieux. Au sein du PPE, qui est le premier groupe politique, c’est sur nous que repose le travail essentiel pour faire valoir nos idées et faire entendre la voix de la France. Cela constitue une vraie responsabilité, car c’est sur nos épaules que pèse l’essentiel de l’influence française au Parlement européen.

Mais vous n’êtes que huit députés LR !

Le défi est immense, c’est vrai. Mais l’influence n’est pas qu’une question de nombre : elle dépend aussi des liens de confiance que vous pouvez créer avec les gens, et du travail que vous faites pour être crédible sur les dossiers. Les premiers mois ont été très encourageants : Anne Sander a décroché le poste de premier questeur du Parlement, et Arnaud Danjean a été élu vice-président du groupe. Ce sont des leviers politiques essentiels pour agir. Cela a prouvé que nous pourrons peser sur les sujets qui nous attendent : nous n’allons pas rester à regarder passer les balles. Il va falloir travailler beaucoup et être soudés. Nous n’avons pas le luxe de pouvoir nous diviser.

Faut-il exclure Orban du PPE suite à ses atteintes répétées à l’Etat de droit ?

Il y a un processus en cours pour faire l’état des points d’accord et de désaccord, et j’espère qu’il sera terminé avant le congrès du PPE à Zagreb fin novembre. A titre personnel, quand j’échange avec mes collègues hongrois, j’ai vraiment beaucoup de mal à voir pourquoi on en viendrait à une rupture. Le procès instruit contre le Fidesz me paraît totalement disproportionné. Et j’observe que beaucoup ont des indignations à géométrie variable… Il peut y avoir des désaccords avec Viktor Orban bien sûr, mais tomber dans l’excès ne permet pas de les résoudre.

 

Retour sur la première session plénière du mandat 2019-2024 au Parlement européen

Chers amis,

La première session de Strasbourg s’achève ! Je voudrais partager avec vous le résultat de ces derniers jours, qui ont été mouvementés…

Malgré l’ampleur de l’adversité qu’elle a rencontrée, notre famille politique a remporté les victoires essentielles : c’est au PPE, la droite européenne, que revient la présidence de la Commission européenne, ainsi que la présidence de la BCE.

En Europe, les électeurs ont accordé la majorité de leurs suffrages aux candidats de droite à l’occasion de l’élection européenne du 26 mai, et il aurait été incompréhensible que les nominations stratégiques de ce début de mandat ne reflètent pas ce choix démocratique. Avec notre délégation française, nous avons constamment maintenu ce principe non négociable ; nous ne sommes pas de ceux qui oublient leur campagne dès le moment de l’élection. Et lorsque les blocages rencontrés au Conseil ont conduit à envisager qu’un socialiste soit investi à la tête de la Commission, nous avons clairement indiqué que nous quitterions le PPE si un tel compromis devait être accepté.

Ces discussions franches et claires ont conduit le PPE à refuser cette perspective, et l’idée de placer M. Timmermans à la tête de la Commission a donc été écartée. Notre priorité absolue est aujourd’hui atteinte. Malgré l’élection de M. Sassoli à la présidence du Parlement, que nous regrettons, les socialistes ont échoué à prendre la main sur la décision politique en Europe : cette fonction institutionnelle, qu’il n’occupera que pour la moitié du mandat, n’a pas d’impact sur les orientations de l’action européenne. Je n’ai pas voté pour lui, mais les conséquences de son élection sont sans commune mesure avec ce qu’aurait représenté le fait de perdre la présidence de la commission.

La droite en Europe a donc gagné la bataille décisive, pour pouvoir faire entendre la voix des électeurs qui lui ont fait confiance le 26 mai dernier. Ursula von der Leyen, membre de notre famille politique qui doit prendre la présidence de la Commission européenne, est venue dès le lendemain de sa nomination échanger avec notre groupe ; nous pourrons travailler avec elle pour traduire concrètement les engagements pris pendant notre campagne. Nous pouvons également être heureux de la nomination de Christine Lagarde, également issue de notre famille politique et dont la compétence est unanimement reconnue.

Malgré ces succès décisifs, les événements des derniers jours ont marqué un profond recul pour la transparence démocratique de la vie publique européenne ; et le premier responsable de ce recul est notre Président de la République

Comme les autres familles politiques en Europe, le PPE avait élu un candidat pour la présidence de la Commission et l’avait présenté bien avant l’élection du 26 mai, pour permettre aux citoyens de faire leur choix en connaissance de cause, et pour rendre ainsi plus lisibles et plus démocratiques les nominations européennes. Par hostilité envers notre famille politique, Emmanuel Macron s’est opposé à ce processus, et a rendu impossible la désignation de Manfred Weber, qui bénéficiait pourtant de cette indéniable légitimité démocratique. La conséquence de ce blocage a été cette succession de sommets incompréhensibles par les citoyens, et un processus de désignation entre chefs d’Etat qui s’est déroulé dans l’opacité et la confusion la plus totale. Derrière la mise en scène du “nouveau monde”, l’Europe a subi un grand pas en arrière, et la France sort malheureusement de cette séquence encore un peu plus discréditée auprès de nos partenaires européens.

Notre délégation française a donc maintenant une responsabilité décisive. Comme je vous l’ai raconté dernièrement, nous avons travaillé sans relâche au cours des dernières semaines pour avoir les moyens d’agir. Au-delà des résultats déjà obtenus, Anne Sander a été élue ce matin premier Questeur du Parlement européen. Par ce travail patient et déterminé, nous avons montré notre influence, et gagné une vraie capacité d’agir sur les choix essentiels à venir.

Nous nous attacherons ainsi à faire entendre la voix des électeurs français au sein de notre groupe parlementaire, qui aura donc les leviers les plus importants pour agir au cours des prochaines années.

François-Xavier Bellamy

Élections européennes 2019 : message de fin de campagne

Chers amis,

Je voudrais commencer par remercier de tout cœur les électeurs qui nous ont accordé leur confiance. Dans le duel qu’on cherchait à leur imposer, ils ne se sont pas résignés ; ils ont voulu voter pour leurs convictions, pour le projet que nous portions, et je leur en suis infiniment reconnaissant.

Cette élection européenne a été transformée en un référendum national. Je suis fier d’avoir, avec toute notre équipe, parlé de l’avenir de notre pays en Europe, alors que tout était fait pour détourner ce débat pourtant si nécessaire. Je voudrais remercier Agnès, Arnaud, chacun de mes colistiers, et les élus qui nous ont accompagnés.

Malgré la campagne intense que nous avons menée, nous n’avons pas réussi à faire entendre aux Français notre vision et nos propositions.

Le second enseignement que je tire de ce résultat, c’est la crise profonde que traverse notre démocratie. Aujourd’hui, nous pouvons nous accorder sur un constat : de très nombreux électeurs se sont exprimés d’abord pour voter contre – voter contre la politique menée par Emmanuel Macron, ou contre le risque de voir monter le Rassemblement National. Or une démocratie ne peut trouver un équilibre durable quand elle n’offre que des élections par défaut, quand un bulletin de vote ne sert qu’à éliminer. Chaque jour de cette campagne, sur le terrain, j’ai perçu les tensions profondes qui traversent notre société. Nous ne pouvons laisser la France s’enliser dans ce désespoir politique.

Cela montre l’ampleur de la tâche à accomplir. La droite traverse une crise très profonde. Tout est à reconstruire. Lorsque Laurent Wauquiez m’a proposé d’assumer cette mission, je savais que la tâche serait très difficile. Si je l’ai acceptée, c’était pour tenter de contribuer à refonder une proposition politique qui puisse susciter de nouveau la confiance des Français. Ce travail est devant nous. Nous le devons, non à la droite, mais à la France, pour lui offrir cette espérance que nous n’avons pas su partager avec elle au cours de cette campagne. C’est le moment d’être fidèles et courageux. Je veux dire à tous ceux qui, pendant les dernières semaines, nous ont dit leur confiance et leur attente, que je m’engagerai de toutes mes forces pour servir ce travail de fond qui nous attend.

François-Xavier Bellamy

Entretien avec Valeurs Actuelles à la veille de l’élection européenne

Entretien paru dans Valeurs Actuelles, mai 2019. Propos reccueillis par Tugdual Denis, Geoffroy Lejeune, Raphaël Stainville.

Dans un entretien récent avec Valeurs actuelles , Nicolas Dupont-Aignan vous accuse d’être « un rabatteur de voix » pour Emmanuel Macron et le énième représentant de « la droite qui trahit ». Comment réinstaurer la confiance ?

La cohérence de M. Dupont-Aignan est difficile à cerner : il n’a cessé de changer de discours au fil des ans. Jean-Frédéric Poisson, qui a fait campagne avec lui, dit que le cœur de son système repose sur le mensonge : je le crois, en effet, au rythme des calomnies qu’il ne cesse de répandre sur nous. Cela étant dit, je comprends le ressort de cet argument. La droite a souvent déçu et beaucoup se demandent si elle saura se relever de ses incohérences passées. Je sais que les déceptions ont été fortes et qu’il faudra reconstruire la confiance patiemment, humblement, par un travail de fond. Je ne vois pas d’autre option : qu’est-ce que les à-coups individuels de M. Dupont-Aignan ont apporté à notre pays ? Pour moi, je suis trop libre pour servir d’alibi, d’autant plus que je ne suis pas attaché à une carrière politique et que je n’ai pas sollicité cette investiture. J’ai accepté la mission qui m’était proposée parce qu’on ne peut pas déplorer la crise où nous sommes et refuser ensuite de contribuer à reconstruire.

Édouard Philippe a raillé, dans le Figaro, précisément « la droite Trocadéro » qui avait choisi François Fillon. Vous vous en revendiquez, au contraire ?

