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Avec André Bercoff et les auditeurs de Sud Radio

Entretien avec André Bercoff

Accéder à l’intégrale (dont les questions-réponses avec les auditeurs)


Réponses aux auditeurs de Sud Radio

François-Xavier Bellamy répond à André Bercoff et aux auditeurs de Sud Radio

🎙️ Invité hier de Sud Radio, pour répondre aux questions d'André Bercoff et des auditeurs.

Publiée par François-Xavier Bellamy sur Jeudi 16 avril 2020

 

L’épidémie doit être l’occasion d’une prise de conscience.

Entretien avec Alexandre Devecchio, pour Le Figaro Magazine, disponible à ce lien.

LE FIGARO MAGAZINE – Votre dernier essai, paru il y a un an, s’intitulait Demeure, comme une invitation à échapper à l’ère du mouvement perpétuel. Pouviez-vous imaginer alors la France confinée?

Notre monde en mouvement avait pour vertus cardinales l’agilité, la vitesse, la rupture ; et soudain notre seul impératif devient : restez chez vous ! Je pourrais dire en souriant que nous sommes passés bien vite d’En marche à Demeure. Bien sûr, il est impossible de se réjouir d’une assignation à résidence généralisée, nécessaire pour éviter la propagation du virus, mais éprouvante pour beaucoup, et qui aura des conséquences économiques et sociales si graves…

La demeure n’implique pas le confinement, au contraire. Elle est le point de départ. Mais s’il faut tirer d’un mal un bien, il est vrai que cette période d’immobilité forcée peut nous offrir l’occasion d’échapper à l’agitation de nos vies : pour ceux d’entre nous que leur travail ne place pas en première ligne dans cette crise, ce temps suspendu permet d’habiter de nouveau, au lieu de passer sans cesse. Pour reprendre le titre d’un éditorial dans vos pages : Bienvenue chez vous !

Comment trouver un équilibre entre la nécessité d’aller de l’avant, l’impératif de croissance et le besoin de permanence et de protection ?

En écrivant Demeure, je voulais rappeler que la première mission du politique n’est pas de changer le monde, mais de le préserver – de protéger ce qui doit demeurer, ce que nous avons reçu d’essentiel et qui mérite d’être transmis : la vie humaine a pour condition des équilibres à la fois naturels et culturels fragiles et complexes. Dans leur obsession de changement, nos dirigeants rêvaient de remplacer l’Ancien Monde par un nouveau, comme si ce que nous avons reçu ne valait rien, comme si l’avenir ne pouvait être qu’un progrès.

De ce fait, nous avons ignoré que l’optimisme ne garantit rien, que la vie est essentiellement fragile, et que la première responsabilité politique n’est pas d’abord d’apporter du nouveau, mais de préserver l’essentiel – de garantir « que l’humanité soit », comme l’écrivait Hans Jonas. Je l’écrivais aussi dans Demeure : nous ne devrions pas juger nos responsables politiques sur ce qu’ils auront changé, mais d’abord sur ce qu’ils auront sauvé. Pour cela, il importe moins de rêver de ruptures que de « prendre soin »  de nos attachements – le mot nous est devenu familier dans ce moment où nous nous sentons de nouveau vulnérables: « Prenez soin de vous ! ».

Et le fantasme brutal de « transformer la société » montre alors sa vacuité. Quand il faut prendre soin les uns des autres, ce sont les liens sociaux les plus ancrés, les structures ancestrales – les liens familiaux, les solidarités locales, toutes les proximités tournées en dérision par le « Nouveau Monde » postmoderne et globalisé – ce sont ces liens qui servent de refuge, et retrouvent leur signification essentielle.

Nous ne devrions pas juger nos responsables politiques sur ce qu’ils auront changé, mais d’abord sur ce qu’ils auront sauvé.

Cette crise révèle-t-elle les limites du logiciel idéologique d’Emmanuel Macron, comme de la majorité des dirigeants occidentaux aujourd’hui ?

Il y a toujours eu des épidémies : en faire le reproche à Emmanuel Macron, ou au monde occidental, serait précisément tomber dans l’idéologie. Nos limites se trahissent plutôt dans notre incapacité à réagir face à une telle crise : d’abord parce que nos dirigeants ont oublié que l’histoire est faite de menaces. Nous avons cru à la fin de l’histoire, comme l’écrivait Fukuyama.

D’où, par exemple, le fait que nous ayons cessé d’entretenir un stock stratégique de matériels de protection. Où en serions-nous si, au lieu d’une épidémie, nous devions faire face à une guerre ? Nous sommes totalement dépendants des acteurs étrangers qui fournissent les produits dont nous avons besoin pour survivre… Et c’est surtout là que l’aveuglement de l’Occident se manifeste: pendant quelques décennies, nous avons ajusté nos décisions politiques à des calculs économiques.

Parce que l’Asie fabriquait moins cher, nous lui avons transféré le travail. La rentabilité immédiate a remplacé la stratégie de long terme. Et soudainement, dans ce moment de crise aiguë, nous prenons conscience des conséquences… Il nous arrive ce que Hegel avait décrit, dans la dialectique du maître et de l’esclave : le plus puissant fait travailler le plus faible à sa place. Il s’offre ainsi un loisir confortable, mais dangereux : car le maître dépend de ce que produit l’esclave.

Où en serions-nous si, au lieu d’une épidémie, nous devions faire face à une guerre ? […] La rentabilité immédiate a remplacé la stratégie de long terme.

Un jour, le maître devient l’esclave de l’esclave, et l’esclave est alors le maître du maître. La mondialisation a consisté à exploiter le différentiel de développement pour nous offrir pour moins cher le luxe d’une vie d’abondance. Aujourd’hui, les petites mains de l’atelier du monde en deviennent les nouveaux maîtres, et les avions chinois mettent leurs drapeaux aux fenêtres pour nous apporter les masques dont nous avons besoin pour survivre.

Vous êtes également député européen. L’Union européenne est beaucoup critiquée depuis le début de cette crise. Est-ce injuste?

Non. L’Union européenne s’est préoccupée pendant longtemps de construire un marché unique et d’y faire appliquer la concurrence la plus ouverte possible. En mettant nos entreprises, qui se voyaient imposer des normes de plus en plus complexes, en compétition avec des acteurs étrangers qui ne respectaient pas nos règles sociales, environnementales ou même concurrentielles, elle a contribué à cette mondialisation déséquilibrée.

L’Union européenne n’est pas seule responsable de notre déclin […]. Mais si nous sommes démunis pour faire face à cette épidémie, c’est en partie du fait d’un certain aveuglement européen.

Le dogme de la concurrence a empêché le développement de stratégies industrielles fortes dans des secteurs essentiels. L’Union européenne n’est pas seule responsable de notre déclin – d’autres pays européens proches de nous sont capables de continuer à produire et à exporter. Mais si nous sommes démunis pour faire face à cette épidémie, c’est en partie du fait d’un certain aveuglement européen. Et l’impuissance à laquelle nous nous sommes condamnés rend ensuite presque impossible une solidarité effective entre nos pays devant l’épidémie, exactement comme face à la crise migratoire, par exemple…

Que pensez-vous de la décision, prise par les chefs d’État et de gouvernement, d’ouvrir les négociations d’adhésion à l’UE pour l’Albanie et la Macédoine du Nord?

Cette décision prise en pleine crise du coronavirus montre une impressionnante surdité des dirigeants européens: au moment où la crise devrait nous inquiéter sur notre impuissance et l’impasse stratégique qui nous y a conduits, nous nous préoccupons de poursuivre l’élargissement ! C’est aussi le résultat d’un reniement incroyable de la part d’Emmanuel Macron, qui a soutenu cette décision.

Pendant toute la campagne des élections européennes, Nathalie Loiseau proclamait : « L’Albanie et la Macédoine du Nord, c’est non ! » Il ne leur aura pas fallu un an pour renier la parole donnée… Le gouvernement prétexte avoir obtenu des ajustements de procédure ; mais cela ne change rien au fond: malgré ce « non » promis, notre président valide la candidature de ces deux pays, au moment où les Français ont l’esprit occupé par une épidémie majeure. Même si l’heure n’est pas à ces débats, difficile de dissimuler son écœurement devant ce cynisme affligeant.

L’Union européenne peut-elle se refonder, ou est-elle condamnée à disparaître?

Il serait terrible que le discrédit actuel de l’Union européenne nous condamne à terme à une fragmentation qui serait la dernière étape de notre déclin. Je sais que l’idée même d’une refondation a déjà suscité bien des déceptions, et semblera illusoire. Mais dans le monde qui se dessine, nous avons besoin d’un lien fort entre les pays européens. Pour pouvoir peser et ainsi ne pas subir la suite de l’histoire, bien sûr. Mais aussi parce que nous sommes unis par une civilisation commune dont l’héritage est plus que jamais d’actualité pour protéger une certaine idée de l’homme, que le monde qui se dessine met sans doute en danger.

