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L’espérance est une forme de radicalité

Entretien initialement paru dans la revue Valeurs Actuelles du 9 novembre 2023. Photo : Jean-Baptiste Delerue / PHILIA

Quelle serait aujourd’hui notre raison d’espérer ?

Il faut regarder l’espérance pour ce qu’elle est : un acte de la volonté qui ne se cherche pas d’abord des raisons de se rassurer, mais qui s’impose de se battre comme si une chance existait, même quand toute la réalité semble nous dire qu’il n’y en a plus. Là réside la radicalité de l’espérance. Le courage de l’espérance, d’une certaine façon, c’est le courage désespéré. Comme le dit Bernanos, pour connaître l’espérance, il faut non pas avoir des raisons d’être optimiste, mais au contraire, avoir été au bout du désespoir. Et, ayant affronté le désespoir, se dire que si jamais il existe un chemin, si jamais il y a une chance que tout ce à quoi nous tenons et qui semble disparaître se relève et se ranime, cette seule chance même improbable vaut la peine qu’on engage notre vie entière pour pouvoir la rendre possible.

De quoi les évènements récents sont-ils le nom ?

Du retour du tragique de l’histoire. Derrière l’Arménie aux prises avec l’Azerbaïdjan, ou Israël attaqué par le Hamas, se découvre, en réalité, le même visage, même si chacun de ces conflits est singulier. Mais ce qui me frappe le plus, c’est, face à ce retour du tragique, le sentiment que nous n’avons plus la main, que nous n’avons plus la capacité d’agir et de décider du destin de notre monde et du nôtre.

C’est ce que vivent particulièrement tous ceux qui servent l’État, et qui sont concrètement confrontés à l’impuissance publique. Je pense aux policiers entendant le président de la République dire qu’on n’empêchera jamais le terrorisme. Je pense aux professeurs qui savent très bien que personne ne les protègera quand le premier fou furieux aura décidé de les sacrifier. Je pense aux infirmières qui voient l’hôpital s’effondrer autour d’elles sans pouvoir rien y faire. Tous ceux qui devraient être le bras de la force publique sont aujourd’hui les spectateurs désolés de son impuissance.

De quoi souffre l’Occident dont ne souffrent pas les autres parties du monde ?

De quoi sommes-nous le nom ? Quelle est notre mission dans l’histoire ? Quelle est notre vocation ? Aujourd’hui, il est plus simple pour un Chinois, pour un Saoudien, et même d’une certaine manière pour un Américain, de savoir quelle est la place que chacun occupe dans l’histoire, et le rôle qu’il faut y jouer. Nous, nous avons décidé avec beaucoup de détermination de déconstruire ce qui peut faire le sens même de l’existence de la civilisation que nous recevons en partage. Sur France Info, j’ai entendu un élève de Dominique Bernard témoigner sur le professeur qu’il était : « Il parlait comme un professeur de français en utilisant des mots que personne ne comprend ». Et il prenait pour exemple « aparté », qui lui paraissait un étrange reliquat obsolète d’une langue déjà disparue. La mort de Dominique Bernard est le symptôme de la faillite de l’école. On a laissé derrière nous des jeunes assez décérébrés pour adhérer à l’islamisme qui prospère aujourd’hui sur TikTok et dans les quartiers. Dans sa lettre à un djihadiste, Philippe Muray écrit : « Chevauchant vos éléphants de fer et de feu, vous êtes entrés avec fureur dans notre magasin de porcelaine. Mais c’est un magasin de porcelaine dont les propriétaires, de longue date, ont entrepris de réduire en miettes tout ce qui s’y trouvait entassé. (…) Vous êtes les premiers démolisseurs à s’attaquer à des destructeurs. »

Comment lutter contre cette « décivilisation » ?

La seule et l’unique et l’essentielle urgence pour l’avenir du pays, c’est l’école. Ce qui compte, c’est d’éduquer. Ce qui compte, c’est de professer. Ce qui compte, c’est d’avoir des professeurs. Et il y a urgence, car il s’agit sans doute du seul sujet sur lequel on puisse faire des erreurs irréversibles. Si demain on décidait de remettre un peu de sécurité, d’autorité, il y aurait des résistances, mais on saurait remettre des policiers dans la rue. Si on voulait retrouver un peu de rationalité budgétaire, ce serait difficile, mais on pourrait rétablir nos comptes publics. Tout cela peut se réparer. Mais quand on a cessé de transmettre pendant vingt, trente ou quarante ans, qui demain pourra enseigner le savoir qui n’a pas été transmis ?

Qu’est-ce qu’une bonne école alors ?

Une bonne école, c’est une école qui sait avoir pour seule et unique mission de transmettre – le savoir, la culture, la connaissance. Bien sûr, il faut se garder de toute idéalisation : l’expérience de la pédagogie n’est jamais une évidence ; elle suppose d’affronter la difficulté de la relation humaine que représente toujours le travail éducatif. Comme le disait Alain, la pédagogie est la science des professeurs chahutés. Il n’y a jamais de miracle. Mais le vrai problème aujourd’hui n’est pas la difficulté d’éduquer, ou qu’on n’y parvienne plus ; le problème, c’est qu’on ne veut plus éduquer, que les enseignants se sont vus privés de leur mission. Péguy expliquait déjà en 1907, dans Pour la rentrée, ce qui vaut pour toute situation semblable : « La crise de l’enseignement n’est pas une crise de l’enseignement ; il n’y a jamais eu de crise de l’enseignement ; les crises de l’enseignement sont des crises de vie. […] Quand une société ne peut pas enseigner, ce n’est point qu’elle manque accidentellement d’un appareil ou d’une industrie ; c’est que cette société ne peut pas s’enseigner ; c’est qu’elle a honte, c’est qu’elle a peur de s’enseigner elle-même. »

La seule et l’unique et l’essentielle urgence pour l’avenir du pays, c’est l’école. Ce qui compte, c’est d’éduquer. Ce qui compte, c’est de professer. Ce qui compte, c’est d’avoir des professeurs. Et il y a urgence, car il s’agit sans doute du seul sujet sur lequel on puisse faire des erreurs irréversibles.

Comment jugez-vous les premiers pas de Gabriel Attal ?

Interdire l’abaya ? C’était élémentaire. Je ne dis pas que ce n’était pas courageux, mais c’était la moindre des choses. Maintenant, le premier problème de l’école en France, ce n’est pas l’abaya. Il y a des gamins qui ont passé quinze ans sur les bancs de nos classes et qui finissent en brûlant des écoles. Voilà ce qui s’est passé lors des émeutes de juin dernier.

Un jeune français sur cinq, à 18 ans, ne sait pas lire le français. Nos élèves sont les derniers d’Europe en mathématiques. Nous avons le système scolaire le plus inégalitaire de tout l’OCDE. Est-ce que Gabriel Attal va changer cela ? S’il le fait, j’applaudirai des deux mains. Mais en attendant, comme professeur, il y a quelque chose qui me heurte dans sa nomination : qu’on puisse confier l’Education nationale, le sujet le plus décisif pour l’avenir du pays, à quelqu’un qui a priori n’en connaît rien, qui n’a jamais touché à l’enseignement de près ou de loin. Parce que Gabriel Attal avait envie de ce poste pour exister politiquement, dans un remaniement qui semble avoir été presque improvisé, on lui attribue en dernière minute le ministère le plus complexe et le plus essentiel – 1,2 millions de fonctionnaires, le premier budget de l’État, l’avenir du pays. Il y a là une désinvolture assez improbable.

Parmi les causes de l’assassinat de Dominique Bernard, vous citiez dans le Figaro, l’immigration incontrôlée. Mais pourquoi n’arrive-t-on pas à la contrôler ? N’est-ce pas parce que nous avons perdu le sens de ce qu’est une cité politique, le bien commun, et le rôle d’un État qui est là pour servir un peuple et une histoire donnés ?

