Archive d’étiquettes pour : élections

España no se rinde

Intervention lors de la séance plénière de novembre, à Strasbourg

« Quelle tristesse absolue de voir aujourd’hui l’Espagne, un si grand pays, otage de si misérables manœuvres.

Dans mon pays aussi, en France, nous avons eu une loi d’amnistie, après des divisions historiques extrêmement douloureuses. Mais elle avait été annoncée avant les élections, et non improvisée après. Elle avait été débattue en public, avec les citoyens, et non préparée en secret avec des condamnés. C’était l’avenir d’un pays qui était en jeu, et non la survie d’un gouvernement fragile.

J’ai une question très simple pour nos collègues socialistes ici présents, pour les amis de Pedro Sánchez : l’un d’entre vous a-t-il défendu cette rupture d’égalité entre les citoyens du peuple espagnol, avant le vote de ce même peuple espagnol ? C’est une question très simple. Pourquoi, chers collègues socialistes, répétez-vous qu’il ne s’agit là que d’une question interne, et qu’elle ne concerne en rien l’Europe ? Vous avez toujours été si virulents, si insistants lorsque vous critiquiez la Hongrie ou la Pologne à propos de l’état de droit ! Et c’est bien de l’état de droit dont nous parlons en ce moment.

Le fait que la loi s’impose à la politique – et non des intérêts politiques de court terme, à un ordre juridique confirmé par le peuple – est le pilier même de la démocratie depuis que ses fondements ont été établis il y a 25 siècles avec la naissance de l’esprit européen. Voilà pourquoi nous sommes ici aujourd’hui. Nous qui écrivons la loi, nous n’avons pas le droit de la détruire. Parce que cela aurait un nom : la corruption.

Un dernier mot à tous ceux qui en Espagne sont en ce moment engagés pour défendre l’état de droit et la liberté :

Queridos amigos españoles, ¡ánimo! España no se rinde. »


À lire également : chronique de Manfred Weber et de François-Xavier Bellamy parue dans l’Opinion le 19 novembre 2023

manfred-weber_europa.jpg

Il serait impensable pour les institutions européennes de simplement fermer les yeux sur le cas de l’Espagne.

Sept. Voilà le nombre de voix pour lequel Pedro Sanchez a accepté de troquer ses derniers principes démocratiques, et au passage ses promesses de campagne, contre l’assurance de rester Premier ministre. Car pour obtenir ces sept voix jeudi dernier à la chambre des députés espagnole, le Premier ministre socialiste a dû offrir aux séparatistes catalans une loi d’amnistie sur mesure, pire même, une loi d’impunité.

En lavant les délits commis « dans l’intention de revendiquer, promouvoir ou obtenir la sécession ou l’indépendance de la Catalogne », il donne, en effet, un blanc-seing aux pourfendeurs de l’unité de l’Etat ibérique. Il offre également une victoire hautement symbolique à leur chef, le fugitif Carles Puigdemont, installé en Belgique depuis six ans et faisant l’objet d’un mandat d’arrêt en Espagne.

Enfin, il montre le vrai visage d’un politicien prêt à tout pour conserver son pouvoir et celui de sa famille socialiste, nouant des alliances douteuses sous le faux prétexte de garantir la paix sociale entre la Catalogne et Madrid. La démocratie en Espagne repose sur des bases saines. Son système juridique et judiciaire est efficace. En ce sens, gageons que l’annulation soudaine de milliers de condamnations d’indépendantistes entrainera une cascade de procédures devant le Tribunal constitutionnel.

Néanmoins, le pays ne peut seul faire face aux conséquences de cette loi d’amnistie.

En effet, alors que sous l’impulsion de Donald Tusk, la Pologne affirme son attachement à l’Etat de droit, il serait impensable pour les institutions européennes de simplement fermer les yeux sur le cas de l’Espagne.

Quand le Conseil général du pouvoir judiciaire, organe clé chargé d’assurer l’indépendance de la justice, tire la sonnette d’alarme, nous devons l’écouter.

Quand des dizaines d’associations, de représentants d’entreprises, de fonctionnaires s’inquiètent de la situation, nous devons les écouter.

Quand, enfin, des milliers d’Espagnols défilent dans tout le pays, nous devons les écouter. Fermeté. Face à ces appels de détresse, la Commission européenne ne doit pas faire du « deux poids deux mesures ». Elle doit se montrer ferme et dénoncer cette loi d’amnistie, notamment ses dispositions concernant l’indépendance de la justice. Les principes mêmes d’Etat de droit, sur lesquels sont fondés l’Union européenne et l’ordre constitutionnel espagnol, exigent le respect absolu de la séparation des pouvoirs et une réponse à la hauteur des enjeux pour le pays, mais également pour l’intégrité de l’Europe.

Car ne nous y trompons pas. Certes, Sanchez a réussi à conserver le pouvoir, mais le prix à payer sera tôt ou tard l’organisation d’un nouveau referendum d’indépendance en Catalogne. Avec des conséquences hautement imprévisibles…

Manfred Weber est député allemand au Parlement européen, président du groupe Parti populaire européen (PPE) François-Xavier Bellamy est vice-président exécutif des Républicains, député au Parlement européen, ou il préside la délégation française du Parti populaire européen (PPE)


À lire également : entretien au quotidien El Mundo

España no se rinde

Peut-on changer l’UE de l’intérieur ?

Extrait d’un entretien paru dans  le magazine La Nef en septembre 2023.

[…]

Être député européen a-t-il changé votre vision de l’Europe ?

J’ai évidemment beaucoup appris, mais je ne crois pas avoir changé radicalement de perspective. Je continue de penser que l’Union européenne est aujourd’hui le synonyme d’une forme de dépossession pour les citoyens des pays européens, dépossession de leur capacité à maîtriser leur destin. Et je crois qu’elle devrait au contraire trouver tout son sens dans le fait de les rendre plus libres et plus maîtres de leur avenir. Pour y parvenir, il faut qu’elle connaisse une remise en cause extrêmement profonde.

Justement, fort de cette expérience de député, pensez-vous qu’un homme politique puisse changer les choses de l’intérieur dans le cadre de l’Union européenne ?

Oui : je n’ai pas le sentiment d’avoir passé mon mandat, comme beaucoup de mes collègues d’autres groupes politiques, à consentir ou à commenter ; ce qui rend le mandat au Parlement européen intéressant, c’est qu’avec du travail et la patience qu’il faut pour construire des alliances, il est possible d’agir. Nous avons mené, et parfois gagné, des batailles majeures. Sur l’énergie nucléaire par exemple : nous avons empêché l’asphyxie de la filière nucléaire française par les règlements sur la taxonomie, et je crois pouvoir dire que j’y ai contribué de façon très directe, quand bien même tout le monde me promettait une défaite. On a parfois le sentiment d’assister, impuissants, à la déconstruction de la civilisation sur laquelle l’Europe est pourtant fondée : là aussi, nous avons réussi à mettre des crans d’arrêt importants. Je pense à l’amendement que j’ai déposé – il aura fallu s’y reprendre à plusieurs reprises, c’est toujours dans la durée qu’on gagne les combats – pour interdire à la Commission européenne de financer des campagnes faisant la promotion du hijab. Au-delà du combat contre cette dérive très concrète, cette victoire a permis de renverser une tendance : beaucoup m’ont partagé que, dans les cabinets des commissaires européens, une vigilance est désormais de mise sur le choix de leurs interlocuteurs, de leurs partenariats et leurs engagements. Tant mieux si nous avons pu faire que l’inquiétude change de camp !

Je n’ai pas le sentiment d’avoir passé mon mandat, comme beaucoup de mes collègues d’autres groupes politiques, à consentir ou à commenter ; ce qui rend le mandat au Parlement européen intéressant, c’est qu’avec du travail et la patience qu’il faut pour construire des alliances, il est possible d’agir.

Ces sujets sont essentiels, mais il faudra évidemment des ruptures beaucoup plus profondes pour changer significativement l’Union européenne. Et c’est une grande difficulté de l’engagement politique dans notre monde : on a parfois l’impression que nos victoires consistent surtout à éviter le pire, à ralentir la crise. On mène des combats de retardement, on essaie de combler des brèches et d’empêcher que le bateau ne coule trop vite. Ce n’est pas sans importance, bien sûr ; mais pour changer profondément de direction, il faudra plus que le travail parlementaire quotidien.

Que faudra-t-il alors, concrètement ? Qu’est-ce qui pourrait être réalisé pour changer cette Union européenne ?

Je crois que nous aurons d’abord besoin d’une véritable alternative politique en France. Car l’Union européenne est surtout conduite par les États-membres. Le Parlement européen n’est pas à l’initiative. C’est d’ailleurs le caractère un peu éprouvant de cette expérience : on reçoit des textes qui nous viennent déjà écrits par la Commission et dont les États membres ont eu l’initiative. Quand les Français se plaignent de l’Europe, ils doivent se souvenir qu’ils se plaignent d’abord de l’Europe que construit le gouvernement français. Et donc si nous rebâtissons une véritable alternative politique pour notre pays, nous pourrons faire en sorte que les choses changent structurellement au niveau européen.