Cette sortie du Premier ministre est symptomatique d’un vieux réflexe du politiquement correct, qui consiste à insulter la droite quand elle ose être fidèle à ses convictions et à ses électeurs. Édouard Philippe applique aujourd’hui une politique qui correspond à tout ce à quoi il s’était supposément opposé durant sa carrière. Je préfère être de la droite qui reste constante que de celle qui s’enorgueillit de se dissoudre dans la gauche. Aujourd’hui, Édouard Philippe soutient une liste dont le numéro 2, Pascal Canfin, a refusé d’embarquer dans un avion quand il était ministre de François Hollande, sous prétexte qu’un Malien condamné pour viol s’y trouvait pour être extradé. Une liste dont le projet est de dépenser toujours plus d’argent public et de créer de nouveaux impôts… Une liste parrainée par Daniel Cohn-Bendit, Élisabeth Guigou et Ségolène Royal. Cela n’a plus rien à voir avec la droite !

De ce point de vue, le politiquement correct est une machine qui ne cesse de s’étendre. Le sentiment qu’il est de plus en plus difficile d’exprimer un désaccord sans être voué aux gémonies alimente une frustration politique indéniable. C’est pourquoi le politiquement correct me semble être l’un des carburants qui alimentent ce qu’on s’obstine à appeler le populisme sans jamais vraiment le définir.

À quoi peut concrètement servir un député européen qui s’engage à préserver notre civilisation ?

L’Europe, ce ne sont pas seulement des traités ou une organisation administrative, mais d’abord un héritage à transmettre et à sauver de tout ce qui nous fragilise aujourd’hui. Le défile plus important, c’est la fracturation de notre société : nous devenons une juxtaposition de communautés qui ne se reconnaissent plus de liens, une addition d’individus qui poursuivent leurs propres calculs. Nous avons su construire un marché commun, qui peut être un atout décisif dans la mondialisation ; mais l’Europe ne peut pas se réduire à un marché. La réduction de la politique à l’économie nous piège dans le consumérisme et nous empêche d’agir pour préserver notre modèle de civilisation : il faut pourtant le redire, nous ne sommes pas que des consommateurs préoccupés de leur seul intérêt.

N’est-il pas plus facile de lutter contre cela en tant que candidat, à l’heure des discours, que durant le mandat, à l’heure de l’action ?

Non, cela se traduit très concrètement. Je m’engagerai personnellement en allant dans les capitales européennes pour défendre une initiative commune contre la GPA et contre l’eugénisme. Ce qui est en jeu, ce sont les nouveaux modèles contre lesquels l’Europe doit peser : celui du tout-marchand américain, qui fait que l’on peut, en contournant la loi européenne, choisir des bébés sur catalogue dans des cliniques aux États-Unis ; celui de la Chine, qui a annoncé, il y a quelques semaines, que pour la première fois des enfants génétiquement modifiés étaient nés. Réussir cette course contre la montre pour interdire la marchandisation du corps, empêcher l’eugénisme, faire comprendre que le transhumain ouvrirait un monde inhumain, voilà un enjeu de civilisation absolument décisif. La voix de la France est malheureusement sans doute trop isolée, trop faible et trop passive aujourd’hui, pour pouvoir faire contrepoids à ces grandes forces.

Vous prendrez donc votre bâton de pèlerin pour vous rendre au Portugal, en Suède, en Espagne, ou en Hongrie ?

Oui, il est temps de parler d’une seule voix. On doit, dans notre droit français, continuer à interdire la GPA. Mais cette interdiction est fragilisée si, dans l’espace européen, nous avons des législations différentes sur cette question. Notre droit est sans arrêt contourné et violé. Il faut donc qu’on arrive à se mettre d’accord entre nous.

L’enjeu est essentiel. Nous sommes la première génération dans l’histoire qui devra décider de l’avenir de la condition humaine. C’est fascinant et vertigineux. Tout cela se joue aujourd’hui : les grandes entreprises américaines investissent massivement dans la recherche pour dépasser les limites de la condition humaine. En Chine, une stratégie d’État voudrait mettre l’homme au service d’une course à la performance qui le détruira de l’intérieur. Si nous sommes les héritiers des Grecs, qui répondaient à la tentation de l’hubris par la juste mesure d’Aristote ; si nous sommes les enfants de l’école du droit naturel que les Romains ont développée ; si nous sommes à la hauteur de cet effort de la pensée chrétienne qui a mûri le caractère inaliénable de la dignité humaine, alors il faut faire de la voix de l’Europe le contrepoids indispensable à ces forces de destruction de l’homme. Si on croit à la politique, c’est l’enjeu le plus important des années qui viendront.

Parmi les périls qui nous guettent, celui de l’islamisme se développe-t-il en raison de la passivité du progressisme ?

Je l’ai dit durant tous nos meetings : on ne peut pas regarder nos malheurs comme s’ils venaient uniquement de l’extérieur. L’islamisme ne fait que remplir le vide que le consumérisme individualiste a laissé derrière nous. On a expliqué aux jeunes qu’il n’y avait pas de culture française, que l’Europe n’avait pas de racines, que notre seule identité était la diversité. Que les grandes conquêtes sociales de demain consistaient à pouvoir pousser son Caddie au supermarché même le dimanche. Et à la fin, on s’étonne qu’ils cherchent une transcendance de substitution… Le plus grand besoin d’un jeune n’est pas de trouver une raison de vivre, mais une raison de donner sa vie. L’émotion provoquée par le don absolu des commandos Cédric de Pierrepont et Alain Bertoncello, comme celui d’Arnaud Beltrame, dit tout de la soif qui habite les cœurs. Si l’on s’en tenait aux critères que notre société individualiste se fixe, cela n’aurait aucun sens ! Emmanuel Macron avait dit : « Il faut que les jeunes Français aient envie de devenir milliardaires. » En réalité, ce sont des jeunes capables de défier tous les calculs, de se donner jusqu’au bout qui font notre plus grande reconnaissance, en sauvant notre pays de ce repli individualiste. L’histoire de ces vies, ce n’est pas l’émancipation de l’individu, c’est au contraire la force du lien qu’elles se reconnaissent avec les inconnus qu’il s’agissait de sauver.

Vous êtes donc étonné que cette société finisse par reconnaître leur valeur ?

Je ne suis pas étonné, je suis émerveillé. Cela montre qu’au cœur du cœur humain, il y a cette soif de se donner, pourtant si méprisée par le monde contemporain. L’époque d’Adopte un mec et de Tinder n’empêchera pas qu’on admire plus que tout le don total de soi. Et cela prouve que l’espoir est possible. Les progressistes ne nous comprennent pas. Dire que la société contemporaine est individualiste, ce n’est pas un jugement moral : il n’y a sans doute pas plus d’égoïsme ou moins de générosité aujourd’hui qu’hier. L’individualisme est une métaphysique du calcul solitaire. Mais avec le drame de Notre-Dame, quelque chose fait échec à cette logique : le général de la brigade des sapeurs pompiers de Paris, avec qui j’ai discuté deux jours après l’incendie, m’a confié qu’aucun de ses hommes n’avait posé de question ou eu de mouvement de recul au moment de monter dans les tours de la cathédrale, alors même que celles-ci pouvaient s’écrouler. Ces hommes ne montaient pas pour sauver des vies mais des pierres, qui sont le signe de cet héritage qui nous précède et nous relie.

Cet incendie a-t-il agi comme un signe dans votre campagne, vous qui vous voulez le candidat de la mémoire ?

Cela nous a rappelé de façon sensible la raison même de notre engagement. En voyant Notre-Dame brûler, nous avons tous eu l’impression de voir brûler une part de notre culture commune, de ce patrimoine matériel mais aussi immatériel que nous savons à la fois magnifique et vulnérable. J’ai toujours été touché par cette confession d’Alain Finkielkraut, qui affirme avoir appris à mieux aimer la France non plus seulement pour sa grandeur, mais de l’amour qu’on porte à ce qui est fragile et menacé.

Êtes-vous surpris de constater qu’après les polémiques soulevées lors de votre entrée en politique, les critiques se soient taries ?

J’ai d’abord été un peu stupéfait de la disproportion des polémiques. Et, je le dis très simplement, je regarde maintenant avec un peu d’étonnement l’excès d’éloges dont je suis parfois l’objet. La démesure dans ces jugements si rapides ne doit pas faire oublier l’essentiel. Le plus important reste à venir : reconstruire la confiance qui a été profondément érodée dans la politique et dans notre famille politique. Bien au-delà d’une personne, l’enjeu est immense. Dans cette société atomisée, nous avons besoin de retrouver du lien. Dans cette société matérialiste, nous avons besoin de retrouver des idées.

Vous arrivez avec votre bienveillance, à rebours des postures habituelles… Est-ce une nouvelle manière de faire de la politique ?

Je n’ai pas cherché à jouer un rôle ou à calculer une attitude, je suis resté moi-même. Mais c’est intéressant de voir les témoignages des gens à la fin des réunions publiques, les courriers qu’ils écrivent… Beaucoup expriment leur désir de prendre de la hauteur, de retrouver de la sérénité. Ce qui me frappe le plus, c’est de voir des gens qui pleurent à la fin des réunions publiques. Beaucoup de Français se sentent perdus, désespérés, ont le sentiment de ne plus être entendus et de ne plus maîtriser leur avenir. Il y a une immense inquiétude collective.