La vie civique commence par la reconnaissance du caractère structurant du sentiment d’appartenance à une communauté politique. Même en cochant les cases de la bonne volonté, tous les gens qui aiment la France n’ont pas pour autant un droit opposable à notre nationalité ; c’est donc a fortiori encore plus vrai de ceux qui ne l’aiment pas. Au fond, la crise de l’école et la crise migratoire n’en sont qu’une : elles sont le révélateur d’un même vide intérieur. Parce que nous ne savons plus qui nous sommes, ni ce que signifie d’être une cité, parce que nous avons oublié que la culture est l’essentiel, nous avons sombré à la fois dans l’effondrement de l’école et dans l’immigration massive. Ces deux faillites procèdent de la même vision anthropologique. Qu’est-ce qui justifie aujourd’hui que Gérald Darmanin propose la régularisation des clandestins dans les métiers en tension ? C’est une vision de l’homme fondée sur sa réduction à l’homo oeconomicus, à l’animal laborans, à l’individu au rôle de rouage utile pour la machine économique, où tout ne serait qu’affaire de calcul. Dans cette perspective, le territoire d’un pays n’est plus en effet qu’un espace géométrique neutre dans lequel des atomes indifférenciés se déplacent comme des particules élémentaires…

Que faire de nos ennemis de l’intérieur, présents sur notre sol en nombre conséquent ?

Il y a, d’une part, la question des étrangers. Pour compliquée qu’elle soit, elle n’a rien d’insoluble. Il est stupéfiant de voir, trois jours après la mort de Dominique Bernard, le président de la République et le ministre de l’Intérieur se réveiller et proclamer soudain : « Il faut expulser avec fermeté les étrangers dangereux ». Pourquoi ne pas l’avoir fait avant ?

La question beaucoup plus difficile concerne ceux qui sont Français et qui participent pourtant à la menace islamiste. Il est impératif d’avoir enfin une vraie stratégie, dans deux directions simultanées. D’abord pour le contre-terrorisme : il serait révoltant de céder à la démission en disant, comme le président de la République il y a quelques jours, que le terrorisme ne peut pas être éradiqué. Ne pas se résigner, c’est se donner les moyens de mener dans la durée un travail déterminé pour améliorer notre capacité de renseignement et de protection. Nous sommes bien sûr capables de mener et de remporter ce combat contre le terrorisme islamiste, d’autant plus que nous parlons ici d’adversaires médiocres, dont les capacités sont rudimentaires. Et la seconde direction, c’est le travail qu’il faut mener pour gagner la bataille idéologique, pour gagner la bataille des cœurs.

Avec quels outils ?

La France n’est pas aimée, alors qu’elle a tout pour l’être. Ce n’est pas très difficile de susciter la passion de la France. Dans l’Education nationale, il suffit qu’on décide de transmettre à nouveau ce que nous avons à offrir, et nous trouverons de nouveau l’enthousiasme pour l’accueillir. Comme beaucoup de collègues, je peux témoigner de cela, sans aucune facilité. Souvenez-vous de l’instituteur de Camus, Monsieur Germain, qui faisait des Français dans son faubourg d’Alger avec ces gamins venus des quartiers les plus pauvres. Le miracle est toujours disponible. Ce sont des adultes, non des enfants, qui ont organisé la rupture de la transmission. Ce ne sont pas nos élèves, même issus de l’immigration, qui ont dit que la France était coupable de crime contre l’humanité. Ce ne sont pas non plus nos élèves qui ont dit qu’il n’y avait pas de culture française. C’est Emmanuel Macron qui a dit cela – et ses propos n’étaient que le symptôme d’une crise collective.

Au-delà de la reconstruction de l’école, nous devons donc retrouver une stratégie pour la bataille culturelle. Sur les réseaux sociaux, il faut apporter un contre-discours, développer notre narratif. Qu’est-ce que la France fait pour que sur TikTok, on aille combattre les discours qui salissent le pays ? Comment y participe notre production audiovisuelle, nos séries ? Aujourd’hui, c’est Netflix qui invente les représentations du monde ; que faisons-nous pour ne pas laisser le monopole de l’imaginaire à une industrie américaine obsédée par la déconstruction de notre héritage ? Cela peut paraître dérisoire, mais je me suis battu au Parlement européen pour interdire les télécommandes qui renvoyaient directement à Netflix, et j’ai obtenu cette interdiction. Rien n’est anecdotique quand il s’agit de sortir du circuit fermé que cette production culturelle voudrait nous imposer. Mais il nous faut maintenant construire une alternative.

Comment sortir du paradoxe d’un état de droit qui nous enchaîne plutôt qu’il ne nous protège ?

En réalité, aujourd’hui, ce que beaucoup appellent l’état de droit est devenu l’état de non-droit. Reprenez le cas de la famille Mogouchkov. Déboutés deux fois du droit d’asile, ils sont toujours sur le sol français parce qu’une obscure circulaire empêche leur expulsion. Le débat sur l’état de droit opposait habituellement la loi à la puissance publique, montrait les tensions possibles entre le droit et la démocratie, entre le droit et l’État. Mais aujourd’hui, il me semble qu’il y a un combat entre le droit et le droit. La lettre et l’esprit de la loi sont désactivés par une montagne de complexité réglementaire et administrative ; la jurisprudence annule les principes fondamentaux du droit. Je ne suis pas pour l’Etat contre le droit ; je suis pour que force revienne enfin à la loi.

Pour retrouver l’état de droit, encore faut-il que les juges acceptent que la loi doit s’imposer. Le fait que le Syndicat de la magistrature organise une rencontre à la Fête de l’Huma sur les « violences policières », ou participe à des manifestations d’extrême gauche contre la police, devrait être pour nous un sujet majeur. Ce syndicat, qui représente un tiers des magistrats, a fondé sa philosophie sur la harangue de Baudot, qui intime aux juges de ne pas être neutres : « La loi dira ce que vous voulez qu’elle dise. Soyez partiaux, pour le voleur contre la police, pour le plaideur contre la justice ».

En introduction de votre livre, vous avez un passage très éclairant sur le pardon, la liberté qu’il confère. Est-ce qu’on ne pourrait pas expliquer en partie le wokisme par l’oubli de cette belle vertu du pardon, parc que le wokisme, c’est considérer le passé de l’Occident comme un crime inexpiable : pour l’Occident, la seule manière de l’expier serait de disparaître, en l’absence de pardon.
Les gens qui se revendiquent le plus du wokisme sont ceux qui auraient le moins de raison d’exiger un pardon quelconque. On n’a jamais été aussi peu victimes et on ne s’est jamais autant sentis en permanence persécutés ; c’est quand même fascinant. Ce sont des gamins qui ont tout reçu, qui ont grandi dans la génération la plus gâtée de l’histoire, et qui se sentent victimes de tout.
Mais ils se sentent victimes aussi par procuration, c’est-à-dire que le bourgeois du XVIᵉ demande à l’Occident d’expier l’esclavage des Noirs aux États-Unis.

Mais ce n’est pas tellement lui qui aurait des raisons d’exiger un pardon, c’est le paradoxe de l’histoire. Ce qui est sûr, c’est que le pardon est un scandale. Comme l’espérance d’ailleurs, le pardon est lui aussi un scandale pour la raison. Il n’y a de pardon que pour ce qui est impardonnable, comme l’espérance n’a son lieu que là où il n’y a pas de raison d’espérer. Si on pardonne ce qui a des raisons d’être pardonné, alors on pardonne ce qui est excusable, et du coup ce n’est pas un pardon. Si j’arrive en retard et que j’ai une bonne excuse, parce que mon train a été annulé par exemple, vous ne faites pas un grand acte de générosité en excusant ce qui est excusable. Mais quand on voit le visage du mal dans les crimes commis contre des Israéliens le 7 octobre, contre des civils, des femmes, des enfants, on ne peut que se demander : « Mais comment un pardon est possible pour cela ? ». C’est là, devant l’inexcusable absolu, que le pardon est évidemment un scandale ; mais c’est sans doute là qu’on peut le mieux voir ce qu’il constitue.

Sur le wokisme, comment expliquez-vous que cette idéologie assez récente et assez minoritaire ait réussi à structurer le débat public à ce point ? Et comment est-ce qu’on en sort ?

Un tel discours n’est possible que sur l’effondrement de la raison. Mais le wokisme a-t-il réellement triomphé aujourd’hui dans le paysage français ? Si dans notre pays la culture commune, la transmission à l’école, l’autorité de l’État, la protection de nos principes les plus fondamentaux, si tout ça n’était menacé que par des gens qui sont vraiment wokistes, honnêtement, tout irait très bien. Jean-Michel Blanquer n’était pas du tout woke, mais il a fait la réforme du bac.

