Refuser l’irresponsabilité générale : non, cet attentat n’avait rien d’inéluctable.

Fabien Clairefond - François-Xavier Bellamy au sujet de Pap Ndiaye et de sa demande de répartir les efforts de mixité socialeTexte initialement paru dans Le Figaro du 16 octobre 2023.

Il y a quelque chose de pire que l’horreur : c’est la répétition de l’horreur. Quelque chose de pire que la terreur : c’est l’habitude. Un professeur a été tué, dans son lycée, au cri de Allah Akbar. Et le rituel reprend, déjà familier : indignations politiques, condamnations de circonstance, « crime odieux », « valeurs de la République », micros tendus, la détresse des collègues, les yeux rougis des élèves, détails de l’enquête, déplacement des autorités, « dire le soutien de la Nation », « restons unis et debout », marches blanches, minutes de silence… Combien de fois faudra-t-il subir cette répétition ?

La liste est trop longue déjà. Au point qu’elle risque de susciter, après la révolte, une forme de résignation. Nous étions quatre millions à descendre dans la rue pour les morts de Charlie. Avons-nous fini par admettre une nouvelle normalité ? Vendredi, quelques heures après l’attentat, un expert expliquait sur une radio du service public que même si la prévention du terrorisme est « relativement bien » assurée en France, il est fatalement « impossible de surveiller tout le territoire », et que par conséquent « il y a des moments où il faut se dire que la violence fait partie de la société ». Puisqu’il existe toujours un « risque du passage à l’acte violent », le spécialiste en tirait cette conclusion : « C’est dur à entendre, mais ça fait partie de la vie ». Des professeurs tués dans leur lycée par des islamistes : trois ans après la mort de Samuel Paty, c’est donc cela, la « vie » à laquelle il va falloir s’habituer ?

Il y a quelque chose de pire que l’horreur : c’est la répétition de l’horreur. Quelque chose de pire que la terreur : c’est l’habitude.

C’est finalement, à sa manière, le message qu’envoyait au même moment le président de la République, en consacrant ses cinq minutes d’intervention au lycée Gambetta à remercier tout le monde : les professeurs et les élèves, les policiers félicités pour leur rapidité, tout comme les magistrats, les élus qui font bloc, et les soignants si réactifs. On ne peut que s’associer à la reconnaissance du pays pour ceux qui aujourd’hui se retrouvent en première ligne… Mais en s’arrêtant à ces mots, le président donnait l’étrange impression que tout s’était finalement aussi bien passé que possible, et que rien n’avait failli. Une autre manière de signifier qu’on ne pourrait faire mieux pour empêcher l’inéluctable violence de frapper à nouveau, et que l’essentiel serait, la prochaine fois comme aujourd’hui, de rester « unis, groupés et debout ».

Mais nous ne voulons plus de ces mots. Nous n’en pouvons plus. Il faut enfin sortir du déni de réalité. L’unité nationale, oui ; mais pas au prix du regard pudiquement détourné sur les années de faillite qui ont laissé l’horreur s’imposer. Car cet attentat, comme ceux qui l’ont précédé, n’avait rien d’inéluctable : nommer lucidement les fautes multiples qui ont rendu possible le pire, c’est la condition pour s’en sortir enfin.

Cette tragédie frappe l’institution scolaire, première victime de ce long échec collectif, fragilisée par des décennies de « réformes » toujours inspirées par la même idéologie : toujours moins transmettre, moins enseigner, moins assumer l’héritage – quitte à laisser toujours plus de déshérités. Le criminel d’Arras, comme ceux qui en juillet ont brûlé des dizaines d’écoles, avait passé des années sur les bancs de nos salles de classe : comment avons-nous pu laisser des esprits à ce points vides, décérébrés et incultes, qu’ils soient si facilement séduits par l’islamisme stupide des réseaux et des quartiers ? Comment notre école a-t-elle pu taire ou dénoncer la culture qu’elle devait enseigner, au point que ses propres élèves se sentent le droit de la mépriser jusqu’à vouloir la détruire ? Alors que nous consacrons à l’Education nationale le premier budget de l’État, un jeune sur cinq arrive à ses dix-huit ans sans savoir lire correctement le français. Beaucoup de mes collègues professeurs l’ont dit comme moi depuis longtemps : là où la culture n’est plus apprise, il ne faut pas s’étonner de voir surgir la barbarie. Cet effondrement silencieux de l’école, à coups de lâcheté politique, de réformes absurdes, de « pas de vagues » imposé, aura volé aux professeurs leur métier, et aux élèves leur chance de recevoir ce que nous avions à leur enseigner : le résultat est sous nos yeux. Mais il n’y a aucune fatalité à ce naufrage éducatif, si nous sortons enfin du déni de réalité pour concentrer l’effort de tout le pays au relèvement de notre école, avec pour seule mission de transmettre.