Vous parliez tout à l’heure de l’importance pour un député de pouvoir agir et pas simplement consentir ou commenter. À cet égard, est-il important qu’il y ait une délégation française au PPE – et donc très concrètement des parlementaires LR au Parlement européen ?

Je crois que c’est fondamental, même si les Français ne sont pas forcément conscients de ces enjeux. Les Républicains appartiennent au PPE, qui est la première formation politique européenne. Il y a donc une équation électorale qui rend le vote LR spécialement utile, même si cela ne saurait suffire à fonder un vote.

Le débat européen a complètement ignoré la fin des clivages rêvée par Emmanuel Macron ; il est toujours structuré autour d’un clivage gauche-droite qui va se renforçant. Tendance par exemple accrue par l’actuel rapprochement du PPE avec les forces conservatrices, par exemple avec le parti Fratelli d’Italia de Giorgia Meloni, avec lequel il discute aujourd’hui pour construire un vrai pôle politique qui puisse demain être majoritaire au niveau européen. Il est absolument clé que la France puisse être représentée dans ce qui est, dans ce qui va être le lieu de l’action politique la plus efficace et la plus influente. Et, par contraste, force est de constater que nos collègues du Rassemblement national par exemple, dans la mécanique des votes internes au Parlement, qui est aussi le résultat de leurs propres choix politiques, n’ont pas fait adopter un seul amendement en cinq ans, ni un seul texte. Ils n’ont pas gagné une seule bataille dans l’enceinte du Parlement européen.

Les Républicains appartiennent au PPE, qui est la première formation politique européenne. Il y a donc une équation électorale qui rend le vote LR spécialement utile, même si cela ne saurait suffire à fonder un vote.

Mais encore une fois, on ne peut pas demander aux électeurs de raisonner avec des calculs d’efficacité. Car je ne crois pas qu’une majorité d’entre eux se déterminera en se disant, comme Machiavel : où est le plus grand effet de levier possible ? De plus, c’est à nous de leur présenter une ligne politique claire à laquelle adhérer, à nous de faire en sorte qu’ils soient convaincus, pour pouvoir être représentés là où cela compte vraiment de l’être.

[…]

Lire l’entretien complet.

La France doit relever la tête en Europe !

Entretien initialement paru dans Le Figaro. Propos recueillis par Carl Meeus.

Votre débat, le 9 mai dernier face au chancelier allemand, Olaf Scholz, a marqué les esprits par la pugnacité de vos propos. Mais ne résume-t-il pas, finalement, l’impuissance d’un député européen, qui doit se contenter du ministère de la parole, et encore, pendant une minute vingt ?

C’est une erreur de penser qu’on va dénouer en une intervention des problèmes structurels qui durent depuis des années. Le format de ces interventions est très court et nous étions très peu nombreux à pouvoir débattre avec le chancelier. Il n’en reste pas moins que tant que les choses ne sont pas dites, rien ne peut avancer. Pour reprendre les mots de Charles Péguy, il faut dire ce que l’on voit et même commencer par voir ce que l’on voit dans des lieux comme celui-là, l’enceinte du Parlement européen. C’est la condition pour que la France relève la tête et que le continent européen se rééquilibre.

On entend rarement des propos de cette teneur dans la bouche d’un député européen français vis-à-vis de l’Allemagne.

Malheureusement, beaucoup préfèrent taire les divergences par facilité, par une idée mal comprise de l’amitié franco-allemande, par une naïveté permanente de la France à l’égard de son grand voisin. Mais l’amitié implique de se dire les choses en face ; et seule cette franchise suscite l’attention. Je ne m’attendais pas à l’impact que cette intervention a eu en France. Elle a été vue plusieurs millions de fois ; mais aussi en Allemagne, relayée par le grand journal télévisé du pays qui a douze millions de téléspectateurs. C’est par des moments comme ceux-là que l’on peut prendre l’opinion de nos voisins allemands à témoin, sur des questions cruciales comme l’avenir du nucléaire ou le problème de l’immigration. Notre rôle de parlementaire est bien sûr d’écrire la loi et de voter, mais aussi de parler, d’alerter quand il le faut.

Pendant trop longtemps la France est restée silencieuse, et n’a pas assez tenu sa place dans le débat européen ; et je mesure rétrospectivement combien, en partie à cause de cette faible influence, elle a perdu des batailles importantes.

J’ai dit au chancelier Scholz que sa coalition finit par mettre l’Europe en danger : il appelle à la solidarité, mais en fermant ses dernières centrales nucléaires il y a quelques semaines, en pleine crise de l’énergie, l’Allemagne aggrave le risque de pénuries et fait monter les prix de l’électricité partout en Europe. Même chose pour l’immigration : Olaf Scholz dit que l’Europe doit maîtriser les flux migratoires, mais son administration fait tout pour les augmenter en espérant compenser la crise démographique allemande. Pendant trop longtemps la France est restée silencieuse, et n’a pas assez tenu sa place dans le débat européen ; et je mesure rétrospectivement combien, en partie à cause de cette faible influence, elle a perdu des batailles importantes. Depuis quatre ans, avec notre délégation, nous travaillons sans relâche pour peser et pour obtenir des résultats.

Vous saviez cependant que l’Allemagne ne changerait pas d’attitude…

Je n’imaginais pas changer la politique allemande en quelques mots. Après tant de silences et de démissions, une intervention pour tenter de parler clairement n’est certainement pas suffisante, mais elle était sans doute nécessaire.

Vous vouliez marquer les esprits ?

Je ne voulais pas faire un coup d’éclat ; en réalité, c’est un travail de long terme. Ce discours, je le tiens tous les jours depuis quatre ans. Et sur les sujets d’énergie, de politique économique ou commerciale, nous avons déjà gagné des batailles décisives. Si la France veut se faire entendre, elle le peut ! Malgré ses trois faiblesses principales : notre déficit budgétaire constant, et peut-être plus encore notre déficit commercial abyssal, nous discréditent beaucoup auprès de nos voisins, dont les excédents servent de caution à notre dette… Deuxième faiblesse, l’absence chronique de stratégie d’influence française dans les institutions européennes. Et enfin, sans doute est-ce la racine, une naïveté qui fait que notre pays est souvent le seul à croire que pour « être européen », il faut renoncer à défendre ses intérêts. D’une certaine manière, je comprends l’Allemagne de s’organiser pour faire avancer ses priorités. Mais plutôt que de nous plaindre, il faut nous donner les moyens de nous faire entendre nous aussi !

Un député européen français est-il condamné à se fondre dans le Parlement et à ne plus défendre les intérêts français face aux intérêts européens ?

Bien sûr que non. C’est d’abord une question de vision : Emmanuel Macron veut par exemple imposer des listes transnationales aux élections européennes. Je suis radicalement opposé à cette idée. Nous sommes élus au Parlement européen pour représenter notre pays, pas pour incarner une abstraction. Chaque semaine, je vais sur le terrain partout en France : je n’ai pas entendu un seul Français me dire qu’il voudrait que son député soit letton ou bulgare… Ils me disent au contraire que l’Europe est trop lointaine, ne les comprend pas, ne s’inquiète pas de ce qu’ils vivent. Cette idée de listes transnationales est révélatrice d’un désaccord de fond avec la vision d’Emmanuel Macron : l’Union européenne est une alliance de démocraties souveraines, pas une sorte de super-État qui devrait effacer les réalités nationales.

Concrètement, qu’avez-vous réussi à faire changer ?

Au début du mandat, le nucléaire était constamment exclu de tous les textes européens, comme la taxonomie sur les énergies vertes, qui va déterminer le mix énergétique de nos pays pour les décennies à venir. Nous avons renversé cette tendance. J’ai déposé par exemple un amendement pour inclure le nucléaire dans les financements du plan de relance énergétique européen, un fonds de 210 milliards d’euros. Tout le monde me prédisait un échec : nous avons travaillé pendant plusieurs mois pour renverser la tendance et réunir une majorité. Cet effort patient d’influence a fini par payer, et l’amendement a été adopté par le Parlement. Avec les voix de socialistes d’Europe centrale, de libéraux des pays nordiques… mais malgré l’incroyable opposition de la délégation macroniste, qui a massivement voté contre. C’était pourtant après la promesse présidentielle de relancer le nucléaire ! Ici comme au Conseil, la majorité macroniste n’assume pas de défendre l’intérêt pourtant évident de notre pays. Par idéologie écologiste, autant que par naïveté européenne, elle continue de fragiliser notre principal outil de compétitivité.

On imagine que votre combat contre le hijab a été aussi difficile !

Et ce combat continue… Il prendra du temps, parce que l’entrisme islamiste dans les institutions européennes a bien pris. J’ai fait adopter un amendement pour interdire à la Commission européenne de continuer de financer des publicités célébrant le hijab, comme celle qui avait pour slogan : « La liberté est dans le hijab »… C’est quand même stupéfiant d’en arriver là. Pourtant, là encore, il aura fallu de la persévérance : lorsque j’ai déposé cet amendement pour la première fois, la gauche, les écologistes et une partie du groupe d’Emmanuel Macron ont empêché qu’il soit mis aux voix ! Il a fallu un long travail d’influence pour gagner cette première bataille. Cela me vaut aujourd’hui une plainte de l’ex-CCIF, mais rien ne m’empêchera de continuer ce travail. Au-delà des symboles, un combat essentiel est en jeu pour nos démocraties. Et je constate qu’avec les Républicains, nous sommes les seuls à le mener… Ce ne sont pas les élus du Rassemblement national qui ont gagné cette bataille.