C’est le cœur du projet que j’ai défendu pour l’élection européenne : il faut construire une Europe qui nous renforce dans la mondialisation, là où elle nous donne trop souvent aujourd’hui le sentiment de nous fragiliser. Cela suppose qu’elle se refonde sur des principes clairs. Retrouver la subsidiarité, pour garder à l’échelle européenne ce que chaque pays ferait moins efficacement. Reconstruire une stratégie économique qui ne considère pas seulement le consommateur, mais aussi le travailleur, et le citoyen. Sortir de la naïveté, et assumer de défendre nos principes et nos intérêts dans le monde qui nous entoure. Si l’Europe retrouve ces fondations, elle sera un atout majeur pour nos démocraties et pour les peuples européens face aux défis difficiles qui nous attendent.

Vous êtes professeur de philosophie. Quelles lectures conseillerez-vous à vos élèves pour comprendre cette crise?

Peut-être un auteur que j’évoquais plus tôt : Le Principe Responsabilité, de Hans Jonas. Cet ouvrage, qui date de 1979, annonce déjà qu’il nous faut renoncer à l’illusion de notre toute-puissance sur la nature. C’est un appel à replacer au cœur de la politique une éthique de la prudence, inspirée par l’attachement à la vie dont la splendeur fragile doit être préservée pour les générations à venir.

Le coronavirus peut être synonyme de souffrance et de deuil pour certaines familles. En quoi la philosophie peut-elle aider?

Cette épidémie a déjà causé bien des deuils… Et puis, je pense aux familles qui ne peuvent visiter leurs proches en maison de retraite ou à l’hôpital. À ceux qui partiront sans avoir pu vivre le moment de l’adieu. Aux proches empêchés de participer à un enterrement. Quelle immense épreuve… Que dire devant de telles situations ? À titre personnel, je n’ai jamais cru que la philosophie pouvait être une méthode thérapeutique pour résoudre tous les problèmes.

Sans doute ne peut-elle pas toujours nous « aider ». Il n’y a pas de remède pour tout ; mais il faut sans doute renouer avec ce que Boèce décrivait, au VIe siècle, dans Consolation de philosophie : condamné à mort injustement, il médite depuis sa prison sur l’expérience difficile de la consolation. Consoler, ou se laisser consoler, n’est pas se défaire de la souffrance, au contraire: plus la souffrance est profonde, et plus elle appelle la consolation. Mais par elle nous sortons de la solitude. Espérons que notre société saura vivre, dans les temps qui viennent, cette nécessaire consolation.

Autonomie stratégique et Covid-19 : entretien au JDD

François-Xavier Bellamy au Parlement européen
Entretien avec François-Xavier Bellamy sur les questions d’autonomie stratégique dans la gestion de la crise du coronavirus, initialement paru sur le site du Journal du Dimanche, disponible à ce lien. Propos reccueillis par Christine Ollivier.

Il faut que la puissance publique puisse investir sur des chaînes de valeur industrielles stratégiques, pour regagner notre autonomie dans des secteur essentiels comme la défense, l’alimentation ou la santé.

Comment jugez-vous la gestion de la crise du coronavirus par l’exécutif ?

Cette gestion assez erratique est d’abord marquée par la contrainte que représente la pénurie des moyens les plus essentiels. Le gouvernement tente bien sûr de répondre sur tous les fronts, sanitaire comme économique, mais aucun artifice de communication ne peut cacher cette pénurie. Où sont les masques ? Les tests de dépistage ? Les équipements qui permettraient de protéger ceux qui travaillent, de diagnostiquer les malades ?

Comment expliquer ces pénuries ?

Nous avons renoncé ces dernières années à nous prémunir face au risque de crise. La France s’est laissée endormir, comme d’autres pays occidentaux, par le sentiment d’une sécurité illusoire. Le fait d’avoir cessé ces dernières années d’organiser un stock stratégique de masques en est un exemple. La situation actuelle est aussi le résultat d’un renoncement du politique à imposer une stratégie, et de sa dissolution dans l’économie mondialisée.

Aujourd’hui, nous n’avons pas de respirateurs parce que nous n’en produisons presque pas. Nous avons confié à la Chine le soin de produire nos masques. On imagine ce que donnerait notre dépendance actuelle en cas de guerre… En 30 ans, nous sommes passés de 20% à 80% de principes actifs de nos médicaments importés en-dehors de l’Europe : le résultat d’une politique de santé qui s’est résumée à faire pression à la baisse sur le prix des médicaments. Nous avons préféré des économies de courte vue à notre autonomie industrielle. Nous en payons le prix fort.

Est-ce un phénomène français ou européen ?

C’est à la fois français et européen. Il y a longtemps qu’il n’y a plus de politique industrielle en France. Si l’Allemagne est capable de réaliser des tests de dépistage à grande échelle, c’est parce qu’elle a conservé, elle, une capacité industrielle.

Mais nous vivons aussi l’échec d’une Europe qui s’est surtout préoccupée de sa politique de la concurrence, et de l’ouverture des marchés. En exposant nos entreprises à des compétiteurs étrangers moins-disant sur le plan social, environnemental et réglementaire, en privilégiant exclusivement le consommateur, nous avons fragilisé notre économie. Cette erreur dramatique nous laisse démunis aujourd’hui. Nous ne produisons plus ce dont nous avons besoin.

Que faudrait-il changer ?

Cette crise doit être l’occasion d’une prise de conscience, à laquelle nous appelons depuis la campagne européenne. Nos gouvernants doivent réaliser que nous sommes dans une impasse. La politique européenne ne peut plus se contenter de fixer des normes, elle doit permettre de définir des stratégies. Notre priorité doit être de redonner des règles à la mondialisation, de réapprendre à produire ce que nous consommons.

Et au plan national, il est temps de réagir : après avoir constaté l’incapacité de l’Etat à garantir la sécurité, à assurer l’éducation, nous voyons désormais son échec sur le front de la santé. Il est stupéfiant de réaliser que la 7ème puissance économique mondiale, dont les dépenses publiques représentent 56% du PIB, n’est même pas capable de donner des masques à ses infirmières. Nos hôpitaux doivent désormais être secourus par des entreprises privées ou des acteurs étrangers…

Faut-il donc plus d’Etat ?

Le dérapage des finances publiques n’a pas été synonyme d’une meilleure protection pour les Français, on le vérifie aujourd’hui. Il a permis aux gouvernements de s’acheter un répit électoral à court terme, au lieu de préparer les stratégies nécessaires à l’échelle d’une génération. L’Etat doit simplement retrouver ses missions fondamentales.

Emmanuel Macron a annoncé un plan d’investissement massif pour l’hôpital. A-t-il raison ?

On peut regretter qu’il ait fallu cette crise pour que soient enfin entendus les personnels hospitaliers, qui depuis un an continuent de travailler tout en faisant grève pour dénoncer l’état du système de santé. Il faut éviter toute arrogance quand on est à la tête d’un Etat qui envoie au front ses soignants avec si peu de protection et tant d’impréparation. Réinvestir dans l’hôpital est simplement nécessaire. Et ce n’est pas antinomique avec la nécessité de rompre avec les excès de la dépense publique : notre pays est à la fois suradministré et incapable de faire face à ses missions sur le terrain. S’il faut réformer la dépense publique, c’est bien pour pouvoir investir de nouveau dans ces missions fondamentales.

Faut-il remettre en cause la mondialisation ?

Il faut redéfinir un équilibre. Nous devons cesser d’organiser nous-mêmes la concurrence déloyale à laquelle nous exposons nos entreprises. Ceux qui veulent importer sur le marché européen doivent respecter les mêmes règles que ceux qui y produisent. Et par ailleurs, il faut que la puissance publique puisse investir sur des chaînes de valeur industrielles stratégiques, pour regagner notre autonomie dans des secteur essentiels comme la défense, l’alimentation ou la santé.

L’Europe a-t-elle été à la hauteur de la crise et suffisamment solidaire ?

Non, clairement. Il est difficile d’être solidaires quand nous subissons tous une pénurie de biens vitaux pour faire face à la crise sanitaire. On voit resurgir les égoïsmes, parfois de manière brutale. J’ai dénoncé la confiscation en République tchèque de masques et de respirateurs destinés à l’Italie. Que des pays européens se disputent les biens de première nécessité envoyés par la Chine, c’est un spectacle qui devrait tous nous réveiller!

Des plaintes ont été déposées contre l’exécutif pour sa gestion de la crise. Y aura-t-il des responsabilités à chercher après la crise ?