La seconde tâche essentielle, c’est celle de reconstruire nos frontières. Là encore, la faillite est évidente. Dominique Bernard est mort parce que l’État s’est désarmé face à l’immigration illégale. Le criminel est un tchétchène – comme le meurtrier de Samuel Paty, qui avait lui aussi été d’abord débouté du droit d’asile ; sa dérive islamiste avait été signalée par l’Éducation nationale ; son frère est en prison pour avoir soutenu un projet d’attentat et relayé la propagande de Daech, et lui-même était fiché S. Cette famille aurait dû être expulsée depuis longtemps, avant qu’un collectif d’associations et de militants de gauche ne s’y opposent en invoquant une circulaire : comme dans tant d’autres cas, l’illégalité avait trouvé secours dans la toile de conventions, de jurisprudence et de bureaucratie qui paralyse l’État. Ceux qui s’enlisent dans le déni – les mêmes qui dénoncent le couteau pour ne pas nommer le djihad, et qui prefèrent fuir les micros que d’avoir à reconnaître le terrorisme du Hamas – ceux-là refuseront encore de voir le lien entre ce crime et la faillite migratoire. Mais l’évidence est là : si nous avions fait respecter nos lois, nos principes et nos frontières, Dominique Bernard, comme Samuel Paty et tant d’autres, serait en vie aujourd’hui. Prétendre que nous vivons les drames inévitables d’une société normale, c’est s’exonérer trop vite de toute responsabilité. À nous de remettre le droit à l’endroit pour sortir de cette folie – et c’est possible, pourvu que l’on aille, comme nous l’avons proposé, jusqu’à utiliser le levier de la Constitution pour rendre sa force à la loi.

Il n’y a aucune fatalité à ce naufrage éducatif, si nous sortons enfin du déni de réalité pour concentrer l’effort de tout le pays au relèvement de notre école, avec pour seule mission de transmettre. La seconde tâche essentielle, c’est celle de reconstruire nos frontières.

Un professeur a été tué dans son lycée au cri de Allah Akbar. Devant la somme des aberrations, des échecs, des dénis qui ont rendu possible une telle folie, tout dirigeant digne de ce nom devrait dire : j’ai échoué. Tout un pays bouleversé devrait dire : nous avons échoué. Au lendemain de la grande défaite de 40, Saint-Exupéry écrivait que la France se relèverait en retrouvant le sens de la responsabilité. « Il importe d’abord de prendre en charge. Chacun est responsable de tous. » Nous devons à Dominique Bernard, et à tous ses collègues qui reprendront les cours lundi, de ne pas faire comme si personne n’y pouvait rien, comme si tout était normal – de ne jamais nous habituer. C’est la condition nécessaire pour un renouveau politique qui nous permette enfin de sortir de l’impuissance. « Nous entrerons demain dans la nuit. Que mon pays soit encore quand reviendra le jour ! »

Arras : cet attentat n’était pas une fatalité.

François-Xavier Bellamy était à l’antenne de France Inter le vendredi 13 octobre à 18h40 (replay à ce lien à 1h39’22 »).

Vous qui êtes professeur de philosophie – vous êtes aussi eurodéputé, mais c’était votre premier métier. Quelle est votre réaction ?

Je pense à tous les professeurs de France qui sont aujourd’hui en première ligne. Ce métier est devenu dangereux, et je pense à ceux qui demain iront la peur au ventre au travail, en se demandant d’où peut venir la menace. Mais si ce métier est dangereux, ce n’est pas une fatalité. Et moi je suis assez révolté d’entendre ce que disait monsieur Crettiez à l’instant, qui nous expliquait que la violence, finalement, existait toujours…

C’est vrai, mais ce n’est pas une fatalité ! Si nos écoles sont devenues aujourd’hui des lieux dangereux, ça n’a pas toujours été le cas. Pourquoi en sommes-nous arrivés là ? C’est très simple : parce que quelqu’un qui a été débouté de sa demande d’asile, qui est rentré illégalement sur le territoire français, qui est suivi depuis des années à cause de la radicalisation de lui-même et de son entourage, est encore dans notre pays, et encore susceptible de nuire. Voilà la réalité : c’est l’impuissance de l’État, organisée depuis des années avec les meilleures intentions du monde, qui a fait que nos écoles sont devenues des lieux où les professeurs peuvent mourir parce qu’ils incarnent la République. Ce criminel, ce terroriste islamiste est entré et il voulait tuer un professeur d’histoire. C’est l’un de ses collègues qui a raconté cet épisode glaçant : il voulait tuer un professeur, parce que les professeurs sont là pour transmettre le savoir, et que cette transmission du savoir est combattue aujourd’hui par le fanatisme islamiste. Mais ce n’est pas une fatalité : on n’a pas le droit de faire croire aux gens que c’est normal, et que ce sera toujours comme ça.

C’est l’impuissance de l’État, organisée depuis des années avec les meilleures intentions du monde, qui a fait que nos écoles sont devenues des lieux où les professeurs peuvent mourir.

Que faut-il faire lundi, pour le troisième anniversaire de la mort de Samuel Paty ? On a demandé aux enseignants de préparer un hommage. Vous, vous seriez devant des élèves en tant que professeur de philosophie, qu’est-ce que vous leur diriez ?

Je crois qu’il faut effectivement rendre hommage à Samuel Paty, et rendre hommage à Dominique Bernard qui est mort aujourd’hui. Mais je pense à tous les professeurs de France qui aujourd’hui sont confrontés à des situations dans lesquelles leur sécurité est en danger s’ils osent parler de ces questions.

On a fait comme si de rien n’était quand pendant la minute de silence après l’attentat de Charlie Hebdo, des dizaines d’établissements n’ont pas pu commémorer ce qui venait de se passer.