Sur l’Arménie, vous vous êtes heurtés aux mêmes difficultés ?

Là aussi, la situation a changé. Quand le Haut-Karabakh arménien a été attaqué par l’Azerbaïdjan et la Turquie en septembre 2020, nous étions seulement quelques-uns à alerter sur ce qui se passait. Personne ne nous écoutait. Aujourd’hui, nous avons renversé la tendance. J’ai déposé il y a quelques semaines un amendement pour imposer des sanctions aux dirigeants azéris coupables du blocage du corridor de Latchine : c’est la première fois que le Parlement prend une telle position. Pour déposer un amendement, il faut le faire signer par 10 % des parlementaires : il a fallu aller chercher les signatures les unes après les autres, dans tous les pays où je pensais pouvoir trouver des alliés. Puis convaincre le reste des collègues de le voter… Malgré le lobbying massif de nos opposants, cet amendement a été adopté. C’est une victoire importante aussi pour les Français : ce qui est en jeu, c’est le rapport de l’Europe à la Turquie, à ses dépendances gazières et migratoires, et donc notre propre sécurité.

Vous étiez tête de liste des Républicains en 2019. La logique ne voudrait-elle pas que vous conduisiez à nouveau la future liste en 2024 ?

Pour moi, ce qui compte, c’est d’abord que la droite réussisse à relever la tête à l’occasion de cette élection. Ma conviction profonde, c’est que ce scrutin européen sera décisif. Pour l’Europe, ce sera un moment de bascule ; et aussi, tout le monde en a conscience, un moment essentiel pour la recomposition de la vie politique française.

Si quelqu’un est mieux à même que moi de créer un élan, je suis prêt à m’engager à fond derrière lui. Maintenant, je constate que les vocations sont peu nombreuses. Peut-être que l’aventure fait peur ; moi je n’ai pas froid aux yeux.

C’est un moment bien trop important pour être ramené à une question d’ego… Si quelqu’un est mieux à même que moi de créer un élan, je suis prêt à m’engager à fond derrière lui. Maintenant, je constate que les vocations sont peu nombreuses. Peut-être que l’aventure fait peur. Moi je n’ai pas froid aux yeux ; j’ai un bilan à défendre, une expérience acquise, qui peuvent être utiles.

Donc, quand on entend que vous pourriez aller sur une liste du RN ou de Reconquête!, c’est faux ?

Je crois à la constance et à la loyauté. Et ce qui me paraît essentiel, c’est que demain la France soit plus fortement représentée là où se joue le cœur de la décision politique en Europe. Ce n’est pas le RN qui fait l’influence française au Parlement. Ce ne sont pas non plus les macronistes, qui passent leur temps à voter contre ce que le président promet de faire à Paris. Emmanuel Macron dit qu’il veut renforcer l’Europe contre l’immigration illégale, mais ses députés font une croisade contre les infrastructures de protection aux frontières de l’Europe. Si demain la France n’était plus représentée au sein de la droite européenne, ce serait un problème majeur.

Partager sur Twitter

Votre engagement peut tout changer.

Chers amis,

Dans quelques semaines aura lieu l’élection pour la présidence des Républicains. Allons à l’essentiel : je voudrais parler à tous ceux d’entre vous qui n’y croient plus.

Vous êtes de droite, c’est mon cas aussi. Vous croyez à la liberté et à la responsabilité, vous croyez à la nécessaire reconstruction de l’autorité de l’État et à la protection de nos frontières, vous voulez transmettre notre culture autant que transmettre la nature… Vous avez peut-être dans le passé voté pour le RPR, pour l’UMP, pour LR. Aujourd’hui, vous ne le faites plus. Vous avez été déçus, si souvent déçus.

Je comprends votre défiance. Quand j’ai rejoint LR en 2019 pour prendre la tête de liste de l’élection européenne, ce n’était pas parce que j’approuvais tout ce que ce parti avait fait dans le passé. Mais je pensais devoir faire de mes propres déceptions l’occasion d’agir, plutôt que de me lamenter. Et c’est ce qui se joue aujourd’hui encore.

Dans quelques semaines, nous aurons une occasion unique de reprendre la main. Avec Bruno Retailleau, notre projet est très simple : refonder ce parti, tout changer de fond en comble pour qu’il puisse de nouveau respecter ses électeurs, et nous représenter vraiment. Bruno Retailleau n’a jamais cessé d’appeler à cette rupture, et je l’ai vu la défendre, même à contre-courant, dans bien des débats au sein du parti. Aujourd’hui, nous voulons enfin vous redonner le pouvoir ; mais pour cela, il faut que vous veniez nous aider. Nous avons besoin de vous : ce défi qui nous concerne tous est essentiel, parce que si ce parti ne se reconstruit pas, s’il ne redevient pas fidèle à ce qu’il aurait toujours dû être, nous n’arriverons jamais à reconstruire notre pays, qui en a tellement besoin. J’en suis convaincu, et les élections de l’année passée n’ont fait que conforter cette conviction.

Avec Bruno Retailleau, nous voulons rétablir une droite qui soit fidèle à sa mission, fidèle à ce que vous attendez d’elle. C’est le moment d’agir : vous êtes nombreux à m’écrire, depuis longtemps, pour me partager votre désarroi, votre colère, et le fait que vous ne voyez pas d’où viendra la refondation que nous espérons tant.

Si vous m’avez fait confiance dans les batailles menées ces dernières années, alors j’ai besoin de vous aujourd’hui : adhérez aux Républicains – non pas pour dire que vous êtes d’accord avec tout ce que ce que ce parti a fait, mais pour que nous puissions enfin compter sur lui pour défendre ce en quoi nous croyons. Nous avons besoin de vous pour soutenir notre équipe et la refondation que nous mènerons ensemble ; je compte sur vous !

Fx Bellamy

Pour adhérer, parrainer, soutenir
→ rendez-vous sur www.avecretailleau.fr

 

Repartir du fond. Entretien au Point pour la rentrée 2022

François-Xavier Bellamy

Propos recueillis par Nathalie Schuck. Entretien initialement paru dans Le Point le 1er septembre 2022.

Les Républicains doivent désigner leur patron en décembre, après une déroute électorale. Ne faudrait-il pas saborder ce parti pour en recréer un nouveau ?

On aurait tort d’enterrer la droite. Cela peut sembler paradoxal, mais la mission de cette famille politique n’a jamais été autant d’actualité, à condition qu’elle soit entièrement refondée pour répondre aux messages que nous ont envoyés nos électeurs. Les Français n’ont jamais été si nombreux – 57,7 % au premier tour de la présidentielle selon la Fondapol pour Le Figaro – à attendre une politique de droite, que ni Emmanuel Macron ni le Rassemblement national ne sont capables de leur donner. Si nous reconstruisons un parti qui écoute enfin les attentes de ses électeurs, nous aurons toutes les chances de jouer de nouveau un rôle, pour servir notre pays qui en a tant besoin. Le paysage politique peut changer très rapidement : rappelez-vous, il y a moins d’un an, tout le monde pensait que Marine Le Pen avait déjà disparu ; elle finit l’année avec un succès inédit aux législatives… Dans les mois à venir, la situation va de nouveau beaucoup évoluer.

Quelle doit être la ligne de LR : parler aux électeurs de Macron en partant du principe qu’il ne se représentera pas, ou s’adresser aux 10,5 millions de Français qui ont voté pour Le Pen et Zemmour ?

Il faut sortir de cette fascination pour l’arithmétique électorale. Ce serait une grande erreur de choisir entre des électorats, comme on choisirait des clientèles sur un marché. Nous devons parler à tous ceux qui nous ont quittés, quels qu’aient été leurs choix, comme à ceux qui n’ont jamais voté pour nous. Il serait scandaleux d’ostraciser des électeurs. Ce qui compte, c’est de repartir du fond, de sortir enfin des calculs sondagiers, qui ne produisent que des défaites. Si nous sommes capables de proposer les idées neuves qui structureront le débat demain et de rendre une espérance à notre pays, je ne doute pas que les électeurs reviendront vers nous, d’où qu’ils viennent.

Si nous reconstruisons un parti qui écoute enfin les attentes de ses électeurs, nous aurons toutes les chances de jouer de nouveau un rôle, pour servir notre pays qui en a tant besoin.[…] Nous devons parler à tous ceux qui nous ont quittés, quels qu’aient été leurs choix, comme à ceux qui n’ont jamais voté pour nous. Il serait scandaleux d’ostraciser des électeurs.

On ne sait plus où LR habite, justement ! Êtes-vous dans l’opposition au gouvernement ou sa béquille au Parlement ? Nicolas Sarkozy avait proposé un accord avec Emmanuel Macron pour le forcer à une cohabitation, n’avait-il pas raison ?