Justement, dans le contexte de la faillite de l’école, est-ce que Netflix n’a pas beaucoup plus de pouvoir sur la structuration des jeunes esprits que l’Éducation nationale ?

Les écrans ont pris le pouvoir, mais ceux qui ont donné le pouvoir aux écrans, y compris dans l’école, ne sont pas eux-mêmes “wokistes”, au sens habituel du terme. Et si, au contraire, l’école assumait d’être ce qu’elle doit être, c’est-à-dire si un ministre de l’Éducation nationale arrivait demain en disant : « À l’école, ce qui doit régner, ce n’est pas l’écran, c’est le livre ; donc plus d’écran, plus de téléphone dans l’école. Notre travail à nous, c’est de vous apprendre à grandir sans écran. Et non seulement on va bannir les écrans des écoles, mais on va travailler avec les parents pour arrêter cette folie qui consiste à mettre un iPhone dans les mains d’un gamin de dix ans. » Si on faisait ce travail-là, on ferait reculer les vecteurs du wokisme. Les gens qui lui offrent tout cet espace, toute cette place, les dirigeants qui ont fini par fragiliser en profondeur le travail de la transmission, n’étaient pas eux- mêmes wokistes. Il y a une forme de lâcheté, de déni, d’abandon, parfois de cynisme, de complaisance avec la déconstruction, qui ne vient pas directement de ce courant de pensée. Le problème, c’est cette haine de soi dont le wokisme n’est qu’une manifestation singulière. L’école a été détruite de l’intérieur, pas depuis que le wokisme existe, mais depuis maintenant des décennies. Le wokisme est une forme d’accouchement monstrueux de la déconstruction qui dure depuis bien longtemps.

Dans votre livre, vous expliquez qu’aujourd’hui, les gens n’arrivent plus à comprendre que la violence fait partie de l’existence. Et, paradoxe, cette violence, pour autant, elle est partout, y compris dans la vie politique qui est de plus en plus hystérisée. Comment lutter justement contre cette hystérisation de la vie politique ?

Je crois qu’il y a une manière de pratiquer l’exercice politique qui correspond à cet objectif. Si on s’inquiète de la décivilisation, de l’ensauvagement, alors il faut peut-être commencer par s’imposer à soi-même une exigence de civilité. Ce n’est pas seulement dans le discours, mais aussi dans la méthode qu’on doit être à la hauteur de ce qu’on prétend avoir à défendre. Cela ne veut pas dire qu’il faille oublier la violence à laquelle la politique sera toujours confrontée. Il est nécessaire de sortir du déni constant aujourd’hui sur ce sujet : juste après l’attentat d’Arras, Brigitte Macron promet « des cours de bienveillance »… Et le président remercie tout le monde, les policiers, les pompiers, les soignants, le chauffeur de l’ambulance, comme si on était à une cérémonie des Césars. Il faut bien sûr dire notre reconnaissance à tous ceux qui sont en première ligne ; mais se contenter de remerciements après un attentat, c’est faire comme si tout était normal, comme si rien n’avait raté… Cela contribue à faire croire que ce genre d’attentat, ça arrivera quand ça arrive – le rôle des politiques étant alors seulement de faire en sorte que l’hôpital du coin arrive assez vite pour faire un garrot… Oui, la mission essentielle de la politique, c’est de faire reculer la violence ; et pour cela, elle doit combattre par les moyens de la force publique. Ultima ratio regum : cette force est le dernier argument du prince. A la fin, la politique est inéluctablement une rencontre avec la violence. C’est l’un des grands impensés du monde contemporain.

Vous n’ignorez pas que souvent, les gens disent « Bellamy, il est formidable, il élève le débat, mais il est trop poli, il faudrait qu’il apprenne à renverser la table ». Est-ce que justement, cette pratique bienveillante et polie de la politique que vous essayez d’avoir ne minore pas sa dimension violente ? Est-ce qu’elle n’est pas un peu ingénue ?

Je crois vraiment que dans un monde de brutalisation, d’ensauvagement, qu’on l’appelle comme on voudra, il importe de ne pas se laisser gagner par ce qu’on combat ; vouloir défendre une idée de la civilisation implique de renoncer à la brutalité dans l’exercice même de la vie publique. Non, ce n’est pas être tiède que de croire à la possibilité d’une vie civique qui soit civile, authentiquement civilisée. Et s’imposer cette exigence même quand tout semble consacrer la victoire de l’excès, de la caricature, du faux, c’est le seul choix qui soit assez courageux pour aller vraiment à contre-courant, et la seule manière de parvenir à la fin à « renverser la table » pour de bon. J’espère d’ailleurs que ceux qui me disent trop poli dans mon expression reconnaîtront que cela ne m’a jamais empêché d’être clair dans mes convictions. Il y a des fermetés paisibles et des incohérences bruyantes… On peut chercher à être sensé sans vouloir être consensuel. Je crois à la nécessité du clivage, et j’ai toujours assumé mes engagements ; peut-être à la différence d’autres, qui même chez ceux qui prétendent incarner une forme de radicalité, sont souvent prompts à changer de cap au gré des derniers calculs tactiques. Pour ma part, je pense qu’on peut être efficace sans être opportuniste, et courageux sans être outrancier.

Mais comment être plus efficace tout en restant soi-même ?

D’abord, la politique trouve sa noblesse dans le fait de chercher autre chose que la seule efficacité électorale. Ça ne veut pas dire qu’il ne faille pas chercher des succès électoraux, mais il ne faut pas se renier au motif que le succès serait un but absolu, à tout prix. Je ne suis pas une machine à éléments de langage, et je ne le deviendrai pas. L’efficacité électorale doit être au service d’une vision politique, pas l’inverse. Si je dois mener cette campagne européenne pour les Républicains, mon but sera de revenir au Parlement européen plus nombreux et plus forts pour peser dans les choix essentiels qui s’annoncent. La campagne sera l’occasion de démontrer, avec le bilan de ces cinq ans de mandat, que nous savons comment mener des batailles, et comment les gagner. Je crois avoir démontré au cours des dernières années la pertinence de ce choix, qui n’est pas évident, de rentrer dans le cœur du travail des institutions. C’est la ligne de crête sur laquelle il faut avancer. Beaucoup de gens me disent « Qu’est-ce que vous faites chez LR ? Qu’est-ce que vous faites au Parlement européen ? » Je suis précisément là où je crois que nous devrions tous pouvoir nous sentir représentés. Il n’y a pas de raison de déserter la formation politique qui est supposée représenter nos idées. Il n’y a pas de raison de déserter les institutions où nous devons pouvoir exister. Il n’y a pas de raison d’abandonner le terrain à ceux qui représentent le contraire de nos aspirations. J’espère avoir fait la démonstration que c’était non seulement un pari possible, mais même un pari qui réussit.

Parce que c’est en allant à l’intérieur de ce travail, sans renoncer à rien, qu’on peut réussir à faire avancer les choses. Je pourrais citer beaucoup d’exemples, comme la réforme du marché de l’énergie pour sortir du délire européen qui a fragilisé le nucléaire français : nous allons aboutir à une réforme qui rendra à la France la possibilité de fixer des prix de l’électricité à partir de ses coûts de production, donc de rendre aux Français des factures d’électricité qui ne varieront pas avec le prix du gaz – donc de réindustrialiser le pays, et de lui rendre sa souveraineté. Sur la question de la protection du marché européen avec la barrière écologique qu’on avait promise ; sur l’interdiction de la GPA qui, dans quelques semaines peut-être, sera une réalité en Europe grâce à l’amendement que j’ai déposé ; sur la lutte contre l’entrisme islamiste, en ayant interdit à la Commission européenne de financer les campagnes qui disent que « la joie est dans le hijab »… Évidemment il y a un côté désespérant à être continuellement aux prises avec tout ce qui dysfonctionne, avec tout ce qui contredit nos efforts. Mais avec de l’endurance, du courage, de l’audace, on peut gagner ces batailles.

Mais le paradoxe, c’est que vous êtes dans le lieu de la technocratie tout en étant la quintessence de l’homme politique qui procède plus par vision que par détails techniques. Est-ce qu’il y a un grand écart entre les soirées de la philo et la négociation sur la pêche ?