On a fait comme si de rien n’était quand on a vu dans nos salles de classe des professeurs obligés de s’autocensurer. Un professeur sur deux en France déclare qu’il s’est déjà imposé le silence par peur pour sa propre sécurité devant des élèves qui refusent d’entendre ce qu’ils ont à leur transmettre. Eh bien je veux vous dire : je suis pour l’unité nationale, bien sûr. Je suis pour le recueillement, bien sûr. Je suis pour l’hommage, bien sûr.

Mais ça suffit. On ne se laissera pas imposer le silence au motif de l’unité. Aujourd’hui, oui, c’est vrai, la France est désarmée, et malgré le travail extraordinaire des forces de police et de sécurité, malgré le courage incroyable des professeurs, on ne peut pas se contenter de leur rendre hommage.

On doit enfin redonner aux professeurs les moyens de leur mission, comme à ceux qui assurent la sécurité du pays. Il faut – et il est sûr que ce ne sera pas facile, que ça prendra du temps – : il faut reconstruire l’école à partir du point de départ, il faut redonner à l’école sa mission.

Et ensuite il faut reconstruire nos frontières. Parce que si on n’a pas la capacité de dire qui a le droit de rester sur notre sol et qui n’a pas le droit d’y rester, si on continue de devoir garder en France des milliers de fichés S qui ne sont pas français et qui pourtant, par leur radicalisation islamiste, constituent des menaces pour les Français, si on est obligé de les garder chez nous alors qu’ils ont été déboutés du droit d’asile à plusieurs reprises, alors il n’y aura pas de sécurité pour les Français. Je veux bien l’union, mais désormais on ne nous imposera pas le silence au motif de cette unité qui, si elle est effectivement un devoir, doit se faire dans la vérité, et dans une réponse efficace et lucide au défi qui est devant nous.


Le phénomène lié à cette crise d’intégration, c’est la faillite de l’école

Entretien dans Marianne

Débat initialement paru dans le magazine Marianne. Propos recueillis par Soazig Quemener et Louis Nadau.

Marianne : Il y a un mois, la France était secouée par une vague de violences et de pillages… Comment qualifieriez-vous ce qui nous est arrivé ?

François-Xavier Bellamy : On ne peut pas ne pas voir que la population qui s’est soulevée est une population très majoritairement liée au phénomène migratoire à une, deux ou trois générations. Trois générations dont, dans le contexte de faillite massive de l’intégration que notre pays connaît, beaucoup restent à distance d’une identité française qu’ils n’ont pas rejointe. Le deuxième phénomène qui est lié à cette crise d’intégration, c’est l’échec profond, la faillite de l’école.

Emmanuel Maurel : Dire qu’il y a un problème d’intégration dans ce pays, c’est évident, mais c’est aussi pour des raisons très claires. Si les politiques publiques et de logement consistent à parquer tous les mêmes gens précaires dans le même endroit, forcément… En revanche, je ne suis pas d’accord avec le lien entre émeutes et immigration. Pourquoi ? Parce que qu’on parle de gosses de quatorze ou treize ans qui sont Français, dont les parents sont Français et dont les grands parents parfois sont Français. Les enfants de treize ou quatorze ans qui ont foutu le bordel et qui se sont livrés à des actes de violence, ce sont les enfants des travailleurs qui étaient en première ligne pendant le Covid.

Un gigantesque acte d’accusation contre les faillites de l’école

François-Xavier Bellamy : Je ne dis pas que les gamins qui ont fait ça ne sont pas Français, mais le fait est que la plupart d’entre eux ne se définissent pas comme tels. C’est là qu’il y a une faillite que je ne leur impute pas, – ce qui sans doute, me rendrait suspect aux yeux de gens qui reprocheront immédiatement l’excuse sociale au premier qui essaye de ne pas dessiner un monde en blanc et noir. Ce qui s’est passé est un gigantesque acte d’accusation contre les faillites de l’école, qui ont créé le terreau de la fracturation communautariste. Mais si on continue avec de tels flux migratoires, avec autant de nouveaux arrivants tous les ans, il n’y a aucune chance qu’on arrive à recréer la conscience d’appartenir à une nation commune.

Emmanuel Maurel : Je suis comme vous, je souffre quand je vois des enfants qui ne se sentent pas Français. Mais parfois, on a quand même tendance à oublier l’élément déclencheur de ce qui s’est passé : la mort d’un jeune homme à l’occasion d’un contrôle policier. Ces gosses dont on parle se réinventent une identité parce qu’ils se sentent rejetés, parce qu’ils se sentent discriminés. Quoi qu’il en soit, je pars du principe que la République doit aimer tous ses enfants. Même ceux qui disent « nique la France ». D’ailleurs, face au rapport à la France, si j’étais un peu taquin, je dirais que le riche qui planque son pognon dans les paradis fiscaux, il n’aime pas plus la France que les émeutiers.