L’orateur rompu aux meetings politiques agite des stimuli pour enflammer les foules. Vous, vous laissez une large place au silence…

J’avoue que j’ai toujours du mal à entendre scander mon nom. Ce que je trouve le plus beau dans les réunions publiques, c’est de tenter d’emmener les gens avec soi pour mieux comprendre avec eux nos échecs et nos espoirs. Hier soir, nous étions à côté d’Angers. Nous avons parlé du défi économique et commercial devant lequel l’Europe se trouve, de la manière de retrouver notre place dans la mondialisation, des moyens de sortir de la crise et de redonner de l’oxygène à ceux qui travaillent… Nous vivons une crise profonde du travail. C’est un sujet technique, économique ; mais c’est aussi parce que nous avons perdu le sens du travail, en faisant systématiquement le choix de la consommation. Et j’ai repris un passage de Péguy que j’avais déjà risqué dans un meeting un peu plus tôt. C’est une vraie joie de sentir la densité du silence, l’attention des gens qui trouvent dans ces lignes des mots pour comprendre ce qu’ils veulent retrouver. [Il récite] « J’ai vu toute mon enfance rempailler des chaises exactement du même esprit et du même cœur, et de la même main, que ce même peuple avait taillé ses cathédrales. Il fallait qu’un bâton de chaise fût bien fait… »

Lorsque le Monde, après des semaines de campagne, vous met en une et titre sur « les habits neufs du conservatisme », cela infirme l’idée qu’il n’y aurait en France que des populistes ou des progressistes…

Oui, ce faux débat entre progressistes et populistes est scandaleux. Si on regarde les sondages, en prenant en compte l’abstention, moins de 20 % des Français se reconnaissent dans l’un ou l’autre de ces camps. Mais Emmanuel Macron sait que la seule personne qui pourra le sauver, dans trois ans, c’est Marine Le Pen. Il l’installe donc en unique opposante, parce que son seul but est d’empêcher que se reconstruise une alternative crédible à droite, la seule qui pourrait réellement l’empêcher d’être réélu en 2022.

Est-ce la raison pour laquelle Nathalie Loiseau a refusé de débattre avec vous ?

Son seul but est de faire exister Jordan Bardella. Elle prétend que son engagement est de battre le Rassemblement national et, en même temps, le considère comme le seul interlocuteur démocratique valide. Ne parler que d’un combat contre le populisme, c’est une manière pour elle de s’exonérer du bilan dramatique de son parti ou d’éviter de parler des sujets de fond, alors que nous sommes face aux défis les plus importants de notre temps. C’est vrai aussi du RN, qui a totalement changé de discours sur l’Europe… Le seul débat en est réduit à battre Marine Le Pen ou à battre Emmanuel Macron. Les Français n’en peuvent plus de ces élections tristes.

À la fin du mois de février, une dépêche de l’agence Reuters relatant un échange dans lequel vous auriez affirmé pencher pour Jean-Claude Juncker plutôt que Viktor Orbán, Emmanuel Macron plutôt que Marine Le Pen. Dans un long texte sur Facebook, vous avez rétabli votre version, puis dénoncé le mirage d’une souveraineté européenne et accusé les populistes et les progressistes de « s’alimenter mutuellement ». Que vous a enseigné cet épisode sur le rapport à la vérité de la société de l’information ?

Il m’a enseigné qu’au fond nous vivons dans un univers d’artifices, où manque souvent l’exigence intellectuelle de rendre compte de la réalité d’un propos. Ce qui compte, c’est de chercher la petite phrase qui enfermera, quand bien même elle ne dit pas du tout ce que vous cherchiez à exprimer. J’ai éprouvé à cette occasion beaucoup de compassion pour des responsables politiques qu’on a parfois vigoureusement critiqués parce qu’un de leur propos avait été réduit à trois mots… Je comprends que beaucoup aient cédé à la dictature des “éléments de langage” pour se protéger. Mais cela pose une vraie question : quel espace laisse-t-on à la réflexion, au temps qu’elle exige, au sens de la complexité ? Sommes-nous prêts à un dialogue qui cherche à comprendre plutôt qu’à étiqueter ? Quand Jordan Bardella prend une phrase de quarante secondes prononcée sur une radio et qu’il en ressort un extrait de neuf secondes qui me fait dire exactement le contraire de ce que j’exprimais, j’y vois le signe que le débat politique va mal. Je crois au pluralisme : j’ai de vrais désaccords avec lui, mais ça ne m’empêche pas de respecter tous ceux qui s’engagent pour défendre leurs idées. Un enjeu essentiel pour nos démocraties, c’est de sauver la possibilité du désaccord intelligent. Je suis sûr que les Français en sont capables, beaucoup plus que leurs responsables politiques.

À quoi jugeriez-vous que votre campagne a été réussie ? Avez-vous des regrets ?

Les plus beaux moments ont été les rencontres, comme ce matin dans un centre pour enfants autistes, ou pendant les réunions publiques. Une campagne est une occasion rare de mieux connaître la réalité de la France ; mais c’est surtout éprouvant et intense. Je m’accroche au fait qu’il ne reste que quelques jours de campagne… [Rires] J’estimerai que cette campagne aura été réussie quand, dans cinq ans, on aura pu avancer sur les objectifs concrets que nous nous sommes donnés.

En quoi la philosophie vous a-t-elle aidé ?

Marc Aurèle m’a bien aidé… Il faut être un bon stoïcien pour faire de la politique, avec le détachement, la distance et l’engagement que cela impose. Par ailleurs, le fait de rentrer dans la réalité des sujets me tenait vraiment à cœur. Nous avons consacré des réunions publiques à approfondir des questions précises, avec des spécialistes de notre liste, par exemple avec Arnaud Danjean et Frédéric Péchenard sur les enjeux de sécurité et de défense. Nous continuerons d’ailleurs pendant le mandat.

Avez-vous aussi appris sur les rapports humains ?

C’est vrai, la politique est un terrain favorable pour mieux appréhender le cœur humain… On voit tout ce qu’il y a de plus médiocre et de plus décevant parfois, mais je peux vous promettre qu’on y trouve aussi ce qu’il y a de plus noble. J’ai été très marqué par la bienveillance de beaucoup, et par le dévouement et la générosité de tant d’élus. Ce pays tient par l’engagement discret de tant de Français, sur le terrain. Il nous manque un cap qui puisse nous unir de nouveau, mais nous avons tout pour retrouver l’espérance.

À propos de Vincent Lambert (encadré)

Ce qui me frappe, c’est de voir la violence qui s’exprime dans l’affaire de Vincent Lambert, cette instrumentalisation écœurante qui est faite de cette vie blessée et fragile par ceux qui militent pour l’euthanasie et qui défendent ‘le droit à mourir dans la dignité’. Ceux-là mêmes qui déclarent indignes tous ceux qui ne correspondent pas au standard de performance et de réussite qu’on voudrait voir appliquer à une existence humaine légitime pour être vécue. Il y a là une violence insoutenable. Nous sommes devant le grand point de bifurcation qui nous attend : soit on définit la vie comme la force, la force poussée à son paroxysme, soit on reconnaît que la vie, c’est d’abord l’expérience de la faiblesse. Aujourd’hui, nous nous définissons comme des individus consommateurs qui rentrent dans leur vie comme un client devant un catalogue, en voulant avoir toutes les options. Pour ma part, je crois que la vie commence par l’extrême dépendance qu’est l’état d’enfance et qu’elle se termine dans l’extrême dépendance qu’est la vieillesse. Ces deux termes de l’existence nous enseignent que c’est par les brèches de notre capacité d’agir que passe la rencontre avec l’autre et le lien qui nous rattache à lui. Nous sommes tous les débiteurs de ceux qui nous ont fait grandir et nous n’étions pas malades parce que nous étions des enfants. Le regard que l’on porte sur Vincent Lambert aujourd’hui, qui effectivement a besoin d’aide pour pouvoir simplement se nourrir, c’est le regard que nous portons sur notre humanité. Oui, je crois que dans ce débat, on n’a pas concrètement le droit d’exploiter une pareille situation pour propager son idéologie. On devrait se l’interdire, même ! Par ailleurs, on a aujourd’hui un équilibre défini par la loi Léonetti, qui a été votée à l’unanimité du Parlement – ce qui est déjà très rare, et sur un sujet comme celui-ci encore plus exceptionnel. Il y a des vies humaines dont je ne crois pas qu’on puisse dire, sauf à renoncer au sens même de ce qu’est la condition humaine, qu’elles ne sont pas dignes d’être vécues.

Une barrière écologique pour contribuer à rééquilibrer la mondialisation

Entretien paru dans Les Échos, propos recueillis par Pierre-Alain Furbury et Etienne Lefebvre (extrait).

Entretien avec Les Échos

[…]

Le but, c’est construire une Europe qui fasse la preuve de son efficacité. Notre projet correspond, je crois, à l’aspiration d’une grande majorité de Français qui savent que l’Europe est nécessaire mais qu’il faut la changer.

Sur le plan économique, concrètement, comment réorienter l’Europe ?

Je rêve d’une Europe qui contribue à rééquilibrer la mondialisation, qui en soit un acteur offensif. L’Europe doit défendre son industrie, elle ne peut pas être qu’une terre de services. Nous proposons la création d’une « barrière écologique » pour défendre notre marché commun, en imposant des quotas carbone sur les importations, au même titre que ceux que paient nos entreprises, et le respect des mêmes normes que celles fixées à nos industriels et nos agriculteurs.

Faut-il revoir le droit de la concurrence, comme le préconise l’axe franco-allemand ?

Bien sûr ! Qui ne voit pas que ce droit est devenu obsolète face aux géants chinois et américains ? Nous croyons à la concurrence, aux vertus du libre-échange, mais à condition d’avoir les mêmes règles que les autres. Le manque de réciprocité sur les appels d’offres dans les marchés publics est par exemple incompréhensible.

L’Europe est-elle trop libérale ?

Elle est surtout trop naïve. Nous sommes encore par certains aspects les idiots du village mondial, même si les choses commencent à bouger, comme le montre le dispositif de contrôle des investissements directs étrangers que les Républicains au Parlement européen ont contribué à mettre en oeuvre. Il faudrait étendre ces garde-fous par exemple aux rachats de terres agricoles par les investisseurs chinois. Il y a une prise de conscience collective, surtout depuis les menaces de guerre commerciale de Trump et l’échec de la fusion Alstom-Siemens. C’est le moment d’agir.