Un équilibre plus qu’un écart ! J’ai la chance d’avoir la respiration des Soirées de la philo pour garder le contact avec les textes, avec les auteurs. C’est aussi une manière de garder le sens de l’action quotidienne. La vie politique touche aussi au plus fondamental – à une vision de la personne, de la dignité humaine. Si dans quelques semaines, la GPA est considérée dans toute l’Union européenne comme relevant de la traite d’êtres humains et à ce titre interdite, je me dirais que j’aurai eu le privilège de rendre concrets les principes essentiels que nous défendons. Ça ne fait pas tout bien sûr ; ce n’est pas encore la grande refondation que nous espérons pour l’avenir. Mais malgré tout, ne serait-ce que poser des digues, qui permettent de faire la preuve qu’il n’y a pas un sens de l’histoire écrit d’avance, que nous ne sommes pas condamnés à subir l’inéluctable recul des principes qui nous tiennent et auxquels nous tenons, ce n’est pas rien non plus. Et cela, je le dis sans aucun esprit polémique, est directement lié à ce pari de rentrer dans la mêlée, au cœur du travail politique. Moi aussi, je pourrais faire de la politique avec la colère, parce qu’on ne manque pas de colères, et elles sont bien souvent légitimes. Mais que produisent-elles à la fin ?

Je sais que je suis sur une ligne de crête, mais ce qu’on peut apporter à un monde devenu vide, c’est la proposition qu’il attend. Parce que j’ai passé mon temps à râler sur le fait que notre groupe parlementaire ne parlait pas assez de vision et d’idées, notre président de groupe à Strasbourg m’a demandé d’écrire notre nouvelle charte commune : quelle doit être l’identité politique de la droite en Europe aujourd’hui ? J’y ai travaillé avec dix collègues, on a écrit un texte, discuté avec tous les parlementaires du groupe, et finalement adopté… Nous nous plaignons souvent de ne pas être entendus, mais sommes-nous assez capables de parler, de proposer ?

Comment expliquez-vous que ce qui a opéré pour diaboliser l’extrême droite il y a 30 ans n’opère pas du tout avec la France insoumise ?

Si, ça opère. L’Assemblée nationale a rédigé un texte pour exclure les députés de la France insoumise d’une délégation qui part en Israël bientôt. Thomas Portes, le député insoumis qui avait posé avec le pied posé sur un ballon où figurait la photo d’un ministre, a été sanctionné par le bureau de l’Assemblée nationale alors que théoriquement, le bureau de l’Assemblée n’a pas le droit de sanctionner quelqu’un pour ce qui se passe en dehors de l’Assemblée. Au Parlement européen, on avait un texte sur Israël, il y avait des amendements qui venaient de tous les groupes, déposés, par exemple, par le groupe ID auquel appartient le RN et des amendements qui étaient déposés par le groupe The Left auquel appartient LFI. La doctrine de notre groupe, c’est de ne pas pratiquer le cordon sanitaire : s’il y a un amendement du RN qui est bon, on vote pour, ça ne nous pose aucun problème. On a donc voté des amendements d’ID, comme on le fait d’habitude. En revanche, pour la première fois depuis le début du mandat, le groupe a décidé par principe de ne voter aucun amendement venant de l’extrême gauche.

En tout cas, Yael Braun-Pivet s’est porté partie civile pour l’Assemblée contre les propos du député RN Grégoire de Fournas : « que ce bateau retourne en Afrique »… Et on ne l’a pas vue demander une action administrative, même de l’Assemblée, pour sanctionner Danièle Obono après qu’elle a qualifié le Hamas de mouvement de résistance…

Moi, je ne le voudrais pas. On a suffisamment dénoncé la judiciarisation des désaccords pour ne pas tomber à notre tour dans cette impasse. On ne doit pas répondre à une idéologie par une autre idéologie, mais par l’exigence de la vérité, la rigueur intellectuelle, l’intelligence dans le combat culturel. Mais ce combat, nous avons les moyens de le mener avec des arguments, des idées, des faits. Je suis révolté quand Mme Obono dit que le Hamas est un mouvement de résistance, je suis prêt à affronter ce délire autant qu’il le faudra sur le terrain politique, mais je ne demanderai pas aux tribunaux d’assumer ce combat politique à ma place.

Est-ce que cette complaisance de LFI pour le terrorisme, pour les émeutiers, n’illustre pas parfaitement ce que vous dites dans votre chapitre sur le progrès : finalement, pour les gens qui croient au progrès, peu importent violences et destructions du moment que ça fait avancer l’humanité ?

C’est ce que veut dire aussi l’expression de « résistance » : la cause est grande, et c’est juste dommage pour les victimes collatérales. Je me suis beaucoup battu contre nos collègues de LFI qui refusent de parler de terrorisme, mais qui parlent de « crimes de guerre ». Mais crime de guerre, ça veut dire quoi ? Ça veut dire que le Hamas est une armée régulière qui a des objectifs militaires et qui fait, en passant, des victimes collatérales. Mais pire encore que l’idée hégélienne qui voudrait que « tant pis pour les petites fleurs innocentes sur le chemin des grands hommes », il y a la stratégie mélenchonienne : « tout pour arriver au pouvoir », y compris les calculs les plus clientélistes. Qu’est-ce qui est moralement le plus grave ? Est-ce d’être convaincu que le mal est nécessaire ou est-ce de pactiser avec lui par intérêt électoral ? Dans tous les cas, c’est terrifiant.

Dans votre livre vous dites qu’il n’y a pas de progrès en soi, qu’on ne peut juger qu’une chose est un progrès que par rapport au but que l’on s’est fixé. Or l’euthanasie et la GPA, qui nous paraissent d’épouvantables régressions, correspondent pour une partie de nos contemporains, exactement au sens de l’existence qu’ils se sont fixés, c’est-à-dire être de plus en plus maîtres de leur existence. Est-ce qu’aujourd’hui, il n’y a pas sur ces questions-là un affrontement entre deux visions du monde et de la vie, deux anthropologies totalement irréconciliables ?

On pourrait faire une autre hypothèse : c’est qu’en réalité, on trouve dans ces faux progrès de mauvaises réponses à des aspirations légitimes. Être maître de sa vie, par exemple, ne pas subir indéfiniment une souffrance superflue, ce sont des aspirations légitimes. La réponse politique que la société apporte à ces demandes pourrait passer par un surcroît de solidarité, de soins accordés aux plus vulnérables. En réalité, l’euthanasie, c’est pour les politiques la réponse de la paresse.
Dans tous les cas, l’euthanasie est une expérience de dépendance ! Si on demande l’euthanasie, c’est que par définition, on reçoit de l’autre la mort. La vraie question est donc : « Veut-on recevoir de l’autre le soin, ou recevoir de l’autre la mort ? » Une société qui ne sait pas promettre le soin ne peut que proposer la mort. La question que vous posez est importante, et elle n’est pas dépourvue d’incidence concrète dans la discussion politique, parce que le sujet est sans doute aussi de réussir à formuler ce qu’on veut dire. C’est la grande question de Saint-Exupéry : que faut-il dire aux hommes ? Ne devons-nous pas formuler ce que nous voulons promettre à nos contemporains dans le langage de leurs aspirations légitimes, pour montrer que la vraie réponse ne se trouve pas là où on la leur propose aujourd’hui ?

En fait la politique est d’autant plus un dialogue de sourds qu’on s’interdit de poser la question du sens.

C’est la grande question du débat entre Platon et Aristote. Platon regarde la cité comme une masse irrationnelle, la foule étant nécessairement gouvernée par les passions, l’instinct, l’archaïsme de la pulsion. Et il faudrait que cette foule folle soit gouvernée par la petite élite de sages qui savent mieux que les fous quel est leur bien ; il faudrait donc réussir à contrer la folie du peuple pour imposer à sa tête la sagesse du petit nombre. Aristote pense, lui, et je ne serais pas loin d’être aristotélicien sur ce point, que l’esprit humain est tourné vers le vrai comme le tournesol vers le soleil et que, si le grand nombre pense quelque chose, il y a de grandes chances que le grand nombre ait raison – dans certaines conditions, et la condition absolue, c’est notamment l’éducation. Dans ces conditions, le peuple partage ce que l’on peut appeler le bon sens, ou le sens commun. Et quand on pense avoir raison seul contre tous, dit Aristote, il faut toujours commencer par s’inquiéter de soi-même, parce qu’il est rare d’avoir vu tout seul une vérité que personne n’aurait perçue. Donc, le sujet est plutôt de réussir à montrer comment ce que nous avons à offrir correspond aux aspirations du plus grand nombre, plutôt que de dire au plus grand nombre que ses aspirations sont mauvaises.