Le scénario dont il s’agissait n’était pas celui d’une cohabitation, bien sûr, mais d’une coalition, qui n’aurait consisté qu’à trahir nos combats passés et nos électeurs, en devenant les supplétifs d’une majorité dont la politique conduit la France dans l’impasse… Contrairement à ceux qui ont préféré se renier en espérant être payés d’une apparence de pouvoir, nous avons choisi de rester fidèles à ce que nous sommes, et de défendre les Français par une opposition claire et sérieuse. C’est un choix plus exigeant, mais c’est le seul qui permette de garder la tête haute et de préparer l’avenir.

Vous citiez la Fondapol. Son directeur Dominique Reynié considère que vous n’avez qu’une alternative : vous allier à LREM, ou au RN dans une Nupes de droite…

Mais Dominique Reynié ajoute aussi que cette équation est impossible puisque la moitié des électeurs de LR, de LREM comme du RN n’en veulent pas. Cela créerait plus de fractures que d’alliances… De toute façon, ce sont la constance, la clarté et la rigueur qui permettront à la droite de se reconstruire, pas l’opportunisme de courte vue qui l’inciterait à secourir une majorité présidentielle au moment même où elle va devoir affronter les conséquences de son propre bilan. Quand les Français verront leur facture d’énergie flamber, ils demanderont des comptes à Emmanuel Macron sur la fermeture de Fessenheim ! En réalité, l’étude de la Fondapol montre la discordance massive entre les attentes de l’électorat d’Emmanuel Macron, qui penche majoritairement à droite, et sa politique : 57 % pensent qu’il y a un immense problème sur l’intégration des migrants, et sa majorité veut donner le droit de vote aux étrangers. De même, 69 % de ses électeurs pensent que les chômeurs pourraient se remettre au travail s’ils le voulaient, et il accorde des indemnités chômage aux démissionnaires, désincitant ainsi au travail.

Quel est votre modèle à l’étranger en terme de refondation ?

L’ancien chancelier autrichien Sebastian Kurz est parvenu à reconstruire un parti conservateur, qui était en pleine crise, en étant extrêmement fort sur deux piliers, l’écologie et l’immigration. Il est parvenu à susciter une rupture qui fait que son parti est encore au pouvoir, même si lui a connu des difficultés personnelles.

Pour la direction de LR, vous êtes plutôt Éric Ciotti ou Bruno Retailleau ?

[NB : entretien paru avant la déclaration de candidature de Bruno Retailleau] J’espère que Bruno Retailleau sera candidat, car il peut apporter beaucoup. La refondation qui nous attend est d’abord un travail de reconstruction intellectuelle, sur les idées et les solutions que nous voulons pour l’avenir. Nos propositions en restent bien souvent à la répétition de ce qui a fait la recette du succès en 2007. J’ai beaucoup d’estime pour Éric Ciotti et le courage avec lequel il porte depuis toujours les questions régaliennes, qui sont si nécessaires ; je suis sûr que cette élection sera l’occasion d’une discussion utile, non d’une bataille d’ego.

Et vous, avez-vous songé à postuler ?

Oui, je me suis posé la question ; mais si Bruno Retailleau confirme sa candidature [NB: c’est désormais le cas], il a toutes les qualités nécessaires, et plus que cela, pour permettre à notre famille politique d’écrire à nouveau de belles pages de l’histoire de notre pays. Il peut susciter une dynamique collective, il le montre chaque jour au Sénat. Et c’est un bosseur, quand le défi qui attend notre parti n’est pas seulement de renouveler sa ligne et ses visages, mais de se remettre au travail. La droite passe son temps à parler de la valeur travail, il serait bon qu’elle s’y mette ! Nous devons retrouver le professionnalisme indispensable pour gagner.

La droite passe son temps à parler de la valeur travail, il serait bon qu’elle s’y mette ! Nous devons retrouver le professionnalisme indispensable pour gagner.

Vous avez porté les couleurs de LR aux européennes de 2019. Retenter l’aventure en 2024, ça vous tente ?

Ce qui compte pour moi, c’est d’être au service des idées autour desquelles il faudra réunir les Français. Je suis convaincu que la droite n’a aucune chance de remporter la présidentielle en 2027 si on ne commence pas par faire un vrai score aux européennes de 2024. L’alternance commence dans deux ans. Ce sera la grande élection de la recomposition, et un scrutin fondamental pour l’Europe ; et j’y engagerai toute mon énergie. Est-ce que ce sera comme tête de liste ? Je me sens beaucoup mieux préparé qu’en 2019, bien sûr. Je travaille d’arrache-pied au Parlement européen depuis plus de trois ans maintenant, et cela m’a permis de vérifier et d’approfondir beaucoup des intuitions que nous avions défendues dans notre campagne.

Certains mettent en avant votre score de 8,5 % pour contester cette hypothèse.

Je rappelle que LR était crédité de 6 % des intentions de vote au moment où j’ai été investi. La déception du résultat final est à la mesure de l’espoir que la campagne avait suscité. J’ai toujours assumé ma responsabilité comme tête de liste dans cette élection ; mais si je l’ai fait, c’est sans doute précisément parce que cette responsabilité était difficile à prendre…

Laurent Wauquiez a renoncé à briguer le parti pour se concentrer sur 2027. Faut-il désigner sans attendre votre champion pour l’Élysée pour l’installer dans l’opinion ?

Il y a une obsession française pour la présidentielle. L’année qui vient sera très difficile et éprouvante pour les Français : ce n’est pas le moment de donner le sentiment qu’on se préoccupe déjà de répartir les postes pour la prochaine présidentielle… Laurent Wauquiez a choisi un autre chemin pour la période qui s’ouvre, et je respecte profondément ce choix ; personne, parmi les postulants à la présidence du parti, n’imagine qu’il ne soit pas un candidat potentiel très important pour 2027.

Virginie Calmels estime qu’on veut l’empêcher de postuler car la Haute autorité du parti lui reproche d’avoir réadhéré trop tardivement. Vous coupez les cheveux en quatre, non ?

Je comprends bien sûr sa déception, mais le calendrier était clair. C’est difficile de commencer une compétition en expliquant que les règles du jeu sont un complot contre ceux qui veulent y participer.

Macron a-t-il encore les moyens de réformer le pays ?

Il dispose d’une majorité relative qui lui permet malgré tout d’avancer, charge à lui d’organiser la discussion. Si ce quinquennat est un quinquennat pour rien, ce sera sa responsabilité… Prenez la loi sur l’immigration : si elle a été reportée aux calendes grecques, ce n’est pas du fait de l’opposition, mais parce qu’il l’a lui-même décidé, à cause des contradictions de sa propre majorité…

Votre parti doit-il voter le budget pour éviter un blocage des institutions ?

Le vote du budget, dans un conseil municipal comme au sommet de l’État, signifie la participation à une majorité. Voter le budget, c’est assumer les orientations politiques qu’il implique. Nous avons suffisamment dénoncé les choix budgétaires incohérents et irresponsables de ce gouvernement pour nous retrouver à le soutenir aujourd’hui – au moment où nous allons en subir le plus durement les conséquences.

Que vous inspire la sortie du président sur « la fin de l’abondance » ?

Cette formule est très frappante, mais elle en dit plus sur Emmanuel Macron que sur la réalité… Qui a cru à l’abondance, sinon lui ? Dans mon livre Demeure (NDLR : 2018, Grasset), j’expliquais que le principe politique premier n’est pas, comme le dit Adam Smith, leur richesse des nations, mais leur pauvreté. Le fait majeur qui structure la géopolitique et les débats internationaux, c’est la rareté, le fait que les ressources ne sont pas infinies. Quand Emmanuel Macron nous dit qu’on ne pourra plus trouver d’argent gratuit sur les marchés, qui d’autre que lui avait imaginé que cela durerait éternellement ? Sa formule sur l’abondance explique beaucoup des erreurs du quinquennat passé. Le problème est qu’entre temps, cette naïveté nous a placés dans une situation de grande vulnérabilité.

La majorité débat de la régulation des jets privés, c’est à la hauteur de l’enjeu ?

Sur le sujet environnemental, nos débats sont tellement éloignés de l’ordre de grandeur du problème… Passer du temps sur ce sujet, c’est une façon de parler au ressentiment des Français, comme dirait Nietzsche. Que LFI joue à ce jeu, c’est normal, c’est son fonds de commerce ; mais que le ministre des Transports s’y mette est plus préoccupant. Les enjeux environnementaux sont des enjeux globaux. La totalité du secteur aérien français pollue autant qu’une centrale à charbon en Allemagne. Le sujet n’est pas d’interdire les jets privés dans notre petit hexagone, mais d’arriver à ce que la France retrouve sa place en Europe et l’Europe dans le monde pour imposer une décarbonation mondiale. Ma plus grande fierté, c’est qu’on ait abouti au Parlement européen sur la taxe carbone à l’entrée du marché unique : ce sera un levier majeur pour rompre avec la mondialisation dérégulée qui nous a conduits à la crise environnementale.

Le ministère de l’Education est passé de Jean-Michel Blanquer à Pap Ndiaye, dont les lignes politiques sont radicalement différentes. Ça vous heurte ?