Faut-il une harmonisation fiscale au niveau européen ? Peut-on continuer la course au moins-disant entre les Etats ?

On ne peut continuer à tolérer le dumping fiscal de certains Etats. L’action de la commissaire à la Concurrence, Margrethe Vestager, va dans le bon sens quand elle sanctionne les aides d’Etat déguisées et lutte contre la concurrence déloyale. Il faut aller plus loin et tendre vers une harmonisation fiscale, notamment sur l’impôt sur les sociétés. Comme pour la TVA aujourd’hui, il serait souhaitable d’avoir un taux minimum et un plafond, avec une liberté pour les Etats au sein de ce corridor.

Nous proposons la création d’une « barrière écologique » pour défendre notre marché commun, en imposant des quotas carbone sur les importations, au même titre que ceux que paient nos entreprises, et le respect des mêmes normes que celles fixées à nos industriels et nos agriculteurs.

Mais attention, pour être crédible, la France doit se réformer. On ne peut pas parler de convergence fiscale quand on est champion du monde de la pression fiscale. Emmanuel Macron est un peu le cancre au fond de la classe qui dirait à ses voisins ce qu’ils doivent faire.

En matière sociale, a-t-il raison de plaider pour un bouclier social avec un SMIC européen ?

Mais là encore, la France n’est pas audible parce qu’elle n’a pas fait les réformes nécessaires, et cela conduit, malheureusement, à la réponse sèche de la nouvelle présidente de la CDU allemande . Pourtant, sur le fond, l’Allemagne aurait tort de refuser toute convergence sociale. Il faut aller vers une harmonisation des règles, et nous défendons une révision plus forte de la directive sur le travail détaché, une pratique qui, dans les conditions actuelles, nourrit la défiance des Français. Il faut non seulement garantir un salaire égal pour un travail égal, mais aussi que l’entreprise acquitte les mêmes charges sociales. Il faut également renforcer les contrôles qui sont dans ce domaine beaucoup trop faibles, et intégrer le transport routier dans la négociation, à venir, car Emmanuel Macron avait clairement abandonné ce secteur.

Faut-il taxer les Gafa ?

Oui, car rien ne justifie que des multinationales paient moins d’impôts que nos entreprises. Mais je ne crois pas à une réponse purement nationale qui risque de fragiliser nos propres acteurs : il faut une taxation au niveau européen. Par ailleurs, la position structurellement dominante des Gafa doit conduire à une riposte plus globale. Il s’agit de défendre nos valeurs, préserver nos démocraties et le droit à la vie privée. L’agence de protection de la démocratie prônée par Emmanuel Macron passe totalement à côté de ces sujets et n’est pas à la hauteur de l’enjeu.

L’économie suffit-elle pour réduire le désamour entre les citoyens et l’Europe ?

Cela ne suffit pas, même si ce serait déjà beaucoup. L’Europe n’est pas une organisation comme les autres : c’est une histoire, des racines – gréco-latines, judéo-chrétiennes, l’héritage des Lumières -, une civilisation qui a encore quelque chose à dire au monde. Le grand dessein, il est là. Commençons par retirer de nos billets d’euros ces ponts qui n’existent pas et ne mènent nulle part, pour y mettre le patrimoine européen qui fait notre lien commun. Il faut aussi impérativement donner à chaque jeune, y compris les plus défavorisés, l’occasion d’un échange en Europe dans son parcours scolaire.

L’Europe doit-elle se mêler des sujets de société ?

Non. L’Europe n’a pas par exemple à définir la politique familiale ou la manière dont l’Etat français doit assurer le maintien de l’ordre. Mais parce qu’elle est une civilisation, elle porte en elle-même une exigence quant à ce qu’est la dignité humaine. Il faut porter à travers l’Europe une initiative concertée sur le refus de la marchandisation du corps, de l’eugénisme, de la tentation de l’homme augmenté, de la technicisation de l’humain.

[…]

 

Politique agricole commune : c’est notre avenir qui est en jeu (tribune)

Tribune co-signée par Arnaud Danjean, Agnès Evren et François-Xavier Bellamy, parue sur le site du JDD, février 2019. Présentation de la vision stratégique et des orientations du programme « agriculture » pour l’élection européenne 2019.

A moins de cent jours des élections européennes, le Salon International de l’Agriculture s’ouvre dans le contexte d’une réforme de la Politique agricole commune (PAC) sur laquelle les élections du 26 mai auront un impact déterminant. Conséquence budgétaire directe du départ annoncé des britanniques et de l’émergence de nouvelles priorités au niveau européen (sécurité, migration et défense), la Commission européenne propose en effet de diminuer le budget alloué à la PAC de 15% pour la période allant de 2021 à 2027, soit un manque à gagner de près de 7 milliards d’euros pour les agriculteurs français. Ce serait en moyenne 20 000 euros de moins pour chaque exploitation. On mesure l’impact qu’aurait une telle baisse pour les agriculteurs, leurs familles, et le tissu rural qu’ils font vivre, dans un contexte déjà très difficile que Michel Houellebecq décrivait comme « un plan social secret, invisible, où les gens disparaissent individuellement, dans leur coin, sans jamais donner matière à un sujet pour BFM… »

Cette baisse, fruit des tergiversations du gouvernement français, qui pendant des mois a refusé de jouer son rôle de premier défenseur de la PAC, est inacceptable. Que traduit-elle comme vision? Que l’agriculture est un marché comme un autre ; que les agriculteurs doivent se débattre seuls dans l’économie mondiale ; que les exploitations n’ont plus qu’à augmenter de taille et industrialiser leurs activités pour rester compétitives ; et qu’en même temps la transition vers une agriculture écologiquement responsable se fera spontanément.

La PAC doit demeurer l’un des piliers stratégiques pour préserver notre modèle agricole

Pourtant, l’agriculture n’est pas un marché comme les autres. Voilà la vision que les gouvernements de François Hollande et Emmanuel Macron n’ont pas su défendre en Europe au cours des dernières années : au moment où la démographie mondiale explose, la PAC doit demeurer l’un des piliers stratégiques pour préserver notre modèle agricole et préparer l’avenir de notre continent. Toute autre option serait une folie.

Car notre agriculture, ce sont les produits qui se trouvent chaque jour dans les assiettes de millions d’enfants, et garantissent à chacun d’accéder à une alimentation sûre et saine. La sécurité alimentaire ne doit rien à un coup de chance : conditions météo, changement climatique, volatilité des cours mondiaux… les agriculteurs font face à des risques auxquels aucun autre secteur économique n’est exposé. Le rôle de la puissance publique en France et en Europe est de les soutenir et de les protéger pour assurer notre sécurité.

Notre agriculture, c’est aussi 7 milliards d’excédents commerciaux pour la France. L’Argentine, la Nouvelle-Zélande, l’Australie, le Brésil, les Etats-Unis et la Chine font tout pour concurrencer nos producteurs : giga-fermes industrielles, normes sanitaires inférieures, subventions massives aux entreprises agrochimiques. On trouve déjà en supermarché des produits frais venus de Nouvelle-Zélande… Des milliers d’hectares agricoles et des dizaines de vignobles passent sous pavillon chinois. Ce serait une naïveté coupable que de baisser la garde dans un tel contexte.

Notre agriculture, enfin, ce sont des missions que l’on ne peut monétiser : valorisation du monde rural, sauvegarde et entretien des paysages, aménagement de nos territoires dans une cohérence entre activité économique et géographie, que nous appelons, en France, le terroir – un mot qui n’a d’équivalent dans aucune autre langue.

En 2016, le revenu moyen des agriculteurs est inférieur au Smic pour 54 heures travaillées par semaine

Maintien des budgets, des droits de douane et vigilance sur les négociation d’accords de libre-échange

Pour permettre à nos agriculteurs de survivre et de faire rayonner encore longtemps les savoir-faire qu’ils représentent, nous exigeons un maintien du budget de la PAC ; un maintien des droits de douane qui protègent notre marché, et de la préférence européenne qui expriment notre exigence de sécurité alimentaire et de responsabilité écologique ; et une vigilance absolue sur toute future négociation d’accords de libre-échange.

Bien sûr, les aides publiques doivent être mieux orientées ; les agriculteurs doivent pouvoir vivre dignement de leur travail : en 2016, leur revenu moyen est inférieur au Smic pour 54 heures travaillées par semaine. Dans les négociations commerciales, ils font face à des distributeurs et des industriels peu nombreux, davantage en mesure d’imposer leurs conditions, alors que le monde agricole reste très atomisé et peine à se structurer de manière suffisante, ou en est même empêché.

A cela s’ajoutent des normes toujours plus complexes, décidées bien loin des réalités locales, aboutissant à des absurdités réglementaires, et la gestion administrative calamiteuse des aides européennes par l’État français : travailleurs acharnés, défenseurs de la diversité et de la richesse de nos terroirs, les agriculteurs n’ont pas de temps à dédier à des procédures toujours plus lourdes.

Grâce notamment au travail persévérant des eurodéputés LR sur ces sujets, des réorientations nécessaires sont déjà achevées ou en cours : réforme du droit de la concurrence et de l’organisation agricole, création d’un cadre européen de lutte contre les pratiques commerciales déloyales, avancées sur les outils de lutte contre la volatilité des prix, mise en place d’outils de soutien des filières agricoles, et enfin simplification de la PAC.