Vous parliez des batailles qu’on peut gagner de manière inattendue.. En fait, pour vous, le plus grand ennemi, c’est la résignation ?

Il y a une grande lâcheté, en tous les cas, dans la résignation. Bernanos fustige les optimistes, ce qui m’a toujours plu parce que je suis allergique à l’optimisme béat ; mais il fustige aussi les pessimistes. Le vote macroniste, aux dernières élections, réunissait des électeurs qui se disaient optimistes. Pour nous, nous avons peut-être par contraste une tendance au pessimisme. Or, le pessimisme est aussi une manière de se défaire de sa responsabilité. Parce que si nous concluons toutes nos conversations par le fait que de toute façon, tout va finir par s’effondrer, alors pourquoi agir ? On vit sans doute une des périodes les plus critiques de l’histoire de notre pays, au sens étymologique de la crise, qui veut dire la croisée des chemins. C’est de ce que nous déciderons dans les années qui viendront que dépendra l’avenir à long terme de la France, et sa survie même. Si nous regardons l’histoire de notre pays, de notre civilisation, nous verrons qu’ils ont survécu à des moments plus sombres que ceux que l’on traverse aujourd’hui, par des actes d’espérance, qui ont toujours été des sursauts suscités par le courage de quelques-uns.

On vit sans doute une des périodes les plus critiques de l’histoire de notre pays, au sens étymologique de la crise, qui veut dire la croisée des chemins. C’est de ce que nous déciderons dans les années qui viendront que dépendra l’avenir à long terme de la France, et sa survie même.

Certes, mais là, on a vraiment l’impression de vivre quelque chose d’unique et de sans précédent, c’est-à-dire que d’être dans un monde qui ne sait plus du tout quels sont ses fondements et qui ne croit plus à rien. Certes, l’espérance est un exercice de la volonté, mais si la volonté ne trouve pas des raisons concrètes sur lesquelles s’appuyer, elle risque de s’épuiser…

Mais une fois qu’on fait cet acte d’espérance, les raisons apparaissent sous nos yeux. Depuis le début du mandat, je vais un peu partout dans le pays, une ou deux fois par semaine, et j’y rencontre partout des Français exceptionnels. Il y a dans ce pays, quels que soient leur profession, leur milieu social, leur horizon, chez ceux qui travaillent, qui font que la France tient debout, qui restent encore fidèles malgré toutes les difficultés, un potentiel magnifique qui n’attend que d’être enfin libéré.

Une autre raison d’espérer, c’est ce qui se passe sur le terrain des idées. Oui, la gauche garde de grands bastions culturels. Oui, les multinationales du numérique diffusent une vision du monde qui contribue à la déconstruction. Mais aujourd’hui, le débat est quand même bien plus ouvert qu’il ne l’a été dans le passé. La discussion reste bien plus libre en France que dans d’autres régions du monde. Et sur le terrain médiatique, votre travail, je le dis sans facilité, est aussi une raison d’y croire encore. Sans rien occulter de ce que nous avons dit de la gravité de la situation, il y a des expériences auxquelles accrocher notre espérance – celle que j’ai vécue il y a quelques jours à l’occasion des dix ans des Soirées de la Philo : devant 2 000 personnes, dont énormément de jeunes, venues écouter du Plotin sur la scène de l’Olympia, on ne peut que se dire : « Ce n’est pas complètement mort ». Rien n’est gagné d’avance, bien sûr ; mais au fil des rencontres que je vis partout en France, je vois dans bien des regards assez d’énergie, d’intelligence et de volonté pour mener les combats qui viendront. Marc Aurèle écrit, dans Les pensées pour moi-même : « Les batailles que je n’ai pas livrées, je me console trop facilement dans la certitude qu’elles étaient perdues d’avance. »


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Déplacement en Nouvelle-Calédonie


Retour sur cinq jours de déplacement de travail en Nouvelle-Calédonie

 

 

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Nomination au poste de vice-président exécutif des Républicains

François-Xavier Bellamy

Cette semaine, Eric Ciotti a annoncé sa volonté de me nommer vice-président exécutif des Républicains, ainsi qu’Aurélien Pradié. Je le remercie de sa confiance, et de la responsabilité importante qu’il me donne ; il sait pouvoir compter sur mon engagement total pour l’épauler dans sa mission à la tête de notre parti. Ma volonté est toujours la même, celle de tout donner pour que la droite offre à la France l’espérance dont elle a tant besoin ; et je serai heureux d’y travailler à ses côtés.

Je voudrais bien sûr redire ma reconnaissance fidèle à Bruno Retailleau : après sa très belle campagne, il n’a rien voulu obtenir pour lui-même, cherchant seulement à assurer que son équipe, et les adhérents qui l’ont soutenu, soient pleinement représentés dans la direction du parti. Demain, avec tant d’amis qui l’ont suivi, nous travaillerons pour faire vivre au sein de notre famille politique la volonté de renouvellement profond qu’il a incarnée dans cette campagne, au service de la refondation dont la droite française a tant besoin.

Il ne s’agit pas de faire vivre des divisions, dont notre camp a déjà tellement souffert, mais au contraire d’agir tous ensemble pour reconstruire une alternative sérieuse et crédible, dans un moment critique pour la vie démocratique de notre pays. La France a besoin d’une droite claire, solide, intelligente, enracinée et inventive, qui puisse lui redonner confiance en l’avenir. Le défi est immense – non pas pour notre parti, mais pour notre pays. C’est avec chacun d’entre vous, chers amis, que nous le relèverons.

Déplacement dans le Rhône

Déplacement de François-Xavier Bellamy dans le Rhône en novembre 2021.

 

La France en état d’urgence éducative

30 propositions pour sauver l’école, priorité absolue pour l’avenir

Cliquez ici pour accéder directement aux mesures

 

La catastrophe éducative très grave qui touche aujourd’hui la France est désormais largement reconnue. Les enquêtes internationales ne cessent de confirmer, dans tous les domaines, la situation désespérée dans laquelle se trouve aujourd’hui notre pays : son système scolaire, qui fut pourtant l’un des meilleurs au monde, échoue à transmettre les savoirs les plus fondamentaux. Dernier pays en Europe pour l’apprentissage des mathématiques, laissant un jeune majeur sur cinq en très grande difficulté de lecture, la France garde sans discontinuer depuis 2013 le record du système scolaire le plus inégalitaire socialement, au mépris de la promesse républicaine : en France, les enfants des familles modestes, qui paient le prix fort de notre échec collectif, sont condamnés à la relégation comme jamais auparavant.

A la veille de cette année politique décisive pour la France, il n’existe aucun sujet plus urgent que le relèvement de notre éducation.

  • Il détermine l’avenir de notre prospérité économique et de notre modèle social, qui ne pourra reposer que sur notre excellence en matière scientifique, technologique, culturelle, dans un monde de plus en plus gouverné par l’innovation et la recherche.
  • Il conditionne notre victoire contre l’archipélisation de la société française, la montée de la violence, et la lutte contre l’islamisme en particulier : aucune politique sécuritaire, aucun renforcement de l’arsenal judiciaire, ne pourront pallier un échec éducatif global. Nous ne reconstruirons une civilité partagée qu’en transmettant de nouveau une culture commune, qui puisse susciter l’aspiration de tous les jeunes Français.
  • Enfin, il constitue une urgence vitale du point de vue démocratique : aucun débat public n’est possible, aucune liberté véritable n’est permise, sans les fondements de raison et de culture qui permettent à un citoyen de participer pleinement à la vie civique.