François-Xavier Bellamy : Je suis absolument d’accord…

« Je ne dis pas que les gamins qui ont fait ça ne sont pas Français, mais le fait est que la plupart d’entre eux ne se définissent pas comme tels. C’est là qu’il y a une faillite que je ne leur impute pas – ce qui sans doute, me rendrait suspect aux yeux de gens qui reprocheront immédiatement l’excuse sociale au premier qui essaye de ne pas dessiner un monde en blanc et noir. Ce qui s’est passé est un gigantesque acte d’accusation contre les faillites de l’école, qui ont créé le terreau de la fracturation communautariste. Mais si on continue avec de tels flux migratoires, avec autant de nouveaux arrivants tous les ans, il n’y a aucune chance qu’on arrive à recréer la conscience d’appartenir à une nation commune. » François-Xavier Bellamy

Emmanuel Maurel : Donc, ce patriotisme, tout le monde devrait contribuer à le renforcer, pas seulement les pauvres de banlieues d’origine étrangère. La faillite de l’intégration, le communautarisme qui est incontestable, c’est aussi le résultat direct du néolibéralisme et de la mondialisation libérale qui cassent les repères, qui cassent l’État social, qui fragmentent les services publics et qui font que les gens, à un moment, se retrouvent seuls face aux difficultés. Assez naturellement, ces populations se réinventent autour d’identités qui sont parfois fantasmées. Parce que le petit gosse qui dit « je suis Marocain », il n’a pas du tout envie d’aller vivre au Maroc.

Marianne : Le gouvernement a réclamé le retour de l’autorité parentale…

Emmanuel Maurel : Il y a une crise éducative globale qui ne se limite pas à l’autorité parentale. La réponse du gouvernement est très insuffisante : le problème, ce n’est pas juste que les parents ne savent pas tenir leurs gosses. C’est que l’école n’est plus un sanctuaire, mais un lieu où les contradictions de la société, la violence de la société, s’invitent. Quand on rajoute à ça le fait que le métier d’enseignant est dévalorisé, mal payé, de plus en plus difficile… Je ne ferai jamais le procès aux instits, aux enseignants, au personnel de l’Éducation nationale, des gens qui sont payés 1 500 balles, qui ont en face d’eux tous les problèmes de la société, et à qui on ose dire : « Réglez le problème. »

Je reviens sur quelque chose qui est beaucoup plus grave : la sécession des riches à l’école. C’est symptomatique d’un dysfonctionnement total dans les élites dirigeantes. Les mêmes qui vont disserter sur les problèmes d’autorité parentale et la crise de l’école sont ceux qui, de toute façon, ont mis leurs enfants à l’abri. Donc, évidemment qu’il y a des impératifs de mixité, qu’il faut revoir complètement, et une politique éducative à refonder. Tout ça mériterait des états généraux de l’éducation nationale où on met tout à plat, où on n’occulte rien.

Ce qui a cassé l’école, c’est une idéologie qui condamnait l’héritage et l’idée même de l’appartenance à la nation.

François-Xavier Bellamy : Oui, l’école ne resterait pas une minute dans l’état où elle est, si les enfants de ministres, de parlementaires, de chefs d’entreprise et de journalistes n’avaient pas d’échappatoires pour scolariser leurs enfants. Je ne leur reproche pas de vouloir que leurs enfants puissent bénéficier de la meilleure éducation possible ; mais le problème, c’est d’accepter que les enfants des autres en soient privés… En revanche, si la mondialisation a en effet eu des effets dévastateurs, ce n’est pas elle qui a cassé l’école. C’est une idéologie qui condamnait l’héritage et l’idée même de l’appartenance à la nation, au motif qu’elle empêchait l’émancipation de l’individu. Qui condamnait la transmission parce qu’elle engendrait de la ségrégation. Je ne blâme pas les professeurs, à qui on a volé leur métier : on leur a expliqué que l’élève doit produire ses propres représentations du monde, qu’il faut qu’il écrive son histoire, sa vie, qu’il n’y a aucune raison d’imposer à quelqu’un un carcan culturel. C’est cette dérive qui est en cause.

Marianne : Pourquoi vos familles politiques respectives ont-elles du mal à produire un discours qui prenne en compte l’ensemble des causalités de ces émeutes ?

Emmanuel Maurel : C’est normal qu’en tant qu’homme de gauche, je n’aie pas forcément la même lecture de la société qu’un homme de droite, même si on a en commun l’idée de sortir le pays du marasme dans lequel il est. Après, en tant qu’homme de gauche, je vois les tenants économiques, sociaux, géographiques et territoriaux de la crise. Je vois aussi la nécessité de mettre de l’ordre, et les problèmes rencontrés par l’intégration.

Marianne : La nécessité de mettre de l’ordre, ce n’est pas exactement le discours qui a été celui de la force majoritaire à gauche, la France Insoumise.

Emmanuel Maurel : D’accord, mais les électeurs de gauche et de nombreux partis de gauche étaient pour qu’on appelle au calme. Les principales personnes qui sont pénalisées par le désordre, ce sont les gens qui vivent dans des quartiers en question. Il est totalement possible de faire une analyse plurifactorielle. Ce qui compte, c’est de tracer une perspective progressiste, c’est à dire comment on fait pour remettre du service public ? Comment on fait pour réformer la police ? Comment on fait pour répondre à la crise éducative globale ? Comment on fait pour casser des ghettos ? C’est ça qui est intéressant. Et pour l’instant, le gouvernement n’a rien dit du tout là-dessus.

Marianne : Il faut réformer à la police ?