Ce n’est vraiment pas l’urgence du moment. Nous devons pouvoir continuer à poser toutes les questions nécessaires pour la sécurité des Français, y compris quand elles suscitent de vrais débats, sans manquer à l’unité qu’exige ce moment. L’unité ne veut pas dire le silence imposé, mais elle suppose de ne pas se projeter dans une chasse aux coupables qui n’apporterait rien. Demain, il sera nécessaire de comprendre et de tirer les enseignements de cette crise, mais nous ne gagnerions rien à sombrer dans une division inutile.

 

En pleine crise, discret reniement

Toute l’Europe fait face à une épidémie de grande ampleur, dont les conséquences sanitaires, sociales et économiques sont immenses ; au plus fort de cette crise, le Conseil des chefs d’Etat et de gouvernement européens a décidé hier soir… l’ouverture des discussions en vue d’un futur élargissement de l’Union européenne à la Macédoine du Nord et à l’Albanie. Cette décision est aberrante. Le conseil devait se concentrer sur l’urgence absolue qu’impose le coronavirus ; et de fait, les chefs d’Etat et de gouvernement européens ne devraient avoir pour seul ordre du jour aujourd’hui que la coopération nécessaire pour répondre à la crise. Cet agenda improbable est le signe d’une inquiétante déconnexion de la réalité.

Sur le fond, cette décision est aussi le résultat d’un triste reniement du gouvernement français. Vous vous en souvenez sans doute : pendant la campagne européenne, nous étions accusés de mentir lorsque nous rappelions qu’Emmanuel Macron s’était dit favorable à l’entrée des Balkans dans l’UE… Le gouvernement et la liste LREM affirmaient solennellement leur opposition à cet élargissement. Il aura suffi de quelques mois pour renier la parole donnée, et montrer que nous disions vrai : hier soir, le Président a soutenu l’ouverture des négociations d’adhésion de l’Albanie et de la Macédoine du Nord. Soutien bien discret, au milieu d’une crise majeure qui occupe l’attention des Français… Mais les faits sont là : une simple opposition de sa part, au cours de cette réunion, aurait suffi à empêcher cette décision. Pour expliquer son revirement, l’exécutif prétexte une modification du processus d’adhésion. Mais un ajustement dans les méthodes de négociation ne change rien au problème de fond : faut-il poursuivre aujourd’hui l’élargissement de l’UE ?

Notre réponse est claire et constante : l’Union européenne doit d’urgence se consolider, et faire d’abord la preuve qu’elle peut être efficace ; nous voyons plus que jamais le chemin à faire pour cela, dans la crise que nous traversons. Cette conviction n’est pas consensuelle parmi les élus européens, mais ce n’est pas une raison pour renoncer à la défendre. Alors que le Président lui-même déplore le manque de réactivité des institutions européennes actuelles, il est incompréhensible qu’il soutienne aujourd’hui la poursuite de l’élargissement, si peu cohérent qui plus est au regard de la situation de ces deux pays. L’Europe doit tisser par la politique de voisinage un lien fort avec la région des Balkans ; mais la vérité oblige à assumer que sa première responsabilité est de se réformer, non de s’élargir.

élargissement union européenne

Emmanuel Macron sur l’élargissement de l’Union européenne à la Macédoine du Nord et à l’Albanie

Les moyens d’agir dans le contexte géopolitique qui se dessine

Sur la chaîne d’assemblage Rafale du site Dassault Aviation de Mérignac

À l’occasion d’un déplacement à Mérignac, dans la Gironde, pour visiter le plus important des sites du groupe Dassault Aviation, où sont assemblés en particulier les différents modèles de Falcon et le Rafale, François-Xavier Bellamy a été interrogé par Jefferson Desport, journaliste spécialiste des questions de défense pour Sud Ouest et TV7 Bordeaux. La création du Fonds européen de défense, dont François-Xavier Bellamy est responsable pour le PPE (en tant que shadow rapporteur), doit permettre d’investir dans cette filière industrielle décisive, « pour notre économie et nos emplois, mais aussi pour retrouver l’autonomie stratégique qu’il nous faut maîtriser si nous voulons pouvoir agir dans le contexte géopolitique qui se dessine. Et nous avons tous les atouts pour cela, si nous voulons nous en donner les moyens : notre pays peut être fier des talents, de l’énergie et des savoir-faire exceptionnels sur lesquels il peut compter, ici comme dans bien d’autres domaines… »

Industrie de défense et autonomie stratégique : entretien avec TV7

(12 minutes)

François-Xavier Bellamy | TV7 – Industrie de défense et Autonomie stratégique

🎙️ Invité de TV7 Bordeaux, pour discuter des enjeux d'autonomie stratégique en Europe, et des perspectives du lancement du Fonds européen de défense, dont je suis chargé du suivi pour le PPE au Parlement européen.

Publiée par François-Xavier Bellamy sur Samedi 7 mars 2020

 

Entretien avec Sud Ouest

(Extraits) […]

La France, l’Allemagne et l’Espagne travaillent à la construction d’un futur avion de combat européen, le Scaf. Un pas vers une défense européenne ?

Parler d’une armée européenne, c’est une illusion. Il s’agit de construire des coopérations qui nous permettront d’être autonomes, du point de vue de nos matériels, par exemple. C’est par le concret que l’Europe peut progresser.

Considérez-vous comme Emmanuel Macron que l’Otan est en  » état de mort cérébrale  » ?

La stratégie de l’Otan manque de cohérence. Mais la forme de cette phrase a rendu inaudible un diagnostic nécessaire. De nombreux pays de l’Est, sous le joug soviétique il y a encore trente ans, sont aujourd’hui défendus par l’Alliance atlantique. Plutôt que donner l’impression qu’on veut leur retirer cette protection, construisons en parallèle les conditions concrètes de notre autonomie stratégique européenne.

Comparé au poids du parapluie américain, c’est un chemin de crête…

Les Américains sont nos alliés, pas nos suzerains. Nous devons créer les moyens de cette autonomie, sans pour autant prétendre écarter l’Otan, sinon nos partenaires européens ne nous suivront pas. La phrase d’Emmanuel Macron a fait reculer notre cause.

Actualité européenne : entretien au Point pour la rentrée 2020

Entretien avec Emmanuel Berretta pour Le Point paru le 16 janvier 2020.
Consultez aussi le texte à ce lien.


Le Point : Le Brexit va poser des problèmes aux pêcheurs européens. En tant que membre de la commission Pêche du Parlement européen, comment envisagez-vous de traiter ce dossier ?

François-Xavier Bellamy : Nous allons au-devant d’un problème critique. Au total, plus de 30 % de la pêche française s’effectue dans les eaux britanniques – et jusqu’à 80 % pour certains ports des Hauts-de-France. Si ces eaux sont fermées aux pêcheurs européens, nous verrons aussi des bateaux d’autres pays (les pêcheurs des Pays-Bas en particulier, NDLR) se reporter sur les eaux françaises, accroissant encore la tension. Des milliers d’emplois, en mer et à terre, sont potentiellement menacés. Pour faire face à cette situation, il faudra d’abord une réponse d’urgence : les fonds européens dédiés à la pêche doivent pouvoir être mobilisés pour remédier à l’impact immédiat de la crise. Mais cette réponse provisoire ne doit surtout pas durer : les pêcheurs veulent vivre de leur travail, pas de subventions. Pour cela, il faudra obtenir des Britanniques qu’ils rouvrent leur zone de pêche, en faisant de ce principe une condition préalable à toute autre négociation, avant un accord commercial, par exemple. Si nous ne tenons pas fermement sur cette ligne, toute une filière déjà en tension risque d’être durement touchée. J’ajoute qu’il y a un enjeu écologique majeur sur ce sujet : la politique européenne, en lien avec les pêcheurs qui sont bien sûr les premiers concernés, a mis en œuvre des quotas qui permettent d’éviter la surpêche et de préserver les espèces. En échappant à ces contraintes, les Britanniques pourraient être tentés de relancer une pêche intensive qui serait catastrophique à terme pour la biodiversité dans les fonds marins.

Mais cette réponse provisoire ne doit surtout pas durer : les pêcheurs veulent vivre de leur travail, pas de subventions. Pour cela, il faudra obtenir des Britanniques qu’ils rouvrent leur zone de pêche, en faisant de ce principe une condition préalable à toute autre négociation

L’Union européenne peut-elle imposer des taxes sur le poisson britannique en cas de position très hostile des Britanniques sur leur zone de pêche ?