La catastrophe éducative que nous traversons ne date pas d’hier : toutes les familles politiques qui ont gouverné dans les dernières décennies y ont leur part de responsabilité, et le quinquennat qui s’achève n’échappe pas à la règle… Tout est à reconstruire aujourd’hui. Ce constat est trop grave pour être utilisé comme une occasion de querelle politicienne ; il ne doit conduire qu’à une prise de conscience collective. C’est dans cet esprit que, après avoir tenté, parmi bien d’autres, de lancer l’alerte sur la gravité de la situation, j’ai voulu formuler des propositions concrètes, non exhaustives mais indispensables, en parallèle du travail déjà effectué par notre famille politique. L’éducation doit devenir le sujet majeur pour tous les Français, en cette année présidentielle ; de lui dépend en effet la survie de notre pays.

François-Xavier Bellamy

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Les Français savent que la vie, ça n’est pas « En même temps »

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Industrie de défense : ces dépendances qui minent la souveraineté de nos États.

Entretien à Ouest France réalisé à l’occasion de la visite du SOFINS, le salon de l’innovation pour les forces spéciales.

Pourquoi venez-vous au Sofins, le salon des Forces spéciales ?

Parce que je veux être en contact direct avec ceux qui innovent au service de nos armées, et avec les militaires eux-mêmes, engagés aujourd’hui sur des théâtres d’opérations décisifs. Je siège au sein de la commission du Parlement européen qui suit les enjeux d’industrie et de recherche, et j’étais rapporteur sur le Fonds européen de défense : ce travail parlementaire pour soutenir nos soldats ne peut être utile que s’il s’appuie sur leur expérience et leurs besoins.

Sous l’impulsion de la France, la force Takuba actuellement en constitution est l’embryon d’une « association » de forces spéciales de plusieurs pays européens. Quels sons de cloches entendez-vous au Parlement européen sur ce projet ?

Sur ces sujets, nos partenaires européens ont des approches souvent différentes ; c’est l’une des raisons pour lesquelles je ne crois absolument pas à une “armée européenne”. En revanche, de plus en plus de pays réalisent qu’une montée en puissance d’une force conjointe comme Takuba est pertinente, parce que c’est la sécurité de l’Europe qui se joue au Sahel. Si les pays européens ne s’engagent pas sur ces terrains, ils laisseront la place à d’autres acteurs très présents sur le continent africain, comme la Chine ou la Turquie… Avec Arnaud Danjean, nous travaillons aussi à faire comprendre que la France ne pourra éternellement assumer, seule ou presque, la protection indirecte de l’Europe dans cette région.

L’innovation est dans l’ADN des forces spéciales. Comment l’Europe accompagne-t-elle cette recherche d’innovations ? Le FED pourrait-il y contribuer ?

Le Fonds européen de défense a justement été constitué pour soutenir l’innovation dans ce secteur : il financera des projets de recherche associant des entreprises de nos pays, pour nous permettre un jour de ne plus dépendre de matériels ou de technologies de pays non européens.

Le FED avait été initialement proposé à 13 milliards d’euros en 2018. Il vient d’être adopté à 7,9 milliards sur sept ans, mais ne devrait pas servir  à acheter du matériel militaire, ni à la constitution d’une « armée européenne », mais plutôt à la mutualisation de projets de recherche. Quelle est donc la finalité de ce FED ?

Il doit préparer l’autonomie stratégique des pays européens en matière d’industrie de défense. Lorsque l’opération Serval a été lancée en urgence au Mali, la France a dû demander aux Etats-Unis l’autorisation d’utiliser certains matériels contenant des composants américains… La réponse pouvait attendre jusqu’à deux mois, ce qui est bien sûr incompatible avec l’exigence opérationnelle en pareille circonstance. Cette dépendance mine la souveraineté de nos Etats. Il ne s’agit pas de créer une armée commune, mais de donner aux armées de nos pays les moyens d’intervenir avec des matériels européens.

Face aux Etats-Unis, la Russie et plus encore la Chine, l’Union européenne donne souvent  le sentiment de jouer « petit bras ». Pourquoi l’enveloppe du FED a-t-elle fondu de 13 à moins de 8 milliards d’euros alors que les budgets militaires sont partout en croissance ?

Je déplore vivement cette baisse de budget. Certains élus de gauche, les écologistes par exemple, s’opposaient à l’idée même de financer la recherche en matière de défense, comme si préserver notre sécurité et notre souveraineté était honteux. Bien des responsables politiques font comme si la paix était acquise pour toujours ; ils oublient qu’elle repose sur l’engagement de nos armées, et que nous devons leur donner les moyens de leur mission. Je regrette vivement que cette coupe budgétaire, décidée par les chefs d’Etat, ait été acceptée par Emmanuel Macron : cette enveloppe est réduite, comparée aux 750 milliards d’euros du plan de relance, et elle représente par ailleurs un investissement essentiel pour la relocalisation industrielle et pour l’emploi.

Le système de combat aérien du futur (SCAF), le futur char de combat lourd, le futur drone de reconnaissance et/ou de combat, etc… La plupart des programmes des équipements militaires qui seront opérationnels dans les 20 prochaines années ont une genèse très compliquée. Pendant ce temps, et malgré les récents succès à l’exportation du Rafale, les Etats-Unis avancent et placent leurs produits (Drone Reaper, F35, futur F15 modernisé, etc…). Dans le domaine du matériel militaire, faut-il renoncer à l’Europe pour avancer ?

Il est clair que sur certains sujets précis, les divergences industrielles ou stratégiques sont trop fortes ; dans ces cas-là, la défense reste une compétence nationale et c’est à cette échelle qu’il faut définir les priorités. Le gouvernement a tort de chercher à imposer dans tous les domaines une logique de coopération parfois contre-productive. Pour autant, des partenariats européens restent possibles, pertinents et souhaitables. Il faut simplement qu’ils soient intelligemment construits – le contre-exemple le plus connu en la matière étant le fiasco de l’A400M, où les responsabilités étaient trop diluées.

La France présidera le Conseil de l’Union européenne au premier semestre 2022, en pleine campagne de l’élection présidentielle et des législatives. Dans le domaine militaire et en termes de vision géostratégique, quelles initiatives espérez-vous de la France ?  

Qu’elle contribue précisément à ce que l’Europe se dote d’une vision stratégique pour l’avenir ! Je ne partage pas le logiciel fédéraliste d’Emmanuel Macron, et pour être franc je crains qu’il n’utilise la présidence française du Conseil d’abord comme un outil de communication avant les élections. Mais si l’Europe est bien un échelon pertinent pour peser au niveau mondial, il faut vraiment que la France partage avec ses partenaires européens un regard plus lucide sur les enjeux géopolitiques actuels, et je ferai tout pour y contribuer.

Vote du rapport sur la Réserve d’ajustement Brexit en commission de la pêche

« La Commission PECH du Parlement européen a adopté hier le rapport que je présentais sur la Réserve d’ajustement Brexit. Il s’agit d’un financement de 5 milliards d’euros destiné à soutenir les secteurs économiques les plus touchés par l’impact du retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne.

 Ce vote est le résultat d’un travail de fond par lequel je propose de changer en profondeur la proposition de la Commission européenne concernant la répartition et la mise en œuvre de ce financement. En soutenant mon rapport, sur un sujet très sensible et controversé, des élus issus de tous les groupes parlementaires ont confirmé les critiques que je formulais sur cette première proposition, et les améliorations substantielles que je souhaitais y apporter.

La première d’entre elles concerne la répartition de ce financement entre Etats-membres : en changeant substantiellement le principe de cette affectation, nous garantissons que les pertes causées par le Brexit dans nos pays seront indemnisées de la même manière, et ne varieront pas d’un pays à l’autre au nom des critères très opaques jusque là imposés. La répartition de ces fonds publics sera ainsi équitable, transparente, et efficace, pour soutenir en priorité les acteurs les plus violemment touchés.

Nous avons également apporté des améliorations substantielles pour les pêcheurs, en garantissant que les fonds prévus pour les soutenir leur seront réellement affectés, en imposant des processus administratifs simplifiés, en leur apportant une plus grande sécurité juridique, et en permettant qu’ils soient soutenus jusqu’en 2026, date à laquelle l’accord passé avec les Britanniques pour la diminution de l’activité de pêche de nos pays dans leurs eaux aura atteint son effet maximal.