François-Xavier Bellamy : Il faut améliorer tout ce qui doit l’être dans la police. Il y a certainement des choses qui dysfonctionnent, mais je suis révolté de voir que des élus sont capables de reprendre à leur compte des slogans aussi lamentables que « Tout le monde déteste la police » ou bien « La police tue, la police assassine. » Il n’y a pas un policier de France qui se lève le matin en disant : « Je vais aller tuer un jeune aujourd’hui pour le plaisir. » Et s’il y avait du racisme structurel dans la police, honnêtement, le pays ne serait pas dans l’état où il est aujourd’hui.
Le sujet, c’est aussi la justice. On est l’un des pays d’Europe qui sous-financent le plus sa justice. L’état de la justice contribue à ce que des policiers, et je ne les excuse pas pour autant, soient amenés à considérer qu’ils sont les agents d’une sorte de justice immanente, parce que les gens qu’ils arrêtent, finalement, ne seront pas réellement sanctionnés. Je regrette par ailleurs que certains à droite pensent qu’on s’en sortira en mettant de la police partout, des caméras vidéo de surveillance, en rentrant dans une vraie société policière. On ne mettra pas un policier derrière l’épaule de chaque Français. À la fin, la clé est donc toujours éducative.

Ces gamins-là subissent une discrimination majeure qui est qu’ils sont ceux qui payent le prix fort de l’échec de l’école. Aujourd’hui, la France est un pays rempli d’opportunités, si on ne veut pas vivre dans la misère, on n’y est pas condamné à condition d’avoir reçu, et c’est là où je reviens à la question scolaire, des connaissances fondamentales et une culture en héritage. Cela a été la grande folie de nos dirigeants de considérer que l’école devait d’abord donner des compétences professionnelles aux enfants.

« L’état de la justice contribue à ce que des policiers, et je ne les excuse pas pour autant, soient amenés à considérer qu’ils sont les agents d’une sorte de justice immanente, parce que les gens qu’ils arrêtent, finalement, ne seront pas réellement sanctionnés. » François-Xavier Bellamy

Emmanuel Maurel : Ce que vous dites est à rebours de tout le discours de la droite depuis 30 ans.

François-Xavier Bellamy : De la gauche aussi. Mais je suis d’accord, la droite n’a pas été à la hauteur sur le sujet. La clé, c’est de donner aux enfants une culture générale essentielle qui leur permette ensuite de trouver leur place dans la vie de la société, y compris, mais pas seulement, dans la vie économique. C’est le seul sujet qui devrait compter aujourd’hui.

Les deux causes profondes de cette éruption

déni de réalité migratoire

Entretien initialement paru dans le Figaro. Propos recueillis par Emmanuel Galiero.

Quel bilan faites-vous des émeutes ?

François-Xavier BELLAMY. – Ces violences sont une partie visible du prix que paient les Français pour des années d’irresponsabilité politique. Le déni de réalité migratoire et l’effondrement éducatif sont les deux causes profondes de cette éruption. Rien ne serait pire que de se laisser endormir par les communiqués officiels qui rêvent d’une situation apaisée. Cet épisode n’était que l’émergence d’une lame de fond qu’il faut enfin affronter maintenant, si nous refusons qu’elle menace la survie même de la France.

Que vous inspire la réponse du ministre de l’Intérieur quand il refuse d’établir un lien entre ces événements et l’immigration ?

Le ministre de l’Intérieur tente encore de nous aveugler… Comme la gauche l’a fait longtemps, il s’abrite derrière des naturalisations récentes pour affirmer que les « émeutiers » sont français. Mais naturalisation ne veut pas dire assimilation, et cet épisode le prouve encore. Quand ces délinquants crient leur haine de la France et brûlent son drapeau, quand les quartiers qui font sécession sont ceux qui concentrent le plus de population d’origine immigrée, quand l’Algérie ou la Turquie demandent ironiquement que leurs ressortissants soient protégés des policiers français, comment Gérald Darmanin peut-il refuser de voir l’évidence ?

Comment les autorités françaises devraient-elles répondre aux critiques de l’ONU sur « les profonds problèmes de racisme et de discrimination parmi les forces de l’ordre » en France ?

Ce communiqué est révoltant. Les policiers et les gendarmes risquent leur vie chaque jour pour protéger tous les Français ; en attaquant les forces de l’ordre, l’ONU, comme LFI et certains médias, encouragent un chaos dont les plus vulnérables sont les premières victimes. Si ce Haut-Commissariat s’intéresse vraiment aux droits de l’homme, qu’il s’inquiète d’abord de l’enfer subi chaque jour par les habitants des quartiers soumis à l’emprise des islamistes et des trafiquants.

Quel sera l’impact de ces émeutes sur le texte immigration ?

Pourquoi attendre la rentrée ? Il n’y a pas une minute à perdre pour fermer les vannes d’une immigration hors de contrôle qui déstabilise en profondeur notre société. Les Républicains ont une proposition législative claire et complète pour y parvenir tout de suite. Avec Éric Ciotti, Olivier Marleix et Bruno Retailleau, nous avons demandé une rencontre avec le président de la République pour pouvoir la mettre à l’agenda le plus rapidement possible : il n’a jamais répondu. Alors que les enquêtes montrent que plus de 70 % des Français soutiennent nos propositions, il est révoltant que ce soient le président et sa majorité qui empêchent le pays d’avancer.

Avez-vous le sentiment que le chef de l’État répondra à ces urgences ?