C’est une chimère de croire, comme semble le penser le ministre de l’Agriculture (Didier Guillaume, NDLR), que les taxes à l’entrée du marché européen suffiront à dissuader les Britanniques. Nous ne pourrons faire peser sur le poisson britannique une taxation dissuasive ; il ne s’agit pas en effet ici d’une position hostile des Britanniques susceptible de déclencher une mesure de rétorsion, mais simplement de la situation normale d’un pays tiers contrôlant sa zone économique exclusive. On ne mesure pas assez, en France, l’importance de ce sujet pour nos voisins de Grande-Bretagne, qui ont une très longue histoire maritime : retrouver la maîtrise de leurs eaux territoriales a été un argument important en faveur du Brexit. Boris Johnson avait brandi un hareng en meeting ! Si on traite la question de la pêche parmi les autres sujets de notre relation future avec la Grande-Bretagne, nous ne les ferons pas changer d’avis. Le seul moyen d’obtenir que leurs eaux restent ouvertes, c’est de faire de ce principe, comme je le disais, la condition de tout accord ultérieur. C’est un point dont nous parlons avec Michel Barnier, qui mènera ces négociations, et qui est très attentif à cet enjeu essentiel.

Au sein du PPE, les positions allemandes ont toujours été très orientées en faveur des accords de libre-échange. Les LR sont devenus plus hostiles à ce type d’accords. Quels arguments avancez-vous à l’encontre du Ceta ?

Le déficit commercial de la France, dû en particulier aux contraintes dont nous ne cessons de surcharger tous ceux qui produisent dans notre pays, nous rend plus frileux que les Allemands, qui exportent au contraire massivement. Mais au-delà de cette divergence économique, il me semble que nous sommes face à un tournant politique : il est urgent de rééquilibrer la mondialisation. J’avais déjà écrit sur ce sujet dans Demeure : nous ne pouvons pas à la fois déclarer l’urgence écologique et continuer à favoriser l’emballement des flux qui a contribué au déséquilibre climatique. Il est absurde de punir fiscalement le salarié français qui a besoin de sa voiture pour faire quelques kilomètres jusqu’à son lieu de travail, tout en facilitant l’importation depuis le bout du monde de biens que nous pourrions parfaitement produire ici.

Nous ne pouvons pas à la fois déclarer l’urgence écologique et continuer à favoriser l’emballement des flux qui a contribué au déséquilibre climatique.

Si l’on veut prendre la mesure du défi écologique, il faut commencer par ne pas rendre la viande canadienne plus compétitive sur nos marchés que la viande française – alors même que nous imposons des normes environnementales bien plus exigeantes à nos producteurs. Certains accords peuvent être utiles quand ils tirent tous les partenaires vers le haut. Mais tout accord n’est pas bon ; nous restons, par exemple, fermement opposés à l’accord UE-Mercosur. D’une manière générale, il nous faut réapprendre à produire ce que nous consommons. L’Europe peut jouer un rôle décisif dans ce rééquilibrage de la mondialisation, qui est attendu partout ; c’est une nécessité écologique, mais aussi bien sûr économique et sociale. C’est l’un des grands défis politiques de notre avenir.

De tous les thèmes que votre liste a défendus durant la campagne européenne, lesquels avez-vous pu inscrire dans les lignes directrices adoptées par le PPE ?

Dans ces premiers mois du mandat, notre groupe parlementaire a écrit, de façon concertée, plusieurs documents de programmation, qui définissent les lignes directrices du PPE pour les années à venir. Ces textes sont importants, car ils orienteront désormais la position de notre groupe, majoritaire au Parlement, dans les négociations et les votes. Nous avons travaillé dur pour transcrire nos engagements de campagne dans ces documents, et nous y sommes parvenus : la barrière écologique que nous avions proposée, par exemple, a été adoptée par le groupe, ce qui est inédit au PPE.

La négociation sur le budget européen pour la période 2021-2027 débute. Pensez-vous qu’il faille absolument augmenter ce budget pour se donner les moyens de nos ambitions ?

La vraie question n’est pas de dépenser plus, mais de dépenser mieux. Nous avons de nouvelles priorités, qu’il faut financer ; je pense, par exemple, au Fonds européen de défense, ou à la protection des frontières extérieures de l’Europe pour ne plus subir des flux migratoires incontrôlés. Il faut également faire face au départ de la Grande-Bretagne, qui retire un contributeur important au budget européen. Mais nous avons aussi beaucoup d’économies à faire, en rationalisant les programmes, en contrôlant mieux les engagements et les agences européennes, en conditionnant les aides aux pays que nous soutenons au respect de leurs engagements, par exemple sur le plan migratoire… D’une manière générale, il faut retrouver le principe de subsidiarité : les budgets européens doivent être engagés là où ils ont une efficacité supérieure à celle que chaque État obtiendrait isolément.

D’une manière générale, il faut retrouver le principe de subsidiarité.

Le Pacte vert sera la grande affaire de ce quinquennat. L’Europe se donne pour objectif d’être le premier continent neutre en émission de carbone d’ici à 2050. Cet objectif vous semble-t-il réaliste compte tenu des annonces d’Ursula von der Leyen lors de la session spéciale du Parlement à Bruxelles ?

Il faut bien sûr se donner des objectifs exigeants pour répondre au défi écologique. Avec le regard d’un nouvel élu, je suis frappé cependant que nous ayons des discussions interminables sur les objectifs, plutôt que sur les moyens. La question n’est pas : voulons-nous réduire nos émissions de carbone ? Mais : comment y parvenir ? Et c’est là que les débats sérieux devraient commencer. Certains élus par exemple, LREM ou écologistes, votent au Parlement européen pour appeler à la fermeture rapide des centrales nucléaires, alors que nous n’avons pas de solution alternative pour une énergie décarbonée. Voulons-nous vraiment imiter nos voisins allemands, qui ont dépensé des dizaines de milliards d’euros pour finir par rouvrir des centrales à charbon ? Certains élus sont prêts par idéologie à sacrifier les objectifs écologiques qu’ils disent défendre. Avec mes collègues en commission de l’environnement, Agnès Evren et Nathalie Colin-Oesterlé, nous voulons fixer, non seulement des buts exigeants, mais les moyens rationnels pour les atteindre.

Certains élus sont prêts par idéologie à sacrifier les objectifs écologiques qu’ils disent défendre. Certains élus par exemple, LREM ou écologistes, votent au Parlement européen pour appeler à la fermeture rapide des centrales nucléaires, alors que nous n’avons pas de solution alternative pour une énergie décarbonée.

Les tensions au Moyen-Orient peuvent déboucher sur une nouvelle crise migratoire. Où en est le PPE sur la réforme de l’asile et des migrations ? Entre la position de Merkel et celle d’Orban, la clarification est-elle en cours ?

C’est un sujet clé. L’Europe doit absolument se donner les moyens de maîtriser ses frontières extérieures. Le PPE a clarifié sa ligne, en adoptant la position que nous avions défendue pendant toute notre campagne : il faut mettre fin à l’impuissance européenne en matière migratoire. Un vote important a eu lieu sur ce sujet en octobre : les groupes de gauche, dont LREM, défendaient dans un texte sur la Méditerranée des positions totalement irréalistes, comme l’ouverture imposée des ports européens à tous les bateaux. Le PPE a voté contre ce texte, qui a été rejeté à quelques voix près. La solidarité et le droit d’asile sont massivement détournés aujourd’hui au profit de filières d’immigration illégales entretenues par des passeurs. Nous devons mettre fin à cette impuissance, et le PPE est uni sur ce sujet.

La solidarité et le droit d’asile sont massivement détournés aujourd’hui au profit de filières d’immigration illégales entretenues par des passeurs. Nous devons mettre fin à cette impuissance, et le PPE est uni sur ce sujet.

Les déclarations d’Emmanuel Macron sur « l’état de mort cérébrale de l’Otan » ont-elles laissé des traces au sein du PPE ?

Cette expression a fait beaucoup de tort. Il faut bien sûr s’inquiéter des errements stratégiques de l’Otan ; les récents événements, avec la Turquie ou l’Iran, le montrent assez. Mais avec une expression aussi virulente, le chef de l’État ne lance pas le débat, il l’empêche. Dans cette déclaration, comme l’a dit Arnaud Danjean (eurodéputé LR-PPE, NDLR), la forme a tué le fond. Il y a en Europe beaucoup de pays qui, pour des raisons historiques évidentes, sont aujourd’hui entièrement dépendants de l’Otan pour leur sécurité ; ils ne peuvent que très mal réagir si nous leur donnons le sentiment que nous voulons en finir avec ce qui constitue aujourd’hui leur principale protection. Quand on veut défendre un point de vue, mieux vaut l’exprimer avec sérieux, sans arrogance, en cherchant à rejoindre ses interlocuteurs. Il ne suffit pas de déclarer, il faut convaincre.

Justement, vous êtes le corapporteur du Fonds européen de défense. Avez-vous le sentiment que les Américains sont décidés à laisser l’Europe s’émanciper pour assurer sa propre défense ?