La sécurité alimentaire, l’aménagement de notre territoire et la transition écologique

A partir de mai prochain, nous nous engageons à maintenir cette exigence et à porter une réforme ambitieuse de la PAC, pour permettre demain le renouvellement des générations et l’installation des jeunes agriculteurs, défendre un équilibre entre le développement économique et la transition écologique du secteur agricole ; ou encore mettre en place des outils permanents de protection et de gestion des crises.

La politique agricole commune avait permis de combattre efficacement la pénurie alimentaire et de moderniser le secteur agricole : ce fut un des grands succès économiques et politiques de l’histoire de l’Europe. Il n’y a pas de fatalité à sa dégradation. Sur ce sujet, nous ne croyons ni à une renationalisation illusoire, qui nous laisserait isolés dans un marché morcelé ; ni à une ouverture aveugle, qui abandonnerait ce pan essentiel de notre économie, de notre modèle social et de notre mode de vie à une concurrence mondiale faussée et très éloignée de notre exigence environnementale.

La sécurité alimentaire, l’aménagement de notre territoire et la transition écologique, qui sont des conditions essentielles de notre avenir, passent d’abord par ce chemin.

 

« La distorsion de concurrence n’est plus tenable pour nos agriculteurs »

 

"La distorsion de concurrence n'est plus tenable pour nos agriculteurs" FX Bellamy sur Franceinfo (06.04.19)

Nous proposons une barrière écologique, qui impose nos standards écologiques à tout produit entrant sur notre territoire.

Publiée par François-Xavier Bellamy sur Lundi 8 avril 2019

 

« Je regrette qu’on ne parle de l’agriculture que pour parler des pesticides. »

 

« Alstom, la France, l’Europe » (tribune)

Tribune co-signée par Agnès Evren, Arnaud Danjean et François-Xavier Bellamy, initialement parue dans l’Opinion en février 2019.

Après plusieurs mois de négociations, la Commission européenne a rejeté la fusion entre les deux champions du ferroviaire, le français Alstom et l’allemand Siemens. Ce rejet n’est pas seulement un échec pour le gouvernement ; il est aussi le symptôme d’une politique de concurrence européenne devenue inadaptée aux défis industriels d’aujourd’hui.

« Aucun dogme ne doit nous conduire à affaiblir nos entreprises sur des marchés mondiaux. »

Alstom, c’est d’abord le symbole d’une faillite, celle de la politique industrielle de François Hollande et d’Emmanuel Macron. Alors qu’en 2004 Nicolas Sarkozy avait réussi à sauver ce fleuron français, en faisant entrer l’Etat à son capital, le groupe a été vendu à la découpe sous les quinquennats suivants. La branche énergie a été cédée à l’américain General Electric en 2014, alors même qu’une proposition industrielle avec l’allemand Siemens et profitable pour Alstom était sur la table ; et en 2017, le projet d’une fusion entre égaux de sa branche transport avec Siemens s’est discrètement transformé durant les négociations en prise de contrôle de Siemens sur Alstom. Le gouvernement aurait dû montrer plus de fermeté et s’engager au capital du nouvel ensemble comme il en avait la possibilité, pour éviter ce déséquilibre dangereux pour notre politique industrielle.

Pourtant, il est bien sûr indispensable de pouvoir construire une alliance solide sur le ferroviaire afin de s’adapter au nouveau contexte de l’économie mondiale. Notre droit de la concurrence a été conçu pour éviter la constitution d’un acteur dominant sur le marché intérieur européen. La concurrence est bien sûr utile quand une saine compétition conduit les entreprises à produire mieux et au prix le plus juste ; mais aucun dogme ne doit nous conduire à affaiblir nos entreprises sur des marchés mondiaux. C’est aussi la Commission qui avait conduit à privilégier une cession de la branche « énergie » à GE plutôt qu’une fusion avec Siemens en 2014, pourtant plus favorable à nos intérêts stratégiques nationaux et européens, puisqu’elle aurait permis alors de faire émerger un champion européen allemand côté énergie et un champion européen français côté ferroviaire. Désormais, c’est une entreprise américaine qui produit les turbines à vapeur de nos centrales nucléaires…

On ne peut pas d’un côté empêcher la constitution de champions européens au nom de la concurrence, et de l’autre laisser entrer les champions extra-européens au nom de l’ouverture commerciale. Une vision naïve de la mondialisation condamne à terme nos entreprises et nos emplois

« Cette nouvelle donne fait peser une menace existentielle sur l’économie européenne. »

Acteurs mondiaux. Le droit de la concurrence européen a été écrit pour un monde désormais révolu, dans lequel la compétition se jouait essentiellement au sein de la sphère occidentale où les règles étaient globalement partagées. Aujourd’hui, nos entreprises sont en concurrence avec des acteurs de niveau mondial, en particulier chinois et américains, soutenus par des Etats interventionnistes, qui se développent sur des marchés fermés et peuvent assez librement accéder à notre marché intérieur. Cette nouvelle donne fait peser une menace existentielle sur l’économie européenne. Dans ce contexte, il devient chaque jour plus évident que l’articulation entre la politique de la concurrence et la politique commerciale de l’Union européenne n’est plus adaptée : on ne peut pas d’un côté empêcher la constitution de champions européens au nom de la concurrence, et de l’autre laisser entrer les champions extra-européens au nom de l’ouverture commerciale. Une vision naïve de la mondialisation condamne à terme nos entreprises et nos emplois.

Il faut réagir vite, pour éviter de laisser l’industrie européenne subir encore de nouvelles défaites… Ce n’est pas tant la Commission qui est en cause, puisqu’elle a pour mission d’arbitrer en respectant le droit actuel, que le droit européen lui-même. Le prochain mandat européen sera donc décisif pour retrouver une vraie politique de la concurrence, qui puisse servir efficacement notre rayonnement économique. Deux réponses différentes doivent être apportées : dans les secteurs où le marché est mondial, il faut assouplir notre politique de concurrence, tandis que dans les secteurs où les marchés sont davantage régionaux, il faut rendre plus restrictive notre politique commerciale.

Ce n’est pas seulement une question industrielle ; il nous faut une vision stratégique pour mieux configurer l’avenir de la mondialisation, et garantir qu’elle ne sera pas l’occasion de notre sortie de l’histoire

Ce n’est pas seulement une question industrielle ; il nous faut une vision stratégique pour mieux configurer l’avenir de la mondialisation, et garantir qu’elle ne sera pas l’occasion de notre sortie de l’histoire. Un autre projet de société pour l’Europe est possible : redonner toute sa place à l’échange local et régional, afin que les individus puissent se réapproprier leur destin ; faire davantage coïncider la production et la consommation au sein de notre marché commun pour que mondialisation cesse de rimer avec délocalisation et désastre écologique ; focaliser le libre-échange sur les secteurs où les marchés sont à l’évidence mondiaux, afin de rester en pointe dans la compétition internationale.

Rompre avec la naïveté

Il y a urgence. Notre campagne européenne, nous l’avons commencée à Belfort : l’annonce récente du PDG américain de General Electric de supprimer 470 postes en France menace 146 emplois dans cette seule ville. Or l’industrie représente beaucoup plus qu’une activité économique : c’est aussi la transmission de savoir-faire, un patrimoine et une excellence française, une fierté partagée par ceux qui la font vivre, et toute une structuration de la vie sociale et locale. L’échec du gouvernement sur ce dossier menace encore un peu plus ce tissu fragilisé, qui a fait la force de la France. Nous avons besoin de l’Europe pour le reconstruire et le faire rayonner encore longtemps dans le monde ; mais si nous ne savons pas rompre avec cette dramatique naïveté, le projet européen restera durablement discrédité.

Renouer avec une Europe pragmatique et efficace

Entretien paru dans Nice Matin, février 2019. Propos reccueillis par Thierry Prudhon.

Vous avez dénoncé dans votre livre Demeure le bougisme, la dictature du mouvement à tout prix. C’est un grand écart de vous retrouver désormais dans la lessiveuse d’une campagne…

Justement, ce que j’ai voulu dire tout au long de mes écrits, c’est que nous avons besoin de retrouver un cap, un sens. Dans cette campagne, le plus important est de pouvoir parler ensemble de l’Europe que nous voulons. Notre but, c’est de transformer l’Europe en profondeur pour pouvoir la sauver, en déterminant ce qui en elle est nécessaire à notre avenir collectif.

[…]

Ce qui compte pour nous, c’est de renouer avec une Europe pragmatique et efficace, dans un moment de l’histoire où nous avons plus que jamais besoin que le projet européen soit au service des citoyens, en les protégeant contre les flux migratoires, une mondialisation débridée, ou encore une guerre commerciale dont nous serons les victimes si nous ne savons pas nous unir.

On a un peu l’impression que toutes les listes disent la même chose : l’Europe oui, mais une Europe qui redonne aux nations plus de souveraineté. Qu’est-ce qui vous distingue de vos concurrents ?

Ce qui est important, c’est de bien comprendre la cohérence des visions proposées lors de cette élection. Le Rassemblement national, comme Nicolas Dupont-Aignan, a toujours prôné la déconstruction de l’alliance européenne. Avec l’idée de retrouver la souveraineté monétaire, le Rassemblement national veut sortir de l’euro et on sait ce qu’il adviendrait si cela se faisait, il suffit de considérer les difficultés générées par le Brexit…

Sauf que le RN ne parle plus du tout d’abandonner l’euro…

Mais il continue à défendre l’idée d’une souveraineté monétaire, qui suppose nécessairement une sortie de l’euro. Ou alors c’est que son projet relève d’un « en même temps » qui ne pourra que décevoir. Nous, nous croyons à l’Europe. Mais, contrairement à ceux qui aspirent à une forme de fédéralisme renforcé, nous croyons à une Europe qui permette concrètement de mutualiser ce que nous devons faire en commun pour nous renforcer. Aujourd’hui, l’Europe nous fragilise trop souvent. Je pense notamment à la question fiscale, avec les Gafa qui utilisent la fiscalité européenne pour éviter de payer des impôts en France. L’Europe nous fragilise aussi lorsqu’elle ne sait pas défendre ses frontières contre les flux migratoires. Nous voulons au contraire une Europe qui renforce chacun des Etats, en mettant en commun des coopérations efficaces pour peser vraiment dans la mondialisation.