Voilà l’essence du macronisme : dans le monde d’avant, on appelait cela des contradictions ; maintenant on parle de « en même temps ». De telles incohérences témoignent pourtant d’une inquiétante absence de cap. Pap Ndiaye a parfaitement le droit de défendre ses convictions, mais il est stupéfiant qu’Emmanuel Macron en fasse un ministre de l’Éducation nationale : il défend une ligne obsédée par les quotas, au motif que la France serait « structurellement raciste », alors que le seul chemin pour intégrer et faire grandir tous les élèves, c’est de transmettre de nouveau la culture française à chacun, quelle que soit son milieu social. Là encore, Emmanuel Macron impose à ses électeurs le contraire de ce qu’ils attendent…

En tant qu’enseignant, que pensez-vous de la possibilité annoncée de former des professeurs en mode express ?

Je ne sais pas si les Français se rendent compte de l’ampleur de l’effondrement de notre système éducatif. Mon premier engagement public a été d’écrire Les déshérités (NDLR : Plon, 2014) pour alerter sur cette faillite collective, et ses conséquences. La crise était là, mais le système parvenait encore à sauver les apparences. Même les fictions s’écroulent désormais. La crise des vocations enseignantes est le symptôme le plus clair de cet effondrement. Le recrutement des contractuels était une solution d’appoint, c’est devenu un processus de recrutement à part entière. La communication ministérielle revient à expliquer aux Français qu’on va confier leurs enfants à des gens recrutés avec une demi-heure de « job-dating » – comme dans mon académie de Versailles – et quelques heures de formation. Pour les professeurs qui ont étudié cinq ou six ans avant de passer des concours et de suivre un an de formation, le signal est vertigineux ! Quand Pap Ndiaye assure qu’il y aura un professeur devant chaque élève à la rentrée, c’est un mensonge. Dans le meilleur des cas, il y aura un adulte…

Il faut rompre avec les incohérences passées.

François-Xavier BellamyGrand entretien, publié dans Le Figaro lundi 3 mai 2022. Propos recueillis par Emmanuel Galiero.

LE FIGARO. Pourquoi la droite n’a-t-elle pas « mérité » la confiance des Français, comme vous l’aviez dit ?

François-Xavier BELLAMY. C’est une longue histoire de déceptions accumulées qui a créé cette défiance, de revirements sur des sujets pourtant essentiels, au point que notre parti a donné parfois le sentiment qu’il ne voulait plus représenter ses électeurs. Il faut rompre avec les ambiguïtés et les incohérences passées: cela seul nous permettra de mériter à nouveau la confiance des Français.

Après votre échec aux européennes en 2019, votre ligne avait été jugée trop droitière. Certains utilisent la même critique pour expliquer l’effondrement des LR en 2022. Que répondez-vous ?

Il est temps d’ouvrir les yeux. En 2012, Nicolas Sarkozy a perdu l’élection présidentielle non parce qu’il avait tenu un discours trop ferme pendant sa campagne, mais parce que les électeurs considéraient que son action ne l’avait pas été assez. J’ai toujours assumé ma responsabilité dans la campagne de 2019, mais le résultat était aussi le symptôme du discrédit déjà profond qui pesait sur notre parti. Valérie Pécresse a fait une campagne sans doute différente de la mienne, son score n’a pas été meilleur pour autant… Je crois profondément que la ligne que nous avions tenue durant la campagne européenne – celle du réarmement industriel et agricole, de la barrière écologique, de la fermeté migratoire, de la réaffirmation de nos principes de civilisation – était celle que les Français pouvaient attendre, et les événements ont confirmé qu’elle correspondait à la réalité de l’action dont l’Europe a besoin. Les derniers scrutins disent d’abord l’ampleur du travail qui nous attend.

Si Les Républicains n’arrivent plus à susciter la confiance, pourquoi y restez-vous ?

Je ne me suis pas engagé aux Républicains parce que tout y allait bien, mais parce que j’ai toujours cru que le renouveau dont notre pays a besoin ne pouvait venir que de là. Cette élection l’a encore démontré, le RN est une impasse électorale: en duel face à un président majoritairement impopulaire, Marine Le Pen a perdu, de loin. Son parti reste le moyen par lequel sont réélus ceux qu’elle combat. Il me semble essentiel, même si le chemin sera long, de reconstruire la droite, pour qu’elle puisse de nouveau représenter et réunir ses électeurs, et par là rompre avec cette malédiction démocratique qui prive la majorité des Français de se traduire en majorité politique.

En exprimant votre respect à l’égard de Nicolas Sarkozy, vous lui demandez en même temps de clarifier ses choix politiques. Qu’est-ce que vous n’avez pas compris dans sa prise de position ?

Nicolas Sarkozy a toujours affirmé la nécessité d’assumer ses choix : aujourd’hui, il faut qu’il dise clairement s’il veut être un pilier de la majorité macroniste, ou s’il croit à la nécessité d’une opposition de droite. La loyauté implique la clarté.

Lui en voulez-vous de ne pas vous avoir soutenu aux Européennes ?

Chacun est libre et responsable de ses choix. Contrairement à certains de nos aînés en politique, je ne suis pas un homme du ressentiment, pour reprendre un mot de Nietzsche.

Comme l’ex-président, une bonne partie des électeurs de droite n’ont-ils pas choisi Macron ?

Beaucoup ont cru qu’il répondait à leurs préoccupations. Je pense l’exact inverse. Si l’on tient aux faits et aux actes plutôt qu’à la communication et aux commentaires paresseux qui alimentent le bruit médiatique, il est manifeste que la politique menée ces dernières années est contraire aux principes qui fondent la droite, et surtout à ce dont la France a besoin : une politique d’irresponsabilité économique et budgétaire, de fragilisation accélérée de notre école, de lâcheté dangereuse sur les plans migratoire et culturel… On a d’ailleurs vu ces dernières semaines Emmanuel Macron chercher l’électorat de La France insoumise en faisant appel à des réflexes communautaristes inquiétants, bien loin de la lutte qu’il affiche contre l’islamisme.

« Si l’on tient aux faits et aux actes plutôt qu’à la communication et aux commentaires paresseux qui alimentent le bruit médiatique, il est manifeste que la politique menée ces dernières années est contraire aux principes qui fondent la droite, et surtout à ce dont la France a besoin. »

Pourquoi les Français n’ont-ils pas refusé ce clivage que vous critiquiez, entre « progressistes » et « populistes » ?

La première responsabilité est celle des partis politiques traditionnels, qui n’ont pas su se remettre en cause, il faut le reconnaître avec beaucoup d’humilité. Mais les Français n’ont pas voté pour cette affiche finale. Ce clivage s’est imposé sur nos faiblesses. Jamais nous n’avions vu autant d’électeurs voter par défaut. Je comprends ce réflexe de vote utile, mais il serait désespérant que notre démocratie reste éternellement piégée dans ce scénario. En votant, nous devrions pouvoir exprimer une adhésion, pas seulement chercher le moins pire.

« La première responsabilité est celle des partis politiques traditionnels, qui n’ont pas su se remettre en cause, il faut le reconnaître avec beaucoup d’humilité. »

Comment la droite peut-elle exister dans un débat national ?

En retrouvant des vertus peut-être trop longtemps perdues dans la vie publique: il faudra du courage, de la constance, de la persévérance, un attachement au bien commun plutôt qu’aux calculs individuels… Le macronisme est un opportunisme : si nous voulons constituer une alternative, ce doit être en renouant avec le sens de la fidélité, en refusant la démagogie, les contradictions tactiques, les facilités de communication.

Compte tenu de l’état des Républicains, un tel objectif vous semble-t-il accessible ?

Bien sûr. Je suis impressionné par la qualité extraordinaire de tant de personnes engagées dans ce parti. Nous avons largement de quoi reconstruire une offre politique enthousiasmante.

Les Républicains auraient-ils encore une raison d’être s’ils chutaient à moins de 40 députés ?

Une haie après l’autre. Ces élections législatives sont une étape décisive. Nous n’allons pas faire croire aux Français que nous pourrions imposer une cohabitation : ce qui risque d’arriver, ce n’est pas que le président n’ait pas de majorité, mais qu’il n’ait pas d’opposition. Je ne doute pas que les Français comprennent l’importance d’élire des députés indépendants du pouvoir, mieux que ceux qui seraient prêts à rejoindre un parti unique dans l’espoir d’y trouver un poste.

« Je ne doute pas que les Français comprennent l’importance d’élire des députés indépendants du pouvoir, mieux que ceux qui seraient prêts à rejoindre un parti unique dans l’espoir d’y trouver un poste. »

Comment voyez-vous l’avenir de la droite ?

Ce qui caractérise cette sensibilité politique, c’est le sens du temps long, de la responsabilité envers les générations futures, c’est le refus de l’agitation de court terme et de la consommation immédiate, la volonté de préserver quelque chose de plus grand que nous, qui nous précède et nous suivra. Le PPE m’a confié un travail sur l’avenir de la droite, que j’ai intitulé: « Pour une politique de la transmission ». Si nous croyons à cela, alors nous devons nous obliger à l’espérance que cela implique. Je le dis au lendemain d’une défaite brutale : il n’y a pas d’élection de la dernière chance. La France a des siècles d’histoire derrière elle. Elle a déjà connu beaucoup de mauvais dirigeants, elle survivra à ceux d’aujourd’hui, et à nos propres imperfections… Ce qui compte maintenant, c’est de nous remettre patiemment au travail.

Emmanuel Macron a-t-il abîmé la politique ?