Les États-Unis sont nos amis et nos alliés ; mais ils ne sont pas nos suzerains, et nous ne sommes pas leurs vassaux. L’Otan restera, bien sûr, un partenaire essentiel ; mais en complément de son action, les pays d’Europe doit impérativement se donner les moyens d’une vraie autonomie stratégique : le Fonds européen de défense est une initiative essentielle pour y parvenir. Il s’agit d’investir dans l’industrie de défense en Europe pour développer des moyens qui nous permettent de nous engager sans dépendre d’autres grandes puissances.

Les États-Unis sont nos amis et nos alliés ; mais ils ne sont pas nos suzerains

C’est une nécessité pour notre liberté et notre souveraineté, mais aussi pour préserver la paix : nous le voyons mieux que jamais, le monde qui se dessine a besoin d’un pôle indépendant pour permettre un équilibre dans les tensions entre les blocs qui se font face aujourd’hui.

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Audition des commissaires-désignés, action de la délégation française au Parlement européen : entretien avec l’Opinion

Entretien initialement paru dans l’Opinion du lundi 7 octobre 2019, en ligne ici. Propos recueillis par Isabelle Marchais.

Le Parlement européen peut-il refuser de valider la candidature de Sylvie Goulard à la Commission ?

C’est une possibilité, même si notre intention n’est pas d’en arriver là quoiqu’il arrive. Le portefeuille dont elle hériterait est absolument décisif : il concerne la stratégie industrielle, le marché intérieur, le numérique, la défense, l’espace… L’Union européenne ne peut pas se permettre d’avoir, pour s’en occuper, une commissaire qui aurait à gérer, simultanément, la suite d’une enquête de l’OLAF, une procédure judiciaire en France, et des soupçons liés à un potentiel conflit d’intérêts. Ce serait une fragilité importante ; si Mme Goulard considérait que le fait d’être sous le coup d’une enquête constituait un risque pour l’exercice de sa fonction comme ministre de la Défense, je ne vois pas en quoi ce risque a disparu pour gérer cette responsabilité de commissaire. Par ailleurs, le risque de conflit d’intérêt est réel. Elle a été rémunérée 350 000 euros par le think tank d’un financier américain : comment peut-elle se contenter de répondre en invoquant la « liberté d’entreprendre » ?

Est-ce un sentiment largement partagé ?

Tous les groupes politiques, à l’exception naturellement de Renew, sont sortis déçus de son audition. Pourtant nous l’abordions avec l’idée de poser les questions que tout le monde se pose, et de lui offrir une occasion de répondre, de façon concrète et personnelle. En réalité, nous n’avons pas eu de réponses. Cela crée un malaise profond. C’est d’autant plus problématique après ce qui s’est passé la semaine dernière : le candidat hongrois Laszlo Trocsanyi, qui n’a jamais fait l’objet d’aucune enquête ni a fortiori d’aucune condamnation, a été rejeté avant même d’avoir pu s’expliquer en audition, notamment par les mêmes députés Renew qui disent aujourd’hui qu’il n’y a pas de problème avec Sylvie Goulard. Cela a contribué à tendre les choses. Personne ne souhaite entrer dans un conflit politicien, nous prenons ces questions trop au sérieux ; mais simplement, le « deux poids deux mesures » qu’on voudrait nous imposer est totalement injustifiable, et cela suscite beaucoup d’incompréhension, notamment chez nos collègues élus d’Europe de l’Est.

Que faites-vous de la présomption d’innocence ?

Je respecte bien sûr totalement la présomption d’innocence, et je l’ai rappelé au début de l’audition. Je n’ai pas cherché des arguments épouvantables pour attaquer Mme Goulard : j’ai simplement rappelé ses propres mots ! Au moment de sa démission en France, elle expliquait que l’exemplarité comptait plus que tout, et qu’elle voulait s’appliquer les règles en vigueur dans les autres pays européens. Ce n’est quand même pas indigne que de lui demander ce qui explique le décalage, entre la décision qu’elle avait prise et sa position d’aujourd’hui. Amélie de Montchalin croit-elle qu’elle va défendre Mme Goulard en expliquant que poser cette simple question, c’est faire le jeu de l’extrême droite ? Est-ce que demander un minimum de transparence est désormais coupable ? Nous ne cherchons pas à attaquer qui que ce soit, nous cherchons simplement la vérité ; et je ne compte pas plier devant cette stratégie d’intimidation. Le procès en extrémisme que subissent tous ceux qui osent ne pas être entièrement d’accord avec les choix de M. Macron est inepte.

Le travail de Sylvie Goulard comme consultante était déclaré et légal. Et selon une enquête de Transparency international, deux tiers des eurodéputés exercent une activité rémunérée…

Personne ne prétend qu’il n’était pas déclaré ; et, même si j’ai du mal personnellement à voir comment on peut trouver du temps pour cela, ce n’est pas le fait d’exercer une activité rémunérée en parallèle d’un mandat qui pose problème. Quand on est député européen, exercer comme enseignant ou comme médecin ne pose pas le même type de questions que d’être rémunéré par un investisseur étranger actif sur des secteurs industriels stratégiques… Le problème, c’est que Mme Goulard ne peut nous dire précisément ce qu’elle a fait pour une somme si importante. On peut supposer que M. Berggruen a une stratégie d’influence, et qu’il s’en donne les moyens. Mais quand vous allez gérer la mise en place du Fonds européen de défense par exemple, qui heurte de manière manifeste la vision et les intérêts américains, ce n’est quand même pas neutre de commencer avec cette espèce de tache aveugle, avec ce lien dont on ne sait rien.

Sylvie Goulard va devoir répondre à de nouvelles questions écrites. Qu’en attendez-vous ?

De nombreuses questions écrites lui ont été adressées. Nos collègues n’avaient pas seulement besoin d’éclaircissements sur ces sujets de transparence, mais aussi sur les sujets de fond, sur le contenu des politiques qu’elle souhaite mener, et sur lesquelles beaucoup de réponses ont semblé évasives. Il me semble qu’une seconde audition sera sans doute nécessaire.

Faut-il y voir un règlement de comptes contre Emmanuel Macron ?

Non, ce n’est vraiment pas ce qui a déterminé nos décisions concernant Sylvie Goulard. Encore une fois, tous les groupes sauf Renew ont réagi de la même manière. Au PPE, personne n’a abordé l’audition en se préparant à l’écarter ; nous avons des collègues francophiles, francophones, qui n’ont pas du tout envie qu’un fossé se creuse avec la France. Ce qui est vrai en revanche, c’est que son audition a été perçue comme symptomatique d’une arrogance souvent reprochée malheureusement aux Français. On l’a déjà vu avec l’installation difficile d’En Marche au sein du groupe libéral : il y a une manière d’arriver bardé de certitudes, avec la conviction d’une évidente supériorité, qui passe très mal ici.

Vous-même n’êtes pas arrivé en position de force…

Bien sûr, nous avons été déçus du résultat de l’élection. Mais au moins je n’ai pas honte de la campagne que nous avons menée, et je la préfère à des victoires gagnées par des tactiques inconséquentes. Aussi bien La République en Marche que le Rassemblement national ont organisé toute leur campagne sur des fictions, qui se sont dissipées en deux semaines… La République en Marche nous a promis qu’elle allait être le grand groupe qui allait changer l’Europe de l’intérieur ; en réalité, non seulement ils rejoignent un groupe minoritaire, mais eux-mêmes se sont marginalisés au sein de Renew Europe, dont ils n’ont pas pu prendre la présidence. Le Rassemblement national disait avoir préparé une grande alliance qui allait prendre le pouvoir ; mais il n’y a eu aucune alliance, et leur groupe reste complètement à la marge. Pour nous, de manière peut-être plus humble et plus concrète, nous n’avons pas menti sur la réalité des enjeux, nous avons pris les Français au sérieux. Au sein du PPE, qui est le premier groupe politique, c’est sur nous que repose le travail essentiel pour faire valoir nos idées et faire entendre la voix de la France. Cela constitue une vraie responsabilité, car c’est sur nos épaules que pèse l’essentiel de l’influence française au Parlement européen.

Mais vous n’êtes que huit députés LR !

Le défi est immense, c’est vrai. Mais l’influence n’est pas qu’une question de nombre : elle dépend aussi des liens de confiance que vous pouvez créer avec les gens, et du travail que vous faites pour être crédible sur les dossiers. Les premiers mois ont été très encourageants : Anne Sander a décroché le poste de premier questeur du Parlement, et Arnaud Danjean a été élu vice-président du groupe. Ce sont des leviers politiques essentiels pour agir. Cela a prouvé que nous pourrons peser sur les sujets qui nous attendent : nous n’allons pas rester à regarder passer les balles. Il va falloir travailler beaucoup et être soudés. Nous n’avons pas le luxe de pouvoir nous diviser.

Faut-il exclure Orban du PPE suite à ses atteintes répétées à l’Etat de droit ?