Je ne peux que l’espérer pour mon pays mais je constate que le déni prime toujours. Au Parlement européen, les députés macronistes ont mené une croisade contre nous parce que nous avons obtenu que l’Europe finance les infrastructures protégeant nos pays des flux migratoires illégaux. La majorité ne veut pas affronter ce sujet, peut-être aussi pour échapper à sa responsabilité… Sous la présidence d’Emmanuel Macron, la France a délivré plus de titres de séjour que jamais auparavant : près de 500 000 personnes sont arrivées l’an dernier. Impossible de ne pas faire le lien avec les récentes émeutes… Il suffit d’écouter les maires des villes saccagées pour mesurer le problème. L’un d’entre eux me confiait que des dégradations avaient été commises par des mineurs isolés placés dans sa commune où ils ne cessent d’arriver chaque semaine. Comment ces quartiers pourraient-ils échapper à une déstabilisation très profonde ? Tout le monde voit qu’il est urgent d’agir, sauf la gauche et le gouvernement, unis pour empêcher toute reprise de contrôle…

Ces violences ne sont que l’émergence d’une lame de fond qu’il faut enfin affronter maintenant, si nous refusons qu’elle menace la survie même de la France.

Comprenez-vous la déception de nombreux maires après leur réception à l’Élysée ?

Tous ces maires ont passé des jours et des nuits sans dormir, avec les forces de l’ordre et les pompiers, pour protéger leurs villes et tenter d’éviter le pire. J’ai été impressionné, en retrouvant plusieurs d’entre eux, par leur courage malgré l’épreuve immense qu’ils ont traversée. Ils sont les héros discrets et fidèles d’une France qui tient grâce à eux, cette fois encore. Mais ils ont été écœurés de cette rencontre : le président les a fait parler sans jamais rien leur répondre… Cette réunion de pure communication, c’était la mise en scène de l’abandon des élus désormais seuls en première ligne.

Vous aviez pointé l’importance du problème de l’éducation comme moteur des violences, quelle est la solution ?

Je tente d’alerter depuis plus de dix ans, parmi bien d’autres professeurs ; mais rien ne change. Nos dirigeants savent tout, et ne font rien. D’après les statistiques publiques, un jeune sur cinq à 18 ans lit difficilement le français. Des millions de jeunes grandissent dans ce pays sans apprendre à le connaître, sans maîtriser les savoirs les plus fondamentaux. Comment cela pouvait-il aboutir à une autre conséquence que cette désintégration absolue ?

Tant que l’obsession du gouvernement sera la dispersion des savoirs fondamentaux, l’éducation sexuelle et l’éco-certification des élèves, nous perdrons un temps vital.

Maintenant, l’essentiel n’est pas seulement de reconstruire les dizaines d’écoles brûlées, mais de leur rendre leur mission : transmettre à tous les enfants les éléments essentiels de la culture, de la connaissance, des repères moraux nécessaires pour une vie civilisée et une participation utile à la vie de la société. Il faudra du courage, de la lucidité, de la persévérance, mais cette urgence du long terme est seule primordiale. Tant que l’obsession du gouvernement sera la dispersion des savoirs fondamentaux, l’éducation sexuelle et l’éco-certification des élèves, nous perdrons un temps vital.

Des réseaux sociaux aux cagnottes, l’influence grandissante des plateformes numériques inquiète. Comment gérer ces évolutions ?

Là aussi, c’est un sujet d’éducation. Le monde de l’immédiateté a pris la place du travail de la transmission. L’écran remplace le livre. Et un moment comme celui-ci montre le potentiel de violence que déchaîne cette déculturation, l’abrutissement et la brutalisation qui naissent de cette fascination pour l’immédiat. Ce serait une erreur d’accuser l’outil au lieu de voir qu’il n’est que le symptôme d’un effondrement éducatif. Lutter contre l’asservissement de l’attention des jeunes aux écrans suppose de comprendre qu’il est le résultat du vide intérieur que l’échec de l’école a laissé prospérer.

Comment ces troubles français sont-ils perçus chez nos voisins européens ?

Avec une vraie et grande inquiétude. Ces violences auront, une fois de plus, beaucoup coûté à l’image de notre pays, à son économie, à son attractivité ; et je pense aux commerçants, aux entrepreneurs, aux travailleurs qui paient cet affaiblissement au prix fort.


À La Verrière, dégoût et colère.

Dégoût et colère. J’étais à la Verrière aujourd’hui, une commune qui comme tant d’autres a subi la violence inouïe des dernières nuits, avec le maire Nicolas Dainville qui se démène sans compter, les soignants dont l’hôpital a été attaqué, les enseignants qui ont vu leur école brûler…

Dégoût devant la lâcheté de ces « émeutiers », devant ce déferlement stupide et destructeur. Qu’est-ce qui peut excuser qu’on brûle une école ? Un jeune a été tué, l’auteur du tir est en prison – ça n’arrive pas si souvent. Rien ne justifie qu’on ajoute de la violence à ce drame.

Colère devant l’injustice absolue infligée à des enfants privés d’école, à des familles traumatisées, à des commerçants pillés, à ceux qui tiennent les services publics essentiels envers et contre tout, aux élus qui voient détruits en un instant des années d’efforts patients…

Colère d’entendre des élus s’acheter une clientèle en attisant le pire, et des commentateurs qui s’obstinent à raconter que ce délire a quelque chose à voir avec la mort de Nahel. On porte le deuil en volant des baskets et en tronçonnant des distributeurs de billets, vraiment ?

Dégoût et colère devant les années de folie migratoire et de faillite éducative qui ont conduit à cette impasse. Parmi les jeunes qui ont brûlé ces bancs, certains y sont resté assis des années. Comment avons-nous laissé mépriser et haïr à ce point ce qui devait y être transmis ?