Concrètement, sur quels sujets ?

Par exemple sur la défense. Le président de la République a réaffirmé qu’il souhaitait se diriger vers une armée européenne. Nous considérons que c’est une aberration, car une telle idée ne peut pas fonctionner. C’est un rêve inefficace, qui ne peut être en outre véritablement démocratique. Nous croyons, au contraire, qu’il faut renforcer nos coopérations militaires. Notamment pour protéger les frontières européennes, avec une véritable flotte en Méditerranée pour lutter contre les trafics d’êtres humains qui prospèrent sur notre faiblesse.

Que proposez-vous concernant les travailleurs détachés ?

Nous avancerons au fur et à mesure de la campagne dans nos propositions. Ce qui est certain, c’est que nous ne pouvons plus laisser nos emplois être fragilisés par le dumping social organisé en Europe. Cela dit, il faut aussi que la France prenne sa part de responsabilité. Les gouvernants ont trop longtemps désigné l’Europe comme étant coupable de tous nos échecs, alors qu’en réalité d’autres pays européens sont plus efficaces dans la lutte contre le chômage, avec pourtant les mêmes règles. C’est aussi parce que nous n’avons pas su nous réformer, que les charges sur le travail sont très lourdes, que nos entreprises sont fragilisées. Il y a donc un travail à effectuer en Europe contre la concurrence déloyale, mais aussi en France pour réformer notre Etat et améliorer l’efficacité de la dépense publique.

L’Europe telle que vous la concevez est-elle celle à vingt-sept une fois la Grande-Bretagne sortie, ou plutôt une Europe étagée, à plusieurs niveaux ?

Nous voulons refonder l’Europe telle qu’elle est. Mais on peut imaginer des coopérations renforcées avec certains Etats sur des questions très concrètes, par exemple la question migratoire autour de la Méditerranée. Il ne peut y avoir de nouvel élargissement, contrairement au souhait d’Emmanuel Macron. Nous, nous nous engageons sur ce point, si nous sommes élus, il n’y aura aucun élargissement dans les cinq ans qui viennent, car ce serait fragiliser encore une Europe qui a besoin de se réformer, qui ne sait plus aujourd’hui décider efficacement et qui n’a pas su gérer les conséquences des derniers élargissements. Il faut prendre ce temps de refondation et cela suppose de clore la dynamique de l’élargissement, sans quoi nous risquons d’être définitivement paralysés. Notre but principal est, je le redis, celui d’une Europe plus efficace au service des citoyens.

Si le problème n’était pas réglé d’ici là, quelle serait votre position sur le processus de sortie de la Grande-Bretagne ?

Nous n’avons rien à gagner à ce que la Grande-Bretagne s’enfonce dans la crise. Le processus de négociation mené par Michel Barnier a fait l’unanimité dans les pays européens et les Anglais eux-mêmes en ont reconnu la qualité. Il faut maintenant qu’il aboutisse au plus vite. Nous avons besoin que les Anglais donnent une réponse claire afin que nous puissions avancer. C’est la vie de millions de citoyens britanniques mais aussi français qui est en jeu.

Ceux qui espèrent voir se construire une Europe plus lucide, plus réaliste, plus efficace.

Entretien paru dans Le Parisien, janvier 2019. Propos reccueillis par Alexandre Sulzer et Quentin Laurent.

Extraits :

Pourquoi voter pour vous plus que pour Emmanuel Macron ou Marine Le Pen ?

Il y a d’un côté une tentation de déni, la volonté de poursuivre dans la voie d’une Europe déconnectée de la réalité des peuples : c’est ce que je vois dans le projet d’Emmanuel Macron. Et il y a, par ailleurs, une tentation de la déconstruction, qui traverse aujourd’hui le Rassemblement national ou Debout la France, la volonté de faire croire aux Français qu’on pourrait s’en sortir seuls, une promesse que je crois dangereuse dans le monde qui se dessine.

Vous avez dit que la nation est le seul cadre dans lequel s’exprime la souveraineté des peuples. Êtes-vous souverainiste ?

Le terme de souverainisme est réducteur. Je crois à une chose fondamentale : la démocratie suppose un peuple, et elle s’effectue donc à l’échelle nationale. Je ne crois pas que l’Europe puisse être le lieu d’un exercice démocratique unifié, parce qu’il n’y a pas de peuple européen. La belle singularité de l’Europe, c’est la construction d’une alliance de démocraties.

Quelles propositions concrètes allez vous porter dans la campagne ?

Prenons la question migratoire. Il serait irréaliste de croire que nous allons pouvoir défendre nos frontières si, entre Européens, nous nous isolons les uns des autres. Nous avons besoin de protections. Nous pourrions augmenter les moyens consacrés à Frontex (NDLR : agence européenne de contrôle des frontières) pour répondre concrètement à ce défi migratoire.

Vous avez un autre exemple ?

Nous pourrions, par souci écologique, mettre en œuvre une taxe carbone à l’extérieur de nos frontières européennes sur les importations. Nous ferions payer ceux qui font des bénéfices chez nous et qui ne respectent pas les normes environnementales que nous imposons à nos propres entreprises. Une autre piste qui me tient à cœur est la question de la transmission de la culture. Pourquoi ne pas construire une Europe du patrimoine, en consacrant une partie du budget de l’UE à la protection et valorisation du patrimoine européen ? Il faut en tous les cas renouer avec une Europe des projets et de l’efficacité concrète, qui nous permette de rayonner de nouveau.

A Strasbourg, auriez-vous voté en faveur des traités de libre-échange avec les Etats-Unis ou le Canada (Ceta, Tafta) ?

Dans leur état actuel, non, parce qu’ils sont le signe d’une forme de naïveté de la part de nos gouvernants. Ces accords ne permettent pas d’obtenir une réciprocité qui serait l’équilibre élémentaire pour pouvoir défendre l’intérêt de nos entreprises.

La droite n’a pas toujours porté ce discours. Vous vous définissez comme le candidat de la droite, de LR, du conservatisme ?

Le mot de conservatisme n’exprime pas les défis devant lesquels nous nous trouvons. Je suis le candidat de tous ceux qui espèrent voir se construire une Europe plus lucide, plus réaliste, plus efficace. Face au fédéralisme défendu par Emmanuel Macron, beaucoup d’électeurs qui ont voté à gauche pendant très longtemps se reconnaîtront peut-être dans ce qu’on a à proposer : une Europe qui permet de nouveau de ne plus subir la mondialisation.

La droite européenne (PPE) est partagée entre plusieurs sensibilités : vous sentez-vous plus proche d’Angela Merkel ou de Viktor Orban ?

Si on y regarde bien, la distance n’est pas si grande. Il y a des choses qui peuvent me heurter dans la façon dont Viktor Orban mène sa politique en Hongrie aujourd’hui. Mais il est membre du PPE depuis toujours, son opposition n’est pas la gauche mais l’extrême droite. Dans la volonté de créer un affrontement inutile, il me semble qu’il y a plus à perdre qu’à gagner pour la construction européenne.

Vous êtes prof de philo… une phrase d’un philosophe pour résumer votre campagne ?

Cette très belle citation de Max Weber : « Il est parfaitement exact de dire, et toute l’expérience historique le confirme, que l’on n’aurait jamais pu atteindre le possible si dans le monde on ne s’était pas toujours et sans cesse attaqué à l’impossible ».

Entretien avec Valeurs Actuelles à la suite de la parution de Demeure

Entretien paru dans Valeurs Actuelles, janvier 2019. Propos reccueillis par Laurent Dandrieu, Anne-Laure Debaecker, Mickael Fonton, Geoffroy Lejeune et Charlotte d’Ornellas.

Votre livre Demeure s’insurge contre l’obsession du mouvement qui caractérise selon vous la modernité. Pourquoi cette obsession est-elle devenue la loi de nos sociétés ?

Traditionnellement, la modernité est définie comme le règne de la rationalité qui s’émancipe du poids des coutumes et des traditions. Il me semble qu’elle est aussi le moment de l’histoire qui a vu le triomphe de l’idée de mouvement, en tranchant de manière radicale le débat consubstantiel à la civilisation européenne, le dialogue entre Parménide et Héraclite : d’un côté Héraclite, qui affirme que tout est mobile et que, malgré ce qui semble demeurer, toute identité est une illusion ; de l’autre Parménide, qui croit à la stabilité de l’être que la pensée peut rejoindre. Désormais, le monde occidental assume radicalement le monde héraclitéen, le monde du flux, du changement ; et la modernité ne fait pas que constater le changement, elle en fait une loi, au sens prescriptif : « Il faut être absolument moderne », dit Rimbaud. Quand le vocabulaire contemporain dit d’une chose qu’elle est moderne, il dit non seulement qu’elle est récente, mais aussi qu’elle est bonne parce que récente.

On a l’impression que l’injonction se fait de plus en plus pressante… Pourquoi ?

La modernité a mis du temps à déployer ses ultimes conséquences, tant que le consensus religieux guidait encore les hommes vers une patrie éternelle ; quand il a été remplacé par les grandes idéologies, restait encore un point d’arrivée : nazisme et communisme voulaient rapatrier sur la terre la promesse du paradis. Mais depuis la chute du mur de Berlin, nous vivons la modernité absolue, c’est-à-dire le mouvement pour le mouvement, qui n’a plus de point d’arrivée imaginable. Or un mouvement qui ne nous dirige pas quelque part n’a plus aucun sens. D’où cette crise de sens que tant de nos contemporains expriment aujourd’hui – à commencer par les “gilets jaunes”.