Il y a un processus en cours pour faire l’état des points d’accord et de désaccord, et j’espère qu’il sera terminé avant le congrès du PPE à Zagreb fin novembre. A titre personnel, quand j’échange avec mes collègues hongrois, j’ai vraiment beaucoup de mal à voir pourquoi on en viendrait à une rupture. Le procès instruit contre le Fidesz me paraît totalement disproportionné. Et j’observe que beaucoup ont des indignations à géométrie variable… Il peut y avoir des désaccords avec Viktor Orban bien sûr, mais tomber dans l’excès ne permet pas de les résoudre.

 

Retour sur la première session plénière du mandat 2019-2024 au Parlement européen

Chers amis,

La première session de Strasbourg s’achève ! Je voudrais partager avec vous le résultat de ces derniers jours, qui ont été mouvementés…

Malgré l’ampleur de l’adversité qu’elle a rencontrée, notre famille politique a remporté les victoires essentielles : c’est au PPE, la droite européenne, que revient la présidence de la Commission européenne, ainsi que la présidence de la BCE.

En Europe, les électeurs ont accordé la majorité de leurs suffrages aux candidats de droite à l’occasion de l’élection européenne du 26 mai, et il aurait été incompréhensible que les nominations stratégiques de ce début de mandat ne reflètent pas ce choix démocratique. Avec notre délégation française, nous avons constamment maintenu ce principe non négociable ; nous ne sommes pas de ceux qui oublient leur campagne dès le moment de l’élection. Et lorsque les blocages rencontrés au Conseil ont conduit à envisager qu’un socialiste soit investi à la tête de la Commission, nous avons clairement indiqué que nous quitterions le PPE si un tel compromis devait être accepté.

Ces discussions franches et claires ont conduit le PPE à refuser cette perspective, et l’idée de placer M. Timmermans à la tête de la Commission a donc été écartée. Notre priorité absolue est aujourd’hui atteinte. Malgré l’élection de M. Sassoli à la présidence du Parlement, que nous regrettons, les socialistes ont échoué à prendre la main sur la décision politique en Europe : cette fonction institutionnelle, qu’il n’occupera que pour la moitié du mandat, n’a pas d’impact sur les orientations de l’action européenne. Je n’ai pas voté pour lui, mais les conséquences de son élection sont sans commune mesure avec ce qu’aurait représenté le fait de perdre la présidence de la commission.

La droite en Europe a donc gagné la bataille décisive, pour pouvoir faire entendre la voix des électeurs qui lui ont fait confiance le 26 mai dernier. Ursula von der Leyen, membre de notre famille politique qui doit prendre la présidence de la Commission européenne, est venue dès le lendemain de sa nomination échanger avec notre groupe ; nous pourrons travailler avec elle pour traduire concrètement les engagements pris pendant notre campagne. Nous pouvons également être heureux de la nomination de Christine Lagarde, également issue de notre famille politique et dont la compétence est unanimement reconnue.

Malgré ces succès décisifs, les événements des derniers jours ont marqué un profond recul pour la transparence démocratique de la vie publique européenne ; et le premier responsable de ce recul est notre Président de la République

Comme les autres familles politiques en Europe, le PPE avait élu un candidat pour la présidence de la Commission et l’avait présenté bien avant l’élection du 26 mai, pour permettre aux citoyens de faire leur choix en connaissance de cause, et pour rendre ainsi plus lisibles et plus démocratiques les nominations européennes. Par hostilité envers notre famille politique, Emmanuel Macron s’est opposé à ce processus, et a rendu impossible la désignation de Manfred Weber, qui bénéficiait pourtant de cette indéniable légitimité démocratique. La conséquence de ce blocage a été cette succession de sommets incompréhensibles par les citoyens, et un processus de désignation entre chefs d’Etat qui s’est déroulé dans l’opacité et la confusion la plus totale. Derrière la mise en scène du “nouveau monde”, l’Europe a subi un grand pas en arrière, et la France sort malheureusement de cette séquence encore un peu plus discréditée auprès de nos partenaires européens.

Notre délégation française a donc maintenant une responsabilité décisive. Comme je vous l’ai raconté dernièrement, nous avons travaillé sans relâche au cours des dernières semaines pour avoir les moyens d’agir. Au-delà des résultats déjà obtenus, Anne Sander a été élue ce matin premier Questeur du Parlement européen. Par ce travail patient et déterminé, nous avons montré notre influence, et gagné une vraie capacité d’agir sur les choix essentiels à venir.

Nous nous attacherons ainsi à faire entendre la voix des électeurs français au sein de notre groupe parlementaire, qui aura donc les leviers les plus importants pour agir au cours des prochaines années.

François-Xavier Bellamy

Élections européennes 2019 : message de fin de campagne

Chers amis,

Je voudrais commencer par remercier de tout cœur les électeurs qui nous ont accordé leur confiance. Dans le duel qu’on cherchait à leur imposer, ils ne se sont pas résignés ; ils ont voulu voter pour leurs convictions, pour le projet que nous portions, et je leur en suis infiniment reconnaissant.

Cette élection européenne a été transformée en un référendum national. Je suis fier d’avoir, avec toute notre équipe, parlé de l’avenir de notre pays en Europe, alors que tout était fait pour détourner ce débat pourtant si nécessaire. Je voudrais remercier Agnès, Arnaud, chacun de mes colistiers, et les élus qui nous ont accompagnés.

Malgré la campagne intense que nous avons menée, nous n’avons pas réussi à faire entendre aux Français notre vision et nos propositions.

Le second enseignement que je tire de ce résultat, c’est la crise profonde que traverse notre démocratie. Aujourd’hui, nous pouvons nous accorder sur un constat : de très nombreux électeurs se sont exprimés d’abord pour voter contre – voter contre la politique menée par Emmanuel Macron, ou contre le risque de voir monter le Rassemblement National. Or une démocratie ne peut trouver un équilibre durable quand elle n’offre que des élections par défaut, quand un bulletin de vote ne sert qu’à éliminer. Chaque jour de cette campagne, sur le terrain, j’ai perçu les tensions profondes qui traversent notre société. Nous ne pouvons laisser la France s’enliser dans ce désespoir politique.

Cela montre l’ampleur de la tâche à accomplir. La droite traverse une crise très profonde. Tout est à reconstruire. Lorsque Laurent Wauquiez m’a proposé d’assumer cette mission, je savais que la tâche serait très difficile. Si je l’ai acceptée, c’était pour tenter de contribuer à refonder une proposition politique qui puisse susciter de nouveau la confiance des Français. Ce travail est devant nous. Nous le devons, non à la droite, mais à la France, pour lui offrir cette espérance que nous n’avons pas su partager avec elle au cours de cette campagne. C’est le moment d’être fidèles et courageux. Je veux dire à tous ceux qui, pendant les dernières semaines, nous ont dit leur confiance et leur attente, que je m’engagerai de toutes mes forces pour servir ce travail de fond qui nous attend.

François-Xavier Bellamy

Entretien avec Valeurs Actuelles à la veille de l’élection européenne

Entretien paru dans Valeurs Actuelles, mai 2019. Propos reccueillis par Tugdual Denis, Geoffroy Lejeune, Raphaël Stainville.

Dans un entretien récent avec Valeurs actuelles , Nicolas Dupont-Aignan vous accuse d’être « un rabatteur de voix » pour Emmanuel Macron et le énième représentant de « la droite qui trahit ». Comment réinstaurer la confiance ?

La cohérence de M. Dupont-Aignan est difficile à cerner : il n’a cessé de changer de discours au fil des ans. Jean-Frédéric Poisson, qui a fait campagne avec lui, dit que le cœur de son système repose sur le mensonge : je le crois, en effet, au rythme des calomnies qu’il ne cesse de répandre sur nous. Cela étant dit, je comprends le ressort de cet argument. La droite a souvent déçu et beaucoup se demandent si elle saura se relever de ses incohérences passées. Je sais que les déceptions ont été fortes et qu’il faudra reconstruire la confiance patiemment, humblement, par un travail de fond. Je ne vois pas d’autre option : qu’est-ce que les à-coups individuels de M. Dupont-Aignan ont apporté à notre pays ? Pour moi, je suis trop libre pour servir d’alibi, d’autant plus que je ne suis pas attaché à une carrière politique et que je n’ai pas sollicité cette investiture. J’ai accepté la mission qui m’était proposée parce qu’on ne peut pas déplorer la crise où nous sommes et refuser ensuite de contribuer à reconstruire.

Édouard Philippe a raillé, dans le Figaro, précisément « la droite Trocadéro » qui avait choisi François Fillon. Vous vous en revendiquez, au contraire ?