Ce débat a été bien sûr très difficile, étant donné l’ampleur des financements en jeu ; et je suis particulièrement heureux du résultat très positif auquel nous sommes arrivés par le long travail mené ces dernières semaines avec tous nos collègues. C’est la première fois qu’une commission parlementaire aboutit à une évolution aussi forte d’une répartition budgétaire proposée par la Commission européenne. Nous le devions à tous ceux dont les activités, les emplois, les entreprises, sont aujourd’hui menacés par l’impact du Brexit dans nos pays, et tout particulièrement aux pêcheurs, qui font face à une situation particulièrement éprouvante, après de longues années d’incertitude. J’espère que les étapes suivantes de la procédure parlementaire et des négociations à venir permettront de mettre en oeuvre ces premiers résultats le plus rapidement possible, et je resterai totalement mobilisé pour y parvenir. »

François-Xavier Bellamy, rapporteur pour la commission de la pêche sur le projet de Réserve d’ajustement Brexit

Ce qui se joue en Arménie

François-Xavier Bellamy au cimetière militaire de Yerablur en Arménie

Tribune initialement parue dans Le Figaro le 13 avril 2021. Traduction parue dans le quotidien arménien Aravot.

C’est le soir de Pâques. Le soleil couchant jette une lumière douce sur Yerablur, où de nombreuses familles, dans un silence impressionnant, sont venues se recueillir. Le cimetière militaire, à flanc de colline, a été agrandi à la hâte il y a quelques mois : sur chaque tombe nouvelle, quelques souvenirs, des fleurs, de l’encens, parfois un jouet d’enfant ; une plaque avec un nom, un visage souvent, et une date de naissance : 2000 ou 2001, pour beaucoup… Et pour veiller chacun de ces jeunes soldats tombés, un drapeau arménien. Il y en a des centaines, à perte de vue, qui flottent dans le soleil et la brise du soir.

Personne ne peut voir Yerablur sans comprendre que se jouent, dans ce Caucase oublié, trois événements essentiels

Le 27 septembre 2020, l’Azerbaïdjan, appuyé par la Turquie, membre de l’OTAN, attaquait le Haut-Karabagh, enclave rattachée par Staline à l’Azerbaïdjan, mais où les Arméniens vivent depuis des siècles. Commençaient quarante-quatre jours d’un conflit meurtrier, interrompu par un cessez-le-feu précaire : au moment où les forces russes entraient en jeu pour s’interposer, les Arméniens avaient perdu de larges territoires, et des milliers de soldats, engagés ou volontaires, dont le courage ne pouvait suffire seul face à une telle adversité. Le monde occidental avait largement détourné le regard – la voix de la France restant bien seule pour dénoncer cette agression.

Pourtant, personne ne peut voir Yerablur sans comprendre que se jouent, dans ce Caucase oublié, trois événements essentiels. Le premier, c’est bien sûr la tragédie vécue par l’Arménie, un siècle après un génocide que la Turquie s’obstine à nier. En promettant au début de sa guerre qu’il « chasserait les arméniens comme des chiens », le président Aliev a montré qu’il ne s’agissait pas pour lui de reprendre un territoire et sa population, mais bien de mener une véritable épuration ethnique – et de nombreux crimes de guerre ont depuis confirmé cette intention, à commencer par les décapitations de prisonniers ou de civils arméniens, jusqu’à des vieillards, filmées par leurs auteurs au cri de Allah Akbar. Une nouvelle fois, l’Arménie, premier pays chrétien depuis qu’il a adopté cette confession en l’an 301, paie le fait que sa seule existence est un obstacle à l’ivresse de domination totale avec laquelle ses voisins renouent aujourd’hui explicitement.

La victime collatérale de cette guerre, c’est le droit international établi précisément pour éviter que ne recommencent les pires drames du XXème siècle.

La victime collatérale de cette guerre, c’est le droit international établi précisément pour éviter que ne recommencent les pires drames du XXème siècle. Bien sûr, le statut du Haut-Karabagh était l’objet d’une contestation entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan (et ce problème reste ouvert, quoiqu’en dise M. Aliev) ; mais il était discuté dans le cadre du groupe de Minsk, co-présidé par la Russie, les Etats-Unis et la France. En soutenant une attaque subite et unilatérale, la Turquie a voulu montrer que la violence est finalement un meilleur moyen que le dialogue pour résoudre un désaccord. Et en la laissant faire, le monde occidental admet un dangereux précédent… Où sont passés nos principes ? L’Azerbaïdjan et la Turquie avaient soigneusement planifié leurs opérations ; tous deux adhèrent pourtant à l’ONU, qui impose que « les membres règlent leurs différends par des moyens pacifiques, [et] s’abstiennent de recourir à la menace ou à l’emploi de la force », sauf face à une agression ou sous mandat international. En acceptant que des Etats violent ces règles fondamentales, utilisent des armes interdites, se rendent coupables de crimes de guerre et en retirent un bénéfice stratégique durable, nous admettons que la force prime le droit. Bien sûr, le recours à la violence n’a jamais disparu ; mais le fait que ce soit la Turquie, deuxième armée de l’OTAN, qui assume délibérément de franchir toutes les lignes rouges, constitue une rupture d’une échelle inédite. J’avais dénoncé notre passivité dans l’hémicycle du Parlement dès octobre 2020. À Yerablur, j’ai perçu presque physiquement combien ce silence avait tué ; et je n’oublierai jamais cet instant. Il faut ajouter à ce terrible bilan les nombreux blessés de guerre rencontrés au centre de soins d’Erevan, les milliers de victimes azéries bien sûr, et tous ceux qui à l’avenir, bien souvent parmi les plus vulnérables, paieront pour le primat que nous avons laissé donner à la violence sur le dialogue.

Un jeune arménien me confiait sa désillusion : si ses amis de vingt ans tombés face à cette attaque avaient été des bébés pandas, les médias européens en auraient bien plus parlé. Une chaise manquante à Ankara aura suscité plus d’émoi qu’une année de violations des droits fondamentaux partout autour de la Turquie…

Nous ne cessons pourtant de parler d’état de droit, de principes, de valeurs… La conséquence logique d’une telle incohérence ne peut être que l’effondrement de l’influence de l’Europe – non seulement dans cette région, mais pour tous les pays du monde qui seraient tentés de nouer un lien fort avec nous. Depuis plusieurs années, l’Arménie, pays démocratique auquel nous lie l’héritage d’une même civilisation, n’avait cessé de se tourner vers l’Union européenne, jusqu’à un accord de partenariat global signé en 2017. Mais pendant ces quarante jours meurtriers, le Parlement européen produisait des résolutions sur « l’égalité des genres dans la politique étrangère et de sécurité de l’Union », « l’incidence de la COVID-19 sur l’état de droit » ou « l’année européenne des villes plus vertes » : dans les centaines de pages votées pendant cette période, l’Arménie n’apparaît pas une seule fois… Un jeune arménien me confiait sa désillusion : si ses amis de vingt ans tombés face à cette attaque avaient été des bébés pandas, les médias européens en auraient bien plus parlé. Une chaise manquante à Ankara aura suscité plus d’émoi qu’une année de violations des droits fondamentaux partout autour de la Turquie…

Il est encore temps pour l’Europe d’agir, si elle saisit les urgences absolues que vit le peuple arménien. La première d’entre toutes, c’est le sort des prisonniers de guerre encore retenus en otage par l’Azerbaïdjan, au mépris des droits de l’homme et de ses propres engagements : l’Arménie a tenu parole en libérant ses prisonniers. Elle attend le retour des siens, et des milliers de familles vivent encore dans l’angoisse de savoir si leurs fils sont morts, ou retenus en otage. Un tel chantage, inhumain et gravement contraire au droit international, ne peut durer : si nos pays s’engageaient résolument à exiger leur libération, ils l’obtiendraient ; ils montreraient ainsi que l’Arménie n’est pas complètement isolée – et que l’Europe n’a pas complètement perdu le sens de sa responsabilité, de ses principes, et des intérêts qu’elle partage avec ce pays ami de toujours. Nous devons cette espérance aux endeuillés qui nous regardent, depuis la lumière silencieuse d’un soir de Pâques à Yerablur.