Sidération enfin de voir nos dirigeants tergiverser face à ce défi lancé à l’Etat. Comptent-ils abandonner longtemps les policiers, gendarmes, pompiers devant la violence qui promet de se répéter chaque nuit ? Qu’attendent-ils exactement pour déclarer l’état d’urgence ? Combien de blessés chez les forces de l’ordre, combien d’écoles, de mairies, de magasins détruits avant que les mesures soient prises pour empêcher enfin que la brutalité s’organise ? Le président fait appel à la responsabilité des parents ; il faut aussi qu’il assume la sienne.


Revoir l’intervention de François-Xavier Bellamy au lendemain du drame de Nanterre

Immigration et cas du Danemark : invité de C CE SOIR sur France 5

 

François-Xavier Bellamy invité de C CE SOIR pour débattre de la politique migratoire et du cas du Danemark

Déplacement en Nouvelle-Calédonie


Retour sur cinq jours de déplacement de travail en Nouvelle-Calédonie

 

 

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Mayotte souffre d’abord des faiblesses de la France

Mayotte est française. Et elle souffre d’abord, en première ligne, des faiblesses de la France : le déni de réalité migratoire et ses conséquences – violence endémique, effondrement des services publics essentiels, infrastructures saturées, anémie économique, crise sociale. Mayotte souffre par ces élus qui fermeront les yeux jusqu’à ce qu’il soit trop tard, par ces ONG subventionnées qui ne défendront vos droits et votre vie que si vous n’êtes pas Français, par cette justice qui protège l’illégalité en condamnant l’Etat à l’impuissance publique.

Je suis allé à Mayotte il y a trois ans maintenant, et je n’ai cessé depuis de tenter de soutenir les élus et tous ceux qui font tenir ce territoire français malgré tout – malgré ses écoles débordées, son hôpital saturé, sa route sous thrombose, sa piste d’aéroport trop courte. Sur tout cela, nous avons travaillé depuis Bruxelles, avec le député Mansour Kamardine, le maire de Mamoudzou Ambdil Soumaila, et tant d’amis. Pour faire en sorte que le levier européen serve aux infrastructures vitales, à l’amélioration du lien aérien, au renouvellement de la flotte, au soutien du RSMA…

Moroni ne peut dicter sa loi à Paris.

Malgré tout, aucune des difficultés de Mayotte ne sera surmontable si la crise migratoire n’est pas stoppée. Je l’ai mesuré en partageant le quotidien de la Police aux frontières sur place, en organisant des échanges avec Frontex sur la situation, et en rencontrant ceux qui, comme Estelle Youssouffa, alertent depuis des années… Mais qu’en savent les beaux esprits qui, depuis Paris, font la leçon aux mahorais ? Savent-ils qu’à Mayotte un enfant doit se lever à 3 heures du matin pour aller à l’école, malgré les agressions fréquentes ? Que l’eau est coupée au moins un jour par semaine ? Qu’il faut se barricader pour un peu de sécurité ? Que 77% des gens vivent sous le seuil de pauvreté ? Mayotte est française pourtant ! Elle s’est battue et elle a voté pour cela, quand les îles des Comores choisissaient l’indépendance. Que chacun assume désormais. Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes n’est pas à géométrie variable. Moroni ne peut dicter sa loi à Paris.

Dans ce moment si inquiétant pour Mayotte et pour la France, il est clair que, dans l’océan Indien comme en métropole, c’est toutes les faiblesses du pays qu’il est urgent de réparer. Pour que Mayotte reste la France, et que la France reste capable de décider de son avenir !

Répartir l’échec ou reconstruire enfin l’école ?

Fabien Clairefond - François-Xavier Bellamy au sujet des annonces de Pap Ndiaye pour répondre à « l'évitement scolaire »

Tribune parue dans Le Figaro le 16 avril 2023

Rien n’est plus dangereux pour un patient que le médecin qui tenterait de supprimer le symptôme plutôt que la maladie. Pap Ndiaye se souvient-il de cet avertissement de Georges Canguilhem ? Il s’y prend en tous les cas à rebours pour traiter ce grand corps malade qu’est devenue l’Éducation nationale, en annonçant, dans un entretien au Figaro, qu’il se prépare à imposer des ratios de mixité sociale dans les établissements privés. Même si le ministre est trop pudique pour nommer clairement la contrainte, trouvant que « le terme de quota est un peu rigide », c’est bien de cela qu’il s’agit…

Le système scolaire français est devenu l’un des plus inégalitaires au monde

Le mal est en effet profond. Les indicateurs effarants se succèdent sur l’effondrement de notre école. D’après le ministère lui-même, à peine la moitié des élèves de sixième a le niveau de lecture requis pour le collège, et un tiers est en grande difficulté. Sur les matières scientifiques, alors que la France se classait dans le premier tiers de l’OCDE en 2000 selon le Programme international pour le suivi des acquis des élèves (Pisa), elle a reculé derrière la plupart des pays européens – très loin des pays asiatiques.

Mais cette faillite collective n’est pas payée au même prix par toute la société française. Les données convergent pour montrer que le système scolaire français est devenu l’un des plus inégalitaires au monde. En 2013, l’enquête Pisa révélait que « l’école française est aujourd’hui celle des pays de l’OCDE où l’origine sociale des enfants pèse le plus lourd dans les résultats scolaires ». Cette trahison absolue de la promesse du mérite, qui constituait pourtant en France le cœur même de l’aspiration démocratique, n’a cessé de s’aggraver depuis.