Cette sortie du Premier ministre est symptomatique d’un vieux réflexe du politiquement correct, qui consiste à insulter la droite quand elle ose être fidèle à ses convictions et à ses électeurs. Édouard Philippe applique aujourd’hui une politique qui correspond à tout ce à quoi il s’était supposément opposé durant sa carrière. Je préfère être de la droite qui reste constante que de celle qui s’enorgueillit de se dissoudre dans la gauche. Aujourd’hui, Édouard Philippe soutient une liste dont le numéro 2, Pascal Canfin, a refusé d’embarquer dans un avion quand il était ministre de François Hollande, sous prétexte qu’un Malien condamné pour viol s’y trouvait pour être extradé. Une liste dont le projet est de dépenser toujours plus d’argent public et de créer de nouveaux impôts… Une liste parrainée par Daniel Cohn-Bendit, Élisabeth Guigou et Ségolène Royal. Cela n’a plus rien à voir avec la droite !

De ce point de vue, le politiquement correct est une machine qui ne cesse de s’étendre. Le sentiment qu’il est de plus en plus difficile d’exprimer un désaccord sans être voué aux gémonies alimente une frustration politique indéniable. C’est pourquoi le politiquement correct me semble être l’un des carburants qui alimentent ce qu’on s’obstine à appeler le populisme sans jamais vraiment le définir.

À quoi peut concrètement servir un député européen qui s’engage à préserver notre civilisation ?

L’Europe, ce ne sont pas seulement des traités ou une organisation administrative, mais d’abord un héritage à transmettre et à sauver de tout ce qui nous fragilise aujourd’hui. Le défile plus important, c’est la fracturation de notre société : nous devenons une juxtaposition de communautés qui ne se reconnaissent plus de liens, une addition d’individus qui poursuivent leurs propres calculs. Nous avons su construire un marché commun, qui peut être un atout décisif dans la mondialisation ; mais l’Europe ne peut pas se réduire à un marché. La réduction de la politique à l’économie nous piège dans le consumérisme et nous empêche d’agir pour préserver notre modèle de civilisation : il faut pourtant le redire, nous ne sommes pas que des consommateurs préoccupés de leur seul intérêt.

N’est-il pas plus facile de lutter contre cela en tant que candidat, à l’heure des discours, que durant le mandat, à l’heure de l’action ?

Non, cela se traduit très concrètement. Je m’engagerai personnellement en allant dans les capitales européennes pour défendre une initiative commune contre la GPA et contre l’eugénisme. Ce qui est en jeu, ce sont les nouveaux modèles contre lesquels l’Europe doit peser : celui du tout-marchand américain, qui fait que l’on peut, en contournant la loi européenne, choisir des bébés sur catalogue dans des cliniques aux États-Unis ; celui de la Chine, qui a annoncé, il y a quelques semaines, que pour la première fois des enfants génétiquement modifiés étaient nés. Réussir cette course contre la montre pour interdire la marchandisation du corps, empêcher l’eugénisme, faire comprendre que le transhumain ouvrirait un monde inhumain, voilà un enjeu de civilisation absolument décisif. La voix de la France est malheureusement sans doute trop isolée, trop faible et trop passive aujourd’hui, pour pouvoir faire contrepoids à ces grandes forces.

Vous prendrez donc votre bâton de pèlerin pour vous rendre au Portugal, en Suède, en Espagne, ou en Hongrie ?

Oui, il est temps de parler d’une seule voix. On doit, dans notre droit français, continuer à interdire la GPA. Mais cette interdiction est fragilisée si, dans l’espace européen, nous avons des législations différentes sur cette question. Notre droit est sans arrêt contourné et violé. Il faut donc qu’on arrive à se mettre d’accord entre nous.

L’enjeu est essentiel. Nous sommes la première génération dans l’histoire qui devra décider de l’avenir de la condition humaine. C’est fascinant et vertigineux. Tout cela se joue aujourd’hui : les grandes entreprises américaines investissent massivement dans la recherche pour dépasser les limites de la condition humaine. En Chine, une stratégie d’État voudrait mettre l’homme au service d’une course à la performance qui le détruira de l’intérieur. Si nous sommes les héritiers des Grecs, qui répondaient à la tentation de l’hubris par la juste mesure d’Aristote ; si nous sommes les enfants de l’école du droit naturel que les Romains ont développée ; si nous sommes à la hauteur de cet effort de la pensée chrétienne qui a mûri le caractère inaliénable de la dignité humaine, alors il faut faire de la voix de l’Europe le contrepoids indispensable à ces forces de destruction de l’homme. Si on croit à la politique, c’est l’enjeu le plus important des années qui viendront.

Parmi les périls qui nous guettent, celui de l’islamisme se développe-t-il en raison de la passivité du progressisme ?

Je l’ai dit durant tous nos meetings : on ne peut pas regarder nos malheurs comme s’ils venaient uniquement de l’extérieur. L’islamisme ne fait que remplir le vide que le consumérisme individualiste a laissé derrière nous. On a expliqué aux jeunes qu’il n’y avait pas de culture française, que l’Europe n’avait pas de racines, que notre seule identité était la diversité. Que les grandes conquêtes sociales de demain consistaient à pouvoir pousser son Caddie au supermarché même le dimanche. Et à la fin, on s’étonne qu’ils cherchent une transcendance de substitution… Le plus grand besoin d’un jeune n’est pas de trouver une raison de vivre, mais une raison de donner sa vie. L’émotion provoquée par le don absolu des commandos Cédric de Pierrepont et Alain Bertoncello, comme celui d’Arnaud Beltrame, dit tout de la soif qui habite les cœurs. Si l’on s’en tenait aux critères que notre société individualiste se fixe, cela n’aurait aucun sens ! Emmanuel Macron avait dit : « Il faut que les jeunes Français aient envie de devenir milliardaires. » En réalité, ce sont des jeunes capables de défier tous les calculs, de se donner jusqu’au bout qui font notre plus grande reconnaissance, en sauvant notre pays de ce repli individualiste. L’histoire de ces vies, ce n’est pas l’émancipation de l’individu, c’est au contraire la force du lien qu’elles se reconnaissent avec les inconnus qu’il s’agissait de sauver.

Vous êtes donc étonné que cette société finisse par reconnaître leur valeur ?

Je ne suis pas étonné, je suis émerveillé. Cela montre qu’au cœur du cœur humain, il y a cette soif de se donner, pourtant si méprisée par le monde contemporain. L’époque d’Adopte un mec et de Tinder n’empêchera pas qu’on admire plus que tout le don total de soi. Et cela prouve que l’espoir est possible. Les progressistes ne nous comprennent pas. Dire que la société contemporaine est individualiste, ce n’est pas un jugement moral : il n’y a sans doute pas plus d’égoïsme ou moins de générosité aujourd’hui qu’hier. L’individualisme est une métaphysique du calcul solitaire. Mais avec le drame de Notre-Dame, quelque chose fait échec à cette logique : le général de la brigade des sapeurs pompiers de Paris, avec qui j’ai discuté deux jours après l’incendie, m’a confié qu’aucun de ses hommes n’avait posé de question ou eu de mouvement de recul au moment de monter dans les tours de la cathédrale, alors même que celles-ci pouvaient s’écrouler. Ces hommes ne montaient pas pour sauver des vies mais des pierres, qui sont le signe de cet héritage qui nous précède et nous relie.

Cet incendie a-t-il agi comme un signe dans votre campagne, vous qui vous voulez le candidat de la mémoire ?

Cela nous a rappelé de façon sensible la raison même de notre engagement. En voyant Notre-Dame brûler, nous avons tous eu l’impression de voir brûler une part de notre culture commune, de ce patrimoine matériel mais aussi immatériel que nous savons à la fois magnifique et vulnérable. J’ai toujours été touché par cette confession d’Alain Finkielkraut, qui affirme avoir appris à mieux aimer la France non plus seulement pour sa grandeur, mais de l’amour qu’on porte à ce qui est fragile et menacé.

Êtes-vous surpris de constater qu’après les polémiques soulevées lors de votre entrée en politique, les critiques se soient taries ?

J’ai d’abord été un peu stupéfait de la disproportion des polémiques. Et, je le dis très simplement, je regarde maintenant avec un peu d’étonnement l’excès d’éloges dont je suis parfois l’objet. La démesure dans ces jugements si rapides ne doit pas faire oublier l’essentiel. Le plus important reste à venir : reconstruire la confiance qui a été profondément érodée dans la politique et dans notre famille politique. Bien au-delà d’une personne, l’enjeu est immense. Dans cette société atomisée, nous avons besoin de retrouver du lien. Dans cette société matérialiste, nous avons besoin de retrouver des idées.

Vous arrivez avec votre bienveillance, à rebours des postures habituelles… Est-ce une nouvelle manière de faire de la politique ?

Je n’ai pas cherché à jouer un rôle ou à calculer une attitude, je suis resté moi-même. Mais c’est intéressant de voir les témoignages des gens à la fin des réunions publiques, les courriers qu’ils écrivent… Beaucoup expriment leur désir de prendre de la hauteur, de retrouver de la sérénité. Ce qui me frappe le plus, c’est de voir des gens qui pleurent à la fin des réunions publiques. Beaucoup de Français se sentent perdus, désespérés, ont le sentiment de ne plus être entendus et de ne plus maîtriser leur avenir. Il y a une immense inquiétude collective.