Il est encore temps pour l’Europe d’agir, si elle saisit les urgences absolues que vit le peuple arménien. La première d’entre toutes, c’est le sort des prisonniers de guerre encore retenus en otage par l’Azerbaïdjan, au mépris des droits de l’homme et de ses propres engagements

Un compte-rendu photo du déplacement sera bientôt disponible en ligne.

Mayotte, Schengen, séparatisme : entretien à Paris Match

François-Xavier Bellamy à Mayotte

Extraits d’un entretien à Paris Match publié le 26 novembre 2020.

Vous rentrez d’une tournée à Mayotte et vous affirmez qu’aucun développement ne sera possible sans mettre fin aux flux migratoires permanents. N’est-ce pas la politique du gouvernement?

François-Xavier Bellamy. Mayotte est en état d’urgence, face à une situation migratoire hors de contrôle. Malgré l’énergie des équipes qui luttent sur le terrain contre l’immigration clandestine, il faudra des moyens bien plus importants, et une vraie détermination de toutes les administrations, pour éviter d’atteindre un point de rupture. Au fond, Mayotte permet de comprendre le défi qui attend la France dans son ensemble : pour pouvoir reconstruire notre unité, il faut pouvoir mettre fin à notre impuissance sur le front migratoire.

Comment l’Union européenne peut-elle soutenir Mayotte face à ce défi ?

L’Europe a un vrai rôle à jouer sur les sujets migratoires. La Commission doit présenter bientôt son nouveau schéma sur le sujet. J’espère que la réglementation qui sera adoptée mettra enfin un terme à l’idée aberrante sur le plan européen de la relocalisation des migrants : jusqu’à aujourd’hui, la doctrine est qu’en cas de crise migratoire, il faut gérer notre impuissance en se répartissant les migrants entrés illégalement sur le sol européen. Mais cela ne peut être une solution… Le principe qui doit être enfin garanti, c’est que personne ne doit pouvoir s’établir en Europe s’il y est entré illégalement. Ce principe est indispensable pour rétablir la situation, à Mayotte comme pour l’ensemble des pays européens. Ce qu’éprouvent les Mahorais, je l’ai vécu aussi sur l’île de Lesbos, en Grèce : ne pas maîtriser nos frontières n’est pas de la générosité, c’est une impuissance qui prépare toutes les fractures de demain.

Au Perthus, Emmanuel Macron vient de réclamer une refondation des règles de Schengen. Ça va dans le bon sens ?

Enfin ! La droite le demande depuis des années, et je l’ai évoqué tout au long de la campagne européenne, malgré les critiques que cela nous valait. La libre circulation ne peut fonctionner que si nous maîtrisons l’ensemble de nos frontières en Europe. Je suis heureux que le président de la République se rallie à cette perspective. Mais la réalité de son action est malheureusement bien éloignée de sa communication : jamais la France n’a accueilli autant d’immigration légale depuis plus de 40 ans. L’an passé, plus de 300.000 titres de séjour ont été délivrés. C’est un record historique, et un contresens majeur : si on veut empêcher le communautarisme qui fracture notre société, il faut d’urgence mettre un terme à ces flux migratoires massifs. Tout le travail d’intégration, qu’il nous faut rattraper aujourd’hui, sera impossible sans ce préalable. Il faut revenir sur le droit du sol, et suspendre le regroupement familial, que ce gouvernement a à l’inverse étendu aux mineurs isolés. Tant que nous n’agirons pas fermement sur ce sujet, rien ne sera fait dans la lutte contre le « séparatisme ».

Approuvez-vous le projet de loi sur le séparatisme rebaptisé « garantie des principes républicains » ?

Je soutiendrai tout ce qui permettra à la France d’être mieux armée face à la menace islamiste. Mais cette loi me paraît bien éloignée des enjeux. Il suffit de considérer l’improbable pudeur lexicale d’Emmanuel Macron : pourquoi ne pas appeler le danger par son nom ? Samuel Paty n’a pas été décapité par un couteau « séparatiste ». Le faux mineur pakistanais qui voulait s’en prendre à Charlie Hebdo n’était pas animé d’intentions « séparatistes ». Ce qui nous menace aujourd’hui, c’est l’islamisme, qui veut s’imposer par la violence et la terreur. Et pour le combattre, on a moins besoin d’empiler de nouvelles lois que de garantir que d’appliquer celles qui existent. Chaque semaine, des commissariats ou des gendarmeries sont attaqués à coup de mortiers d’artifice, sans que personne ou presque ne soit sanctionné… Commençons par mettre fin à l’impunité et à faire respecter nos lois partout sur le territoire français. Le reste n’est que gesticulation…

Un million de Français auraient basculé dans la pauvreté. Y-a-t-il un risque d’explosion sociale ?

C’est d’abord un drame humain immense. Ce basculement terrible vers la pauvreté doit être pris en compte. Le gouvernement fait ce qu’il peut sur le plan social, mais l’anesthésie des aides publiques ne compensera jamais l’activité perdue, jamais. Il faut absolument tout faire pour que les gens puissent recommencer à travailler et reprendre une vie normale le plus vite possible.

Faut-il rendre obligatoire l’isolement des personnes atteintes du coronavirus ?

Sur ce sujet comme sur bien d’autres, à chaque fois que l’Etat échoue à remplir son rôle, il reporte le poids de l’échec sur les libertés fondamentales des Français. Le vrai problème, ce n’est pas l’isolement des malades, c’est l’échec total de la stratégie de dépistage. L’application gouvernementale supposée servir au dépistage était un échec programmé, dont j’ai averti depuis le début : le résultat est tragique, malgré les sommes investies. Les Français respectent l’isolement quand ils sont testés, mais la stratégie de tests à l’aveugle ne pouvait pas fonctionner. Maintenant le sujet n’est pas de devenir plus répressifs encore, en traitant les malades comme des détenus ! L’urgence est d’avoir enfin une politique de dépistage efficace.

À chaque fois que l’Etat échoue à remplir son rôle, il reporte le poids de l’échec sur les libertés fondamentales des Français.

Est-ce que vous vous vaccinerez contre la Covid ?

Oui, si le vaccin présenté apporte toutes les garanties de sécurité. J’espère surtout qu’on ne manquera pas cette bataille. Au Parlement européen, je vois que nos collègues allemands sont déjà pleinement engagés dans la préparation de la campagne de vaccination, avec une stratégie et une logistique très avancées.

Un Français sur deux hostiles au vaccin, comment l’expliquez-vous ?

La montée de la défiance m’inquiète de manière générale. Nous vivons dans cette « société de la défiance » décrite par Pierre Rosanvallon. Malheureusement, la parole publique a été profondément discréditée par les inconséquences de nos gouvernants. Les mêmes qui nous disaient, il y a quelques semaines, que les masques étaient inutiles voire dangereux, affirment désormais qu’ils sont indispensables… Dans ces conditions, comment faire confiance ? Nous ne mettrons pas fin à cette défiance en la méprisant ou en l’insultant. Seules peuvent redonner du crédit à la parole de l’Etat l’exigence de vérité, de sobriété et de responsabilité.

A la fin, Emmanuel Macron peut-il être le candidat commun de La République en marche et des Républicains ?

Non – ou bien ce sera sans moi ! Je crois au pluralisme en démocratie, à la constance et à la clarté. Emmanuel Macron n’a été convaincant à aucun point de vue, avant même la crise du Covid. Qu’a-t-il fait pour rétablir l’autorité de l’Etat ? Où sont les mesures énergiques pour mettre fin aux flux migratoires qui déstabilisent notre société ? Où sont les mesures pour rétablir nos comptes publics, retrouver des marges de manœuvre et libérer les énergies ? Où est la stratégie pour une transition écologique qui garantisse en même temps la stabilité énergétique, alimentaire, sociale, dans notre pays ? Je n’éprouve aucun plaisir à être dans l’opposition, mais je ne voyais pas de raison de croire au macronisme en 2017 et à l’épreuve des faits il n’y en a pas plus aujourd’hui.

Serez-vous candidat à la primaire ?

Je ferai tout pour contribuer à construire cette alternance, avec le souci de l’unité. On verra bien comment les choses se présenteront.

Je n’éprouve aucun plaisir à être dans l’opposition, mais je ne voyais pas de raison de croire au macronisme en 2017 et à l’épreuve des faits il n’y en a pas plus aujourd’hui.