Punir, sous couvert de grands principes, ceux qui reçoivent encore un enseignement de qualité, c’est avouer qu’on a renoncé à enrayer le déclin de l’enseignement public.

Un jeune majeur sur cinq en grande difficulté de lecture

Il me semble d’ailleurs évident que cette distribution inégalitaire des conséquences de l’effondrement scolaire explique largement l’étrange inertie qu’il suscite. Les milieux dirigeants sachant leurs enfants globalement protégés du naufrage éducatif – voire avantagés par le fait que les élèves issus des milieux défavorisés, et même de la classe moyenne, n’ont plus les moyens de leur contester les places dans les filières les plus valorisées de l’enseignement supérieur. Comment ne sombreraient-ils pas dans un confortable déni ? Combien de ministres, d’élus, de patrons, de journalistes, ont crié au scandale quand, en 2020, l’enquête TIMMS a classé nos élèves derniers d’Europe en mathématiques ?

Ces chiffres, parmi tant d’autres, auraient dû provoquer un électrochoc national. S’il n’en a rien été, c’est parce que nos décideurs ne se représentent pas ce qu’ils veulent dire concrètement pour tant de Français, qui voient leurs enfants condamnés à la relégation scolaire. Toutes nos statistiques en matière d’éducation doivent être lues avec ce prisme : quand le ministère compte chaque année un jeune majeur sur cinq en grande difficulté de lecture, il faut comprendre qu’ils sont en réalité majoritaires dans certains établissements, et totalement absents dans d’autres.

Évitement scolaire : les contraindre ou les comprendre ?

Pap Ndiaye ne peut éviter ce problème, mais il le prend à l’envers. Il dénonce « l’évitement scolaire » qui conduit ceux qui le peuvent à rejoindre l’enseignement privé. Mais plutôt que de les contraindre, l’urgence serait de les comprendre – d’avoir enfin le courage de reconnaître ce qui fait que tant de Français sont prêts à tout pour « éviter » à leurs enfants l’enseignement public. Monsieur le Ministre, cela ne devrait pas être trop difficile pour vous, qui scolarisez vos propres enfants dans l’établissement sans doute le plus sélectif et le plus élitaire qui soit dans l’enseignement privé parisien… Inutile de chercher trop loin : dans le collège de vos enfants, le latin est par exemple obligatoire en cinquième – vous savez, cette langue ancienne qui a été supprimée de l’enseignement public par la gauche dont vous vous revendiquez. Un exemple parmi bien d’autres.

L’enseignement privé est devenu un refuge

Ironie de l’histoire, l’un des rares soutiens qu’avait reçu la réforme de Mme Vallaud Belkacem qui décidait cette suppression, ainsi que la diminution des cours par discipline au profit d’« enseignements pratiques » incertains, avait été l’enseignement catholique – quand toutes les organisations éducatives et les syndicats enseignants combattaient ce nouveau recul. Si l’enseignement privé est devenu un refuge, ce n’est pas parce qu’il cultiverait par lui-même une vision bien plus solide. L’engagement des équipes éducatives y est tout aussi méritoire que dans l’enseignement public, mais les structures n’y sont pas moins défaillantes, et la formation des professeurs y est souvent plus désastreuse encore.

Le privé tire profit de son statut d’oasis scolaire essentiellement parce qu’il réunit majoritairement des foyers plus aisés, plus familiers de la culture scolaire, plus attentifs et exigeants, plus susceptibles de donner un cadre de travail favorable à leurs enfants et de financer les cours de soutien garantissant leur maintien à flot. La France est d’ailleurs, on le comprendra aisément, championne d’Europe de ce business. C’est d’abord pour cette raison qu’il reste plus de chances qu’un enfant y reçoive des connaissances que l’on devrait pouvoir apprendre dans toutes les écoles de France.

Imposer à tous de prendre part au naufrage ? 

Car là est le vrai choix à faire, une fois posé l’aveu d’échec absolu qu’est le constat de « l’évitement scolaire » : décider s’il faut imposer à tous de prendre part au naufrage, ou s’il faut refonder l’enseignement public pour que plus personne ne cherche à le fuir. Bourdieu avait attaqué le principe même de la transmission exigeante d’une culture commune comme moyen offert aux élèves de s’élever au-delà de leur milieu social. Mais par son oeuvre et sa réception presque unanime, il a produit exactement l’école qu’il dénonçait, la plus injuste de toutes. En condamnant l’héritage, l’Éducation nationale a fait tant de déshérités – et notre classe dirigeante s’est si longtemps accommodée de ce scandale moral absolu.

Pap Ndiaye poursuit exactement dans cette voie, en s’attaquant à ceux qui reçoivent encore le plus au lieu de s’inquiéter de ceux qui n’ont plus rien.

Le quinquennat précédent avait déjà vu reculer comme jamais le principe de la liberté scolaire ; celui-ci prend donc le chemin d’une coercition supplémentaire. Avec une telle logique, il faudra finir de détruire tout ce qui tient encore debout pour faire semblant de ne plus voir que l’enseignement public est à terre. Mais de cet effondrement auquel personne ne veut enfin faire face, c’est l’avenir de la France qui ne se relèvera pas.

 

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