L’orateur rompu aux meetings politiques agite des stimuli pour enflammer les foules. Vous, vous laissez une large place au silence…

J’avoue que j’ai toujours du mal à entendre scander mon nom. Ce que je trouve le plus beau dans les réunions publiques, c’est de tenter d’emmener les gens avec soi pour mieux comprendre avec eux nos échecs et nos espoirs. Hier soir, nous étions à côté d’Angers. Nous avons parlé du défi économique et commercial devant lequel l’Europe se trouve, de la manière de retrouver notre place dans la mondialisation, des moyens de sortir de la crise et de redonner de l’oxygène à ceux qui travaillent… Nous vivons une crise profonde du travail. C’est un sujet technique, économique ; mais c’est aussi parce que nous avons perdu le sens du travail, en faisant systématiquement le choix de la consommation. Et j’ai repris un passage de Péguy que j’avais déjà risqué dans un meeting un peu plus tôt. C’est une vraie joie de sentir la densité du silence, l’attention des gens qui trouvent dans ces lignes des mots pour comprendre ce qu’ils veulent retrouver. [Il récite] « J’ai vu toute mon enfance rempailler des chaises exactement du même esprit et du même cœur, et de la même main, que ce même peuple avait taillé ses cathédrales. Il fallait qu’un bâton de chaise fût bien fait… »

Lorsque le Monde, après des semaines de campagne, vous met en une et titre sur « les habits neufs du conservatisme », cela infirme l’idée qu’il n’y aurait en France que des populistes ou des progressistes…

Oui, ce faux débat entre progressistes et populistes est scandaleux. Si on regarde les sondages, en prenant en compte l’abstention, moins de 20 % des Français se reconnaissent dans l’un ou l’autre de ces camps. Mais Emmanuel Macron sait que la seule personne qui pourra le sauver, dans trois ans, c’est Marine Le Pen. Il l’installe donc en unique opposante, parce que son seul but est d’empêcher que se reconstruise une alternative crédible à droite, la seule qui pourrait réellement l’empêcher d’être réélu en 2022.

Est-ce la raison pour laquelle Nathalie Loiseau a refusé de débattre avec vous ?

Son seul but est de faire exister Jordan Bardella. Elle prétend que son engagement est de battre le Rassemblement national et, en même temps, le considère comme le seul interlocuteur démocratique valide. Ne parler que d’un combat contre le populisme, c’est une manière pour elle de s’exonérer du bilan dramatique de son parti ou d’éviter de parler des sujets de fond, alors que nous sommes face aux défis les plus importants de notre temps. C’est vrai aussi du RN, qui a totalement changé de discours sur l’Europe… Le seul débat en est réduit à battre Marine Le Pen ou à battre Emmanuel Macron. Les Français n’en peuvent plus de ces élections tristes.

À la fin du mois de février, une dépêche de l’agence Reuters relatant un échange dans lequel vous auriez affirmé pencher pour Jean-Claude Juncker plutôt que Viktor Orbán, Emmanuel Macron plutôt que Marine Le Pen. Dans un long texte sur Facebook, vous avez rétabli votre version, puis dénoncé le mirage d’une souveraineté européenne et accusé les populistes et les progressistes de « s’alimenter mutuellement ». Que vous a enseigné cet épisode sur le rapport à la vérité de la société de l’information ?

Il m’a enseigné qu’au fond nous vivons dans un univers d’artifices, où manque souvent l’exigence intellectuelle de rendre compte de la réalité d’un propos. Ce qui compte, c’est de chercher la petite phrase qui enfermera, quand bien même elle ne dit pas du tout ce que vous cherchiez à exprimer. J’ai éprouvé à cette occasion beaucoup de compassion pour des responsables politiques qu’on a parfois vigoureusement critiqués parce qu’un de leur propos avait été réduit à trois mots… Je comprends que beaucoup aient cédé à la dictature des “éléments de langage” pour se protéger. Mais cela pose une vraie question : quel espace laisse-t-on à la réflexion, au temps qu’elle exige, au sens de la complexité ? Sommes-nous prêts à un dialogue qui cherche à comprendre plutôt qu’à étiqueter ? Quand Jordan Bardella prend une phrase de quarante secondes prononcée sur une radio et qu’il en ressort un extrait de neuf secondes qui me fait dire exactement le contraire de ce que j’exprimais, j’y vois le signe que le débat politique va mal. Je crois au pluralisme : j’ai de vrais désaccords avec lui, mais ça ne m’empêche pas de respecter tous ceux qui s’engagent pour défendre leurs idées. Un enjeu essentiel pour nos démocraties, c’est de sauver la possibilité du désaccord intelligent. Je suis sûr que les Français en sont capables, beaucoup plus que leurs responsables politiques.

À quoi jugeriez-vous que votre campagne a été réussie ? Avez-vous des regrets ?

Les plus beaux moments ont été les rencontres, comme ce matin dans un centre pour enfants autistes, ou pendant les réunions publiques. Une campagne est une occasion rare de mieux connaître la réalité de la France ; mais c’est surtout éprouvant et intense. Je m’accroche au fait qu’il ne reste que quelques jours de campagne… [Rires] J’estimerai que cette campagne aura été réussie quand, dans cinq ans, on aura pu avancer sur les objectifs concrets que nous nous sommes donnés.

En quoi la philosophie vous a-t-elle aidé ?

Marc Aurèle m’a bien aidé… Il faut être un bon stoïcien pour faire de la politique, avec le détachement, la distance et l’engagement que cela impose. Par ailleurs, le fait de rentrer dans la réalité des sujets me tenait vraiment à cœur. Nous avons consacré des réunions publiques à approfondir des questions précises, avec des spécialistes de notre liste, par exemple avec Arnaud Danjean et Frédéric Péchenard sur les enjeux de sécurité et de défense. Nous continuerons d’ailleurs pendant le mandat.

Avez-vous aussi appris sur les rapports humains ?

C’est vrai, la politique est un terrain favorable pour mieux appréhender le cœur humain… On voit tout ce qu’il y a de plus médiocre et de plus décevant parfois, mais je peux vous promettre qu’on y trouve aussi ce qu’il y a de plus noble. J’ai été très marqué par la bienveillance de beaucoup, et par le dévouement et la générosité de tant d’élus. Ce pays tient par l’engagement discret de tant de Français, sur le terrain. Il nous manque un cap qui puisse nous unir de nouveau, mais nous avons tout pour retrouver l’espérance.

À propos de Vincent Lambert (encadré)

Ce qui me frappe, c’est de voir la violence qui s’exprime dans l’affaire de Vincent Lambert, cette instrumentalisation écœurante qui est faite de cette vie blessée et fragile par ceux qui militent pour l’euthanasie et qui défendent ‘le droit à mourir dans la dignité’. Ceux-là mêmes qui déclarent indignes tous ceux qui ne correspondent pas au standard de performance et de réussite qu’on voudrait voir appliquer à une existence humaine légitime pour être vécue. Il y a là une violence insoutenable. Nous sommes devant le grand point de bifurcation qui nous attend : soit on définit la vie comme la force, la force poussée à son paroxysme, soit on reconnaît que la vie, c’est d’abord l’expérience de la faiblesse. Aujourd’hui, nous nous définissons comme des individus consommateurs qui rentrent dans leur vie comme un client devant un catalogue, en voulant avoir toutes les options. Pour ma part, je crois que la vie commence par l’extrême dépendance qu’est l’état d’enfance et qu’elle se termine dans l’extrême dépendance qu’est la vieillesse. Ces deux termes de l’existence nous enseignent que c’est par les brèches de notre capacité d’agir que passe la rencontre avec l’autre et le lien qui nous rattache à lui. Nous sommes tous les débiteurs de ceux qui nous ont fait grandir et nous n’étions pas malades parce que nous étions des enfants. Le regard que l’on porte sur Vincent Lambert aujourd’hui, qui effectivement a besoin d’aide pour pouvoir simplement se nourrir, c’est le regard que nous portons sur notre humanité. Oui, je crois que dans ce débat, on n’a pas concrètement le droit d’exploiter une pareille situation pour propager son idéologie. On devrait se l’interdire, même ! Par ailleurs, on a aujourd’hui un équilibre défini par la loi Léonetti, qui a été votée à l’unanimité du Parlement – ce qui est déjà très rare, et sur un sujet comme celui-ci encore plus exceptionnel. Il y a des vies humaines dont je ne crois pas qu’on puisse dire, sauf à renoncer au sens même de ce qu’est la condition humaine, qu’elles ne sont pas dignes d’être vécues.