Je le crois, oui, en s’autorisant toutes les contradictions. La politique, comme la vie, c’est l’effort de faire des choix. Cela exige de se confronter au vertige de la liberté, disait Kierkegaard, qui le résumait d’une formule : « Ou bien, ou bien ». Là s’éprouvent la difficulté et la force de l’existence. Promettre la confusion du « en même temps », c’est entretenir des illusions qui ne peuvent que décevoir. Les mois qui viennent risquent de le rappeler durement.

Mais, à l’évidence, cette stratégie permet de décrocher des victoires…

Il y a parfois du panache dans la difficulté, et du déshonneur dans le succès.


Mayotte, Schengen, séparatisme : entretien à Paris Match

François-Xavier Bellamy à Mayotte

Extraits d’un entretien à Paris Match publié le 26 novembre 2020.

Vous rentrez d’une tournée à Mayotte et vous affirmez qu’aucun développement ne sera possible sans mettre fin aux flux migratoires permanents. N’est-ce pas la politique du gouvernement?

François-Xavier Bellamy. Mayotte est en état d’urgence, face à une situation migratoire hors de contrôle. Malgré l’énergie des équipes qui luttent sur le terrain contre l’immigration clandestine, il faudra des moyens bien plus importants, et une vraie détermination de toutes les administrations, pour éviter d’atteindre un point de rupture. Au fond, Mayotte permet de comprendre le défi qui attend la France dans son ensemble : pour pouvoir reconstruire notre unité, il faut pouvoir mettre fin à notre impuissance sur le front migratoire.

Comment l’Union européenne peut-elle soutenir Mayotte face à ce défi ?

L’Europe a un vrai rôle à jouer sur les sujets migratoires. La Commission doit présenter bientôt son nouveau schéma sur le sujet. J’espère que la réglementation qui sera adoptée mettra enfin un terme à l’idée aberrante sur le plan européen de la relocalisation des migrants : jusqu’à aujourd’hui, la doctrine est qu’en cas de crise migratoire, il faut gérer notre impuissance en se répartissant les migrants entrés illégalement sur le sol européen. Mais cela ne peut être une solution… Le principe qui doit être enfin garanti, c’est que personne ne doit pouvoir s’établir en Europe s’il y est entré illégalement. Ce principe est indispensable pour rétablir la situation, à Mayotte comme pour l’ensemble des pays européens. Ce qu’éprouvent les Mahorais, je l’ai vécu aussi sur l’île de Lesbos, en Grèce : ne pas maîtriser nos frontières n’est pas de la générosité, c’est une impuissance qui prépare toutes les fractures de demain.

Au Perthus, Emmanuel Macron vient de réclamer une refondation des règles de Schengen. Ça va dans le bon sens ?

Enfin ! La droite le demande depuis des années, et je l’ai évoqué tout au long de la campagne européenne, malgré les critiques que cela nous valait. La libre circulation ne peut fonctionner que si nous maîtrisons l’ensemble de nos frontières en Europe. Je suis heureux que le président de la République se rallie à cette perspective. Mais la réalité de son action est malheureusement bien éloignée de sa communication : jamais la France n’a accueilli autant d’immigration légale depuis plus de 40 ans. L’an passé, plus de 300.000 titres de séjour ont été délivrés. C’est un record historique, et un contresens majeur : si on veut empêcher le communautarisme qui fracture notre société, il faut d’urgence mettre un terme à ces flux migratoires massifs. Tout le travail d’intégration, qu’il nous faut rattraper aujourd’hui, sera impossible sans ce préalable. Il faut revenir sur le droit du sol, et suspendre le regroupement familial, que ce gouvernement a à l’inverse étendu aux mineurs isolés. Tant que nous n’agirons pas fermement sur ce sujet, rien ne sera fait dans la lutte contre le « séparatisme ».

Approuvez-vous le projet de loi sur le séparatisme rebaptisé « garantie des principes républicains » ?

Je soutiendrai tout ce qui permettra à la France d’être mieux armée face à la menace islamiste. Mais cette loi me paraît bien éloignée des enjeux. Il suffit de considérer l’improbable pudeur lexicale d’Emmanuel Macron : pourquoi ne pas appeler le danger par son nom ? Samuel Paty n’a pas été décapité par un couteau « séparatiste ». Le faux mineur pakistanais qui voulait s’en prendre à Charlie Hebdo n’était pas animé d’intentions « séparatistes ». Ce qui nous menace aujourd’hui, c’est l’islamisme, qui veut s’imposer par la violence et la terreur. Et pour le combattre, on a moins besoin d’empiler de nouvelles lois que de garantir que d’appliquer celles qui existent. Chaque semaine, des commissariats ou des gendarmeries sont attaqués à coup de mortiers d’artifice, sans que personne ou presque ne soit sanctionné… Commençons par mettre fin à l’impunité et à faire respecter nos lois partout sur le territoire français. Le reste n’est que gesticulation…

Un million de Français auraient basculé dans la pauvreté. Y-a-t-il un risque d’explosion sociale ?

C’est d’abord un drame humain immense. Ce basculement terrible vers la pauvreté doit être pris en compte. Le gouvernement fait ce qu’il peut sur le plan social, mais l’anesthésie des aides publiques ne compensera jamais l’activité perdue, jamais. Il faut absolument tout faire pour que les gens puissent recommencer à travailler et reprendre une vie normale le plus vite possible.

Faut-il rendre obligatoire l’isolement des personnes atteintes du coronavirus ?

Sur ce sujet comme sur bien d’autres, à chaque fois que l’Etat échoue à remplir son rôle, il reporte le poids de l’échec sur les libertés fondamentales des Français. Le vrai problème, ce n’est pas l’isolement des malades, c’est l’échec total de la stratégie de dépistage. L’application gouvernementale supposée servir au dépistage était un échec programmé, dont j’ai averti depuis le début : le résultat est tragique, malgré les sommes investies. Les Français respectent l’isolement quand ils sont testés, mais la stratégie de tests à l’aveugle ne pouvait pas fonctionner. Maintenant le sujet n’est pas de devenir plus répressifs encore, en traitant les malades comme des détenus ! L’urgence est d’avoir enfin une politique de dépistage efficace.

À chaque fois que l’Etat échoue à remplir son rôle, il reporte le poids de l’échec sur les libertés fondamentales des Français.

Est-ce que vous vous vaccinerez contre la Covid ?

Oui, si le vaccin présenté apporte toutes les garanties de sécurité. J’espère surtout qu’on ne manquera pas cette bataille. Au Parlement européen, je vois que nos collègues allemands sont déjà pleinement engagés dans la préparation de la campagne de vaccination, avec une stratégie et une logistique très avancées.

Un Français sur deux hostiles au vaccin, comment l’expliquez-vous ?

La montée de la défiance m’inquiète de manière générale. Nous vivons dans cette « société de la défiance » décrite par Pierre Rosanvallon. Malheureusement, la parole publique a été profondément discréditée par les inconséquences de nos gouvernants. Les mêmes qui nous disaient, il y a quelques semaines, que les masques étaient inutiles voire dangereux, affirment désormais qu’ils sont indispensables… Dans ces conditions, comment faire confiance ? Nous ne mettrons pas fin à cette défiance en la méprisant ou en l’insultant. Seules peuvent redonner du crédit à la parole de l’Etat l’exigence de vérité, de sobriété et de responsabilité.

A la fin, Emmanuel Macron peut-il être le candidat commun de La République en marche et des Républicains ?

Non – ou bien ce sera sans moi ! Je crois au pluralisme en démocratie, à la constance et à la clarté. Emmanuel Macron n’a été convaincant à aucun point de vue, avant même la crise du Covid. Qu’a-t-il fait pour rétablir l’autorité de l’Etat ? Où sont les mesures énergiques pour mettre fin aux flux migratoires qui déstabilisent notre société ? Où sont les mesures pour rétablir nos comptes publics, retrouver des marges de manœuvre et libérer les énergies ? Où est la stratégie pour une transition écologique qui garantisse en même temps la stabilité énergétique, alimentaire, sociale, dans notre pays ? Je n’éprouve aucun plaisir à être dans l’opposition, mais je ne voyais pas de raison de croire au macronisme en 2017 et à l’épreuve des faits il n’y en a pas plus aujourd’hui.

Serez-vous candidat à la primaire ?

Je ferai tout pour contribuer à construire cette alternance, avec le souci de l’unité. On verra bien comment les choses se présenteront.

Je n’éprouve aucun plaisir à être dans l’opposition, mais je ne voyais pas de raison de croire au macronisme en 2017 et à l’épreuve des faits il n’y en a pas plus aujourd’hui.

En métropole ou au milieu du Pacifique

Dimanche aura lieu un événement dont l’importance est trop souvent passée sous silence : la Nouvelle-Calédonie votera pour décider de son avenir. Notre passé, lui, nous relie de manière indissoluble : nous avons vécu ensemble bien des jours heureux et bien des épreuves, et je ne doute pas que nous ayons encore plus de pages à écrire de cette grande histoire commune. Nos aînés ont travaillé côte à côte, ont mené les mêmes combats, ont pour beaucoup donné leur vie au nom d’une seule et même patrie. La Nouvelle-Calédonie n’est pas un territoire lointain que les hasards de l’histoire auraient associé à la France, elle n’est pas dominée par la France, ni même protégée par elle : elle est la France. Et c’est ensemble que nous pourrons faire face à tous les défis qui nous attendent, résister avec le même esprit de liberté aux menaces qui, en métropole ou au milieu du Pacifique, entourent notre pays ; c’est ensemble que nous pourrons retrouver, avec le sens de ce qui nous unit, la confiance et l’espérance dont la France peut partout dans le monde rayonner de nouveau demain.