« Ne demeure jamais » , édicte le Gide des Nourritures terrestres, que vous critiquez dans votre livre. Pourquoi, au contraire, est-il important de demeurer ? Ne risque-t-on pas la sclérose ?

Ce n’est qu’après avoir publié mon livre que j’ai su que les Nourritures terrestres figuraient sur la photo officielle de Macron : c’est incroyable ! C’est très étonnant, cette injonction : « Dès qu’un environ a pris ta ressemblance, […] il te faut le quitter. » Il ne faut pas que quoi que ce soit puisse nous devenir familier. « Familles, je vous hais », dit Gide en un mot célèbre : il faut haïr le familier, le semblable, détester le particulier qui prend pour nous valeur d’attachement singulier. Je crois au contraire qu’il est absolument nécessaire de demeurer. Aller vers l’universel suppose la médiation du particulier, d’une identité, d’une langue, d’une culture particulières ; de la même manière, habiter le monde suppose d’abord d’habiter un lieu particulier et de se reconnaître de ce lieu familier à partir duquel le monde prend un sens.

Demeurer, c’est le contraire de migrer ?

L’apparition du mot “migrant” est en soi symptomatique ! En réalité, il n’y a pas de migrants ; il n’y a pas d’hommes dont la condition soit de migrer, d’être en déplacement : il n’y a que des émigrants qui sont aussi des immigrants, c’est-à-dire des gens qui quittent leur lieu familier et qui arrivent dans un ailleurs qui leur est étranger. Par un authentique souci de la dignité humaine, on devrait se battre pour le premier droit de toute personne, qui n’est pas d’être accueillie chez nous mais d’habiter chez elle. Le bonheur de l’homme n’est pas dans le fait d’être accueilli loin de chez lui quand il a été arraché à sa demeure – mais dans le fait de pouvoir habiter sa demeure.

Que devient la vertu d’accueil, alors ?

La demeure est aussi la possibilité de l’accueil : il n’y a pas d’accueil possible sans les quatre murs d’une maison, qui sont la condition de toute hospitalité. Vouloir détruire les murs et nous demander d’accueillir, c’est une étonnante injonction paradoxale ! Demeurer ne signifie pas s’enfermer ; c’est même la condition de l’aventure, du voyage, de la découverte d’un ailleurs. S’il n’y a pas de différence entre un monde familier et l’étrangeté d’un d’ailleurs, il n’y a plus d’aventure possible. La négation de la demeure amoindrit la possibilité de l’aventure humaine.

Si le nom de Macron n’est pas cité, il y a dans le livre beaucoup de piques contre le macronisme. Constitue-t-il par essence un “bougisme” ?

Dans quelques décennies, on se demandera avec étonnement comment on a pu inventer ce slogan incroyable : “En marche! ” Le propre d’un “marcheur”, au sens politique du terme, c’est qu’il a épousé la marche comme étant sa cause. Mais tout marcheur sensé sait que la marche a un sens parce qu’elle se dirige vers un point fixe, vers lequel il progresse.

Ce n’est pas seulement un trait du macronisme. L’inventaire des slogans électoraux des cinquante dernières années témoigne de cette fascination collective de nos élites pour le mouvement : “Le changement, c’est maintenant” de Hollande, “l’homme nouveau” que voulait incarner Chirac, le “changer la vie” de Mitterrand… Si Macron a eu une intuition forte, elle a été de comprendre que c’était le cœur de ce qui réunissait bien des élites françaises. Il a proposé une sorte de cristallisation de ce dogme commun pour asphyxier tous les clivages. Car, si le but c’est de tout changer, si l’avenir est bon par lui-même, la politique n’a plus de sens puisque le débat est déjà tranché. Le progressisme n’est pas une politique, c’est une défaite de la politique, puisqu’il consiste à consentir d’avance à tout ce qui va advenir : la politique est devenue une pure administration managériale de la conduite du changement.

Dans votre livre, vous reprenez l’analyse de David Goodhart sur l’opposition entre les Somewhere et les Anywhere (les gens de quelque part et les gens de n’importe où), qu’il a récemment appliquée à la révolte des “gilets jaunes”. Cela vous paraît-il pertinent ?

Bien sûr. Cette révolte des “gilets jaunes” marque la crise profonde de notre vie politique. Elle est le signe que la politique ne parvient plus à construire une vision du monde qui puisse réunir des citoyens quel que soit leur milieu social : elle est devenue le lieu d’affrontement entre ceux auxquels le mouvement du monde bénéficie et qui n’ont d’autre but que de s’y plonger avec délices, et ceux qui n’arrivent pas à suivre le rythme de la course et ont compris que le nouveau monde les condamne à mourir.

Cette révolte matérielle est-elle aussi une révolte du sens ?

Derrière les revendications matérielles, je vois un problème essentiel, celui de la relation au travail et à la vie. Qu’on soit ouvrier, caissière ou journaliste, nous sommes très nombreux à vivre douloureusement le fait que l’accélération qui nous est imposée nous oblige à tout faire trop vite et trop mal, et d’autre part à vivre dans une forme de précarité essentielle : notre métier est toujours supposé se voir remplacé demain… Ce que nos dirigeants appellent “transformation”, c’est pour le travailleur, l’angoisse de cette « strangulation » dont parle Péguy.

Le travail de l’artisan, Marx l’avait bien compris, est aussi un lieu d’émancipation et de liberté. Il est devenu une forme de servitude radicale du fait de cette marche du monde à laquelle on est sommé de s’adapter sans arrêt. Je crois que les “gilets jaunes” crient aussi cela, comme cette infirmière qui, chez David Pujadas, se plaignait moins de son faible salaire que du rythme qui l’obligeait à faire son boulot n’importe comment, de sorte qu’il finit par ne plus rien y avoir d’humain, même dans un métier comme celui-là.

Nous sommes dans une période où tout semble menacé, tout ce qui fait en tout cas les conditions de notre survie et d’une vie qui soit humaine : ce sont les écosystèmes naturels dévastés par l’irresponsabilité de nos calculs marchands, mais aussi les écosystèmes culturels déséquilibrés par la déconstruction de l’héritage, le déni de l’identité, le refus de la transmission… Il est urgent d’ajuster en profondeur notre regard sur l’activité politique elle-même : à la fin de leur mandat, on ne devrait pas évaluer nos gouvernants sur ce qu’ils ont pu changer mais sur ce qu’ils ont pu sauver.

On parle souvent de la colère du peuple contre les élites, mais vous dites que la modernité serait plutôt la colère des élites contre le peuple qui refuse cette injonction de mouvement. Est-ce ainsi que s’expliquent les irritations récurrentes de Macron contre le « Gaulois réfractaire » ?

Bien sûr ! Au XIXe siècle, quand les ouvriers se révoltaient, les élites opposaient une résistance fondée sur des oppositions d’intérêt, mais on ne pouvait que reconnaître la légitimité de ces causes : interdire le travail des enfants, préserver le dimanche chômé, lutter contre la misère… Aujourd’hui, ceux qui résistent aux revendications des classes populaires ont leur bonne conscience pour eux. Le peuple prend désormais la figure du “salaud” qui veut “fumer des clopes et rouler au diesel”. Non seulement ils sont précaires et malheureux, mais en plus ils ont tort !

Alors que c’est habituellement le conservatisme que l’on décrit comme une passion triste, vous opérez un joli retournement en accusant l’optimisme progressiste de nihilisme et en y voyant « une forme de ressentiment »…

Considérer que l’avenir sera forcément mieux que le présent, c’est le symptôme, en fait, d’une dépression très profonde ; si vous demandez à quelqu’un comment il va et qu’il répond que “ça ne pourra qu’aller mieux demain”, vous vous dites qu’il va vraiment très mal ! Dire “demain sera forcément mieux qu’aujourd’hui”, c’est avouer une forme de détestation structurelle du présent, dont il ne faut surtout pas croire qu’elle sera comblée un jour : ce qui est à venir sera un jour présent et donc dépassé par un autre avenir potentiel ! Il y a dans la passion du mouvement une frustration structurelle, consubstantielle à l’optimisme dogmatique que le progressisme propose.

Le culte du mouvement a entraîné le règne du marché. Comment sortir de ce primat de l’économisme ?

Comme pour le mouvement, il ne s’agit pas de condamner le marché mais de le sauver de son propre triomphe. Car ce qui donne un sens au marché est ce qui lui est extérieur, ce qui ne se marchande pas, le caractère unique et singulier de ce à quoi nous tenons. Gagner de l’argent n’est pas un mal en soi, c’est un bien si cela nous permet de servir quelque chose que l’argent ne permet pas d’acheter, comme construire sa demeure et faire vivre son foyer. Dans un monde où tout se marchande, y compris la dignité humaine, le corps humain, les enfants, où Tinder vous trouve un partenaire et Gleeden quelqu’un pour tromper votre partenaire, le marché n’a plus aucun sens ; il est même l’occasion de la destruction de tout ce qui peut avoir du sens. Il est urgent de sauver l’activité économique de cette crise de sens qui la traverse. C’est la condition pour sauver aussi l’attachement même à la liberté : ce qui nous fait haïr le libéralisme aujourd’hui, ce sont les folies d’un marché débridé.