Cette unité n’exige pas que soient méprisées l’histoire et la singularité des territoires qui font la France, bien au contraire : la Nouvelle-Calédonie doit être assurée du respect de la nation pour cette terre unique au monde et pour tous ceux qui l’habitent, pour ceux qui nous ont précédés, pour les coutumes qu’ils ont léguées et qui sont l’âme de l’archipel. Dans une région où la Chine montre chaque jour plus clairement qu’elle rêve d’écraser toute singularité qui oserait lui résister, la France doit retrouver son unité, non par l’oppression et l’uniformisation, mais par l’adhésion et la liberté.

Ce dimanche 4 octobre, amis Calédoniens, allez voter pour témoigner de notre immense espoir commun !


Voir aussi (edit décembre 2021) :
Réunion publique en simultané depuis Nouméa et le Parlement européen


Ecologie, institutions, recomposition politique, tensions communautaristes… Entretien au Point.

Photo de François-Xavier BellamyCrédit photo : Le Point / Élodie Grégoire

Entretien au Point paru le 6 juillet 2020. Propos recueillis par Jérôme Cordelier.

Emmanuel Macron a-t-il suffisamment tiré les leçons de la crise ?

L’avenir le dira. De façon générale, et avec Emmanuel Macron en particulier, seuls les actes comptent et les paroles fluctuantes ne permettent pas toujours d’établir des convictions. Le projet du macronisme était d’adapter la France à la mondialisation. A l’inverse, la ligne que nous avons défendue pour l’élection européenne, c’était la nécessité vitale de réorienter la mondialisation, pour réapprendre à produire ce dont nous avions besoin. Ce message a été tragiquement confirmé par la crise sanitaire, qui a révélé combien nous étions démunis. Aujourd’hui, le président qui a cédé Alstom énergie, Technip ou Alcatel, et qui vient de fermer Fessenheim, parle de retrouver notre autonomie nationale : peut-on le croire ? Le « nouveau monde » s’est dissous dans l’épreuve d’une crise qui nous a rappelé brutalement à l’essentiel : comme je l’avais écrit dans Demeure, la première vertu politique n’est pas le rêve de tout changer, mais la prudence, l’effort nécessaire pour préserver ce qui doit l’être, et pour protéger les personnes face aux chocs de l’histoire. Protéger était le mot interdit pour le macronisme 2017 : « le protectionnisme, c’est la guerre », affirmait Emmanuel Macron. Maintenant, il explique que la délocalisation « a été une folie ». Que faut-il croire ? Nous sommes à un moment décisif, et il faudrait un cap enfin clair et courageux pour les deux années qui viennent ; mais il est difficile de l’espérer.

Le nouveau Premier ministre Jean Castex peut-il changer les choses ?

Je lui souhaite bon courage ! Mais tout le monde sait que la politique menée à Matignon ne s’est jamais autant décidée à l’Elysée ; les inconsistances du macronisme ne disparaîtront pas dans l’agitation d’un remaniement, quel qu’il soit.

La France se trouve-t-elle à un moment charnière de son histoire ?

Je fais partie d’une génération qui a découvert le monde à travers le mot de crise : économique, sociale, éducative, écologique… Partout où notre regard se pose, nous trouvons une crise. Le mot « Krisis », en grec, ne veut pas dire « catastrophe », mais « décision ». En ce sens, même si la France a bien sûr connu des moments plus dramatiques, elle a sans doute vécu peu de moments aussi critiques : nous sommes vraiment à un point de bifurcation. Notre pays est en voie de déclassement sur tous les plans. Cette crise a révélé la grande faiblesse de l’État, qui est apparu démuni. L’image que nous avons de la puissance publique est comme la persistance rétinienne d’un pouvoir désormais disparu. Nous touchons du doigt la faiblesse de nos capacités dans le domaine de la santé, de l’industrie, de la défense, de la sécurité, ou encore de l’éducation. Je le dis comme beaucoup de collègues enseignants depuis des années, et cette crise le confirme : malgré l’engagement de bien des professeurs et des élèves, cette improbable session 2020 restera dans notre histoire comme une preuve de ce que nous savions tous déjà, le bac est devenu une immense fiction collective.

Les taux d’abstention record au deux tours des élections municipales sont-ils le signe d’une crise politique structurelle ?

L’abstention est clairement le fait le plus marquant de ce scrutin. Entre les votants du second tour de 2014 et ceux du second tour de 2020, près de cinq millions d’électeurs se sont volatilisés. Il est difficile de comparer les deux scrutins, bien sûr, car il faut le rapporter au nombre de communes concernées par un second tour. Mais entre les deux scrutins, cela représente 20 points d’abstention en plus : c’est considérable. De plus en plus de Français se sentent totalement détachés de ce qui se passe dans la vie politique, jusqu’à l’échelon local qui suscitait encore la confiance des Français. Avec une si faible participation, se sentiront-t-il encore représentés par leurs élus locaux ? La désaffection des urnes est préoccupante. Elle traduit une sécession démocratique. Beaucoup de Français ne croient plus que la politique puisse agir, et leur permettre de maîtriser leur destin. Elle semble simplement devenue un théâtre d’ombres, un jeu de miroirs entre des communicants et des observateurs. Et cet artifice de communication permanente leur paraît n’avoir aucune prise sur le réel. De ce point de vue, les contradictions du « en même temps » macronien, y compris dans la gestion de la crise, auront contribué à abîmer plus que jamais la crédibilité de la parole publique.

Tout le monde a salué votre indulgence, dans une interview à Sud Radio, à l’égard de la porte-parole du gouvernement Sibeth Ndiaye pour des propos qui ont fait polémique, mais qui avait été déformés, ce que vous avez souligné. Avez-vous été surpris par ces réactions ?

Ce n’était pas de l’indulgence, simplement la vérité : je ne soutiens pas Sibeth Ndiaye, mais elle était attaquée pour ce qu’elle n’avait pas dit, même si beaucoup critiquaient de bonne foi ce qu’un extrait tronqué laissait croire. En répondant simplement cela, je n’aurais jamais imaginé susciter autant d’écho. J’ai été touché par les nombreux messages positifs que cela m’a valu, bien sûr, mais en même temps j’en ai été catastrophé. Si l’on y réfléchit bien, ce qui s’est passé est même terrifiant : un responsable politique ne s’engouffre pas dans la brèche d’une polémique infondée, et cela suffit à provoquer une sorte de stupéfaction ! C’est le symptôme d’une situation très inquiétante : la conversation civique s’est transformée en une cascade d’indignations successives, et il semble admis que le débat politique n’a normalement plus de rapport avec la vérité. Des gens dans le métro ou dans la rue m’arrêtent pour me dire : « On vous aime bien parce que vous pensez ce que vous dites. » Mais comment se fait-il que la sincérité apparaisse comme une rareté ? Le principe même de la démocratie suppose que chacun dise ce qu’il pense, sans quoi tout dialogue est par principe impossible. Nous sommes devant le problème décrit par Kant : une action mauvaise n’est pas universalisable. On peut penser une conversation dans laquelle tout le monde dit la vérité ; mais dans une société où tout le monde ment, le mensonge même devient impossible. Le mensonge n’est efficace en effet que s’il est cru. S’il est admis que tout le monde ment, alors mentir n’a plus d’effet. Notre démocratie est aujourd’hui en état de quasi-impossibilité, puisque un politique est réputé mentir. Quand Emmanuel Macron affirme : « Je vais me réinventer », cela ne sert plus à rien : il n’y a plus que les éditorialistes parisiens pour s’y intéresser. Les Français sont devenus indifférents, et cette indifférence est un immense problème.

Je vois qu’au Parlement européen vous n’avez rien perdu de votre candeur…

Il est quand même incroyable qu’affirmer la nécessité de la sincérité soit perçu comme de la candeur. Le fait de croire à ce que vous dites ne vous empêche pas d’ailleurs de vous révéler bon manœuvrier, habile tacticien, de mener des batailles et d’engager des rapports de force. C’est ce que je fais tous les jours à Bruxelles. Il ne s’agit pas d’être un bisounours. Mais pour que l’action politique ait un sens, il faut qu’elle soit orientée par ce que l’on croit vrai et juste. Le divorce de la politique avec la vérité est tel qu’elle y a perdu son essence même.

On peut chercher la vérité en politique ?