Emmanuel Macron essaie aujourd’hui de polariser le débat sur le clivage entre progressisme et nationalisme ou populisme…

Il est incroyable qu’on ait réussi à faire de l’idée de nation une idée coupable ; et la formule si souvent répétée qui voudrait que le nationalisme implique la détestation de l’autre n’a littéralement aucune espèce de sens. Je ne crois pas qu’il y ait en France un seul responsable politique qui ait pour discours la haine des pays voisins, la volonté de les envahir ou de les dominer. C’est absurde, comme l’idée que le débat se focalise sur l’opposition entre ceux qui veulent “aller de l’avant” et ceux qui veulent “revenir en arrière”. En m’opposant à la GPA, je ne m’oppose pas à un progrès, mais à une régression absolue : on va se remettre à vendre des êtres humains, comme à l’époque de l’esclavage. C’est un gigantesque retour en arrière, et ceux qui s’opposent à ces pratiques aspirent au contraire à ce que nous repartions de l’avant, vers le bien, la justice, la vérité, ces buts qui ne changent pas et qui devraient constituer nos seules aspirations.

Admettez-vous qu’on vous classe à droite ?

Je ne suis pas sûr que nous soyons nombreux à nous reconnaître dans la définition totalement “économiciste” que la droite a parfois donnée d’elle-même. Elle a fini par apparaître comme un syndicat de défense des privilégiés ; évidemment, je ne me reconnais pas dans cette idée-là de la droite. J’avais intitulé mon premier livre les Déshérités pour répondre aux Héritiers de Bourdieu, mais aussi parce que ça correspondait à ce qui fait pour moi tout le sens de l’engagement : tenter d’apporter aux plus fragiles, aux plus vulnérables, aux plus défavorisés ce dont ils ont besoin pour trouver leur place dans la vie sociale et pour pouvoir partager la culture commune dont ils sont les héritiers légitimes. Sur les questions d’éducation, la droite a longtemps défendu l’élitisme et l’excellence, et elle avait raison de le faire ; mais elle aurait dû donner tout son sens à ce désir d’excellence en le replaçant dans un combat au service des plus déshérités. Le défi est aujourd’hui de rejoindre ceux qui ne se sont jamais reconnus dans la caricature que la droite présentait d’elle-même, et qui avaient de bonnes raisons de ne pas s’y reconnaître.

Le clivage gauche-droite est en train de redevenir ce qu’il était avant le marxisme : être contre le marxisme supposait de défendre l’économie libre, et le débat s’est polarisé sur ces questions. Mais le mur de Berlin s’est effondré et nous pouvons revenir à un débat vraiment politique, qui nous reconduit au clivage gauche-droite originaire : est-ce que quelque chose nous précède, ou est-ce que le monde est infiniment plastique et doit être soumis à l’arbitraire de nos décisions politiques ? De ce point de vue-là, je me sens totalement de droite ; mais d’une droite qui inclut l’écologie, le service des plus modestes, qui sait que la prudence est la condition de la qualité de la décision politique, qui sait qu’une société, pour durer, a besoin d’une culture commune – bref d’une droite qui n’est pas seulement fascinée par les courbes de croissance.

Pour reconstruire la droite, faut-il chercher une troisième voie entre populisme et progressisme, ou bien travailler au rassemblement de toutes les droites ?

Ce mot de populisme est un piège, un concept flou qui ne sert qu’à disqualifier. Ce qui est sûr, c’est que je déteste la démagogie, d’où qu’elle vienne : il y a parfois une forme de populisme assumé des élites. Le débat politique actuel est stérilisé par cet affrontement, volontairement entretenu par les deux camps concernés : pour Emmanuel Macron, c’est “moi ou le chaos” et, pour Marine Le Pen, c’est “moi ou Emmanuel Macron”. L’offre politique existante fonctionne plutôt selon une logique de rejets réciproques que pour proposer une vision nouvelle qui puisse nous faire adhérer aux choix courageux dont la France a besoin. Voilà qui nous oblige à être imaginatifs ; mais je ne crois pas à l’union des droites comme alliance d’appareils.

On parle de vous comme tête de liste LR aux européennes. Si l’offre vous est effectivement faite, l’accepterez-vous, et à quelles conditions ?

Je n’ai rien demandé, et je n’attends rien ; si la proposition m’est faite, je n’irai qu’à une condition, qui est de pouvoir apporter un vrai renouvellement. Il n’est plus possible de se contenter de répéter ce que la droite a fait jusque-là. Si je relevais ce défi, ce serait pour contribuer, à mon humble mesure, à porter une proposition qui puisse attirer largement. Aujourd’hui – on le voit à travers le mouvement des “gilets jaunes” – il y a un vide politique inquiétant qu’il faut transformer en espace politique, afin d’apporter le projet dont la France a besoin pour ne serait-ce que simplement survivre.

Battu d’une courte tête par un “marcheur” aux législatives en 2017, on aurait pu vous imaginer vacciné de l’engagement partisan : pourquoi se lancer dans cette entreprise à haut risque ?

Parce que j’ai le sentiment inquiet que bien des choses auxquelles nous tenons sont sur le point de se défaire ; et empêcher que le monde se défasse passe par le travail intellectuel, par bien des initiatives concrètes, mais aussi, qu’on le veuille ou non, par l’action politique.

Des amis qui veulent me protéger de la politique me disent qu’il serait beaucoup mieux de continuer à écrire des livres ; mais, si vous avez devant vous une vraie occasion d’agir et que vous la refusez, alors il me semble que vous perdez le droit d’écrire ou de juger. Comment serait-on légitime à critiquer nos erreurs collectives quand on a refusé de se risquer pour tenter de les éviter ?

Marion Maréchal a salué l’éventualité de votre candidature en suggérant qu’elle facilitait la perspective d’alliances…

Pour ma part, je ne crois pas du tout à cette logique d’alliances électorales, seulement au travail de fond qui peut seul susciter la confiance et l’adhésion. Emmanuel Macron n’a pas commencé en négociant l’alliance du MoDem et du PS ! Il a créé une dynamique et les électeurs se sont agrégés autour de lui.

Je n’ai aucune réprobation morale pour quelque électeur que ce soit ; chacun fait son choix en conscience. Mais moi qui aspire à voir la France se reconstruire et sortir des logiques qui ont causé sa fragilité actuelle, je constate que le Front national, pendant des décennies, n’a eu pour effet que de stériliser les voix qui lui étaient confiées. L’enjeu de ce constat n’est pas de jeter l’anathème mais de mesurer l’obligation qui nous est faite de formuler une proposition qui puisse susciter l’adhésion d’une majorité.

Notre pays est traversé par une crise très profonde et nous n’y répondrons pas par des tactiques politiciennes. Si jamais ma candidature se confirme, j’irai aux élections européennes avec une vision que je voudrais forte, claire et libre.

Cette vision européenne, quelle sera-t-elle ?

Emmanuel Macron a choisi de défendre l’idée de la souveraineté européenne et donc de la disparition de la nation ; je crois au contraire que c’est en se reconnaissant d’une demeure particulière que l’on peut ensuite s’ouvrir aux autres. Il faut défendre une Europe dans laquelle les peuples retrouvent la maîtrise de leur destin, une Europe qui ne soit pas le signe de la dépossession définitive de notre capacité d’agir et de décider collectivement – une Europe de la coopération entre nos pays, au service de la défense de notre civilisation. Pour cela, il faut revoir en profondeur le fonctionnement des institutions européennes, et s’opposer à tout transfert de notre souveraineté à des échelles de décision qui ne sont pas responsables devant les citoyens. Tant que l’Union européenne sera instrumentalisée par ceux qui veulent la disparition des nations, seul cadre où s’exprime la souveraineté des peuples, elle sera jugée illégitime et le ressentiment à son égard ne fera que croître.

La participation de Sens commun à la campagne de François Fillon s’est soldée par une diabolisation très forte du courant conservateur. Ne craignez-vous pas de subir la même épreuve ?

Changer pour changer est absurde, mais conserver pour conserver l’est tout autant. Nous sommes dans une période de l’histoire qui impose paradoxalement un changement très profond pour pouvoir sauver ce qui doit l’être. Cette équation échappe en partie à la tradition intellectuelle du conservatisme, qui s’est élaborée dans un monde très différent du nôtre.

Cela suppose d’avoir l’intelligence de refondre notre vocabulaire. Non pas pour concéder quoi que ce soit sur le fond, mais pour faire comprendre à ceux qui nous écoutent que la cohérence de leurs propres convictions devrait les conduire à nous rejoindre, notamment sur l’écologie. La vision que nous proposons n’est probablement pas minoritaire, si nous savons mieux la défendre : d’ailleurs, au moment de la dernière élection présidentielle, ce n’est pas un projet qui a été disqualifié parce que trop conservateur, mais le candidat qui le portait, pour des raisons très éloignées des questions de fond. Bien sûr, quand on pense à contre-courant, on n’échappe jamais totalement à la diabolisation ; mais je crois qu’il ne faut pas s’y résoudre. La tentation est grande de préférer s’enorgueillir de la virulence des critiques plutôt que de faire l’effort nécessaire pour convaincre ; ne soyons pas les polémistes que nos adversaires attendent.

Vous n’êtes pas encore diabolisé, mais déjà présenté comme un philosophe catholique. Le craignez-vous ou l’assumez-vous ?

Je suis catholique, en effet, et je l’assume parfaitement. Mais l’un des grands dangers du débat serait de céder à une forme de communautarisme stérile. La vie intellectuelle et la vie politique n’ont pas pour but de défendre des valeurs relatives à une sensibilité parmi d’autres ; celui qui croit en ce qu’il dit ne s’exprime pas pour défendre sa chapelle mais pour partager ce qu’il pense pouvoir être utile à tous.

Je suis assez inquiet de voir le piège communautariste se refermer sur notre société ; le discours de Macron aux Bernardins nous pousse d’ailleurs dans cette direction. On peut être opposé à la PMA et la GPA, vouloir renouer avec la transmission, défendre la dignité des plus vulnérables et même reconnaître les racines chrétiennes de l’Europe sans forcément être chrétien. Ce qui nous anime, ce n’est pas de défendre une communauté parmi d’autres, c’est le sens du bien commun, et lui seul.