Mais… on ne devrait faire que ça ! Chercher la vérité et la justice, y compris dans les débats que la politique suscite. Je ne suis bien sûr pas seul à percevoir ainsi cet engagement : pendant douze ans comme adjoint au maire dans ma ville, j’ai été frappé de voir l’intégrité et la générosité de tant d’élus locaux qui, avec patience et discrétion, travaillent pour leur collectivité : c’est par leur constance que la France tient debout. Au Parlement européen, je côtoie aussi bien des politiques qui s’engagent avec abnégation et rigueur. En politique, comme dans toute société, et comme en soi-même bien sûr, on rencontre ce qu’il y a de plus médiocre mais aussi de meilleur en l’humain. La configuration du débat politico-médiatique a généralement pour postulat implicite que le politique suit seulement ses intérêts et ceux de sa clientèle. Cette représentation est à la fois fausse, et inquiétante : elle signifie que la délibération collective n’est qu’une fiction, qui ne permet jamais d’échapper réellement à la guerre de tous contre tous.

Le vote écologiste est-il un vote de contestation ou d’adhésion ?

Indéniablement, un peu des deux. La question écologique est majeure. La droite a été fautive de ne pas la travailler plus tôt. Elle a longtemps considéré que c’était une question périphérique ; or elle est centrale : l’un des défis essentiels de la politique est aujourd’hui la préservation des conditions de la vie humaine pour les générations futures – et la préservation de la beauté du monde et de la condition humaine en font d’ailleurs partie. Le mot de conservatisme m’a été souvent attribué, peut-être pour mieux m’y enfermer ; mais l’écologie est un conservatisme. Et dans la tradition intellectuelle et philosophique de la droite, elle aurait dû être une évidence. Pour l’avoir trop longtemps délaissée, nous voyons progresser aujourd’hui une écologie politique qui est à l’inverse l’expression d’un rejet : contestation d’un système économique, de notre capacité à inventer et à produire et, au final, de la place même de l’humain dans la nature. C’est d’ailleurs le talon d’Achille de cette écologie politique : elle peine à dessiner un avenir plutôt qu’à désigner des coupables. En recyclant la vieille passion marxiste pour la révolution, elle refuse la société dont il s’agirait de prendre soin.

Ne trouvez-vous pas curieux qu’Emmanuel Macron se présente à la fois comme un apôtre de la décentralisation et se soit totalement désintéressé des élections municipales ?

Mais Emmanuel Macron n’est pas du tout un apôtre de la décentralisation ! Tout le monde l’a décrit comme un libéral. En réalité, il est très étatiste, jacobin, centralisateur. Pour moi, il incarne moins le libéralisme qu’une forme de technocratie qui rêvait de dépolitisation. La fin des clivages, le « en même temps », c’était une manière de remplacer la politique par la gestion, de dissoudre l’autonomie du politique dans la centralisation bureaucratique. Le rapport d’Emmanuel Macron aux communes est à ce titre très intéressant. La suppression de la taxe d’habitation, par exemple, c’est une rupture historique avec la libre administration des communes, principe qui date de bien avant la révolution française. Cette vision est totalement anti-libérale. Pour ma part, je crois que la renaissance de la France passera par la liberté et la responsabilité. Cela inclut l’Union européenne, bien sûr : si l’on soutient la décentralisation, pour retrouver une décision politique ancrée dans la proximité et la subsidiarité, il est absurde de s’enferrer dans un mythe fédéraliste périmé. C’est pourtant ce que fait Emmanuel Macron quand il parle de souveraineté européenne, et quand il met en œuvre un emprunt commun européen : cet emprunt va conférer une autorité budgétaire inédite à la commission européenne, éloignant encore la décision politique du terrain.

Sur quels combats votre parti, Les Républicains, doit-il fonder son projet politique ?

La question de l’organisation de l’action publique est importante mais elle ne peut être centrale. Nous ne convaincrons pas les Français en leur parlant de réformes institutionnelles, mais des défis politiques concrets qui nous attendent. Il s’agit maintenant de sauver la possibilité de vivre et de bien vivre en France. De rétablir l’autorité de l’Etat, tellement défaillant quand on voit que les bandes rivales maghrébines et tchétchènes qui s’affrontent dans le centre de Dijon signent la paix dans une mosquée sous le regard impuissant des forces de l’ordre – ce qui s’est passé là devrait être un sujet de sidération nationale ! Il faut retrouver notre capacité de produire et de travailler, ce qui veut dire réorienter en profondeur l’Union européenne, pour qu’elle redéfinisse son rapport à la mondialisation, qu’elle sorte de sa naïveté. Un immense travail nous attend pour retrouver notre autonomie dans tous les domaines, pas seulement dans la santé. Prenez, par exemple, la question de l’alimentation : notre balance commerciale en matière agricole est déficitaire, pour la première fois depuis longtemps. La France, malgré sa tradition rurale exceptionnelle, importe désormais plus de produits agricoles qu’elle n’en exporte. C’est le symptôme d’un échec politique majeur, et une vraie menace pour notre souveraineté à l’avenir. Il ne faut pas agir pour éviter la crise passée, mais pour éviter la prochaine… Enfin, et l’essentiel est sans doute dans l’urgence du long terme, si la droite est fidèle à son identité, elle fera tout pour rétablir la transmission entre les générations, pour offrir à nos enfants à la fois la nature et la culture que nous avons reçues et qui sont toutes deux conditions de leur avenir commun.

Dans les polémiques actuelles que charrient les déboulonnages des statuts ou les manifestations « racialistes », voyez-vous un « mémoricide », selon l’expression de Philippe de Villiers ?

C’est une question sur laquelle j’ai tenté d’alerter avec mon livre « Les déshérités », en 2014, soulignant qu’une génération s’était abstenue de transmettre à la suivante ce qu’elle avait reçu. Aujourd’hui, de cette rupture, on paie le prix politiquement. La crise éducative aura un coût démocratique majeur. Etre citoyen suppose de maîtriser la langue commune pour prendre part à la délibération : un Français sur cinq a des difficultés dans la lecture à 18 ans. Etre citoyen nécessite aussi d’avoir des éléments de référence, de comparaison dans le temps, dans l’espace. Je ne sais pas s’il faut parler de « mémoricide », mais il y a une réalité très concrète : les jeunes Français n’ont plus de mémoire, et on voudrait détruire dans leur conscience tout attachement à une mémoire collective, toute capacité à se relier à une histoire qui dure. On veut leur imposer d’être les enfants de personnes. Il ne s’agit pas d’engager une discussion critique sur l’histoire : elle a toujours existé, et c’est une nécessité absolue. Mais des mouvements essaient là de rompre tout lien à une mémoire commune, une mémoire partagée. Quand on met sous cloche la statue de Churchill au cœur de Londres ou que l’on dégrade celle de de Gaulle, c’est que l’on a choisi d’organiser dans les cœurs et dans les esprits une rupture radicale. Et celle-ci prospère sur l’ignorance et ce que cette ignorance produit de pire : une absence totale d’humilité, une arrogance hallucinante à l’égard de l’histoire. Celui qui a appris la complexité de notre passé, celui qui a reçu de ses aînés ne peut pas se comporter avec une telle condescendance et suffisance. On a envie de dire à ceux qui déboulonnent les statues, commencez par donner au monde un peu de ce que ceux que vous attaquez ont su lui offrir. Vous aurez alors conquis le droit de parler.

Élections européennes 2019 : message de fin de campagne

Chers amis,

Je voudrais commencer par remercier de tout cœur les électeurs qui nous ont accordé leur confiance. Dans le duel qu’on cherchait à leur imposer, ils ne se sont pas résignés ; ils ont voulu voter pour leurs convictions, pour le projet que nous portions, et je leur en suis infiniment reconnaissant.

Cette élection européenne a été transformée en un référendum national. Je suis fier d’avoir, avec toute notre équipe, parlé de l’avenir de notre pays en Europe, alors que tout était fait pour détourner ce débat pourtant si nécessaire. Je voudrais remercier Agnès, Arnaud, chacun de mes colistiers, et les élus qui nous ont accompagnés.

Malgré la campagne intense que nous avons menée, nous n’avons pas réussi à faire entendre aux Français notre vision et nos propositions.

Le second enseignement que je tire de ce résultat, c’est la crise profonde que traverse notre démocratie. Aujourd’hui, nous pouvons nous accorder sur un constat : de très nombreux électeurs se sont exprimés d’abord pour voter contre – voter contre la politique menée par Emmanuel Macron, ou contre le risque de voir monter le Rassemblement National. Or une démocratie ne peut trouver un équilibre durable quand elle n’offre que des élections par défaut, quand un bulletin de vote ne sert qu’à éliminer. Chaque jour de cette campagne, sur le terrain, j’ai perçu les tensions profondes qui traversent notre société. Nous ne pouvons laisser la France s’enliser dans ce désespoir politique.

Cela montre l’ampleur de la tâche à accomplir. La droite traverse une crise très profonde. Tout est à reconstruire. Lorsque Laurent Wauquiez m’a proposé d’assumer cette mission, je savais que la tâche serait très difficile. Si je l’ai acceptée, c’était pour tenter de contribuer à refonder une proposition politique qui puisse susciter de nouveau la confiance des Français. Ce travail est devant nous. Nous le devons, non à la droite, mais à la France, pour lui offrir cette espérance que nous n’avons pas su partager avec elle au cours de cette campagne. C’est le moment d’être fidèles et courageux. Je veux dire à tous ceux qui, pendant les dernières semaines, nous ont dit leur confiance et leur attente, que je m’engagerai de toutes mes forces pour servir ce travail de fond qui nous attend.

François-Xavier Bellamy